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Les délits de la solidarité
Ce dossier, mis en ligne initialement en 2009, a été refondu en 2024. Certaines parties - notamment celles qui, au-delà du « délit de solidarité » au sens strict, évoquaient l’ensemble des textes mobilisés pour incriminer les protestations émises à l’encontre des politiques migratoires et de leurs conséquences inhumaines - ne sont plus alimentées. Elles ont été archivées mais restent accessibles.
Ce dossier a été créé sur le site du Gisti en 2009, pour répliquer au ministre de l’immigration d’alors, Eric Besson. Réagissant à un communiqué de presse du 23 mars 2009 appelant à manifester contre le délit de solidarité signé par une centaine d’organisations, le ministre prétendait, dans une lettre adressée aux organisations signataires : « Toute personne, particulier, bénévole, association, qui s’est limitée à accueillir, accompagner, héberger des clandestins en situation de détresse, n’est donc pas concernée par ce délit. Et j’observe qu’en 65 années d’application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ».
Que le ministre ait été mal informé ou qu’il ait menti délibérément, il était clair que ses déclarations péremptoires travestissaient gravement la réalité. Face à l’obstination ministérielle à nier l’évidence, le Gisti a donc entrepris, à partir du mois d’avril 2009, de dresser la liste des condamnations prononcées depuis 1986 contre des personnes ayant apporté une aide à des étrangers sans papiers, le plus souvent en les hébergeant.
La visée de ce dossier, lorsqu’il a été mis en ligne en 2009, allait plus loin : il avait l’ambition d’envisager l’ensemble des « délits de la solidarité », c’est-à-dire l’ensemble des formes de répression visant celles et ceux qui – par conviction, par générosité, par simple sentiment d’humanité… – refusent de céder aux injonctions du pouvoir et manifestent, sous une forme ou sous une autre, leur solidarité avec les sans papiers.
Au premier rang des textes utilisés, il y a d’abord, bien sûr, ceux qui incriminent spécifiquement l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers et punissent ses auteurs d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Contrairement aux affirmations péremptoires du ministre de l’immigration en 2009, cette disposition introduite dans la réglementation par le décret-loi de 1938 dans un climat particulièrement xénophobe, est utilisée non pas seulement ni même principalement pour poursuivre les « commerçants » de l’immigration clandestine mais pour intimider des personnes qui côtoient les étrangers en situation irrégulière et qui choisissent simplement de leur rendre service au quotidien.
Au fil des lois, sous la pression de mobilisations associatives, le cercle des personnes protégées contre ces poursuites pénales a été un peu étendu jusqu’à ce que le gouvernement annonce la « suppression » du « délit de solidarité » par la loi du 31 décembre 2012. Or les protections issues de cette réforme restent très restrictives : l’aide ne peut porter que sur des domaines précis, essentiellement humanitaires, et doit être accordée sans contrepartie « directe ou indirecte » ce qui permet toutes les dérives : on a même vu engager des poursuites contre une personne qui hébergeait une famille étrangère en faisant valoir qu’il y avait eu contrepartie, ladite famille ayant participé aux travaux domestiques et lavé la vaisselle ! La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6 juillet 2018, qui reconnaît que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle et en déduit « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans condition de la régularité de son séjour sur le territoire national », a toutefois contraint le législateur à élargir encore un peu le champ des exemptions par la loi du 10 septembre 2018.
Mais les règles incriminant expressément l’aide apportée aux étrangers en situation irrégulière ne représentent qu’une partie de l’arsenal législatif employé pour dissuader et punir les diverses formes de soutien aux étrangers en situation irrégulière. S’y ajoute une série d’autres délits utilisés à l’encontre des « aidants » et plus largement de ceux qui s’opposent à la politique d’immigration française et européenne.
Des textes généraux sans rapport avec la législation sur l’immigration sont mobilisés pour incriminer les protestations émises à l’encontre des politiques migratoires et de leurs conséquences inhumaines. C’est ainsi que les délits d’outrage, d’injure et de diffamation ou de violences à agent public sont utilisés pour défendre l’administration et la police contre les critiques dont leurs pratiques font l’objet : aujourd’hui, on ne saurait exprimer en des termes un peu virulents sa réprobation à l’endroit des rafles (ce simple mot fait déjà problème) et des expulsions orchestrées par les serviteurs de l’État sans craindre d’éventuelles poursuites. A fortiori si l’on s’aventure à établir quelque parallèle que ce soit entre la période actuelle et celle de la France de Vichy.
Le délit d’entrave à la circulation d’un aéronef figurant dans le code de l’aviation civile apporte également sa pierre à l’édifice répressif. En pratique, les passagers soucieux du sort réservé aux personnes ligotées et bâillonnées dans l’avion qui les conduit en vacances, les personnes outrées de la violence de certains embarquements et qui voudraient manifester leur opposition à de telles pratiques s’exposent également à des poursuites.
En réalité, la panoplie des textes disponibles pour prévenir et punir tant les actes que les paroles de soutien aux étrangers sans papiers est encore plus large et l’on a pu voir, ici ou là, l’aide incriminée encore sous divers prétextes. Par delà la diversité des fondements juridiques imaginés, l’ouverture des poursuites comme les pratiques plus sournoises de dissuasion procèdent de la même volonté politique : il s’agit de priver l’étranger en situation irrégulière en France de toute forme de soutien : amical, politique ou juridique mais aussi, au-delà, de signifier à la population en général et aux militants en particulier qu’on ne peut s’opposer impunément à la politique gouvernementale quelles que soient la détresse humaine et les horreurs qui lui sont inhérentes.
Alors que le droit international consacre notamment le droit pour chacun « de participer à des activités pacifiques pour lutter contre les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales », les incriminations pour « délits de solidarité » se multiplient aussi hors de France.
Le Gisti, avec ses partenaires associatifs, continue à dénoncer la banalisation et la généralisation de ces « délits de la solidarité ». Alors qu’au nom d’un objectif érigé en dogme – sous le nom de « maîtrise des flux migratoires » en France ou de « gestion intégrée des frontières extérieures » au niveau de l’Union européenne – des atteintes de plus en plus graves sont portées aux droits fondamentaux des migrants, ceux qui refusent d’endosser les morts, la misère et les humiliations quotidiennes que secrète immanquablement cette politique illusoire mais féroce de fermeture des frontières doivent pouvoir agir et s’exprimer librement.
Sommaire
A. L’évolution législative et jurisprudentielle
- 1. Émergence et consécration du délit de solidarité
- 2. Les étapes de la législation
- 3. Les décisions du Conseil constitutionnel : 1994, 1996, 2004, 2018
- 4. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
B. L’aide à l’entrée et au séjour irréguliers dans les textes
C. Guides à l’intention des acteurs et actrices de la solidarité
II. La répression du délit de solidarité depuis 2015
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