Article extrait du Plein droit n° 130, novembre 2021
« Étrangers au ban de la fac »

« Bienvenue en France » : attirer… ou trier ?

Marion Tissier-Raffin

Maîtresse de conférences en droit public, Université de Bordeaux
Faire payer plus cher pour attirer davantage : telle est la nouvelle stratégie, aussi paradoxale qu’inégalitaire, d’accès à l’enseignement supérieur appliquée aux personnes étrangères souhaitant étudier en France. D’un revers de la main, les juridictions ont balayé l’action contentieuse menée par les associations étudiantes et les résistances des universités qui y voient une violation des principes de gratuité et d’égal accès à l’instruction. Les étudiants internationaux les moins solvables comme les universités en font déjà les frais.

Le plan « Bienvenue en France » défend une position paradoxale : attirer plus de 500 000 étudiants étrangers à l’horizon 2027 pour remédier au déclassement de la France sur la scène internationale en leur imposant des frais d’inscription quinze fois supérieurs à ceux que doivent acquitter les étudiants français ou européens [1]. Pour justifier cette mesure, le gouvernement a mis en avant deux arguments principaux. Le premier est à destination des étudiants internationaux : il repose sur l’idée que des frais d’inscription peu élevés sont un « signal-prix » insuffisant pour attirer des candidats aux yeux desquels une formation de qualité serait nécessairement coûteuse. Le second argument vise à emporter l’acceptabilité sociale de la mesure en France. Il serait « injuste et absurde », déclarait Édouard Philippe, Premier ministre de l’époque, qu’un « étudiant étranger très fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années [2] ».

L’annonce du plan « Bienvenue en France » a suscité de profondes inquiétudes en ce qui concerne ses conséquences pour les étudiants étrangers voulant poursuivre leurs études en France. Il s’agit théoriquement d’attirer les étudiants internationaux qui font « un vrai choix, un vrai désir, celui de l’excellence » de sorte que l’attractivité de la France ne soit plus fondée sur le faible coût des études universitaires. Mais on peut douter que la finalité réelle de cette nouvelle stratégie soit d’attirer plus d’étudiants internationaux, indépendamment de leurs origines géographiques et sociales. Les conditions d’application du plan « Bienvenue en France » confirment en effet qu’il ne vise pas à attirer tous les étudiants internationaux, mais surtout celles et ceux qui sont solvables. Et si les établissements ont pu neutraliser jusqu’à maintenant la mise en œuvre de cette nouvelle logique, leur résistance ne pourra pas tenir juridiquement dans le temps : ils seront rapidement contraints de faire des choix délicats, dont l’impact sera majeur pour les étudiants étrangers.

Place aux étudiants internationaux solvables

Toutes les personnes inscrites dans un établissement d’enseignement supérieur ne sont pas visées le plan « Bienvenue en France ». Le cadre général est complexe et comporte, de surcroît, de multiples possibilités d’exonération [3].

Au niveau institutionnel, le dispositif concerne les étudiants inscrits dans un établissement public d’enseignement supérieur délivrant des diplômes nationaux et placé sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur. Ne relèvent pas du dispositif les étudiants inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur privés, dans des établissements placés sous la tutelle du ministère de l’agriculture (comme AgroSup) ou du ministère de l’industrie (comme les Mines), celles et ceux préparant un diplôme qui ne relève pas de l’État (diplômes d’université – DU – et diplômes des Instituts d’Études politiques), et les étudiants de classe préparatoire ou en BTS. À l’inverse, les frais différenciés s’appliquent à tous les grands établissements (université Paris Dauphine-PSL, université de Lorraine, Sciences-Po Paris, Inalco, EHESS) et aux écoles d’ingénieurs (UTT, UTC, Centrale) [4]. Le champ d’application du plan « Bienvenue en France » est donc à cet égard relativement large.

Au niveau du public, seul·es les étudiant·es en mobilité inter- nationale sont concerné·es par les frais différenciés, à l’exclusion des étudiant·es de l’Union européenne, d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) ou de la Confédération suisse, qui continueront de payer des frais d’inscription équivalents à ceux dus par les étudiant·es français·es. Ne sont pas non plus concerné·es par les frais majorés les étudiant.es étranger·es qui ne sont pas à proprement parler en « mobi- lité internationale » : les personnes fiscalement domiciliées en France, les réfugié·es ou les bénéficiaires de la protection subsidiaire, et les étranger·es bénéficiaires d’une carte de résident de longue durée.

À partir de ce schéma général, un certain nombre de dérogations sont prévues. Le ministère des affaires étrangères peut d’abord octroyer des bourses aux étudiants internationaux – bourses dont le nombre, selon les annonces du gouvernement, devraient tripler. Ensuite, des exonérations peuvent être accordées par les établissements eux-mêmes pour deux motifs. Le premier est lié à la situation personnelle des étudiant·es : à leur demande, celles et ceux qui sont par exemple privés d’emplois ou réfugiés, peuvent se voir accorder des exonérations partielles ou totales de leur frais d’inscription. Le second motif est lié à l’autonomie des établissements et à leur stratégie d’internationalisation : selon les orientations stratégiques qu’ils auront fixées, les établissements peuvent exonérer jusqu’à 10% du total des étudiants inscrits. C’est sur cette base juridique, comme on le verra, que les établissements ont neutralisé la mise en place effective des frais différenciés.

Si l’on fait le bilan, le champ des étudiants potentiellement concernés par la hausse des frais d’inscription est donc extrêmement étendu.

Principe de différenciation des frais et gratuité relative

Dès la parution de l’arrêté du 19 avril 2019 mettant en œuvre le plan « Bienvenue en France », des associations étudiantes ont saisi le Conseil d’État pour en contester la légalité. Elles ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en invoquant la méconnaissance des principes d’égal accès à l’instruction et de gratuité inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946. Au terme d’une saga contentieuse qui a conduit le Conseil constitution- nel et le Conseil d’État à valider la légalité du plan « Bienvenue en France », il ressort qu’exiger le paiement de 2 770 et 3 770€ de frais d’inscription n’est pas contraire au principe de gratuité de l’enseignement supérieur ! Comment en est-on arrivé à une conclusion aussi paradoxale ?

Tout commence par une victoire apparente. Dans sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, le Conseil constitutionnel déduit de l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 qu’il existe bien une exigence de gratuité du service public de l’enseignement supérieur. Cette affirmation mérite d’être saluée car elle consacre le fait que la gratuité de l’enseignement public, quel que soit le degré d’enseignement, est un droit constitutionnel. Gratuité signifiant a priori « non payant », les « sages » auraient pu en déduire que les frais d’inscription différenciés étaient contraires à la Constitution. Or, il n’en a rien été car le Conseil constitutionnel a ajouté que l’exigence de gratuité ne fait pas obstacle « à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ». Le principe de gratuité nouvellement consacré n’a donc pas de portée absolue. Surtout, il laisse au juge du fond le soin d’apprécier ce qu’est une « somme modique ».

C’est donc là qu’intervient à nouveau le Conseil d’État, qui achève de réduire à néant l’espoir né de la reconnaissance du principe de gratuité : dans son arrêt Association UNEDESEP et autres du 1er juillet 2020 (n° 43021), il commence par écarter le grief tiré de la méconnaissance du principe de gratuité. À une conception abstraite et absolue de la modicité qui voudrait que soit défini comme « modique » ce qui est peu élevé, il préfère une approche globale et relative de ce concept qui le conduit à apprécier la modicité par rapport au coût des formations et au système d’exonérations existant. Le Conseil d’État considère ainsi que payer l’équivalent de 28% et 38% du coût annuel moyen d’une formation en licence et en master, quand un ensemble d’exonérations est potentiellement ouvert aux étudiants internationaux, n’est pas excessif. Si le concept de « modicité » pouvait déjà paraître contraire en lui-même au principe de gratuité, la contradiction devient encore plus flagrante. Non seulement l’approche consacrée s’éloigne du sens commun de « somme modique », mais la conclusion valide l’idée que faire payer près d’un tiers du prix d’une formation universitaire est conforme au principe de gratuité. Le Conseil d’État balaie par ailleurs d’un revers de main le grief tiré de la violation du principe d’égal accès à l’instruction. S’appuyant sur une jurisprudence constante selon laquelle il est possible d’appliquer des règles différentes à des situations différentes, il a considéré que les étudiant·es en mobilité internationale qui viennent spécialement se former en France n’étaient pas placé·es dans la même situation que ceux et celles qui, indépendamment de leur nationalité, y sont durablement établis et qu’il était donc possible, sans violer le principe d’égalité, de les traiter différemment.

La reconnaissance du principe constitutionnel de gratuité risque finalement de coûter assez cher aux futurs étudiants internationaux. L’objectif assigné au plan « Bienvenue en France » n’est donc pas d’attirer tous les étudiants internationaux, mais seulement celles et ceux qui seront suffisam- ment solvables pour s’acquitter des nouveaux frais d’inscription ou qui seront les heureux – mais rares – bénéficiaires de bourses du ministère des affaires étrangères ou des exonérations décidées par les établissements d’enseignement supérieur.

Une neutralisation en trompe-l’œil

La résistance des universités – puis la crise sanitaire – ont retardé la mise en œuvre pleine et entière de la réforme. Mais l’autonomie dont les universités bénéficient ne sera pas suffisante pour leur per- mettre de neutraliser durablement la hausse des frais d’inscription pour l’ensemble des étudiant·es hors EEE.

Les frais différenciés s’appliquent théoriquement depuis la rentrée 2019. Jusqu’à maintenant, toutefois, l’écrasante majorité des universités a neutralisé leur mise en place en ramenant le montant des frais d’inscription de tous ou presque tous les étudiants internationaux à ceux des étudiants français/européens.

Comme il a été dit plus haut, les établissements bénéficient d’une clause d’autonomie qui leur permet d’exonérer jusqu’à 10% du total de leurs inscrits. Le mode de calcul de ces 10% n’est cependant pas simple. Ne sont pas compris dans le total des inscrits les étudiants boursiers (bourses sur critères sociaux ou bourses du ministère des affaires étrangères) et les étudiants internationaux inscrits dans un programme d’échange. Les mobilités internationales dites « encadrées » sont ainsi indirectement exonérées de l’application des frais différenciés. Par ailleurs, la mise en œuvre des frais différenciés est d’application progressive dans le temps. À la rentrée 2019, seuls les primo-arrivants inscrits pour la première fois dans un établissement français étaient visés par la hausse des frais d’inscription. À la rentrée 2020, c’étaient les primo-inscrits en 2019 réinscrits à la rentrée 2020, auxquels s’ajoutaient les primo-inscrits en 2020. À la rentrée 2021, ce seront les primo-inscrits en 2019 et 2020 réinscrits en 2021, auxquels s’ajouteront les primo-inscrits en 2021, etc. Ce n’est donc qu’à partir de la rentrée 2023 que tou·tes les étudiant·es inscrit·es dans le cadre d’une mobilité internationale individuelle, de la licence 1 au master 2, seront concerné·es par l’application de frais d’inscription majorés. On comprend alors pourquoi la majorité des universités françaises a pu, à quelques exceptions près, en 2019 et en 2020, « neutraliser » l’application des frais différenciés en votant en faveur d’exonérations partielles, massives et automatiques des frais d’inscription pour tous les étudiants internationaux. Cela était jusqu’à maintenant juridiquement possible car le taux d’exonération maximale de 10% des inscrits n’était pas dépassé.

Toutefois, comme le montrent les simulations réalisées par la direction générale de l’enseigne- ment supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) [5], l’autonomie réelle reconnue aux universités n’est que temporaire. À terme, la contrainte exercée par ce taux de 10% sera croissante puisqu’il représente une limite juridique que les universités n’ont pas la possibi- lité de dépasser. 18 établissements à la rentrée de 2021 puis 27 éta- blissements en 2022 ne seront plus en mesure d’exonérer de manière automatique tous les étudiants internationaux. Si les établisse- ments ont donc réussi à neutraliser l’application effective des frais différenciés, cette neutralisation n’est qu’un trompe-l’œil. À moyen terme, ils seront contraints de se positionner afin de déterminer qui pourra bénéficier d’exonérations et qui, au contraire, devra inévitable- ment s’acquitter de frais majorés.

Des établissements face à des choix complexes

Pour ne pas dépasser le taux des 10%, plusieurs stratégies pourraient être développées par les établissements.

Une première stratégie consiste à exonérer les étudiant·es dont le parcours académique est excellent. Ce choix, retenu dès la rentrée 2019 par l’université de Bordeaux [6], s’inscrit dans une approche méritocratique assez classique. Reste que l’appréciation de ce critère d’excellence n’est pas simple quand il s’agit d’évaluer des cursus étrangers, ni très transparente puisqu’elle dépend en amont des procédures de sélection réalisées par les agences Campus France et les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) des ambassades françaises à l’étranger. Une deuxième stratégie, mise en place par l’université de Bordeaux ou à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), consiste à exonérer les ressortissant·es des États identifiés comme étant des pays à faible revenu. Plus sociale, solidaire et égalitaire, elle vise clairement à contrecarrer les effets des frais différenciés pour les ressortissant·es des États les plus pauvres. Une troisième stratégie retenue est d’exonérer les étudiant·es francophones, comme à l’Enssib ou à l’université Toulouse Capitole [7] , dans l’optique de pri- vilégier le soutien à la francophonie. Une quatrième stratégie, plus locale, peut viser l’exonération des personnes venant de pays figurant parmi les plus grands pourvoyeurs d’étudiants internationaux. À la rentrée 2021, l’université de Bordeaux a ainsi exonéré partiellement les étudiants algériens et gabonais. Enfin, certaines universités réfléchissent à la possibilité d’exonérer les étudiants internationaux inscrits en master au motif qu’ils et elles constituent un vivier important pour recruter les futurs doctorants internationaux.

Si toutes ces stratégies peuvent se combiner, il est clair que l’impact pour les futurs étudiants internationaux sera inégal selon l’établissement dans lequel ils ou elles s’inscriront. Cette inégalité sera d’autant plus forte que la contrainte des 10% n’est pas identique selon les établissements car le pourcentage d’étudiants internationaux qu’ils accueillent régulièrement n’est pas le même. Cela conduira donc de fait à exclure les étudiants internationaux les moins solvables des établissements les plus attractifs internationalement. De même, l’impact selon les filières d’inscription (sciences humaines, sciences et technologie) ne sera pas identique puisqu’elles n’attirent pas les mêmes profils (sociaux/géographiques) d’étudiants étrangers.

En conclusion, on peut donc dire qu’avec le plan « Bienvenue en France », on n’est pas à un paradoxe, ni à une inégalité près [8].




Notes

[12 770 et 3 770€ de frais d’inscription pour un étudiant international inscrit en licence ou en master contre 170 et 243€ pour un étudiant français ou européen. Contrairement aux annonces initiales, les doctorants étrangers sont exclus de l’application des frais différenciés.

[2Discours d’Édouard Philippe, Premier ministre, « Présentation de la stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux », 19 novembre 2018.

[3Le cadre d’application des frais différenciés est défini par l’arrêté du 19 avril 2019 qui fixe les droits d’inscription pour les étudiants communautaires et extra-communautaires et le décret n° 2019-344 du 19 avril 2019, qui précise les différentes possibilités d’exonération pour les étudiants internationaux.

[4UTT : Université de technologie de Troyes ; UTC : Université de technologie de Compiègne.

[5Simulations réalisées à la demande de la mission de concertation sur la stratégie « Bienvenue en France », rapport remis à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, février 2019.

[6Conseil d’administration de l’Université de Bordeaux, 16 avril 2019, délibération fixant les critères généraux d’exonération des droits d’inscription, art. 3.

[7Conseil d’administration de l’Université Toulouse 1 Capitole, 17 décembre 2019, délibération n° CA 2019-132 relative à la politique d’exonération des droits d’inscription des étudiants extracommunautaires à compter de l’année universitaire 2020-2021.

[8Pour une étude plus détaillée des enjeux juridiques soulevés par les frais différenciés, voir la publication des actes du colloque « Plan Bienvenue en France : bilan d’étape », Revue des droits de l’homme, n° 19, 2021 [en ligne].


Article extrait du n°130

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Dernier ajout : mardi 15 mars 2022, 16:12
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