Article extrait du Plein droit n° 59-60, mars 2004
« Acharnements législatifs »
Une nouvelle convention pour les migrants
La convention de l’ONU pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille est entrée en application le 1er juillet 2003. Ayant nécessité plus de dix ans pour voir le jour, la nouvelle convention représente un grand pas en avant dans les efforts pour améliorer la vie de la vaste réserve de la main-d’œuvre mondiale. Grand spécialiste des migrations au sein du BIT, Patrick Taran, instigateur de la campagne pour la ratification, dévoile à Travail les objets de la convention, son champ d’application et en quoi elle changera la vie des migrants.
Travail : Quelle est la population migrante de nos jours dans le monde, et parmi elle, combien sont des travailleurs migrants ?
Patrick Taran : Quelque 175 millions de personnes vivent et travaillent en dehors de leur pays d’origine. D’après les estimations de l’OIT, la grande majorité d’entre elles, à peu près 120 millions, sont des travailleurs migrants ou des membres de leur famille. Ce chiffre pourrait bien doubler dans les vingt-cinq ans à venir. Beaucoup d’autres sont des immigrants permanents qui avaient émigré pour trouver un emploi dans les pays d’immigration.
Travail : A quels problèmes sont-ils confrontés ?
Taran : Malgré le fait qu’elle soit d’une importance économique vitale – la migration n’est pas seulement une source de revenus pour les individus, mais permet aussi le transfert de milliards de dollars aux pays d’origine – les travailleurs immigrés sont souvent considérés comme étant une main-d’œuvre bon marché et flexible, et sans protection légale de base. Les travailleurs immigrants illégaux sont tout spécialement vulnérables, puisque la peur de l’interpellation et de l’expulsion empêche la syndicalisation et freine la dénonciation des conditions de travail dangereuses. Les femmes qui, dans certains pays, représentent 70 pour cent de la main-d’œuvre immigrée sont, le plus souvent, employées dans le secteur informel ou bien dans un environnement de travail isolé où il y a peu de possibilités d’établir des réseaux d’information et de soutien social.
Travail : N’existe-t-il pas déjà deux conventions de l’OIT sur la migration ?
Taran : En effet, il y a la convention de l’OIT sur la migration pour l’emploi de 1949 (n° 97) et la convention de l’OIT (dispositions supplémentaires) sur les travailleurs migrants de 1975 (n° 43), qui existent depuis plus de vingt-cinq ans. Elles ont été ratifiées par respectivement 42 et 18 États membres de l’OIT, et forment un cadre de base pour la législation et la pratique nationale en matière de migration économique. Elles stipulent que les pays signataires doivent promouvoir activement des pratiques de recrutement équitables et un processus de consultation transparent avec leurs partenaires sociaux, réaffirmer la non-discrimination et établir le principe d’égalité de traitement entre les nationaux et les travailleurs immigrés en situation régulière en ce qui concerne l’accès à la sécurité sociale, les conditions de travail, la rémunération et la syndicalisation.
La nouvelle convention de l’ONU développe encore plus ces moyens et peut être considérée comme complémentaire.
Elle cherche à garantir aux migrants les droits humains fondamentaux et à assurer que tous les migrants, légaux ou clandestins, ainsi que leur famille aient accès à un minimum de protection. Dans les pays où les dispositions de la convention sont appliquées, beaucoup de personnes, et tout spécialement les femmes, qui travaillent dans le secteur informel, peuvent en obtenir un meilleur niveau de protection. La nouvelle convention préconise aussi des mesures pour éradiquer l’immigration clandestine.
Travail : L’éradication des trafics de main-d’œuvre clandestine, n’est-ce pas beaucoup demander ?
Taran : La convention propose que les États agissent contre la diffusion d’information trompeuse sur l’immigration et l’émigration, et identifient et empêchent les mouvements clandestins de travailleurs migrants. C’est ainsi que la convention décourage la migration illégale tout en souhaitant l’application des droits fondamentaux pour tous.
Travail : Comment arriverez-vous à faire appliquer la convention ?
Taran : Tous les pays qui l’ont ratifiée sont liés légalement par la convention. En plus, l’application de la convention sera surveillée par un comité de dix experts élus par les États qui l’ont ratifiée, constituant le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles.
Travail : Quels pays ont ratifié la convention ?
Taran : Vingt-deux, dans leur majorité des pays sources de l’émigration, ceux d’où viennent les émigrants, ont déjà ratifié la convention(1) ; dix(2) autres ont signé la démarche préliminaire à la ratification. Jusqu’à présent, aucun des grands pays d’accueil des migrants et des immigrés n’a ratifié. On avait enregistré très peu de ratifications jusqu’en 1998 lorsqu’une campagne mondiale a été lancée par une coalition unique de l’ONU incluant l’Organisation internationale du travail, des groupes religieux et des ONG de défense des droits humains et des migrants. Depuis lors, les ratifications ont triplé. (Voir le site web www.migrantsrights.org)
Travail : Il existe une demande massive de travailleurs immigrés dans ces pays. Les forces économiques ne continueront-elles pas à influencer l’évolution de la migration ?
Taran : Pour l’OIT, un régime durable véritablement efficace exige une réponse aux demandes de main-d’œuvre en Europe et en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, tout en mettant en place des politiques et des structures pour maîtriser et gérer la migration. Cela nécessite un degré important de consensus social et l’implication de toutes les parties les plus directement touchées par la migration de main-d’œuvre : les travailleurs et les employeurs.
Comme a déclaré le directeur général de l’OIT, Juan Somavia : « Un consensus international est en train de voir le jour selon lequel la régulation de la migration internationale aux fins d’emploi ne peut être laissée uniquement aux mains d’intérêts nationaux et des mécanismes du marché. Elle appelle plutôt à l’organisation par des accords bilatéraux et multilatéraux et au respect des normes internationales. »
Travail : Ainsi, vous avez le sentiment qu’un progrès s’accomplit ?
Taran : Sûrement. La nouvelle convention, liée aux conventions existantes, constitue une base, fondée sur des valeurs reconnues, pour la détermination et le fondement légal, pour une politique nationale et son application. Elle est un moyen d’encourager les États à établir ou à améliorer leur droit national en harmonie avec les normes internationales. La protection et la structure proposées par ces accords vont bien au-delà de l’élaboration d’un cadre des droits humains. De nombreux règlements appropriés forment, en somme, un agenda complet pour les politiques nationales et pour la coopération et la consultation entre les États afin de formuler une politique sur la migration économique, échanger des informations, fournir des renseignements aux migrants et faciliter leur retour au pays d’origine ainsi que leur réintégration.
Notre travail à l’OIT continue. Une réunion tripartite régionale, sous les auspices de l’OIT, a eu lieu à Bangkok fin juin avec pour thème « Les défis rencontrés par la politique et la gestion de la migration économique en Asie ». Le but était d’invoquer les opportunités et les défis auxquels sont confrontés les pays de la région. De nouvelles dynamiques se mettent en place visant les groupes particuliers, surtout les travailleuses domestiques immigrées, pour qu’ils aient des possibilités accrues et pour l’amélioration de leur condition. Cette question sera le sujet du débat général pendant la conférence internationale du travail en 2004 à Genève.
Vu la participation tripartite importante de l’ensemble des 177 pays membres de l’OIT, et faute d’une conférence internationale sur la migration, cette réunion devrait être le mieux que nous puissions espérer dans ce domaine pendant cette décennie.
Notre agenda inclut la migration économique à l’ère de la mondialisation, des projets et des structures pour un meilleur contrôle de ce problème et l’amélioration de la protection des travailleurs migrants. ;
Une action mondiale concertée
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