Recours au Tribunal Administratif contre une décision de placement en zone d’attente

Tribunal administratif

Requête et mémoire

POUR

Monsieur X, né le ** à ** (NIGERIA), de nationalité nigériane, demeurant **,

ayant pour avocat :

Maître **, avocat au Barreau de Paris, **, téléphone **, fax **, vestiaire **

CONTRE

une décision du chef de poste de la Police de l’Air et des Frontières (Brigade mobile de recherche de **) en date du 15 février 19**, le plaçant en zone d’attente.

Plaise au tribunal

I. Le requérant a fui le Nigéria en mars 19** en raison de poursuites dont il fait l’objet dans ce pays du fait de ses activités politiques. Après avoir traversé, en plusieurs mois, le Niger, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, il embarque clandestinement à bord d’un cargo français, le ** , à Dakar, le 4 février 19**. Il est en compagnie d’un camarade d’infortune, Monsieur X, qui a fui le Nigéria dans les mêmes conditions.

Le 6 février le navire appareille en direction de **.

Le 12 février le navire accoste au port de **.


II. Le commandant ayant averti les autorités de la présence des passagers clandestins, les services de police lui intiment immédiatement l’ordre de les maintenir à bord sous sa responsabilité pendant la durée de l’escale et des éventuelles escales suivantes en France (voir pièce n° 2 : formulaire de consignation d’étrangers à bord du navire).

Le ** a quitté ** pour ** le 14 février sans que la situation des intéressés soit modifiée.


III. Selon la jurisprudence des juridictions judiciaires, la consignation d’un étranger à bord d’un navire constitue une infraction aux dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (modifiée), notamment son article 35 quater.

S’analysant comme une atteinte à la liberté individuelle qu’aucun texte ne prévoit ni n’autorise, elle est constitutive d’une voie de fait.

Aussi le requérant et son compatriote ont, le 15 février 19**, saisi en référé d’heure à heure Madame le Président du Tribunal de grande instance de Paris d’une demande dirigée contre le ministre de l’intérieur. Le jour même, par ordonnance exécutoire sur minute, ce magistrat ordonnait que les intéressés soient immédiatement autorisés à quitter le cargo ** .


IV. Peu après qu’ait été rendue la décision judiciaire, le requérant était débarqué du navire, non pour être mis en liberté, mais placé en zone d’attente par décision notifiée à 16 h 20.

C’est la décision attaquée.

V. Pour la complète information du Tribunal il faut encore indiquer qu’estimant qu’il convenait de comptabiliser la durée de son placement en zone d’attente en tenant compte des trois jours de détention à bord du navire, et constatant qu’au terme du quatrième jour (ainsi comptabilisé) il n’était pas présenté au juge délégué institué par l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour prolongation de sa détention, le requérant saisissait à nouveau le juge judiciaire.

Le président du Tribunal de grande instance de Paris disait cependant n’y avoir lieu à référé, considérant d’une part que la voie de fait avait cessé depuis la notification d’une décision administrative de placement en zone d’attente, et d’autre part qu’aux termes du texte légal, le délai de quatre jours commence à courir au moment de la notification de ladite décision.

Discussion

VI. La décision attaquée doit d’abord être annulée pour des raisons de légalité externe : prise par un signataire incompétent (un « inspecteur de permanence » dont rien n’indique qu’il ait bénéficié d’une délégation de signature du chef de poste), elle n’est pas motivée par rapport aux circonstances de l’espèce.


VII. Sur le fond, la décision sera annulée pour erreur de droit.

Aux termes de l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, seul peut être placé en zone d’attente « l’étranger qui arrive en France par voie maritime, ferroviaire ou aérienne ».

A la date de la décision attaquée le requérant n’était pas un « étranger qui arrive en France » : il était déjà arrivé en France depuis plus de trois jours et avait été illégalement détenu.

Les dispositions relatives aux zones d’attente ne pouvaient donc plus s’appliquer à sa personne. La constatation d’une voie de fait devait conduire l’autorité administrative à le mettre purement et simplement en liberté.


VIII. L’armulation est encore encourue pour détournement de pouvoir.

En plaçant le requérant en zone d’attente après l’avoir maintenu en « consignation » (séquestration arbitraire) pendant trois jours, l’administration a poursuivi un but étranger à l’objet de la loi : celui de s’abstraire des obligations mises à sa charge par les dispositions de l’article 35 quater (accorder à l’étranger le droit de recevoir des visites, de communiquer librement avec un conseil ; tenir l’autorité judiciaire informée ; statuer sur la demande d’asile dans de brefs délais ; etc).

Admettre la légalité du placement en zone d’attente au terme d’une telle tentative reviendrait à inciter l’administration à renouveler ces tentatives : elle a tout intérêt à prolonger indéfiniment la privation de liberté pour ne notifier un placement en zone d’attente que lorsqu’il n’est plus possible de faire autrement - par exemple suite à une injonction en ce sens du juge judiciaire.

Dans une telle logique le placement ultérieur en zone d’attente a pour objet et pour effet de prolonger encore la privation de liberté pendant une durée qui au bout du compte peut dépasser largement la durée maximum de rétention autorisée par la loi.

Elle aboutit encore à permettre la rétention sans permission du juge délégué pendant un délai qui peut s’avérer largement supérieur au délai maximum de quatre jours prévu par la loi.


IX. La décision est encore illégale en ce qu’elle a eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’autorité d’une décision de justice (v. CE, PANTZER, 27 décembre 1946).

PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin même d’office, le requérant conclut qu’il plaise au Tribunal :

ANNULER la décision attaquée avec toutes conséquences de droit.

Pièces jointes à la requête :

  1. La décision attaquée
  2. Formulaire de consignation
  3. Ordonnance de référé du 15 février 19**
  4. Ordonnance de référé du 17 février 19**
  5. Communiqué ANAFE du 15 février 19**
  6. Le Monde du 17 février 19**
  7. Libération du 17 février 19**

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Dernier ajout : dimanche 7 juillet 2019, 18:57
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