Édito extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »

Édito

ÉDITO

C’est à dessein que, dans ce dossier consacré aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, nous avons accordé la priorité au sort des demandeurs d’asile. Car si ceux-ci ne sont - ou plutôt ne devraient être - que des réfugiés en puissance, en attente d’une reconnaissance officielle de leur statut, on assiste à l’heure actuelle, dans l’ensemble des pays occidentaux, à une dégradation inquiétante de leur condition, qui remet gravement en cause l’esprit de la Convention de Genève. Et les quelques informations qui filtrent, en dépit du secret qui les entoure, sur les projets actuellement en préparation au niveau de l’Europe des douze, ne peuvent qu’accroître cette inquiétude.

En France même, si l’on prend comme critère le public qui fréquente les permanences juridiques, le problème des demandeurs d’asile apparaît comme l’un des plus aigus de ceux auxquels les associations sont quotidiennement confrontées : qu’il s’agisse des difficultés d’accès au territoire français, ou du sort de ceux qui, déboutés de leur demande après plusieurs années de séjour en France, ne peuvent retourner dans leur pays sans encourir de grands risques.

Car les demandeurs d’asile sont aujourd’hui les principales victimes de la politique restrictive des gouvernements en matière d’immigration. Prenant prétexte de ce que, parmi les demandeurs d’asile, un certain nombre ne peuvent se prévaloir de la qualité de réfugiés au sens de la Convention de Genève, les gouvernements organisent un filtrage de plus en plus sévère : les refoulements aux frontières se multiplient, les critères de sélection se durcissent, tandis que l’on restreint parallèlement les droits accordés aux demandeurs d’asile. Mais la disproportion est énorme entre le nombre de ces « faux » réfugiés (dont la plupart - il est quand même bon de le rappeler - ont quitté leur pays poussés par la nécessité et non par simple convenance), qu’on a de surcroît tendance à surévaluer pour les besoins de la cause, et les mesures prises par les États occidentaux pour se protéger contre tout nouvel afflux de réfugiés.

Et l’alibi ne tient plus lorsqu’on constate que sont aujourd’hui refoulés à la frontière des personnes dont nul ne songerait à prétendre qu’elles ne sont pas de « vrais » réfugiés : témoin ce qui est arrivé à ces trois opposants roumains refoulés de France le 12 décembre dernier, par crainte, sans doute de créer un effet de contagion si on les accueillait ! France, terre d’asile... Les gouvernements eux-mêmes ne semblent pas parfaitement convaincus de la fausseté des craintes de persécution alléguées par les demandeurs, comme en témoigne leur hésitation à renvoyer chez eux les demandeurs d’asile à qui la qualité de réfugié n’a pas été reconnue (ils seraient ainsi 220 000 en Allemagne fédérale, contre seulement 126 000 réfugiés statutaires !) Si l’on ne peut que se féliciter de ce geste d’humanité, on souhaiterait qu’il aboutisse plus souvent à la régularisation des intéressés, plutôt que de les maintenir sans nécessité dans une situation d’extrême précarité.

Toutes ces pratiques restrictives, on le sait, procèdent d’une même obsession : dissuader les réfugiés, « vrais » ou « faux » en l’occurrence confondus, de demander l’asile sur le territoire. En vue de rendre le séjour le moins « attractif » possible, on restreint progressivement les droits des demandeurs d’asile, au mépris non seulement de l’esprit mais aussi de la lettre de la Convention de Genève, laquelle implique, puisque le statut est recognitif, qu’un demandeur d’asile, en attendant qu’il soit statué sur son cas, bénéficie des mêmes droits qu’un réfugié.

En dépit de ces mesures dissuasives, l’afflux se poursuit. Ne doit-on pas en déduire que l’analyse qui les sous-tend est fausse ? Et que si les demandeurs d’asile acceptent d’être parqués dans des camps, parfois pendant plusieurs années, sans avoir le droit de travailler, comme c’est aujourd’hui le cas en Allemagne, cela signifie que, dans leur grande majorité, ils ne sont pas attirés uniquement par la perspective d’une vie un peu meilleure ? Ou encore, que ceux dont on rejette la demande ne sont pas forcément de « faux » réfugiés, mais plus souvent des réfugiés qui n’ont pas réussi à faire la preuve des persécutions redoutées ? Car sur ce point aussi il faut être clair et reconnaître qu’une telle preuve est souvent impossible à apporter. Et si dans le passé tant de ressortissants des pays d’Europe de l’Est, puis plus tard d’Amérique latine ou d’Asie du sud-est, ont obtenu facilement le statut de réfugié, c’est précisément parce qu’on ne leur a pas demandé d’apporter cette preuve. A l’aune des critères que l’on applique aujourd’hui aux nouveaux réfugiés, un bon nombre d’entre eux auraient sans doute aussi été déboutés.

Au-delà du débat sur les « vrais » ou les « faux » réfugiés, l’attitude actuelle des États occidentaux reflète surtout le repli sur elles-mêmes de nations nanties, peu soucieuses, surtout en temps de crise, de partager avec d’autres leur richesse et leur prospérité relatives. Le tort - et le drame - des réfugiés d’aujourd’hui, c’est sans doute d’être originaires de pays deux fois maudits, victimes à la fois de la pauvreté et de l’oppression, car on les suspectera toujours de fuir la misère plutôt que les persécutions. On sait bien, pourtant, que le nombre des réfugiés qui viennent chercher asile dans les pays riches est dérisoire au regard du nombre total de réfugiés dans le monde.

Les démocraties, dira-t-on, n’ont pas mis non plus beaucoup d’empressement, avant et pendant la guerre, à accueillir les réfugiés d’Europe centrale, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de Juifs en danger de mort... Mais en l’occurrence cette absence de discrimination serait plutôt un motif d’inquiétude supplémentaire que de consolation.



Article extrait du n°6

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Dernier ajout : mardi 27 mai 2014, 11:13
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