Mayotte 2016-2017 : « décasages » par des collectifs de villageois
2016 : six mois de « décasages »
A partir du mois de janvier 2016, des collectifs de villageois se sont organisés sur l’ensemble du territoire de Mayotte pour expulser les ressortissants comoriens ou étrangers (ou considérés comme tels malgré leur nationalité française) installés dans leurs communes.
Toujours le même mode opératoire. Chaque village de Mayotte a son propre « collectif informel et non identifié ».
Dans un premier temps, une liste des personnes identifiées comme louant ou hébergeant à titre gratuit des étrangers était établie par chaque collectif et transmis aux personnes censées héberger des « clandestins » avec une date butoir pour évacuer les lieux.
Puis, passé cette date, le collectif mettait à exécution sa menace en communiquant aux autorités la liste des « hébergeurs » afin que des poursuites sur un plan pénal soient engagées contre elles pour aide à l’entrée et au séjour des étrangers.
Si la réponse des autorités tardait à venir, des « manifestations et actions d’expulsions pacifiques [sic] contre l’immigration clandestine » étaient organisés dans les communes concernées (Tsimkoura, Poroani, Choungui, Bouéni).
- Des tracts distribués le 17 mai 2016, présentés comme émanant du « Collectif du village de Kani-Kelly, » appellent les personnes qui hébergent des Comoriens ou leur permettent de s’installer sur un terrain leur appartenant à les chasser.
- Affiche annonçant le "décasage" qui a eu lieu le 15 mai 2016 à Bouéni
Pour que cesse cette chasse aux Comoriens : contentieux et avis
Référé-liberté pour faire interdire la chasse aux Comoriens
Le juge des référés a enjoint « au préfet de mobiliser les forces de police et de gendarmerie nécessaires pour éviter que la manifestation annoncée à Kanni-Kéli (tracts ci-dessus) se déroule et garantir la sécurité des personnes et des biens ».
Référé-liberté tendant à l’aménagement minimum du campement place de la République à Mamoudzou
En juin 2016, plusieurs centaines de personnes - des familles avec enfants -, chassées de chez elles, se sont ainsi retrouvées places de la République, à Mamoudzou. Un véritable camp s’était ainsi improvisé, dont les occupants sont exposés aux intempéries, vivant dans des conditions sanitaires déplorables.
Pour que cela cesse, plusieurs associations avaient déposé un référé-liberté.
L’affaire a été audiencée le 22 juin. Constatant que dans l’intervalle les personnes regroupées place de la République avaient été évacuées et étaient temporairement hébergées dans un gîte, dans des conditions décentes, le juge a prononcé un non lieu à statuer
Décision du Défenseur des droits n°MDE-MLD-MSP, 2016292, du 6 décembre 2016, relative aux expulsions illégales de familles d’origine comorienne à Mayotte
- Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a été saisi en décembre 2015 par des associations de la situation de familles et d’enfants d’origine comorienne expulsés de leurs domiciles, en raison de leur origine, par des collectifs de villageois, dans deux villages dépendants de la Commune de A à Mayotte.
En effet, un courrier signé par le "Collectif des habitants de X." et adressé aux propriétaires du village de X. indiquait qu’il était urgent de procéder à "l’expulsion des étrangers en situation irrégulière" résidant dans ce village. Ce courrier enjoignait les propriétaires " de faire le nécessaire pour que ces étrangers quittent le village d’ici le 10 janvier 2016 » et précisait également que « passé ce délai, les habitants prendront des mesures nécessaires pour remédier à ce problème "
Suite à ces menaces, les expulsions initiées par les villageois ont eu lieu en janvier, en mars et en avril 2016. Les habitations de ces familles d’origine comorienne ont été détruites, voire brûlées. Ces familles ont été alors expulsées car désignées étrangères.
Le Défenseur des droits rappelle que les courriers, tracts et affiches élaborés et distribués par les collectifs de villageois à la population et ayant pour objet « l’expulsion de clandestins », et visant spécifiquement des personnes en raison de leur origine sont susceptibles d’être qualifiés de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. »
Après les décasages les dénonciations anonymes continuent
Beaucoup de "décasés" n’ont jamais été relogés et ont dû trouver d’autres solutions.
Les collectifs de villageois ont poursuivi leur pression par des dénonciations anonymes relayées par les autorités municipales ou de gendarmerie.
- Exemple : "Mise en demeure de cessation d’aide au séjour de personnes en situation irrégulière".
Courrier envoyé par le maire de Chirongui aux personnes qui logent des immigrés en situation irrégulière selon une liste établie par un comité pour la défense et la protection des habitants du village de Poroni. Après un rappel de l’article L.622-1 du Ceseda, le Maire annonce qu’il transmets la liste au procureur.
Héberger une famille comorienne n’est pas un délit
Première condamnation pour « décasage » d’une famille comorienne à Bouéni
Voir ci-dessus le tract qui annonçait ce décasage.
La citation directe présente en détail les circonstances du décasage et leurs conséquences pour les membres de la famille.
TGI de Mamoudzou, 26 avril 2017, 459/2017
Madame B. a été reconnue coupable de l’ensemble des faits (voir citation directe) :
- violation de domicile ;
- expulsion illégale ;
- discrimination à raison de l’origine, l’ethnie ou la nationalité et injures à caractère racial.
En répression, le Tribunal l’a condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à l’accomplissement d’un stage de citoyenneté.
Le Tribunal alloue à la partie civile 5000 € de préjudice matériel et 8000 € de préjudice moral (2000 € pour la requérante et 2000 € pour chacun de ses 3 enfants).
Analyses
Démenètem Touam Bona, Mayotte : peau comorienne, masques français… , Jeune Afrique, 13 juin 2016
Serge Slama, « Chasse aux migrants à Mayotte : le symptôme d’un archipel colonial en voie de désintégration », La revue des droits de l’Homme, octobre 2016
Démenètem Touam Bona, « Mayotte Under the DOM », CQFD n°155, juin 2017
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