Article extrait du Plein droit n° 57, juin 2003
« Une Europe du rejet »

La Convention sur l’avenir de l’Europe

Anne Castagnos

Juriste
Dans la perspective de son élargissement, l’Union européenne a voulu se doter d’un instrument destiné à refonder les institutions communautaires pour les adapter à une Europe élargie à vingt-cinq membres. Parmi les onze groupes de travail créés, celui intitulé « Espace de liberté, sécurité, justice » traite des questions qui nous concernent aujourd’hui, à savoir asile et immigration.

La Convention sur l’avenir de l’Europe a commencé ses travaux en février 2002 [1]. Sa structure a été décidée par le Conseil européen de Laeken, en décembre 2001, en vue de refonder les institutions communautaires dans l’objectif de l’élargissement de l’Union européenne au début de l’année 2004. Cette décision a été prise car les États s’étaient rendu compte depuis plusieurs années que l’UE fonctionnait relativement mal à quinze et qu’à vingt-cinq, ce serait totalement ingérable sans changement des institutions. La déclaration de Laeken a donc demandé que soit convoquée une convention sur le modèle de celle qui a présidé à l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux, cette formule ayant fait ses preuves. Pourquoi une convention plutôt qu’une conférence intergouvernementale ? Parce qu’une convention est beaucoup plus large ; qu’elle a, à l’heure actuelle, une légitimité beaucoup plus forte puisque la Convention sur l’avenir de l’Europe compte 105 membres et autant de suppléants qui représentent à la fois les États, la Commission, le Parlement et les pays de l’adhésion, c’est-à-dire les dix pays concernés par l’élargissement. Ces dix nouveaux pays ont droit de parole, d’intervention mais pas de veto ; les « petits pays de l’élargissement » ne peuvent pas s’opposer à un consensus qui semblerait émerger des travaux de la Convention.

Cette Convention suscite de plus en plus d’intérêt au plus haut niveau gouvernemental. On en parle de plus en plus en France – mais aussi en Allemagne – d’une part parce qu’elle est présidée par Valéry Giscard d’Estaing, qui déploie beaucoup d’efforts en France pour faire de la publicité pour cette Convention à tous les niveaux ; d’autre part parce que le couple franco-allemand qui a repris de la vigueur depuis le mois de novembre y fait moult contributions.

Les travaux de cette Convention ont été divisés en deux parties. Il y a eu d’une part l’aspect strictement institutionnel que Giscard a vite mis soigneusement de côté parce que c’est là que les blocages vont apparaître et apparaissent déjà très clairement avec, d’un côté, les tenants d’un fédéralisme pur et/ou de la méthode communautaire, et de l’autre, les tenants d’une méthode plus souveraine, d’un conseil européen plus fort et entre les mains de pays plus importants économiquement, financièrement et politiquement. Grosso modo, c’était ça. Si la Convention avait démarré ses travaux directement sur la refonte des institutions, sur la question de savoir si on donnait plus ou moins de poids politique à la commission et au conseil, je pense qu’elle aurait capoté tout de suite. Giscard d’Estaing, avec beaucoup de finesse politique, l’a vite compris et a donc pendant un temps laissé cet aspect de côté. Ces questions sont aujourd’hui revenues au premier plan mais il y a peu de chances qu’elles soient tranchées avant le conseil européen de Thessalonique, le 20 juin, date initialement prévue pour la présentation des résultats de la Convention.

La Convention a donc travaillé pendant huit mois sur le fond, en créant onze groupes de travail. Dix ont rapidement rendu leur copie, le onzième, celui sur l’Europe sociale, s’étant fait tout à fait contre la volonté de Giscard à la demande d’une cinquantaine de conventionnels de sensibilité de gauche, a vu le jour très tard et a été le dernier à rendre son rapport (février 2003).

Ces groupes n’ont qu’une représentativité limitée parce qu’ils sont composés sur la base du volontariat. Ils ne représentent donc pas forcément l’équilibre institutionnel au sein de la Convention entre État, Commission, Parlement. Dans leurs conclusions, ces groupes font des recommandations qui sont reprises par le présidium, sorte de comité exécutif de la Convention qui les reformule et les représente en plénière. Après modification, elles sont adoptées par consensus. Depuis le dépôt des conclusions des différents groupes, les conventionnels ont déposé des centaines d’amendements qui sont actuellement discutés, notamment pour les sujets qui nous concernent, sur « la non discrimination en raison de la nationalité », « la citoyenneté de l’Union » (Titre II : art 6 et 7) ou sur l’ensemble du chapitre « politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ».

Parmi les dix groupes de travail, celui qui nous intéresse aujourd’hui directement est le dixième, « Espace de liberté, sécurité, justice ». C’est un groupe qui a eu du mal à avancer parce que ces questions touchent beaucoup aux problèmes de souveraineté. Actuellement, les questions justice et affaires intérieures sont partagées entre le second pilier, prérogative de la Communauté, et le troisième pilier, donc à la fois la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale. Pour les questions qui nous concernent aujourd’hui, visas, asile et immigration, elles sont intégrées au titre IV du Traité instituant la Communauté européenne, donc au premier pilier, mais avec des procédures extrêmement curieuses : les textes qui en sont issus sont contraignants sur le plan juridique, ce sont des textes communautaires, mais ils répondent à la procédure de l’unanimité, ce qui n’est pas la règle de la méthode communautaire.

En matière d’asile, il n’y a qu’à voir les « experts » qui ont été entendus pour se convaincre qu’il ne va pas en sortir grand chose de bon : ni le HCR, ni aucune organisation nationale, européenne ou internationale compétente sur les questions d’asile et d’immigration n’a été entendue. Toutes les personnes auditionnées ont pris acte du fait que le projet de Tampere, qui prévoyait de mettre en place dans un délai de cinq ans une procédure d’asile commune est irréaliste, si on maintient la règle de l’unanimité, surtout à vingt-cinq. Une des propositions de ce groupe est donc de passer, en matière d’asile, au vote à la majorité qualifiée et à la co-décision, et de consacrer « tout en reconnaissant les compétences des États membres, le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités, implications financières comprises, lequel s’appliquera aux politiques de l’Union en matière d’asile, d’immigration et de contrôle aux frontières  ». Donc, ça ne dit pas grand chose et, à part la préconisation du passage au vote à la majorité qualifiée, pour l’instant, il n’y a aucune avancée. En matière d’immigration, c’est encore pire et on assiste à un statu quo complet. Le choix a été fait du maintien de l’article 63 du traité d’Amsterdam, en estimant que cet article couvre l’intégralité du domaine de l’immigration et que « les États membres conserveront dans la pratique leurs compétences pour décider du nombre des admissions de ressortissants des pays tiers et de leur intégration dans le pays hôte  ». Dans les conclusions du groupe de travail, il n’y a donc aucune avancée sur le plan de l’intégration ou de l’accueil sur le territoire. Au contraire, la Convention permettra un alignement par le bas tout en laissant les pays libres de déroger aux règles communes pour conserver leurs dispositions les moins protectrices. ;

Plusieurs associations européennes, dont le Gisti, ont envoyé le 28 mars 2003, un courrier à M. Giscard d’Estaing lui faisant part de leurs préoccupations à propos de plusieurs points des travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

Traditionnellement, les textes constitutionnels fixent notamment des principes généraux de reconnaissance et de protection des droits des individus, et les projets de la Convention, en ce domaine, leur semblaient largement insuffisants. De même, les garanties de contrôle démocratique sur certaines agences européennes étaient loin d’être assurées. Ces associations ont donc notamment rappelé à la Convention la place qu’elles jugent très insuffisante faite à la Convention de Genève et à la protection des demandeurs d’asile, leurs exigences quant au traitement non discriminatoire des ressortissants d’Etats tiers ou leurs inquiétudes liées à l’article traitant des accords de réadmission.

Ce courrier peut être consulté sur le site du Gisti : http://www.gisti.org/doc/actions/2003/convention/index.html




Notes

[1Une partie des travaux et débats est disponible sur le site : http://european-convention.eu.int/


Article extrait du n°57

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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