Utilisation
du référé administratif : décision Hyacinthe
Arrêt HYACINTHE
du Conseil d'État (12 janvier 2001)
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CONSEIL D'ÉTAT
statuant au contentieux
N° 229039
Mme Rose-Michèle HYACINTHE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE JUGE DES RÉFÉRÉS
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux
du Conseil d'Etat le 9 janvier 2001, présentée pour Mme
Rose-Michèle HYACYNTHE, demeurant (...) ; Mme HYACINTHE
demande au juge des référés du Conseil d'État,
sur le fondement du second alinéa de l'article L. 523-1
du code de justice administrative :
- d'annuler une ordonnance du juge des référés
du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 2 janvier
2001 rejetant sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint sous
astreinte au préfet de la Seine-Saint-Denis, d'enregistrer
sa demande d'admission au séjour et de lui délivrer
le document provisoire de séjour prévu par l'article 11
de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ;
- d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis : a) de
fournir à la requérante les documents nécessaires
à l'établissement de sa demande d'admission au séjour
en tant que réfugiée ; b) d'examiner cette
demande ; c) de lui délivrer une autorisation provisoire
de séjour, et ce, sous astreinte de 800 F par jour ;
- de condamner l'État à verser à la requérante
une somme de 10 000 F au titre de l'article L. 76 1-1
du code de justice administrative ;
Elle soutient qu'étant de nationalité haïtienne,
elle est arrivée à l'aéroport d'Orly le 30 novembre
2000 afin de rejoindre son compagnon, M. Maignan, de même
nationalité et demandeur d'asile, qui séjourne en France
depuis le mois de mai 2000 et dont elle attendait un enfant ; que
ce dernier est né à la prison de Fresnes le 3 décembre
2000 où elle avait été placée en détention
provisoire ; qu'elle a été condamnée à
un mois de prison avec sursis et à deux ans d'interdiction du
territoire français ; que les services de la préfecture
de la Seine-Saint-Denis lui ont refusé, à deux reprises,
les 26 et 29 décembre 2000, de lui remettre le formulaire
nécessaire à la présentation de la demande de reconnaissance
de la qualité de réfugié ; que le comportement
de l'autorité préfectorale est manifestement illégal
car il contrevient aux dispositions des articles 10 et 11
de la loi du 25 juillet 1952 modifiée ; que ce comportement
porte une atteinte grave tant au droit constitutionnel d'asile qu'au
droit à la vie familiale garanti notamment par l'article 8
de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ; que c'est à tort
que le premier juge a dénié l'existence d'une urgence
justifiant que soient prononcées les mesures sollicitées
dès lors que la requérante peut à tout moment être
reconduite immédiatement à la frontière sur le
fondement de l'article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945,
qu'elle encourt les peines prévues par l'article 27 de la
même ordonnance, qu'elle s'expose à des mesures de représailles
en cas de retour dans son pays d'origine en violation de l'article 3
de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales et qu'enfin l'admission provisoire
au séjour l'a rendra ainsi que son jeune enfant éligible
à la couverture maladie universelle ;
Vu, enregistrée comme ci-dessus le 10 janvier 2001, l'intervention
présentée en faveur de la requête, par le Groupe
d'information et de soutien des immigrés (GISTI) ; le GISTI
reprend les mêmes moyens que la requête et invoque en outre
une violation de la convention de Genève sur les réfugiés ;
Vu, enregistré comme ci-dessus le 11 janvier 2001, le
mémoire en défense, présenté par le ministre
de l'intérieur, en réponse à la communication qui
lui a été donnée du pourvoi ; le ministre
conclut au rejet de la requête en soutenant que la condition d'urgence
posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative
n'est pas remplie car le refus de délivrance d'un récépissé
n'entraîne pas pour l'intéressée le prononcé
d'une mesure d'éloignement concomitante ; qu'en tout état
de cause, des instructions ont été données le 9 janvier
2001 au préfet de la Seine-Saint-Denis afin qu'il fasse droit
aux prétentions de Mme HYACINTHE, en enregistrant sa demande
d'asile ; qu'en outre, eu égard à l'interdiction
judiciaire du territoire français dont elle est l'objet, l'intéressée
a été assignée à résidence dans l'attente
de la décision de l'office français de protection des
réfugiés et apatrides ;
Vu, enregistrées comme ci-dessus le 12 janvier 2001, les
observations complémentaires, présentées pour Mme
HYACINTHE, l'exposante conclut à titre principal dans le même
sens que sa requête par les mêmes moyens en faisant valoir
en outre que serait contraire à l'article 13 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales une interprétation du code de justice administrative
qui la priverait du droit de relever appel d'une ordonnance ayant rejeté
des conclusions introduites au titre de l'article L. 521-2, lorsque
le premier juge a fait application, comme en l'espèce, de l'article
L. 522-3 ; qu'à défaut, il conviendrait pour
le Conseil d'État de prendre acte de ce qu'elle entend former
un pourvoi en cassation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la constitution, notamment son Préambule et les articles 34
et 55 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole
signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée,
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers
en France, notamment ses articles 5, 19, 22, 27, 27 bis
et 28 ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée,
relative au droit d'asile, notamment ses articles 2, 10, 11 et
12 ;
Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 395
et 506 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2
(alinéa 2), L. 521-2, L. 522-3, L. 523-1 et R. 522-5
(alinéa 3) ;
Après avoir convoqué à une audience publique,
d'une part, Mme HYACINTHE, d'autre part, le ministre de l'intérieur
(direction des libertés publiques et des affaires juridiques),
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 janvier
2001 à 14 heures à laquelle ont été
entendus :
Sur l'intervention du Groupe d'information
et de soutien des immigrés :
Considérant que le Groupe d'information et de soutien des immigrés
a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur les conclusions tendant au prononcé
d'une injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code
de justice administrative: « Saisi d'une demande en ce
sens justifiée par l'urgence, le juge des référés
peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde
d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale
de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un
de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ;
que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;
Considérant que Mme HYACINTHE, ressortissante haïtienne,
est arrivée à l'aéroport d'Orly le 30 novembre
2000 afin de rejoindre son compagnon, M. Maignan, de même
nationalité, demandeur du statut de réfugié politique,
qui séjourne depuis plusieurs mois en France et dont elle attendait
un enfant ; que ce dernier est né le 3 décembre
2000 lors du placement en détention provisoire dont sa mère
avait fait l'objet ; qu'un jugement du tribunal de grande instance
de Créteil, statuant en matière correctionnelle, du 19 décembre
2000, dont elle a relevé appel, l'a condamnée à
une peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis et à deux ans
d'interdiction du territoire français pour entrée et séjour
irréguliers en France et usage de faux documents ; que cependant,
l'intéressée qui entendait revendiquer, tout comme son
compagnon l'avait fait précédemment, le bénéfice
du statut de réfugié, a été mise dans l'impossibilité
par les services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis de
présenter une demande d'admission au titre de l'asile régie
par les dispositions de l'article 10 de la loi du 25 juillet
1952 modifiée ;
Considérant, d'une part, que la notion de « liberté
fondamentale » au sens où l'a entendue le législateur
lors de l'adoption de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000
relative au référé devant les juridictions administratives,
englobe, s'agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis
à des mesures spécifiques réglementant leur entrée
et leur séjour en France, et qui ne bénéficient
donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté
d'entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d'asile
qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié,
dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes
concernées des libertés reconnues de façon générale
aux ressortissants étrangers ;
Considérant, d'autre part, que selon le deuxième alinéa
de l'article 10 de la loi n° 52-893 du 25 juillet
1952, l'admission au titre de l'asile ne peut être refusée
au seul motif que l'étranger est démuni des documents
et des visas mentionnés à l'article 5 de l'ordonnance
n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ; que si le septième
alinéa (4°) de l'article 10 de la loi n° 52-893,
énonce que l'admission en France d'un demandeur d'asile peut
être refusée si la demande « n'est présentée
qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement »
de telles dispositions ne pouvaient justifier légalement les
refus opposés à Mme HYACINTHE les 26 et 29 décembre
2000 en raison notamment de l'antériorité de la présentation
de la demande de statut de réfugié du compagnon de l'intéressée
et du principe d'unité de la famille applicable en la matière ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède
que, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, l'autorité administrative
a porté une atteinte grave et manifestement illégale à
une liberté fondamentale ;
Considérant, toutefois, que le ministre de l'intérieur
a enjoint le jour même de l'introduction de la présente
requête, au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer
la demande d'asile présentée par Mme HYACINTHE, ce
qui implique son admission provisoire au séjour ; qu'en
outre, eu égard à l'interdiction judiciaire du territoire
français prononcée par le jugement du tribunal correctionnel
de Créteil frappé d'appel, Mme HYACINTHE a été
assignée à résidence dans le département
de la Seine-Saint-Denis dans l'attente de la décision de l'office
français de protection des réfugiés et apatrides ;
Considérant que les mesures ainsi prises rendent sans objet
le prononcé des injonctions sollicitées par la requérante ;
Considérant que la décision de non-lieu à statuer
qui découle de ce qui précède dispense d'apprécier
la recevabilité de la requête au regard des dispositions
combinées des articles L. 521-2 et L. 523-1 du code
de justice administrative lorsque, comme en l'espèce, le juge
des référés du tribunal administratif a rejeté
selon la procédure simplifiée définie à
l'article L. 522-3 du code, une demande dont il avait été
saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 ;
Sur les conclusions tendant à l'application
de l'article L. 761-1 du code de Justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce
de faire application des dispositions de cet article et de condamner
l'État à verser à Mme HYACYNTHE la somme de
10 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés
par elle et non compris dans les dépens ;
ORDONNE :
Article 1er : L'intervention présentée
par le Groupe d'information et de soutien des immigrés est admise.
Article 2 : Pour les motifs ci-dessus énoncés,
il n'y a pas lieu pour le juge des référés administratifs
de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées
par Mme HYACINTHE.
Article 3 : L'État versera à
Mme HYACINTHE la somme de 10 000 F au titre des frais exposés
par elle et non compris dans les dépens.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée
à Mme Rose-Michèle HYACINTHE, au ministre de l'intérieur
et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Fait à Paris, le 12 janvier 2001
Signé : M. Genevois
Dernière mise à jour :
29-01-2001 19:14.
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