Édito extrait du Plein droit n° 80, mars 2009
« Sans papiers, mais pas sans voix »

Emplois fermés : une ouverture timide

ÉDITO

LE Sénat a adopté, le 11 février 2009 une proposition de loi présentée par les membres du Parti socialiste, apparentés et rattachés, « visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travail-leurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées ». Il aura fallu du temps pour que cette première étape soit franchie « au nom de la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des travailleurs », comme le dit à juste titre l’exposé des motifs.

Il y a dix ans, le cabinet de consultants Brunhes remettait au gouvernement Jospin un rapport faisant observer que 7 millions d’emplois étaient fermés aux étrangers non communautaires, soit 30 % de l’ensemble des emplois : une cinquantaine de professions du secteur privé soumises à une condition de nationalité, une trentaine réclamant la possession d’un diplôme français, et près de 5,2 millions étant des emplois de titulaires dans les trois fonctions publiques, sans oublier les emplois proposés par les principaux organismes et entreprises publics. De cet état des lieux, on ne fit rien. Le même sort fut réservé au premier rapport [1] élaboré par le Groupe d’étude sur les discriminations mis en place par Martine Aubry, alors ministre de l’emploi, en mars 2000.

POURTANT, sous l’impulsion de la jurisprudence européenne, la plupart des emplois du secteur public vont s’ouvrir aux ressortissants communautaires. Cette évolution est parachevée par la loi du 26 juillet 2005 qui réserve aux nationaux les seuls postes impliquant l’exercice de la souveraineté ou mettant en oeuvre des prérogatives de la puissance publique (armée, police, magistrature, diplomatie et administration fiscale). Et pour les étrangers non communautaires ? Des miettes ! Seuls quelques organismes comme la Sécurité sociale et la RATP suppriment la condition de nationalité.

Le Gisti se mobilise pour cette cause en appelant les syndicats à prendre position. Il envisage de mener des procédures contentieuses mais y renonce finalement compte tenu de l’ampleur de la tâche à accomplir. Il y a tant de dispositions légales et réglementaires à abroger… Avec la création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), c’est l’occasion de débattre globalement de cette question, et non profession par profession, métier par métier. Pour autant, le collège de la Halde tarde à prendre position en faveur de l’égalité de traitement entre ressortissants communautaires et non communautaires.

SI la proposition de loi actuellement débattue au Parlement va dans le bon sens, elle est loin de mettre un terme aux discriminations légales dénoncées et d’opérer un rapprochement avec le traitement dont bénéficient les citoyens de l’Union européenne. Elle se borne à supprimer la condition de nationalité française pour l’exercice de professions réglementées (médecin, chirurgien, dentiste, sage-femme, pharmacien, vétérinaire, architecte, géomètre-expert, expertcomptable, conférencier). La profession d’avocat est retirée du projet initial au motif qu’elle est soumise « à une concurrence internationale intense [2] ». En conséquence, on est encore bien loin du compte, et notamment de la proposition défendue par les Verts en 2008 visant à permettre l’accès des ressortissants étrangers à la fonction publique.

Cette proposition minimaliste a-t-elle au moins des chances d’aboutir ? C’est sans doute la concession faite par le gouvernement avec la volonté ne pas aller plus loin. La plupart des professions visées connaissent d’ailleurs des difficultés de recrutement, en particulier celles qui relèvent du champ médical. Le secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des PME, du tourisme et des services, Henri Novelli, a fait savoir aux sénateurs que le gouvernement approuvait le projet, mais qu’à défaut d’études d’impact, « il s’en remet à la sagesse de la haute autorité ». Il inscrit cette « réformette » dans le cadre de la politique d’immigration en faisant appel aux mêmes ressorts et fantasmes que ceux habituellement utilisés dans le cadre des projets de lois réformant le Ceseda [3]. Ainsi, il évoque la nécessité de procéder à une évaluation prospective préalable des besoins afin de ne pas risquer de déclencher un appel d’air d’étrangers venant faire des études en France uniquement pour s’y installer… et de veiller aux intérêts des pays d’émigration pour ne pas s’exposer à la critique du « pillage des cerveaux ». Toujours cette immigration choisie dont on voudrait contrôler les modalités de mise en oeuvre…

OR, la question n’est pas tant d’ouvrir des professions à des personnes au titre d’une politique sélective d’immigration que de permettre à des étrangers déjà installés de pouvoir bénéficier d’un vivier d’emplois qui leur sont pour l’instant interdits. L’étape à franchir demeure celle de l’ouverture du secteur public, en permettant notamment à tous ceux et celles qui travaillent dans ce secteur en qualité de contractuels de devenir titulaires.




Notes

[1« Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux étrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques). »

[2C’est ce que dit le rapporteur de la commission des lois qui a procédé aux différentes auditions.

[3Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.


Article extrait du n°80

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Dernier ajout : jeudi 7 mai 2015, 14:29
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