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ARGUMENTAIRE

Analyse de l'arrêt du Conseil d'État n° 274664 du 18 juillet 2006
Présentation succinte

22/08/2006 — Le 18 juillet 2006, le Conseil d'État (arrêt n° 274664) a validé les textes qui ont maintenu, après l'arrêt Diop constatant le caractère discriminatoire des lois de « décristallisation », un gel partiel des pensions des anciens fonctionnaires civils et militaires ressortissants des anciennes colonies françaises. Les associations qui avaient saisi le CE - le Gisti, le CATRED et l'ATMF - contestaient le caractère discriminatoire de ces textes.

La juridiction administrative admet que le montant des pensions versées aux anciens combattants peut être diminuée en fonction du coût de la vie du pays où ils résident au moment où ils demandent la pension. Cette règle du lieu de résidence est d'autant plus discriminatoire qu'elle ne s'applique qu'aux étrangers, les Français ne voyant jamais leur pension diminuer s’ils installent leur résidence hors de France.

La discrimination perdure donc, avec l'aval du Conseil d'Etat, et ce, alors même que le Président de la République, le 14 juillet, venait juste de reconnaître que cette situation est « injuste ». Cette « marge de discrimination » que le juge reconnaît au gouvernement à l'égard des étrangers, très contestable dans son principe, est particulièrement choquante s'agissant des anciens combattants.

Le Conseil d'État ne nie pas le caractère discriminatoire du dispositif. Mais selon lui les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) ont pour objet « d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt général et, d'une part, la prohibition de toute discrimination fondée notamment sur l'origine nationale, d'autre part, les impératifs de sauvegarde du droit de propriété » : elles laissent donc au législateur national « une marge d'appréciation » et au juge national la possibilité de « juger si un tel dispositif trouve des justifications appropriées dans des considérations d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi ».

Autrement dit, le législateur disposerait d'une marge d'appréciation pour opérer des discriminations - en l'espèce, à l'encontre des étrangers ou des personnes d'origine étrangère - et le juge pour les valider. Cette interprétation, qui peut ouvrir la voie à toutes sortes de dérives, est extrêmement inquiétante, d'autant qu'elle va à l'encontre de la volonté affichée par les pouvoirs publics de lutter contre « toutes formes de discriminations », volonté qui s'est concrétisée notamment par la création de la HALDE.

Et s’agissant du fait que le critère de résidence n'est pas applicable aux ressortissants français qui résidaient à l'étranger à la date de liquidation de leur pension, il relève – dans un considérant pour le moins surprenant – que « cette différence de traitement, de portée limitée, relève de la marge d'appréciation que les stipulations de l'article 14 de la [Convention] réservent au législateur national, eu égard notamment aux inconvénients que présenterait l'ajustement à la baisse des pensions déjà liquidées de ces ressortissants français qui ont vocation à résider en France ». Tous les Français ont-ils donc vocation à demeurer ad vitam eternam en France ?

La décision est ouvertement contraire à la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme qui a constamment affirmé depuis 1996 que, s'agissant de la discrimination en raison de l'origine nationale, « seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité ».

Et ce d’autant plus que dès 1989, le Comité des droits de l’homme des nations unies a condamné la France sur le fondement de l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politiques en constatant le caractère discriminatoire des lois de cristallisation.

Le résultat c'est que la discrimination persiste. Lorsqu'un ancien combattant français reçoit une pension de 100 euros, et ce quel que soit son lieu de résidence, un Sénégalais qui réside dans son pays reçoit 40,1 euros et un Marocain 14,3 euros seulement [1].

On peut aussi regretter que, saisie du dossier par une réclamation du Gisti déposée depuis novembre 2005, la HALDE n’ait encore rien fait et ne soit pas intervenue au soutien de la cause des anciens combattants, alors même qu'elle y était expressément invitée et que depuis la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances elle peut intervenir en justice dans toutes les affaires relatives aux discriminations.

On observera enfin que le Conseil d'État n'était pas très à l'aise dans le jugement de cette affaire. En effet, il a « guidé la plume » du législateur en intervenant à tous les stades de l'élaboration des critères retenus par la loi de décristallisation partielle dans ses fonctions consultatives (rapport de la Commission Le Pors, avis sur la loi de finances, avis sur le décret de novembre 2003, etc.). A tel point que l'affaire qui avait été initialement inscrite au rôle de l'Assemblée du contentieux du 30 juin 2006 a été renvoyée à une autre formation de jugement : la Section du contentieux. Il a en effet été estimé que trop des membres de la formation contentieuse la plus importante du Conseil d'État avaient eu à connaître de ces textes à titre de conseiller du gouvernement, ce qui aurait pu l'exposer au grief de partialité.

Les associations requérantes s'efforceront de porter le dossier devant la Cour européenne des droits de l'homme car il est inacceptable qu'un État puisse se reconnaître une marge de discrimination contre les étrangers et personnes d'origine étrangère.

La décision du Conseil d’Etat a d’ailleurs été rendue sur conclusions partiellement contraires du commissaire du gouvernement Laurent Vallée. Il y soulignait qu’il était « fort improbable » que la Cour européenne des droits de l’homme absolve le dispositif de décristallisation partielle.

La seule consolation est que, dans un avis rendu le même jour, le Conseil d'État a estimé que le dispositif légal violait la CEDH en appliquant la décristallisation partielle à ceux qui avaient saisi les tribunaux avant le 5 novembre 2003. Sur le fondement de l'arrêt Diop, ils devaient obtenir une décristallisation totale de leurs pensions.

Gisti, 22 août 2006


Voir aussi


Notes

[1] Avant la réforme de 2002, ils recevaient respectivement 33,5 euros et 9,1 euros. Le décret a d’ailleurs fixé des critères encore plus défavorables que ceux résultant de la réforme législative de 2002. Si le critère de parité de pouvoir d'achat de la pension en fonction du lieu de résidence avait été réellement respecté, un Marocain devrait recevoir 38 et non 14,3 euros. Pour une démonstration et des exemples, voir le communiqué du 3 novembre 2004. Le Conseil d'Etat a également écarté cette critique, sans l'examiner sérieusement

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Dernière mise à jour : 22-08-2006 19:04.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/argumentaires/2006/enfants-en-cr/analyse.html


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