Article extrait du Plein droit n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés en danger »
Le rôle de l’institution judiciaire
Evelyne Sire-Marin
Présidente du Syndicat de la magistrature
Le juge auquel sont présentés des enfants étrangers isolés est responsable de la protection judiciaire accordée ou non à ces mineurs. En effet, l’application du droit français et des conventions internationales (convention des droits de l’enfant, convention contre la torture et les traitements inhumains et dégradants, convention européenne des droits de l’homme..) et les conséquences entraînées par les méthodes actuelles très contestées de détermination de l’âge du mineur (comme les expertises osseuses) sont essentielles : elles déterminent la prise en charge ou non du mineur par l’ASE ou la PJJ, elles rendent ou non possible sa détention... Ce sont des choix faits par les magistrats au cas par cas et, bien souvent, dans l’ignorance de l’histoire tragique singulière de chacun de ces enfants. L’institution judiciaire donne, selon les lieux et les magistrats, des réponses divergentes. Cela entraîne un réel désarroi des associations et des services qui accueillent des mineurs étrangers, une absence totale de lisibilité de la jurisprudence et une insécurité juridique quant au sort de ces enfants qui, bien souvent, du fait de l’incohérence des services administratifs ou judiciaires, deviennent à dix-huit ans des adultes en séjour irrégulier, donc expulsables.
Selon l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945, le juge judiciaire est compétent pour statuer sur la rétention administrative des demandeurs d’asile. Il ne s’agit pas là des étrangers qui sont en infraction à un arrêté d’expulsion ou qui n’ont pas de titre de séjour (c’est alors l’article 35 bis qui s’applique), mais des étrangers qui se présentent aux frontières sans visa et qui demandent l’asile en France. Ils peuvent être retenus quatre jours en zone d’attente. Le juge judiciaire intervient pour une éventuelle prolongation de rétention de huit jours, renouvelable à nouveau pour huit jours, soit vingt jours au total. C’est dans le cadre juridique de l’article 35 quater que se pose souvent le problème des mineurs isolés, car ce texte ne distingue pas selon que l’étranger est mineur ou majeur.
Les mineurs n’ont pas de capacité juridique (article 117 du nouveau code de procédure civile). Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 août 1998 a annulé, pour ce motif, la décision de maintien en zone d’attente d’un mineur [1]. Si le mineur étranger ne satisfait pas aux conditions d’entrée en France, le ministère de l’intérieur va le maintenir en rétention administrative. Mais étant mineur, il ne peut pas exercer de recours contre la décision lui refusant l’accès au territoire français. Beaucoup de juges statuant en application de l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945 mettaient donc fin à la rétention en zone d’attente du mineur étranger isolé, en considérant, avec raison, que le mineur n’ayant pas la capacité juridique, aucune décision ne pouvait lui être opposée s’il n’avait pas de représentant légal. Ils annulaient donc très souvent les procédures de rétention des mineurs étrangers.
Saisie de cette question à propos d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui estimait qu’une jeune nigériane de seize ans, maintenue en zone d’attente, devait bénéficier d’un administrateur ad hoc, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 2 mai 2001, arrêt Irorere, que la Cour d’appel avait ajouté une condition non prévue à l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945. Il est possible que la Cour de cassation ait simplement voulu rappeler, dans cet arrêt, qu’en application de l’article 388-2 du code civil, les conditions de nomination d’un administrateur ad hoc n’étaient pas réunies lors du placement d’un mineur isolé en zone d’attente.
Un projet de loi pervers
En effet, l’article 388-2 suppose un conflit d’intérêt entre le mineur et son représentant légal. Or, par hypothèse, le mineur étranger est ici sans représentant légal, il n’y a donc aucune opposition d’intérêts. Cependant beaucoup de tribunaux ont conclu, à la suite de cette jurisprudence, que l’article 117 du nouveau code de procédure civile ne s’appliquait pas aux mineurs étrangers, et ont cessé d’annuler les procédures de rétention des mineurs en zone d’attente pour défaut de capacité juridique.
Devant l’émoi suscité par un certain nombre d’affaires en 2000 et 2001 (enfants de trois et cinq ans seuls en zone d’attente à Roissy dont la rétention a été prolongée au delà de quatre jours !) les associations de défense des droits des étrangers et les défenseurs des droits de l’homme (Gisti, Cimade, Ligue des droits de l’homme, Syndicat de la magistrature...) ont exigé l’accueil immédiat de ces enfants sur le territoire français et l’interdiction de leur placement en zone d’attente. La Défenseure des enfants et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (qui siège auprès du Premier ministre) ont notamment demandé que des dispositions sociales et éducatives particulières soient prises pour l’accueil des mineurs demandeurs d’asile non accompagnés, dès leur arrivée en France [2]. En 2000, le ministère de l’intérieur a déposé un projet de loi concernant les mineurs étrangers isolés.
Ce projet est d’une grande perversité puisque, sous couvert d’améliorer le sort de ces enfants, il organise en réalité leur expulsion. En effet, après avoir envisagé d’abaisser la capacité juridique des mineurs étrangers de dix-huit à seize ans, le ministère de l’intérieur propose de les faire assister par un « administrateur ad hoc » en zone d’attente. Cet administrateur ad hoc pourra, à la différence des associations de défense des droits des étrangers – qui le demandent pourtant depuis des années sans l’obtenir – se rendre en permanence dans les zones d’attente. Repoussée par le Sénat en mai 2001 lors de l’examen du projet de loi de modernisation sociale (avec laquelle elle n’avait aucun rapport…), cette disposition a été réintroduite dans le projet de loi sur l’autorité parentale sous forme de proposition de loi.
Il s’agit là d’un cavalier législatif, finalement adopté en deuxième lecture par le Sénat le 21 novembre 2001, puis par l’Assemblée nationale le 11 décembre 2001, permettant au procureur de la République de désigner un administrateur ad hoc au mineur en zone d’attente. Cet amendement n’a, à l’évidence, que le souci de contrecarrer la jurisprudence des juges de l’article 35 quater (cf. supra) qui annulent généralement la rétention administrative des mineurs pour défaut de capacité juridique et permettent donc leur admission sur le territoire français.
Valider le refoulement des mineurs
Pour les mineurs, le nouveau texte, désormais adopté, vise à aménager leur maintien en rétention, leur présentation devant le juge de l’article 35 quater et leur éventuel rapatriement, ouvertement envisagée, en les affublant d’un administrateur ad hoc qui ne servira qu’à valider toutes ces procédures et à leur redonner une virginité juridique. Rappelons cependant à cette occasion qu’un mineur est protégé de tout éloignement, même si la PAF, à Roissy comme à Arenc (Marseille), pratique des expulsions qui sont de véritables voies de fait. Il est étonnant qu’au nom de l’intérêt de l’enfant, un administrateur ad hoc soit nommé afin d’assister le mineur dans des procédures dont le but est notamment de le refouler dans le pays qu’il a fui. Il est tout à fait étonnant de constater que la saisine du juge des enfants et du juge des tutelles n’est pas prévue dans les missions de l’administrateur ad hoc, alors qu’elle peut seule assurer la protection juridique et matérielle d’un enfant isolé sur le territoire français.
Protéger et non criminaliser
Ainsi, selon le nouveau texte, le soin de signaler l’enfant étranger isolé au juge des enfants et au juge des tutelles est laissé à la compétence exclusive du parquet qui, le plus souvent, n’effectuera en réalité aucune requête en saisine de ces deux magistrats chargés de la protection de l’enfance.
Par exemple, à Paris, les juges des tutelles ne sont pratiquement jamais saisis dans le cas de mineurs étrangers isolés, ni par l’aide sociale à l’enfance (ASE), ni par le parquet, ni par les juges des enfants, alors que cela devrait être les voies normales d’ouverture d’une tutelle.
Ce constat est corroboré par une note de l’ASE du 7 mars 2000 sur l’accueil des mineurs étrangers isolés en 1999 : sur deux cent neuf mineurs accueillis, l’ASE reconnaît n’avoir demandé que huit tutelles ! Que sont donc devenus les deux cent un autres mineurs ? Ont-ils miraculeusement retrouvé leur famille en France ? Une consultation des vingt juges des tutelles de Paris en 2000 a confirmé cette absence de saisine : seuls trente dossiers de tutelles auraient été ouverts en 1999 pour des mineurs étrangers isolés.
Il est donc peu probable que l’administrateur ad hoc permettra aux enfants étrangers de bénéficier d’une mesure d’assistance éducative et d’une tutelle, car même s’il signale l’enfant au parquet, celui-ci risque de faire comme précédemment, c’est-à-dire rien ! La seule solution, si le législateur avait vraiment voulu apporter une réponse humaine à la situation de ces enfants, aurait donc été d’inscrire, dans les missions de l’administrateur ad hoc, la saisine directe du juge des tutelles et du juge des enfants.
Les textes actuels sur la protection de l’enfance permettaient pourtant, sans administrateur ad hoc, de privilégier l’application de ce droit commun aux enfants étrangers plutôt que l’application du droit des étrangers, par la saisine immédiate par le parquet, avisé par la PAF, du juge des enfants et du juge des tutelles, dès l’arrivée en France de l’enfant étranger isolé. Encore eut-il fallu que les parquets aient une politique de protection de l’enfance étrangère et non de criminalisation des étrangers et requièrent donc systématiquement des mesures d’assistance éducative et de tutelle lorsque la présence d’un enfant étranger seul en France leur est signalée.
L’intérêt supérieur de l’enfant commanderait que les mineurs étrangers soient considérés non pas comme des étrangers mais comme des mineurs que la France doit protéger, au même titre que les mineurs français, ce que recommande, dans son article 3, la Convention internationale des droits de l’enfant. Pour cela, les parquets des mineurs devraient requérir, lorsqu’ils sont avisés par la PAF de la présence d’un mineur en zone d’attente, l’ouverture de procédures de protection auprès des juges naturels de la protection de l’enfance que sont le juge des enfants et le juge des tutelles.
Le juge des enfants intervient en matière de protection des mineurs « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises » (article 375 du code civil). Un mineur seul et étranger arrivant sur le territoire français est à l’évidence en danger s’il n’a aucun proche pouvant l’accueillir en France.
Une décision du président du tribunal pour enfants de Bobigny du 1er septembre 2001, a ainsi confié deux enfants camerounais de deux et quatorze ans, placés en zone d’attente, à l’ASE de Seine St Denis, considérant qu’ils étaient en danger, ce qui fonde la compétence d’ordre public du juge des enfants (articles 375 et suivants du code civil) dès la zone d’attente. Cette décision visait aussi la Convention internationale des droits de l’enfant (du 26 janvier 1990) qui, dans son article 3, pose comme principe que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder la « même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit ».
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Cette convention prévoit par ailleurs, dans son article 22, une disposition particulière pour les enfants réfugiés : « Les Etats parties prennent les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié, en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits Etats sont parties ».
La Convention de Genève relative au statut des réfugiés s’applique indifféremment quel que soit l’âge, d’autant que, s’agissant d’un mineur, il peut être fondé à avoir des raisons personnelles valables de demander l’asile et a droit à un examen individuel de sa demande.
Quant au juge des tutelles, selon les articles 373 et 390 du code civil, il est lui aussi compétent dans la mesure où l’enfant étranger n’est accompagné par aucun de ses parents. Un mineur étant considéré comme incapable d’exercer ses droits, sa représentation juridique est nécessaire pour avoir un titre de circulation, bénéficier du statut de réfugié, exercer un recours contre une décision juridique ou administrative, être inscrit à l’école, demander un document d’identité, etc. Seuls ses représentants légaux peuvent exercer, à sa place, les droits de l’enfant. Mais l’ordonnance de placement provisoire du juge des enfants ne suffit pas à permettre à l’enfant d’être représenté. Il faut, en l’absence de parents, nommer un tuteur.
Tutelle d’Etat, tutelle à la personne
Le juge des tutelles est donc évidemment compétent pour ouvrir la tutelle d’un mineur dont les parents sont soit décédés, soit disparus, soit restés à des milliers de kilomètres. Le code civil ne fixe aucune condition concernant la régularité du séjour en France des mineurs concernés. S’il n’existe aucun parent proche du mineur en France, la tutelle est dite vacante et le juge des tutelles la défère au conseil général qui la confie au service de l’ASE (article 433 du code civil). Il est admis que le juge français est compétent pour statuer, en application de la Convention de La Haye, c’est-à-dire pour ouvrir une tutelle et la faire fonctionner, même si le droit personnel de l’étranger ne connaît pas l’institution du juge des tutelles.
Le juge ouvrira donc, pour l’enfant étranger isolé, une tutelle sans conseil de famille où le tuteur (l’Etat) aura les mêmes pouvoirs qu’un administrateur sous contrôle judiciaire (par exemple un parent veuf). Le directeur de l’établissement public qui accueille le mineur peut aussi être désigné tuteur à la personne (décret du 6 novembre 1974) dans le cadre d’une tutelle d’Etat, qui laissera à l’ASE le reste des attributions du tuteur. Cette modalité de la tutelle d’Etat avec tutelle à la personne est recommandée lorsque le service départemental de l’ASE ne joue pas ou joue mal son rôle de tuteur.
Il existe donc une dualité de compétence entre le juge des tutelles et le juge des enfants, qui doivent être saisis parallèlement. Ainsi, même si le juge des enfants accepte de prononcer un placement ou une mesure éducative pour un mineur étranger, il statue sur le droit d’hébergement et de garde du mineur. En quelque sorte, il assure au mineur un toit et la satisfaction de ses besoins vitaux et immédiats. En revanche, le juge des tutelles, en ouvrant la tutelle, permet au tuteur et au conseil de famille d’exercer l’ensemble des attributs de l’autorité parentale, dont la garde de l’enfant n’est qu’une partie. Le tuteur va permettre au mineur d’exercer ses droits.
Une ordonnance de placement du juge des enfants à l’ASE ou l’ouverture d’une tutelle d’Etat confiée à l’ASE ont des conséquences sur la nationalité du mineur. Selon l’article 21-12.1er alinéa du code civil, le mineur étranger peut obtenir, de ce simple fait, la nationalité française. Ce texte ne fixe aucune condition de durée du placement ou de la tutelle de l’ASE pendant la minorité de l’enfant, ni aucune autre condition administrative que les greffes des nationalités ont tendance à exiger, telle qu’un acte de naissance intégral bien évidemment impossible à obtenir pour un enfant d’un pays ravagé par la guerre (Il faut en ce cas demander au parquet un jugement déclaratif de nationalité). C’est le juge d’instance qui reste compétent pour recueillir la déclaration de nationalité du mineur et non pas le greffier en chef.
On le voit, les dispositions législatives nationales et les conventions internationales permettaient tout à fait, si elles avaient été accompagnées d’une volonté judiciaire et politique, de se passer de l’administrateur ad hoc et de protéger les mineurs étrangers.
Notes
[1] Voir dans ce numéro, l’intervention de Stéphane Julinet, L’« accueil aux frontières », p. 11.
[2] Avis du 3 juillet 1998, du 19 septembre 2000 et du 7 juin 2001.
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