Article extrait du Plein droit n° 59-60, mars 2004
« Acharnements législatifs »

Collectivement, contre les discriminations

Christian Saout

Président de AIDES anime avec Marc Morel, Coordinateur juridique à Sida Info Service, le Collectif pour une autorité universelle de lutte contre les discriminations. Le Collectif regroupe aujourd’hui une cinquantaine d’associations et de structures engagées autour de cette démarche (www.aides.org discriminations)
Quand, à la fin de l’année 2002, le gouvernement décide la mise en place d’une autorité indépendante de lutte contre les discriminations, le terrain n’est pas vierge et de nombreuses associations mènent un combat sur ce sujet depuis plusieurs années. Le travail accompli depuis, visant à élargir le cercle des partenaires et la prise en compte du plus grand nombre possible de discriminations a abouti à préciser les contours de cette autorité indépendante, ses compétences et ses moyens d’action.

En 2001, AIDES et Sida Info Service avaient organisé des États Généraux réunissant à la Cité de la Villette trois cents personnes venues de toute la France sous le titre : « Homosexualités et Identités : santé, vie affective, vie sociale ». Une formulation sans doute complexe pour parler tout simplement de l’impact du Vih/sida sur les minorités sexuelles et rappeler que les conditions de vie qui leur sont faites sont décisives pour une meilleure estime de soi et une meilleure prise en compte par chacun de sa protection et de sa santé face au Vih/sida. Dans un contexte de forte mobilisation des acteurs de la lutte contre le sida, les travaux avaient clairement mis en exergue la nécessité de réduire les discriminations dont sont victimes ces groupes minoritaires, et avaient notamment conclu à la nécessité de disposer, en France, d’une autorité indépendante chargée de lutter contre les discriminations.

Deux ans auparavant, déjà, AIDES avait organisé au Centre culturel suédois une rencontre avec l’ombudsman suédois contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, qui avait permis de percevoir l’intérêt d’une transposition d’institutions de ce type dans le contexte français.

Parallèlement, l’Union européenne avait progressé, notamment en adoptant les dispositions de l’article 13 du Traité d’Amsterdam qui invite les États à abroger les discriminations quelle qu’en soit l’origine et à adopter des politiques publiques en ce sens. La directive du 29 juin 2000 sur la discrimination raciale et la directive de septembre 2002 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes prises sur ce fondement imposent la création, par les États membres, d’autorités indépendantes. C’est ce que la plupart d’entre eux ont commencé à faire, en mettant notamment en place des autorités indépendantes qui viennent, domaine par domaine, ici sur l’égalité hommes/ femmes, là en matière anti-raciste, ailleurs encore sur l’orientation sexuelle, tenter de résoudre les difficultés exprimées et vécues par les personnes confrontées à une discrimination. Plus récemment, certains de ces Etats ont fait évoluer leurs autorités constituées autour d’un critère de discrimination vers des autorités à compétence plus large ou traduisant une préoccupation d’universalité dans la lutte contre les discriminations. Ces évolutions faisaient apparaître par contraste le retard de la France, en dépit de la transformation du « groupe d’étude sur les discriminations » en « groupe d’étude et de lutte contre les discriminations », chargé de gérer le numéro vert « 114 », doté de moyens très insuffisants et centré sur les seules discriminations raciales.

A la fin de l’année 2002, le terrain n’est donc pas totalement vierge quand le Président de la République, dans un discours prononcé à Troyes, en appelle lui aussi à la création en France d’une autorité indépendante universelle de lutte contre les discriminations. Pouvait-on mieux dire ? Sans doute pas. Ce faisant, avait-il épuisé le sujet ? Bien évidemment non. Et nous sentions bien tout l’intérêt de marquer le débat public par des propositions, et pour tout dire par la nécessaire réunion d’une série de conditions sans lesquelles l’instauration d’une telle autorité serait vide de sens.

Comment avons-nous travaillé ?

Par cercles. En regroupant, dans un premier temps, quelques acteurs accoutumés à travailler ensemble et engagés dans la lutte contre le sida, dans le champ de la santé, dans la défense des droits fondamentaux. Nous avons essayé de faire le tour de nos attentes et d’exprimer un soutien vigilant à l’idée d’autorité indépendante. Nous nous sommes ainsi retrouvés, en février 2003, donc bien avant la mise en place de la commission Stasi (juin 2003) pour une « journée de réflexion et de mobilisation pour une autorité indépendante de lutte contre les discriminations ».

Puis nous avons élargi le cercle des premiers partenaires vers des groupes ou des mouvements avec lesquels nous n’avions pas l’habitude de travailler – associations de handicapés, associations féministes, par exemple – avec un double objectif : élargir la mobilisation et valider les orientations auxquelles nous avions abouti, quitte à en modifier les contours si le débat produit au cours de l’élargissement du premier cercle de combat le nécessitait.

Nos travaux ont notamment été marqués par une journée d’étude qui a permis aux uns et aux autres de mieux connaître les discriminations dont nous n’avions pas connaissance parce que notre champ d’intervention ou notre domaine de mobilisation nous en tenait écartés. Nous avons donc progressé sur deux fronts : le soutien éclairé à une idée que nous avancions depuis longtemps et le partage le plus large sur les déterminants de ce combat au sein du collectif et au-delà.

A quoi sommes-nous parvenus ?

L’idée d’abord. Nous avons assez clairement établi quelles étaient pour nous les conditions à réunir pour que l’on parle véritablement d’autorité indépendante universelle concourant à la lutte contre les discriminations.

Ce doit être une autorité inscrite dans un dispositif global. Il ne s’agit ni d’exonérer la puissance publique de sa mission générale de lutte contre les discriminations dans le cadre des lois et règlements anti-discriminatoires qui existent mais ne sont pas suffisamment utilisés, ni d’écarter les mobilisations de la société civile concourant aux mêmes buts. L’autorité doit soutenir, renforcer et catalyser la lutte contre les discriminations puisque le recours au droit reste insuffisant dans notre pays.

Structures ayant contribué à la plate-forme et engagées dans le Collectif



Act Up-Paris

ADAPT (Ligue pour l’Adaptation du Diminué Physique au Travail)

AIDES

Amnesty International France

Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL)

Association Femmes Publiques

Association française des Hémophiles (AFH)

Association des Paralysés de France (APF)

ARCAT

Association française de lutte contre les myopathies (AFM)

Association du syndrome de Benjamin (ASB)

Caritig

Collectif contre l’homophobie 34

Collectif National Droits des femmes

Confédération Syndicale des Familles (CSF)

Coordination pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC)

Fédération des Mutuelles de France (FMF)

Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH)

Fédération Nationale des Maisons des Potes (FNMDP)

Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)

Handicap et Libertés

Homosexualité et Socialisme

Interassociative Lesbienne-Gaie-Bi-Trans (Inter-LGBT),

Le LIEN

Ligue des Droits de l’Homme (LDH)

Le MAG - Jeunes Gais et Lesbiennes

Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP),

Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres (PASTT),

PROCHOIX

Réseau Hospitalier des Usagers (Réshus)

Sida Info Service

SNEG (Le Syndicat des Entreprises Gaies)

SOS Hépatites

SOS Homophobie

Vaincre La Mucoviscidose (VLM)

Ce doit aussi être une autorité unique plutôt qu’une superposition de plusieurs autorités spécifiques dédiées chacune à une discrimination, ce qui ne manquerait pas de poser des difficultés en cas de cumul de discriminations et aboutirait à écarter les discriminations les moins nombreuses en quantité mais terriblement préoccupantes pour les personnes concernées. On pense bien évidemment aux minorités sexuelles.

Ce doit bien entendu être une autorité universelle. En raison du fait qu’elle doit couvrir toutes les catégories de discriminations mais aussi tous les agissements discriminatoires, et dans tous les domaines.

Personnes qualifiées ayant contribué à la plate-forme



Véronique van der PLANCKE, Chercheuse au Centre de Philosophie du Droit, Université catholique de Louvain-la-Neuve

Eric FASSIN, Professeur à l’ENS

Jacques CHEVALLIER, Professeur à l’Université Paris II, Directeur du CERSA

Danièle LOCHAK, Professeur à l’Université Paris-X

Daniel BORRILLO, Maître de Conférences à l’Université Paris X

Michel MINE, Professeur associé en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

Sophie LATRAVERSE, Juriste

Philippe BATAILLE, CADIS-EHESS

Marie-Thérèse LANQUETIN, Juriste, Université Paris X

Robert WINTEMUTE, School of Law, King’s College, Londres

Nathalie FERRÉ, Maître de Conférences à l’Université Paris X

Jean-Michel BELORGEY, Conseiller d’Etat, Auteur du rapport sur la lutte contre les discriminations.

L’autorité doit avoir une compétence étendue et de larges pouvoirs. Depuis l’étude des discriminations, notamment des discriminations dites systémiques (celles qui atteignent, même sans intention discriminatoire, des groupes de personnes, et résultent des pratiques et idéologies à l’œuvre sur le marché du travail, au sein des institutions et même dans la société toute entière) jusqu’à la sanction, sans empiéter ce faisant sur les pouvoirs dévolus aux juridictions régulières qui doivent rester intacts, voire être renforcés. L’autorité doit pouvoir mener des investigations sur les affaires dont elle est saisie ou dont elle se saisit. Selon nous, elle doit par ailleurs disposer d’un pouvoir général d’auto-saisine, être en mesure d’adresser des recommandations aux pouvoirs publics, notamment dans le cadre de son rapport annuel public. L’autorité doit bien entendu être un outil d’aide et de soutien aux victimes des discriminations dans l’exercice de leurs droits. L’autorité doit aussi concourir à la sensibilisation, à la communication et à l’alerte devant l’opinion publique.

Des garanties d’indépendance doivent présider à l’instauration de l’autorité car l’administration publique peut elle-même être l’auteur de discriminations : placée auprès d’un ministre, rattachée à un département ministériel, ou structurée comme une émanation de la puissance publique, l’autorité n’aurait pas l’indépendance nécessaire à l’égard des administrations. La composition de l’autorité devra s’attacher à garantir cette indépendance tout en consacrant la participation des organisations (associations, syndicats…) intervenant sur le terrain.

Bien évidemment, des moyens humains et financiers doivent être garantis pour l’exercice de ces missions dont on sent bien que les contours vont bien au delà de ceux de l’actuel Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations (GELD).

Enfin, ce doit être une autorité accessible. Il ne s’agit pas de créer une autorité « centralisée » mais une autorité capable de répondre effectivement aux sollicitations de tous ceux qui s’estiment victimes d’une discrimination. De ce point de vue, elle doit disposer de relais au niveau territorial, issus de l’autorité nationale.

Après avoir examiné l’idée, voyons maintenant le mouvement. Ce n’est pas rien. Une cinquante d’associations et d’organismes se sont agrégés dans le Collectif qui comporte en outre une grand nombre de personnalités « qualifiées » notamment dans le domaine de la recherche ou de l’enseignement en sciences sociales ou en droit (voir encadré). Cette mixité est enrichissante, source de confrontations et génératrice de positionnements débattus et argumentés. Elle ne trouve qu’une limite : l’absence de mobilisation syndicale qui, malgré l’intensité de nos démarches, fait défaut à ce qui pourrait pourtant apparaître comme un mouvement d’ensemble traduisant l’aspiration de notre société à une véritable autorité universelle de lutte contre les discriminations.

La prochaine échéance, après la remise du rapport demandé par le premier ministre à Bernard Stasi, médiateur de la République, sera le projet de loi portant création de l’autorité indépendante. Pour autant, nous ne sommes pas au bout du chemin.

En effet, nous devons encore accompagner ces étapes car elles ne se feront, et ne doivent pas se faire sans nous. Nous n’accepterons pas que la France soit le dernier pays d’Europe à disposer d’une telle autorité ou qu’au pays des droits de l’homme on accepte une autorité au rabais soulevant un formidable espoir dans l’opinion mais incapable, en pratique, d’apporter à ceux qui sont victimes d’actes discriminatoires le soutien qu’ils sont en droit d’attendre d’une telle autorité Et ne doutons pas qu’au lendemain du rapport remis par Bernard Stasi, le cortège des empêcheurs va donner de la voix : ici le pouvoir judiciaire inquiet de ses prérogatives, là les inquiétudes de telle administration publique, ailleurs encore les résistances de certains intérêts privés ennuyés de ne plus pouvoir discriminer « entre amis ».

Au delà de la vigilance, il y a encore du grain à moudre pour que cette autorité soit acquise non pas pour solde de tout compte mais comme pointe avancée d’une politique générale de lutte contre les discriminations portée par le pays dans son ensemble, convaincu de l’impératif d’adaptation de notre droit dans la lutte contre les discriminations. Car la création d’une telle autorité ne doit évidemment pas – tout au contraire – nous empêcher de continuer à porter d’autres revendications tout aussi capitales : l’élargissement de la capacité des associations à ester en justice, l’aménagement de la charge de la preuve en faveur des victimes, la reconnaissance de discriminations non encore répertoriées, notamment à l’article 225-1 du code pénal, la réduction des discriminations légales, notamment celles qui frappent encore les étrangers.

À nos yeux, il est donc clair que la mise en place de l’autorité indépendante ne doit pas démobiliser les pouvoirs publics ou la société civile, mais renforcer les obligations des uns et les outils aux mains de l’autre, et que l’efficacité de l’édifice constitué par les lois, le contrôle juridictionnel et l’autorité indépendante doit continuer à être poussé par la mobilisation des associations et des syndicats.

Restons groupés !

Communiqué du Gisti Suite à la remise au premier ministre, le 17 février 2004, par Bernard Stasi, médiateur de la République, du rapport tendant à la création d’une « Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité  », le Gisti a publié le communiqué suivant (accessible sur http://www.gisti.org/doc/actions/2004/stasi{).

Des conditions de crédibilité d’une autorité contre les discriminations



Après la remise du rapport Stasi, le GISTI souhaite, comme l’ensemble des organisations réunies dans le Collectif pour une autorité indépendante universelle de lutte contre les discriminations, que se mette en place dans les délais les plus brefs la haute autorité indépendante de lutte contre les discriminations et pour l’égalité dont le rapport suggère la création.

Cette autorité n’aura toutefois de crédibilité et d’efficacité : que si elle est dotée de réels moyens, et de réels pouvoirs ; que si sa mise en place s’inscrit dans une politique globale de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, comme l’atteste a contrario l’échec de toutes les structures précédemment mises en place, et notamment celui du GELD, dont les propositions – notamment sur les emplois fermés aux étrangers – n’ont même pas connu un début de mise en œuvre ; que si cette politique se donne pour objectif de combattre non seulement les discriminations déjà prohibées par les textes mais aussi celles qui, inscrites dans la loi ou les règlements, font obstacle, en violation du principe d’égalité, à l’exercice des droits fondamentaux.

Au moment où l’on dit vouloir se mobiliser contre toutes les formes de discrimination, le Gisti tient en effet à rappeler la nécessité de dénoncer des discriminations trop souvent passées sous silence : car il y a bien discrimination :

  • lorsque des millions d’emplois sont réservés aux nationaux ;



  • lorsque des personnes qui ont commis un délit peuvent, simplement parce qu’elles sont étrangères, faire l’objet d’une interdiction du territoire français et subir ainsi une « double peine » ;



  • lorsque les ressortissants des États tiers, exclus de la citoyenneté européenne, ne se voient reconnaître ni le droit de vote aux élections municipales, ni la liberté de circulation ;



  • lorsque des droits aussi fondamentaux que le droit d’être soigné, le droit de travailler, le droit de se marier ou de vivre en famille sont quotidiennement bafoués ;



  • lorsque des milliers d’exilés sont enfermés dans des camps et que la vie des étrangers semble peser d’aussi peu de poids dans la guerre que les États européens ont décidé de livrer pour défendre leurs frontières.



Paris, le 20 février 2004



Article extrait du n°59-60

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Dernier ajout : vendredi 25 avril 2014, 13:41
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