Édito extrait du Plein droit n° 135, décembre 2022
« Plein droit ouvrier »
Le volet « travail » de la réforme : une vraie nouveauté ?
ÉDITO
Le dossier proposé dans le présent numéro tombe à pic. En effet, le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration [1] » – déposé au Conseil d’État le 19 décembre 2022 et qui sera discuté début 2023 – doit entre autres venir modifier la réglementation concernant l’accès des personnes étrangères au travail salarié…
Le projet de loi comporte plusieurs chantiers, comme celui de la prétendue simplification du contentieux, ou encore une aggravation de la double peine, avec la fin de la protection au titre des attaches en France pour les personnes étrangères qui auront commis des actes punissables d’un emprisonnement d’au moins 5 ans. Une fois de plus, on tente de nous vendre une réforme présentée comme équilibrée ; la même ritournelle, reprise depuis des années. Dans le contexte nouveau, cette fois, d’une majorité fragile – et aussi de droite – du gouvernement qui doit séduire les Républicains pour que le projet soit adopté. Car si les parlementaires du groupe s’accordent sur les dispositions répressives du projet, ils sont vent debout contre le dispositif visant à régulariser la situation des sans-papiers, même exerçant un métier en tension. Une fois de plus, on fait mine de craindre « l’appel d’air ».
Une nouvelle mention « travail dans des métiers en tension » viendrait en effet compléter la liste de celles apposées sur les cartes de séjour temporaire. En 2006, le législateur avait rouvert officiellement la voie de l’immigration de travail mais choisi d’en exclure les sans-papiers : pour accéder à une carte « salarié » ou « travailleur temporaire », il faut, toujours aujourd’hui, passer par la procédure d’introduction en France ou par le changement de statut. Pour les personnes étrangères sans autorisation de travail, il n’existe qu’une voie, celle de l’admission exceptionnelle au séjour « par le travail », et le plus souvent sur la base des critères mis en place par la circulaire dite Valls du 28 novembre 2012, servant de cap aux préfectures. L’entrouverture proposée aujourd’hui suppose de postuler pour un emploi dans un secteur ou une activité qui connaît des difficultés de recrutement, donc soit figurant sur l’une des listes de « métiers en tension », soit après que l’employeur aura apporté la preuve qu’il échoue dans ses recherches.
Le gouvernement a hésité sur la voie à suivre pour répondre aux besoins du marché du travail et permettre aux employeurs de disposer de main- d’œuvre dans des secteurs sinistrés (hôtels, cafés et restaurants, BTP, logistique, propreté, etc.). La Première ministre ne souhaitait pas créer un nouveau titre, jugeant préférable de continuer à agir par voie de circulaire et par le biais de la procédure de l’admission exceptionnelle. Plus discret, cela va sans dire, favorisant des pratiques préfectorales très disparates et, au vu de ces pratiques, offrant moins de garanties quant aux résultats. Le ministre de l’intérieur l’a emporté, en accord avec son acolyte chargé du travail. Dans une interview croisée au Figaro du 21 décembre 2022, ils disent la nécessité « de regarder les choses en face, notamment en ce qui concerne l’immigration économique et l’intégration par le travail » : « Nous voulons créer un titre de séjour pour les métiers en tension. […]. Cette mesure [...] est utile, pour protéger les salariés et simplifier la vie des chefs d’entreprise. » L’article 3 de l’avant-projet s’inspire en partie de la circulaire précitée de 2012 : « L’étranger qui a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement [...] se voit délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention “travail dans des métiers en tension” d’une durée d’un an. » Autrement dit, il s’agirait – en l’état actuel du texte car les détails du mécanisme seront livrés à la négociation parlementaire – de régulariser automatiquement la situation de celle ou celui qui justifie avoir exercé par le passé un des métiers de la liste, soit être en capacité de prouver l’exercice d’une activité professionnelle de 8 mois et une résidence ininterrompue de 3 ans en France. La grande innovation du dispositif réside dans la mise à l’écart de l’employeur, qui perdrait la main dans les opérations de régularisation – sur le papier, une excellente réforme. Cette « révolution » est sans doute ce qui explique que certaines fédérations patronales disent préférer continuer à arpenter la seule voie de l’admission exceptionnelle : elles tiennent à continuer de choisir les salarié·es à régulariser.
Plusieurs interrogations surgissent sur divers points de cette réforme, en particulier ceux ayant trait à la pérennisation du droit au séjour. A priori, durant la validité de la carte, la personne pourra jouir d’une mobilité dans les métiers en tension, mais que se passera- t-il si le métier sort de la liste ? Ou encore, si elle se trouve sans emploi au moment de renouveler son titre ?
Se révèle alors toute la précarité de ce statut. Demander une carte pluriannuelle serait possible mais, au regard du projet actuel, plusieurs étapes seraient à franchir, comme justifier d’un contrat à durée indéterminée et d’un certain niveau de français. Une montagne. Par ailleurs, les périodes de séjour et d’activité sous couvert du statut d’étudiant, ou encore de demandeur d’asile, ne seraient pas prises en compte pour prétendre à la carte « travail dans des métiers en tension », ce qu’on comprend mal… Et ce d’autant plus qu’il est prévu que certains demandeurs d’asile puissent obtenir de plein droit une carte « métiers en tension » lorsqu’ils sont quasi assurés de voir leur demande de statut aboutir. Enfin, le dispositif n’est proposé qu’à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2026. Que se passera-t-il après ?
Une fois de plus, on risque de n’aboutir qu’à la régularisation d’un petit nombre de travailleurs en réponse aux demandes des employeurs de quelques secteurs d’activité, sans assurance de pérennité du droit au séjour pour ceux-là, ni de la continuité d’un véritable droit pour l’ensemble des sans-papiers. Immigration jetable, encore et toujours...
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