Recours contre une note de la PAF préconisant de contester systématiquement l’authenticité des actes de naissance guinéens
Le 14 février 2018, le Gisti a déposé un recours en annulation accompagné d’un référé-suspension contre une « note d’actualité » émanant de la division de l’expertise en fraude documentaire rattachée à la direction centrale de la PAF.
Cette note, dont l’objet est intitulé : « Fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil », préconise, au regard des « fraudes combinées à un manque de fiabilité dans l’administration guinéenne et des délais de transcription non respectés […] de formuler un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen ».
Elle ajoute - ce qui démontre que la note a bien un caractère impératif - que cet avis peut être formulé de la manière suivante :
« Au regard des informations sérieuses émanant du Service de Sécurité Intérieure (SSI) de l’ambassade de France en République de Guinée (Conakry) faisant état d’une fraude généralisée au niveau de l’état civil de ce pays tant au niveau des administrations et que des tribunaux, il n’est pas possible de formuler un quelconque avis relatif à l’authenticité du document soumis à analyse. Un avis défavorable est donc émis ».
Or l’article 47 du code civil dispose que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
Pour contester la validité d’un acte d’état civil étranger, il faut donc établir au cas par cas qu’il n’est pas authentique. En préconisant, et même en imposant la contestation systématique des actes de naissance guinéens, la note contrevient donc à la disposition du code civil. Elle est illégale de ce fait.
Par une ordonnance du 23 février 2018, le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté au tri (c’est-à-dire sans audience) la demande de suspension. Il a considéré qu’il n’y avait pas urgence, du fait que la note remonterait à deux mois, d’une part, qu’elle ne ferait que « préconiser » d’émettre un avis défavorable, d’autre part, laissant un pouvoir d’appréciation aux autorités compétentes. Ce second argument laisse dubitatif, dès lors que la note propose bien un modèle de formulation de cet avis défavorable.
Par une décision de Section du 12 juin 2020, le Conseil d’État a rejeté la requête. Il a estimé que la note contestée, si elle préconisait l’émission d’un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen et en suggérait à ses destinataires la formulation, « ne saurait être regardée comme interdisant à ceux-ci comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l’examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d’y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien ». On peut hélas douter que les termes dans lesquels est rédigée la circulaire incite réellement les agents à procéder à cet examen au cas par cas…
Si l’affaire est remontée en Section, qui est l’une des formations de jugement solennelles de la juridiction, c’est parce que le Conseil d’État a infléchi à cette occasion sa jurisprudence sur les circulaires. Il indique en effet que peuvent lui être déférés tous les documents - circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif - dès lors qu’ils sont « susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre », ce qui inclut non seulement ceux de ces documents qui ont un caractère impératif mais aussi, ce qu’il avait refusé jusqu’à présent, « ceux qui présentent le caractère de lignes directrices ».
En l’espèce, la « note d’actualité » contestée, qui préconise aux agents devant se prononcer sur la validité d’actes d’état civil étrangers de formuler un avis défavorable pour toute analyse d’un acte de naissance guinéen pouvait, compte tenu des « effets notables qu’elle est susceptible d’emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l’administration française » faire l’objet d’un recours… mais pour autant, puisqu’elle n’interdit pas un examen au cas par cas, il n’y a pas lieu de l’annuler.
Les personnes affectées par la note contestée - qui reste donc en vigueur -auront ainsi la (maigre) satisfaction d’avoir fourni au Conseil d’État l’occasion d’élargir la recevabilité des recours formés contre les circulaires et autres notes internes à l’administration. Et le Gisti aura celle de voir son nom une fois de plus attaché à un “grand arrêt” de la jurisprudence administrative.
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