Utilisation
du référé administratif : décision Hyacinthe
Intervention volontaire du Gisti
au Conseil d'Etat
Le 10 janvier 2001.
Monsieur le Président
de la Section du contentieux
Conseil d'Etat
Place du Palais Royal
75001 Paris
Fax : 01 40 20 80 08
A Monsieur le Président de la Section du contentieux
du Conseil d'Etat statuant en référé par application
du § 2
de l'article L-523-1 du Code de justice administrative
Intervention volontaire du Gisti à l'appui
de la requête de Mme Rose-Michèle Hyacinthe enregistrée
sous le n° 229 039
A. Exposé des faits
Conformément à la réglementation en
vigueur, Rose-Michèle HYACINTHE, haïtienne née le
1er mai 1972 à Aquin (Haïti), a tenté par deux
fois de se présenter au service des étrangers de la préfecture
de Bobigny en vue d'y formuler une demande d'admission au séjour
dans la perspective de requérir le statut de réfugiée
auprès de l'OFPRA. Dans ces deux occasions, elle était
accompagnée, outre de son bébé et de Dillon MAIGNAN,
père de la fillette, lui-même demandeur d'asile en cours
de procédure, d'un membre du Gisti, Jean-Pierre Alaux, qui produit
un témoignage sur l'honneur de ce qu'il a constaté.
Le Gisti avait, dès le premier refus opposé à
Rose-Michèle Hyacinthe par la préfecture de Seine-Saint-Denis,
alerté, le 26 décembre 2000, le préfet du
département par un fax sur l'illégalité et l'inhumanité
engendrées par l'« organisation » de ses
services.
Les étrangers sont, en effet, plusieurs dizaines chaque jour
et surtout chaque nuit à faire la queue en pure perte pour la
plupart. L'illégalité et toutes ses conséquences
qui frappent Rose-Michèle Hyacinthe frappent donc également
et quotidiennement des dizaines d'étrangers. D'où l'intérêt
du Gisti, association loi 1901 spécialisée dans la
défense des étrangers sous l'angle du droit, dans cette
affaire.
Rose-Michèle Hyacinthe a donc fait une première fois
la queue, à partir de 4 heures du matin, dans la nuit du
25 au 26 décembre 2000, devant la préfecture
de Bobigny (Seine-Saint-Denis). A l'ouverture des services (à
9h06 au lieu de 8h30 comme indiqué par plusieurs panneaux), les
fonctionnaires n'ont admis que 14 personnes. Rose-Michèle
Hyacinthe était vingtième dans la file. On lui a interdit
d'entrer. On ne lui a donné aucune convocation. Elle n'a donc
pas pu engager la procédure pour laquelle elle était venue.
Elle est revenue à 2 heures du matin dans la nuit du 29 décembre
2000, toujours avec sa petite fille et le père de celle-ci, ainsi
que Jean-Pierre Alaux, membre du Gisti, qui les a rejoints vers 7 heures,
et M. Olivier Tallès. Cette fois, elle était la première
de la file d'attente.
Les policiers et quelques fonctionnaires en civil ont alors décidé
de ne recevoir que 8 personnes sur la quarantaine présentes.
Ils ont procédé, à l'extérieur des locaux,
à un pré-examen des documents dont ils étaient
porteurs. Ils ont éliminé tous ceux qui ne possédaient
pas de passeport, ce qui était le cas de Rose-Michèle
Hyacinthe.
Jean-Pierre Alaux a fait remarquer au fonctionnaire qui procédait
à cette vérification que son critère violait à
la fois la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés
et la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Le fonctionnaire
lui a répliqué que, à la préfecture de Bobigny,
« la Convention de Genève, c'est pas comme au Gisti ».
Y aurait-il donc, comme il le semble fortement, une doctrine particulière
à la préfecture de la Seine-Saint-Denis sur l'application
de la Convention de Genève ? Si ce n'est pas une doctrine,
c'est manifestement une pratique aussi habituelle que générale.
Dans ces conditions, Rose-Michèle Hyacinthe a quitté,
une deuxième fois, la préfecture de Bobigny sans avoir
pu déposer sa demande d'admission au séjour et sans obtenir
de convocation pour un examen ultérieur de cette demande.
Elle a donc essuyé deux refus d'autorisation provisoire de
séjour sans examen de sa demande et en violation de la réglementation
en vigueur. Cette illégalité manifeste a des conséquences
graves et immédiates pour elle : elle l'expose en permanence
à une mesure d'éloignement et donc à un retour
forcé en Haïti, pays qu'elle a fui parce qu'elle y risquait
sa vie.
Dans ces conditions, Mme Hyacinthe a saisi le juge des référés
du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin qu'il enjoigne au préfet
de lui fournir les éléments nécessaires à
l'examen de sa demande d'admission au séjour en tant que postulante
au statut de réfugiée, et la délivrance d'une autorisation
provisoire de séjour, le tout sous astreinte de 800 F par
jour de retard.
Le Gisti est intervenu volontairement au côté de Mme Hyacinthe.
Par ordonnance du 2 janvier 2001, le juge des référés
a rejeté sa demande par ces motifs : « Que
la circonstance que Madame Rose-Michèle Hyacinthe n'ait pu à
deux reprises, les 26 et 29 décembre 2000, accéder
aux guichets de la préfecture de Seine-Saint-Denis en vue d'y
obtenir une autorisation provisoire de séjour délivrée
dans le cas des demandeurs d'asile en attente d'une décision
de l'OFPRA, n'est pas à elle-seule de nature à établir
l'existence d'une urgence justifiant que soit prononcée la mesure
sollicitée et la délivrance d'une aurorisation provisoire
de séjour ».
C'est l'ordonnance aujourd'hui attaquée par Mme Rose-Michèle
Hyacinthe.
B. Discussion
Le nouvel article L 521-2 du Code de justice
administrative prévoit que le juge des référés
« saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence,
[peut] ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde
d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale
de droit public [...] aurait porté, dans l'exercice d'un
de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».
Les faits ci-dessus rappelés correspondent à cette hypothèse :
Le respect de l'article 31 de la Convention de Genève
sur les réfugiés de 1951 convention dont
les principes ont valeur constitutionnelle (CC 9 janvier 1980
DS 1980 J. 249 note Auby, ainsi que la décision CC
du 13 août 1993) implique que l'administration
du pays accueillant « n'applique pas de sanctions [...],
du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers,
aux réfugiés qui [...] entrent ou se trouvent sur
leur territoire sans autorisation [...]. Les Etats contractants
n'appliqueront aux déplacements de ces réfugiés
d'autres restrictions que celles qui sont nécessaires... ».
Tirant les conséquences de ce principe, l'article 10 de
la loi modifiée du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile
explique que « l'admission [au séjour] ne
peut être refusée au seul motif que l'étranger est
démuni des documents et des visas mentionnés à
l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ».
L'article 2 de la loi modifiée du 25 juillet 1952
dispose d'ailleurs que (al. 5) « l'Office ne peut
être saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité
de réfugié qu'après que le représentant
de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet
de police, a enregistré la demande d'admission au séjour
du demandeur d'asile ».
Il est intéressant de noter que ce texte précise que
les préfets doivent « enregistrer »
rien de plus les demandes d'autorisation provisoire
des futurs demandeurs d'asile. Le choix de ce verbe insiste sur l'absence
de toutes conditions et sur le fait que l'administration doit se contenter
de prendre note des déclarations des intéressés,
s'ils sont démunis de documents d'identité ou de titres
de voyage.
Le préfet de Bobigny a donc commis une illégalité
manifeste.
En ne lui délivrant ni récépissé de sa
demande ni convocation à un rendez-vous lui permettant d'examiner
ultérieurement la demande de Rose-Michèle Hyacinthe, il
a également ignoré l'article 19 de la loi du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations. Il affirme que « toute demande adressée
à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé
de réception ». Un tel commandement implique nécessairement
que l'administration s'organise pour que tout usager soit à même
de formuler sa demande ou, à tout le moins, de recevoir une preuve
qu'il a tenté de procéder à cette demande.
1. Urgence et gravité des conséquences
des illégalités
Les illégalités manifestes de la préfecture
de Seine-Saint-Denis ont des conséquences graves et immédiates
pour la sécurité de Rose-Michèle Hyacinthe.
Elle a fui Haïti parce qu'elle y a été menacée
en raison du fait qu'elle vivait là-bas en concubinage avec le
père de sa petite fille. Son concubin, Dillon Maignan, était,
en effet, conseiller municipal dans la commune d'Aquin. Avec une grande
partie de la formation politique qui soutenait initialement le président
de la République élu, il s'est désolidarisé
de cette majorité. A partir de ce désaccord politique,
les menaces se sont multipliées jusqu'à ce qu'elles lui
imposent, à lui et à Rose-Michèle Hyacinthe qui
vivait avec lui, l'exil pour sauver leurs vies. L'un et l'autre rapportent
des faits précis sur ces menaces qu'il revient à l'OFPRA
d'examiner sur le fond.
Le comportement de la préfecture de Seine-Saint-Denis maintient
Rose-Michèle Hyacinthe dans une situation d'irrégularité
qui l'expose à des conséquences dramatiques en cas de
contrôle d'identité. Il est clair que, dans cette hypothèse,
on va considérer qu'elle est « clandestine »
et donc en infraction au regard de la réglementation sur l'entrée
et le séjour en France. Elle ne peut, à cause de l'attitude
de la préfecture de Bobigny, produire aucune pièce établissant
qu'elle a tenté de se conformer à la réglementation.
L'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose,
en effet, que les préfets peuvent décider qu'un étranger
sera reconduit à la frontière :
Par ailleurs, Rose-Michèle Hyacinthe, qui a été
condamnée, le 19 décembre 2000 par le tribunal correctionnel
de Créteil, à une interdiction du territoire français
de 2 ans, peut, de ce fait, être immédiatement reconduite
à la frontière sans qu'il soit nécessaire pour
l'administration de prendre une nouvelle mesure. L'art. 19 de l'ordonnance
du 2 novembre 1945 prévoit qu'« une interdiction
du territoire français emporte de plein droit reconduite à
la frontière ».
Un contrôle d'identité, qui peut intervenir à
tout moment, aura nécessairement des conséquences lourdes
pour Rose-Michèle Hyacinthe. Dans l'hypothèse où
la préfecture de Seine-Saint-Denis serait alors interrogée
par la police pour savoir quelle est sa situation administrative et
s'il est vrai qu'elle a effectué une démarche auprès
d'elle pour se régulariser, cette préfecture répondra
nécessairement par la négative, puisque nul n'a jamais
rien enregistré de ses deux tentatives d'accès à
ses guichets.
Rose-Michèle Hyacinthe est ainsi manifestement exposée
soit à l'exécution immédiate de l'ITF prononcée
à son encontre le 19 décembre 2000, soit à
la prise à son encontre, par le préfet de Seine-Saint-Denis,
d'un arrêté préfectoral de reconduite à la
frontière (APRF), qui aura de très graves conséquences
pour elle.
Dans la deuxième hypothèse et si elle dispose de l'information
nécessaire pour le faire, Rose-Michèle Hyacinthe pourra
alors demander au juge du tribunal administratif de déclarer
cet APRF illégal (art. 22 bis de l'ordonnance
de 2 novembre 1945). Par quoi ce juge pourra-t-il être convaincu
de sa sincérité et des risques qu'elle encourt en Haïti ?
Ce sera en toute bonne foi que le représentant de la préfecture
de Seine-Saint-Denis soutiendra immanquablement que tout ce que Rose-Michèle
Hyacinthe affirme devant le tribunal est faux. Il affirmera avec certitude
qu'elle n'est jamais venue à la préfecture de Bobigny,
puisqu'il n'existe aucune trace de ses démarches ; que l'invocation
par elle de risques en Haïti est dilatoire, simplement destinée
à s'opposer à la mesure d'éloignement qui la frappe.
Enfin, Rose-Michèle Hyacinthe, qui se maintient sur le
territoire dans le but de déposer sa demande du statut de réfugiée, mais
qui est placée dans l'impossibilité de pouvoir faire cette
démarche et de justifier qu'elle a tenté de la faire,
commet le délit réprimé par l'article 27 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945. En vertu de ce texte, l'étranger
qui se soustrait ou a tenté de se soustraire à une mesure
d'éloignement, quelle qu'elle soit, encourt une peine d'emprisonnement
de 3 ans.
Voilà, entre autres raisons, pourquoi le comportement pour
le moins cavalier et évidemment illégal de la préfecture
de la Seine-Saint-Denis à l'égard de dizaines d'étrangers
chaque jour doit être annulé. Car il est à l'origine
d'une insécurité administrative que cette préfecture
aggrave ensuite en s'appuyant sur sa propre incurie pour faire exécuter
des mesures d'éloignement extrêmement dangereuses.
A cela, il faut ajouter que si, ayant échappé à
l'interpellation et à la reconduite à la frontière,
Rose-Michèle Hyacinthe parvient un jour à accéder
aux guichets de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, on risque
de lui appliquer la « procédure prioritaire »
d'examen de sa demande du statut de réfugiée (sans délivrance
d'autorisation provisoire de séjour, sans entretien à
l'OFPRA, en quelques jours) parce qu'elle sera jugée « tardive »
par la préfecture elle-même qui crée cette tardiveté.
Toutes ces hypothèses appartiennent au domaine du réel.
Ce ne sont pas des hypothèses d'école. Elles affectent
chaque jour des dizaines d'étrangers à la préfecture
de Bobigny et dans d'autres préfectures. C'est pourquoi il est
urgent et important de les sanctionner à l'occasion de la requête
de Rose-Michèle Hyacinthe.
2. Violation de libertés
fondamentales
Article 3 de la Convention européenne des droits
de l'homme
Le cas de Rose-Michèle Hyacinthe montre que le préfet
de Seine-Saint-Denis viole des dizaines de fois par jour l'art. 3
de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit
aux Etats signataires d'exposer quiconque à des « traitements
inhumains et dégradants », puisque Rose-Michèle
Hyacinthe a tenté par deux fois et en compagnie de dizaines autres
étrangers dans sa situation, de postuler au statut de réfugiée.
La violation de l'article 3 de la CEDH est double :
-
elle tient, d'une part, aux conditions d'« accueil »
des étrangers dans les locaux de la préfecture de
la Seine-Saint-Denis. Est-il, en effet, humain de créer des
conditions telles que celles vécues par Rose-Michèle
Hyacinthe dans les nuits du 25 au 26 décembre 2000 et
du 29 au 30 décembre 2000 ? Elle sont manifestement
« inhumaines et dégradantes »
au sens de l'article 3 de la CEDH ;
-
elle tient encore au risque majeur d'éloignement, lequel
conduira Rose-Michèle Hyacinthe à être de nouveau
exposée aux menaces et aux risques peut-être vitaux
auxquels elle s'efforce d'échapper en fuyant Haïti.
Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés
La violation est à ce point caractérisée par
les points évoqués ci-dessus qu'il est inutile d'en refaire
la démonstration.
Telles sont les raisons qui entraînent le Gisti à
agir volontairement à l'appui de la requête n° 229 039
de Rose-Michèle Hyacinthe et à vous demander d'annuler
le refus de facto de délivrance d'autorisation provisoire
de séjour pris par le préfet de Seine-Saint Denis à
son encontre, d'enjoindre enfin au préfet de la Seine-Saint-Denis
de délivrer l'autorisation dont il empêche la demande.
Nathalie Ferré,
présidente.
Pièces jointes :
-
Production 1 : Statuts du Gisti.
-
Production 2 : Copie de la lettre AR de Rose-Michèle
Hyacinthe et du Gisti au préfet de Seine-Saint-Denis en date
du 30 décembre 2000. Cette lettre lui a également
été faxée au numéro de son cabinet le
samedi 30 décembre 2000 vers 13h30.
-
Production 3 :Copie du fax que le Gisti a adressé
au préfet de Seine-Saint-Denis le 26 décembre
2000, immédiatement après la première vaine
venue de Rose-Michèle Hyacinthe à la préfecture.
-
Production 4 : Copie du témoignage d'Olivier
Tallès sur la deuxième vaine venue de Rose-Michèle
Hyacinthe le 29 décembre 2000 (avec copie de sa
carte d'identité).
-
Production 5 : Copie du témoignage de Jean-Pierre
Alaux, du Gisti, sur cette même tentative du 29 décembre
(avec copie de la page d'identité de son passeport).
-
Production 6 : Copie du carnet de santé de la
fille de Rose-Michèle Hyacinthe, née le 3 décembre
2000.
-
Production 7 : Copie de la convocation du concubin de
Rose-Michèle Hyacinthe, père de sa fille, Dillon MAIGNAN,
devant la Commission de recours des réfugiés le 18 janvier
2001.
-
Production 8 : Copie de la reconnaissance de paternité
par Dillon Maignan, le concubin de Rose-Michèle Hyacinthe.
-
Production 9 : Note d'Amnesty International France du
19 décembre 2000 sur l'accès aux procédures
d'asile à la préfecture de Bobigny.
- Production 10 : délibération du bureau
du Gisti.
Dernière mise à jour :
17-01-2001 15:07.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/actions/2001/hyacinthe/intervention-ce.html
|