Édito extrait du Plein droit n° 109, juin 2016
« Homicides aux frontières »

Dénoncer avec fermeté. Et après ?

ÉDITO

Les associations intervenant dans le champ de l’immigration et de l’asile se sont réjouies, à raison, du rapport du Défenseur des droits, rendu public le 9 mai dernier et intitulé « Les droits fondamentaux des étrangers en France ». Le document se situe dans la continuité des décisions et des rapports précédents et propose une synthèse argumentée et convaincante sur le sujet. Le Défenseur revisite, au prisme du critère de la discrimination et des libertés, une part substantielle du droit des étrangers et dénonce, dans le même temps, les atteintes aux droits fondamentaux que vivent les extra-nationaux dans leur vie quotidienne.

Beaucoup de médias ont repris cette phrase de l’introduction : « L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de tout intérêt. » Et le Défenseur de pointer non seulement les mesures contestables inscrites dans la loi ou dans des textes réglementaires, comme l’accès aux prestations familiales pour les enfants entrés en dehors du regroupement familial, l’accès au RSA et à l’allocation de solidarité pour les personnes âgées conditionné à une certaine durée de séjour régulier ou encore, dans un tout autre domaine, la possibilité de placer en rétention un étranger ou une étrangère afin de vérifier la régularité de sa situation administrative pendant une durée jugée excessive (16 heures), mais aussi les pratiques illégales des préfectures (comme le fait d’exiger des documents que ne prévoient pas les textes) ou encore les obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de libertés fondamentales, comme celle d’inscrire des enfants à l’école, de se marier ou de mener une vie familiale normale. Les constats, regroupés dans ce document de 300 pages, sont sans appel.

Autorité constitutionnelle [1], le Défenseur des droits n’en est pas à son premier essai en matière de droit des étrangers. C’était avec la même fermeté qu’il avait dénoncé les pratiques policières qualifiées de harcèlements à l’égard des migrants dans la région de Calais [2] ou celles visant à « vider » des campements de Roms ou supposés tels [3].

Pour chaque domaine, qu’il touche le cœur du droit des étrangers – entrée, séjour, éloignement – ou qu’il concerne des libertés et des droits partagés par tous, dès que le Défenseur identifie une mesure législative ou réglementaire ou une pratique contestable, il avance, le plus souvent, des propositions et des recommandations. Ainsi, pour prendre quelques exemples, préconise-t-il la suppression de la condition de nationalité pour les emplois des trois fonctions publiques et ceux du secteur privé encore fermés aux personnes étrangères [4], mais aussi la disparition de la condition d’antériorité du séjour régulier pour accéder à certaines prestations sociales. Le rapport appelle également de ses vœux des réformes ponctuelles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), que ce soit au profit des parents d’enfants français, des conjoints, des familles de réfugiés ou des mineurs isolés étrangers. Et pour dénoncer et combattre les pratiques d’accueil dans les préfectures, le Défenseur envisage de se rendre sur place, voire d’émettre des observations dans le cadre de procédures contentieuses. Notons, même si les propos ne sont pas suivis d’une préconisation formalisée dans le rapport, un positionnement indiscutablement critique à l’égard des politiques d’externalisation des frontières (nationales et européennes) d’une part et des mesures de sécurisation des mêmes frontières d’autre part. Sur ce dernier point, en particulier, le rapport met en avant « l’ambiguïté que peut revêtir l’injonction unanime à lutter contre les passeurs »  : « La seule façon de protéger efficacement tout exilé contre le risque de faire l’objet d’un trafic d’être humain requiert l’ouverture de voies légales d’émigration [...]. » Nous n’aurions pas dit mieux.

Le rapport du Défenseur des droits mérite la plus grande publicité. Il n’est jamais vain d’analyser et de dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux des étrangers et des étrangères. C’est ce que nos organisations ne cessent d’ailleurs de faire. Il demeure une question essentielle : quelle suite sera donnée par les pouvoirs publics aux préconisations de cette autorité indépendante ? On peut malheureusement craindre que les interpellations du législateur, des ministres ou des administrations (préfectures et autorités consulaires en premier lieu) restent sans réponse. C’est la limite de l’exercice… et du rapport. Pour faire avancer les droits, les associations multiplient les actions contentieuses. Il est essentiel, qu’au-delà de ce rapport, le Défenseur des droits continue et accentue ses interventions sur ce terrain aux côtés des justiciables.




Notes

[1Mise en place par la loi organique et la loi du 29 mars 2011.

[2Voir par exemple la décision n° MDS 2011-2013.

[3MDS 2013-229 à propos de personnes hébergées dans un gymnase à la suite de l’incendie de leur campement.

[4Sous réserve des emplois relevant de la souveraineté nationale et de l’exercice de prérogatives de puissance publique.


Article extrait du n°109

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Dernier ajout : jeudi 25 avril 2019, 13:04
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