Réponse du gouvernement aux observations des associations relatif à l’exécution de l’arrêt de Souza Ribeiro contre France
Réponse au courrier du GISTI, de la LDH et de la CIMADE relatif à l’exécution de l’arrêt de Souza Ribeiro contre France
Dans le courrier du 6 février 2014 et du 24 avril 2014, les associations du GISTI, de la LDH et de la CIMADE contestent les mesures d’exécution prises par le gouvernement suite à l’arrêt de Souza Ribeiro contre France par lequel la Cour a constaté une violation de l’article 13 combiné à l’article 8 de la Convention.
En particulier, les organisations critiquent le caractère non-suspensif des recours pour les collectivités d’outre-mer régies par l’article L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et pour Mayotte. Elles estiment par ailleurs que les motifs ayant conduit au constat de violation perdureraient.
Le Gouvernement considère que cette intervention repose sur une interprétation erronée de l’arrêt De Souza Ribeiro pour l’exécution duquel le Gouvernement a pris toutes les mesures requises.
I- L’interprétation de l’arrêt De Souza Ribeiro par le GISTI, la Cimade et la LDH est erronée.
Les organisations critiquent le maintien du dispositif applicable institué par l’article L. 514-1 du CESEDA et par l’ordonnance du 26 avril 2000 applicable à Mayotte, et en particulier le caractère non-suspensif du recours à disposition d’un étranger qui fait l’objet d’une décision d’éloignement.
Pourtant, la Cour n’a pas condamné la France au motif du caractère non suspensif du recours contre l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). L’arrêt est sans ambiguïté à cet égard. Au paragraphe 83 est en effet précisé : « ... s’agissant d’éloignements des étrangers
contestés sur la base d’une atteinte illégale à la vie privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif ».
La Cour confirme ainsi sa jurisprudence antérieure : l’effet suspensif du recours n’est pas une exigence générale, il ne s’impose que dans les situations où son absence pourrait entraîner des « conséquences potentiellement irréversibles ». Au regard des prohibitions et protections de
caractère absolu qu’elle prévoit, la Cour a nécessairement subordonné l’effectivité d’un recours à son effet suspensif sur le terrain de la prohibition des expulsions collectives, du risque de traitement inhumain ou dégradant et de droit à la vie.
Toutefois, pour que l’effectivité du recours soit satisfaite, l’intervention du juge doit être « réelle ».
Or, la Cour souligne d’une part que la célérité extrême de la mise en œuvre de l’éloignement (moins d’une heure suivant l’interpellation) a empêché l’intéressé de présenter de manière effective des observations sur sa situation à l’administration.
D’autre part, la Cour constate que dans la présente affaire, le juge des référés s’est fondé sur le fait que la mesure d’éloignement avait déjà été exécutée pour déclarer le recours sans objet : « le juge des référés saisi n’a pu que déclarer sans objet la demande introduite par le requérant. Ainsi, l’éloignement du requérant a été effectué sur la seule base de la décision
prise par l’autorité préfectorale ».
Ainsi, la Cour en conclut : « Par conséquent, dans les circonstances de la présente espèce, la Cour estime que la hâte avec laquelle la mesure de renvoi a été mise en œuvre a eu pour effet en pratique de rendre les recours existants inopérants et donc indisponibles ».
Le Gouvernement a pris acte du constat de violation et a adressé des instructions, le 5 et 3 avril 2013, aux préfets de Guadeloupe, de Guyane et de Mayotte les invitant à tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour et définissant la conduite à tenir lorsqu’un étranger engage une action en référé (référé-liberté ou/et référé-suspension) de manière à mettre fin aux pratiques administratives contraires aux exigences posées par la Convention.
Par ailleurs, si dans la présente affaire le juge des référés a opposé un non-lieu à statuer puisque le requérant avait déjà été éloigné, il s’agit d’une décision isolée, qui s’inscrit en violation d’un principe jurisprudentiel établi et réaffirmé récemment par le Conseil d’Etat dans un avis contentieux du 1er mars 2012, n° 355133. Selon cet avis si, en raison du caractère non suspensif du recours exercé par un étranger dans les territoires mentionnés aux articles L. 514-1 et L. 514-2 du CESEDA , une obligation de quitter le territoire français a déjà été exécutée lorsque le juge se prononce, « cette circonstance ne saurait permettre de regarder les conclusions dirigées contre la décision, qui a produit des effets, comme ayant perdu leur objet ».
Les tribunaux administratifs, saisi d’un référé-liberté peuvent enjoindre l’administration à ne pas renvoyer les requérants jusqu’à l’audience (TA de Basse-Terre, ordonnance du 27 juin 2013, n°1300992) ou, quand bien même le requérant serait renvoyé avant que le juge des référés se soit prononcé, ce dernier a le pouvoir d’enjoindre l’administration à organiser le retour du requérant dans les plus brefs délais (TA de Mayotte, ordonnance du 28 janvier 2013, n°1300023).
II- La démonstration de l’insuffisance des mesures d’exécution n’est pas faite
Les intervenants produisent trois séries d’arguments :
- l’absence de toute mesure normative voire de circulaire relative à l’exigence rappelée par la Cour de l’examen individuel préalable à la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement ;
- une continuité de pratiques non conformes qui serait révélée par quelques chiffres, par un échantillon de décisions juridictionnelles et par la décision du défenseur des droits ;
L’argument relatif à l’absence de mesure normative ne saurait prospérer.
Les intervenants soutiennent « que le droit des étrangers n’a, à notre connaissance, fait l’objet d’aucune modification par voie législative ou de circulaire sur la question de la situation individuelle des personnes avant exécution de leur mesure d’éloignement ».
Il incombe au Gouvernement français de corriger le fonctionnement des procédures administratives et juridictionnelles condamnées, mais cette obligation n’emporte en l’espèce pas d’exigence de modification législative. En effet, dans l’arrêt de Grande chambre rendu le 13 décembre 2012, la Cour a retenu que la violation des articles 8 et 13 combinés de la Convention résulte d’une pratique administrative défectueuse qui a eu pour effet de rendre les recours « inopérants » et « indisponibles ».
L’exécution de l’arrêt impliquait donc que des mesures générales assurent une évolution effective des pratiques administratives. Le Gouvernement a pris acte du constat de violation en adressant des circulaires aux préfets de Guyane, Guadeloupe et Mayotte le 3 et 5 avril 2013.
Contrairement aux critiques contenues dans le courrier du 6 février 2014, Mayotte ne s’est nullement trouvée « exclue » des instructions adressées le 5 avril 2013, mais a fait l’objet d’une lettre d’instruction particulière, en date du 3 avril 2013, également publiée en pièce jointe n° 3 sur le site du service de l’exécution des arrêts.
Au demeurant, si les requérants critiquent l’absence de modifications législatives, le bilan d’action du Gouvernement a signalé l’intervention du législateur avec la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 qui introduit une procédure spécifique de vérification du droit de séjour donnant toute sa part au droit de l’étranger d’être entendu, en amont de toute décision
d’éloignement.
Une fois écarté l’argument du caractère non suspensif des recours dont il a été établi qu’il n’entrait pas dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de Souza Ribeiro, force est de constater que les organisations ne soulèvent aucune objection pertinente permettant de mettre- à-jour l’insuffisance des mesures d’exécution.
Le Gouvernement ne peut donc que s’en remettre aux éléments qui figurent dans son bilan d’action.
Le second argument tiré d’une continuité des pratiques condamnées n’est pas étayé.
Les critiques des organisations ne sont pas exemptes de contradiction sur ce point. En effet, les associations dénoncent une « continuité des pratiques » condamnées, mais parallèlement, les intervenants constatent spontanément :
- des cas multiples d’intervention du juge des référés en 2013 ordonnant à l’autorité administrative la suspension de la reconduite à la frontière jusqu’à la tenue de l’audience ; _* pour Mayotte, le fait que « depuis le prononcé de l’arrêt de la CEDH, le dépôt d’une requête en urgence semble désormais suspendre l’exécution de la mesure ».
Les indications chiffrées relatives au nombre des mesures d’éloignement mises en œuvre depuis les centres de rétention de Mayotte, de Guyane et de Guadeloupe sont en elles-mêmes inopérantes. Ces indications qui attestent de l’action de lutte contre l’immigration clandestine dans ces territoires ne révèlent en rien une pratique procédurale non conforme.
De plus, la brièveté relative du séjour moyen dans un lieu de rétention n’illustre pas plus une violation habituelle des garanties procédurales alors même que sont observés en parallèle par les intervenants, et de manière générale, des cas de remise en liberté par l’autorité administrative et des ordonnances de suspension répétées du juge des référés en 2013. Cette durée limitée résulte de la nécessité de ne retenir en rétention que le temps strictement nécessaire à la mise à exécution de la mesure d’éloignement sous le contrôle du juge et en exécution des décisions préfectorales. Elle ne relève pas d’une pratique administrative destinée à empêcher les intéressés d’exercer leurs droits.
Concernant l’accès à une assistance juridique au CRA de Guyane, les représentants de la CIMADE ont la possibilité d’être présents au CRA sur de larges plages horaires, y compris à en début de matinée, et en fin de semaine. Il n’existe aucune pratique consistant à ce que cette mise en rétention intervienne de préférences aux heures de nuit pour leur interdire l’exercice de leurs droits. Ainsi, sur les trois premiers mois de l’année 2014, plus de 85% des placements en rétention au CRA de Guyane ont eu lieu entre 12 heures et 22 heures.
Pour tenter de démontrer que l’insuffisance des mesures d’exécution prises par le gouvernement, les associations évoquent d’une part la décision du défenseur des droits du 19 novembre 2013, et d’autre part font référence à plusieurs décisions de justice où l’exécution de la mesure d’éloignement a été exécutée avant que le juge ne statue.
Les décisions du Défenseur des droits sont nécessairement prises en considération par le Gouvernement. Toutefois, l’utilisation que font la Cimade et le Gisti de la décision 2013-235 pour tenter de prouver l’ineffectivité des mesures d’exécution prises par le gouvernement est très contestable.
En effet, la décision du défenseur des droits en date du 19 novembre 2013 se fonde sur dix exemples cités par la Cimade et repris dans la saisine initiale qui ont eu lieu en octobre et novembre 2009 pour arriver à la conclusion selon laquelle « la rapidité de traitement des cas individuels s’approche parfois d’une certaine précipitation qui n’est pas compatible avec
l’exercice effectif des droits des personnes interpellées ». La décision du défenseur des droits critique donc une situation antérieure à l’arrêt de Souza Ribeiro du 12 décembre 2012 et aux mesures d’exécution prises par le Gouvernement, notamment la lettre d’instruction particulière au préfet de Mayotte du 3 avril 2013.
En conséquence, la décision du défenseur des droits ne saurait permettre d’établir l’ineffectivité des mesures d’exécution prises par le Gouvernement. D’ailleurs, le Défenseur des droits ne fait aucune mention de ces instructions, puisqu’elles n’étaient pas en vigueur au moment où se sont produits les cas pour lesquels il a été saisi.
Sur le site du Conseil de l’Europe
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