Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »
De l’assurance comme dissuasion
Christophe Daadouch
La loi Sarkozy de novembre 2003 a considérablement modifié les règles de prise en charge des frais de santé des étrangers qui entrent en France pour un court séjour. En application de l’article L. 211-1 du code des étrangers, l’étranger qui entend entrer en France dans le cadre du visa de court séjour doit justifier de la prise en charge, par un opérateur d’assurance agréé, des dépenses médicales et hospitalières, y compris d’aide sociale, résultant de soins qu’il pourrait engager en France.
Ce type d’exigence est d’ailleurs aujourd’hui posé pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne en application de la décision 2004/17/CE du 22 décembre 2003 du Conseil européen (JO de l’UE du 9 janvier 2004).
Aux termes des textes nationaux et européens, le ressortissant d’un État soumis à l’obligation de visa qui souhaite effectuer un court séjour dans un État Schengen doit prouver, à l’appui de sa demande de visa, qu’il dispose, à titre individuel ou collectif, d’une assurance adéquate et valide. Cette assurance doit offrir une couverture minimale de 30 000 euros et porter sur « les éventuels frais de rapatriement pour raison médicale, de soins médicaux d’urgence et/ou de soins hospitaliers d’urgence ». Le demandeur de visa devra, en principe, contracter l’assurance voyage dans son État de résidence. En cas d’impossibilité, l’hébergeant pourra en contracter une pour lui, la preuve de l’assurance voyage n’ayant à être fournie qu’au moment où le visa est délivré.
Cette assurance obligatoire s’est très rapidement transformée en opportunité commerciale fort lucrative. En quelques jours, tous les assureurs ont créé de nouveaux produits correspondant aux exigences posées par les textes. Qu’ils prennent le nom explicite de « Solution Schengen » ou le langage de l’hospitalité (« Welcome cover »), ces contrats ont donné lieu à de vrais efforts de communication visant à occuper le plus rapidement possible le créneau ici créé : informations et publicités à la Gazette des communes et surtout démarches auprès des mairies. De manière assez systématique, les services municipaux des affaires générales ont été sollicités par des compagnies d’assurance souhaitant présenter la gamme de leurs produits, espérant, ce faisant, que le demandeur de l’attestation d’accueil sera orienté vers eux par l’agent communal.
On remarquera que l’argument commercial principal avancé pour s’assurer est évidemment son caractère obligatoire. « Pourquoi s’assurer ? Cette assurance est obligatoire pour pouvoir obtenir un visa dans les pays de l’Espace Schengen ». Dans une rhétorique de l’hospitalité, il est même précisé par Axa qu’« avoir le sens de l’hospitalité est déjà la plus grande des qualités que l’on puisse offrir à tous ceux qui viennent de loin pour visiter la France. Pour que cet accueil soit irréprochable, nous avons associé le sens des responsabilités à celui de l’hospitalité. Avec l’“Assistance Accueil Étrangers”, quoi qu’il arrive pendant leur séjour, AXA Assistance sera toujours aux côtés de vos invités ».
Le privilège de la pression commerciale n’appartient d’ailleurs pas qu’aux assureurs français ou européens. Des agences de voyage ayant repéré le filon proposent des formules billet et assurance Schengen, qui peuvent même être complétées par une assurance refus de visa. Pour exemple, un extrait d’une publicité sur Senegalaisement.com à propos de l’assurance Schengen : « Demandeurs de visa, réserver votre vol sur Senegalaisement.com vous permet d’engager une procédure de demande de visa sereine, complète, rapide et à prix réduit. L’assurance que nous proposons couvre toutes les difficultés financières découlant d’un accident, d’une maladie ou d’un décès à l’étranger. Les frais inhérents à votre rapatriement (que vous soyez vivant ou mort !!!!) et/ou à votre cercueil sont pris en charge à concurrence des dépenses réelles. Plus positivement, si vous êtes “juste malade” pendant votre séjour en France, frais médicaux et hospitaliers vous sont également avancés et remboursés. Le billet d’avion d’un de vos proches pour venir vous visiter sur votre lit d’hôpital est également pris en charge. »
Sans qu’il y ait lieu ici de faire une étude exhaustive du coût de tels contrats, quelques exemples permettent d’illustrer l’importance de l’effort financier fait par l’assuré. Ainsi, le coût du contrat « incoming » distribué par un certain nombre d’assureurs, varie, dans sa formule de base, pour 90 jours, de 179 euros pour une personne de moins de 30 ans à 439 euros pour les 61-70 ans.
D’autres assureurs modulent leurs tarifs non pas en fonction de l’âge mais en fonction de la provenance géographique en distinguant deux zones (Europe-Afrique-Amérique, et Asie-Océanie-Australie pour « Euro pax », ou Europe-Maghreb et reste du monde pour « Solution Schengen »). Pour les mêmes 90 jours, il faudra débourser de 79 € à 96 € pour le contrat Euro pax, de 73 € à 86 € euros pour Solution Schengen. On imagine fort bien que ces tarifs, y compris le moins élevé d’entre eux, sont largement dissuasifs pour l’étranger qui envisage de venir en France, ces frais s’ajoutant aux autres naturellement inhérents à tout voyage. A ces coûts peuvent, au demeurant, s’ajouter des frais d’annulation en cas de non-délivrance du visa. Ils sont par exemple de 35 € pour le contrat April mobilité.
Un certain nombre d’étrangers qui entrent en France sous couvert d’un visa de court séjour bénéficient d’un visa à entrées multiples. Ces documents, souvent d’une durée d’un an, permettent à l’étranger d’entrer et de séjourner plusieurs fois pour une durée n’excédant jamais trois mois. Si l’assurance doit être valable « pendant toute la durée du séjour de l’intéressé » sur le territoire des États membres, lorsque le visa de court séjour est à multiples entrées, l’assurance devra couvrir les différents séjours de l’intéressé pendant toute la durée de validité du visa, c’est-à-dire un an. On imagine dès lors que le coût d’une telle assurance – entre 80 et 200 euros par mois supplémentaire au-delà de trois mois – sera rédhibitoire et constitue un véritable frein à l’attribution de tels visas.
Dans les différents documents et contrats types que nous nous sommes procurés, les personnes âgées de plus de soixante-dix ans sont expressément exclues de la possibilité de contracter. C’est le cas pour le GAN ou les AGF. Au mieux est-il précisé par certains assureurs : « pour les plus de soixante-dix ans, nous contacter ».
Contact pris, il s’avère qu’aucun assureur ne prend en charge les plus de soixante-dix ans aux conditions exigées par la loi Sarkozy. Si April mobilité accepte certes les plus de soixante cinq ans pour 87 € par mois, la garantie ouverte est une simple garantie accident mais aucunement maladie. Quant au contrat ACS/AMI, les frais pris en charge sont limités à 8 460 € alors que la loi exige, rappelons-le, une prise en charge à hauteur de 30 000 €. L’étranger qui contracterait à ces conditions pourrait donc se voir refuser le visa court séjour. En définitive, l’impossibilité, pour les plus âgés, de contracter une assurance conforme à la loi a donc pour effet immédiat l’impossibilité de fait pour eux d’entrer en France.
Discrètement et sans que cela ait pu donner lieu à débat, la loi Sarkozy de novembre 2003 a donc restreint l’accueil des plus âgés. Leur envie légitime de rendre visite à des amis, à de la famille ou de découvrir la France s’effacera devant le fait qu’ils semblent incarner ici un double risque, à la fois migratoire et assurantiel.
Une rapide interprétation de la réforme du visa incluant désormais une assurance obligatoire pouvait laisser supposer que, finalement, celle-ci viendrait tout simplement, certes de manière coûteuse, compenser l’absence de prise en charge pendant ces quatre-vingt-dix premiers jours sur le sol français. En réalité, il n’en est rien. Malgré leurs coûts, ces contrats d’assurance offrent une couverture très relative. Ainsi, certains contrats ne couvrent qu’une partie des 30 000 € exigibles. Par exemple, Axa et son « Assistance Accueil Étrangers » n’offre une prestation de base d’assurance frais médicaux qu’à concurrence de 7 630 €. Seules des options supplémentaires d’assurance santé permettraient éventuellement de répondre aux exigences de la loi.
Surtout, et c’est là l’essentiel, ces contrats ne prennent en charge que les urgences médicales. Les différents contrats prévoient en effet diverses clauses d’exclusion de garantie. Parmi celles-ci on retrouve dans l’essentiel des contrats : - les frais consécutifs à un accident ou une maladie constatée médicalement avant la prise d’effet de la garantie ; - les frais occasionnés par le traitement d’un état pathologique, physiologique ou physique constaté médicalement avant la prise d’effet de la garantie ;
- les conséquences d‘une inobservation volontaire de la réglementation du pays visité ;
- les voyages entrepris dans le but d’un diagnostic et ou d’un traitement ;
- les maladies préexistantes diagnostiquées et ou traitées ayant fait l’objet d’une hospitalisation dans les six mois précédant l’assistance ;
- les interventions chirurgicales qui peuvent être ajournées ;
- les états de grossesse sauf complication imprévisible ;
- les conséquences d’une tentative de suicide ;
- les frais engagés sans l’accord préalable de l’assureur.
Le contrat Elvia Schengen ajoute même :
- les conséquences de la grossesse, l’accouchement, l’IVG ou la fécondation in vitro ;
- tout événement médical dont le diagnostic, les symptômes ou la cause de ceux-ci sont de nature psychique, psychologique ou psychiatrique ;
- les frais résultant de soins ou traitements engendrés par des pathologies cancéreuses, infectieuses ou parasitaires ;
- les frais de vaccination.
Quant au contrat Welcome Cover, en plus des exclusions précédemment citées, il ne couvre pas :
- les soins de dermatologie ;
- les soins dentaires et frais d’optique.
Du coup, un tel contrat n’offre qu’une très faible protection. D’ores et déjà, après quelques mois d’application, de nombreux services hospitaliers ont pu constater la grande difficulté de recouvrer les frais de santé engagés auprès d’assureurs s’appuyant sur les nombreuses clauses d’exclusion pour refuser les remboursements. En filigrane pourrait ici se poser la responsabilité financière de l’hébergeant pour couvrir ces frais non prévus (art. L. 211-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers). On rappellera que la même loi Sarkozy a prévu l’engagement de l’hébergeant à concurrence de 47,80 € par jour sur une période maximale de trois mois.
Ajoutons à cette faible couverture trois autres difficultés pratiques à la mise en œuvre de tels contrats : pour les frais médicaux hors hospitalisation (médecin, pharmacie, …), le patient devra d’abord engager les frais pour ensuite se faire rembourser par l’assureur dans des délais extrêmement variables ; d’autre part, une franchise allant de 30 à 50 € sera demandée à l’étranger sur tout acte médical pris en charge par l’assureur ; enfin, si l’assurance doit couvrir 30 000 € de dépenses, de nombreux contrats fixent un plafond spécifique de prise en charge dans les domaines dentaires ou optiques lorsque ces frais sont couverts.
L’inutilité de tels contrats ne se limite pas à la faiblesse de leurs garanties. Quelques conventions bilatérales de sécurité sociale, par exemple celle conclue entre la France et le Gabon, prévoient la prise en charge de soins médicaux pour des personnes assurées sociales en tant que salariées dans leur pays d’origine, lors de séjours temporaires en France. Les frais pris en charge par la sécurité sociale française font l’objet d’un remboursement par les caisses du pays d’origine. Ces prises en charge sont possibles pour des séjours n’excédant pas trois mois, éventuellement renouvelables. D’autres conventions bilatérales de sécurité sociale prévoient la prise en charge, par le régime français, des frais de maladie et maternité (prestations en nature c’est-à-dire remboursement des soins) des membres de la famille qui ne résident pas avec le travailleur (ou le chômeur indemnisé) dans le pays de travail (la France). C’est le cas, notamment, de la convention franco-algérienne ou de la convention franco-malienne. Du coup, de tels salariés, conjoints ou enfants pour lesquels cette assurance est rendue obligatoire sans exception, s’ils veulent obtenir un visa, engageront donc cette dépense inutilement.
Au final et tel qu’on pouvait le craindre, l’exigence d’un contrat d’assurance ne vise ni à réduire les dépenses de santé de la collectivité, ni à protéger les étrangers contre leur propre insolvabilité mais constitue un obstacle à la délivrance des visas et une dissuasion à l’entrée sur le territoire. ;
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