Circulaire
du 25 juin 1998 sur l'asile territorial
Arrêt du Conseil d'État
du 26 janvier 2000
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CONSEIL D'ÉTAT statuant au contentieux
N° 201020, 202537
FRANCE TERRE D'ASILE et
AMNESTY INTERNATIONAL
GROUPE D'INFORMATION
ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS
M. Errera
Rapporteur
M. Honorat
Commissaire du Gouvernement
Séance du 5 janvier 2000
Lecture du 26 janvier 2000
Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil
LEBON
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'État statuant au contentieux
(Section du contentieux,
2ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section
de la Section du contentieux
Vu 1°, sous le n° 201020, la requête enregistrée
au secrétariat du contentieux du Conseil d'État le 29 octobre
1998, présentée pour l'ASSOCIATION FRANCE TERRE D'ASILE,
dont le siège est 25, rue Ganneron à Paris (75018), représentée
par sa présidente en exercice, à ce dûment autorisée
par délibération de son conseil d'administration en date
du 12 décembre 1998, et pour AMNESTY INTERNATIONAL, dont
le siège est 4, rue de la Pierre Levée à Paris
(75011), représenté par son président en exercice,
à ce dûment autorisé par une délibération
de son bureau exécutif en date du 9 septembre 1998 ;
l'ASSOCIATION FRANCE TERRE D'ASILE et AMNESTY INTERNATIONAL demandent
au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire
du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères
en date du 25 juin 1998 relative à l'asile territorial ;
Vu 2°, sous le n° 202537, la requête enregistrée
au secrétariat du contentieux du Conseil d'État le 10 décembre
1998, présentée pour le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN
DES IMMIGRÉS (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès
à Paris (75011), représenté par sa présidente,
à ce dûment autorisée par une délibération
de son bureau en date du 26 novembre 1998 ; le GROUPE D'INFORMATION
ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS demande au Conseil d'État d'annuler
pour excès de pouvoir la même circulaire ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative
au statut des réfugiés ;
Vu la convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la
détermination de l'État responsable d'une demande d'asile
présentée auprès d'un État membre des communautés
européennes ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers
en France ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit
d'asile, modifiée par la loi n° 98-349 du 11 mai
1998 ;
Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret
n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127
du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Errera, Conseiller d'État,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'association
FRANCE TERRE D'ASILE, d'AMNESTY INTERNATIONAL-section française,
et du GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS,
- les conclusions de M. Honorat, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées
contre la même circulaire ; qu'il y a lieu de les joindre
pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 ajouté
à la loi du 25 juillet 1952 par la loi du 11 mai 1998 :
« Dans les conditions compatibles avec les intérêts
du pays, l'asile territorial peut être accordé par le ministre
de l'intérieur après consultation du ministre des affaires
étrangères à un étranger si celui-ci établit
que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou
qu'il y est exposé à des traitements contraires à
l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales. / Les décisions
du ministre n'ont pas à être motivées. / Un décret
en Conseil d'État précisera les conditions d'application
du présent article » ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de la circulaire
attaquée du ministre de l'intérieur et du ministre des
affaires étrangères en date du 25 juin 1998, relative
à l'application de la loi du 11 mai 1998 et du décret
du 23 juin 1998, l'asile territorial peut être accordé
aux étrangers mentionnés à l'article 13 de
la loi du 13 juillet 1952 lorsque les menaces dont ils font l'objet
ou les risques qu'ils encourent dans leur pays « émanent
de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques
de ce pays » ; qu'aucune disposition de la loi du
25 juillet 1952 modifiée ne réserve l'octroi par
le ministre de l'intérieur de l'asile territorial aux seuls étrangers
faisant état de menaces ou de risques émanant de personnes
ou de groupes distincts des autorités publiques de leur pays ;
que, dans ces conditions, les dispositions précitées de
la circulaire attaquée restreignent le champ d'application de
l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952 ; que les associations
requérantes sont, dès lors, recevables et fondées
à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2
du décret du 23 juin 1998 relatif à l'asile territorial :
« L'étranger est entendu en préfecture au
jour que lui a fixé la convocation. Il peut demander au préalable
l'assistance d'un interprète et peut être accompagné
d'une personne de son choix » ; qu'il résulte
de ces dispositions que l'étranger dont la demande tendant à
être assisté d'un interprète est justifiée
et à qui cet interprète est fourni par l'administration
n'a pas à supporter les frais de cette assistance ; que,
dès lors, en prévoyant que l'étranger qui demande
l'asile territorial « peut, s'il l'estime utile, demander
à être assisté d'un interprète à ses
frais », la circulaire attaquée méconnaît
les dispositions précitées de l'article 2 du décret
du 23 juin 1998 relatives à l'assistance d'un interprète ;
que les associations requérantes sont, dès lors, recevables
et fondées à en demander sur ce deuxième point
l'annulation ;
Considérant que le premier alinéa de l'article 1er
du décret du 23 juin 1998 dispose que : « L'étranger
qui demande l'asile territorial est tenu de se présenter à
la préfecture de sa résidence et, à Paris, à
la préfecture de police. Il y dépose son dossier, qui
est enregistré. Une convocation lui est remise, afin qu'il soit
procédé à son audition » ; que,
selon le premier alinéa déjà cité de l'article 2
du même décret : « L'étranger
est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation.
Il peut demander au préalable l'assistance d'un interprète
et peut être accompagné d'une personne de son choix » ;
que l'ensemble de ces dispositions ont pour but de permettre à
l'intéressé de disposer d'un délai suffisant pour
préparer utilement son audition et user des droits qu'elles lui
confèrent ;
Considérant que la circulaire attaquée autorise les agents
des préfectures, « lorsqu'ils en ont la possibilité
et que l'intéressé n'a pas auparavant déposé
une demande de statut de réfugié en cours d'instruction,
de l'auditionner immédiatement » après le
dépôt de sa demande ; que la faculté ainsi
donnée à l'administration de procéder sur le champ
à l'audition de l'intéressé au moment où
il dépose sa demande, en dehors des cas d'urgence mentionnés
à l'article 9 du décret du 23 juin 1998, méconnaît
les prescriptions susrappelées des articles 1er et 2 de ce décret ;
que les associations requérantes sont, en conséquence,
recevables et fondées à demander l'annulation de la circulaire
attaquée sur ce troisième point ;
Considérant qu'aux termes de l'article 9 du décret
du 23 juin 1998 : « Le ministre de l'intérieur
statue en urgence : lorsque l'étranger qui demande
l'asile territorial se trouve en rétention administrative, en
application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre
1945 précitée ; / lorsque la présence
de l'intéressé sur le territoire français constitue
une menace pour l'ordre public ; / lorsque la demande
d'asile territorial est de nature abusive, frauduleuse ou dilatoire » ;
Considérant qu'aux termes du a) du paragraphe 2 du I
de la circulaire attaquée, il y a lieu d'utiliser la procédure
d'urgence chaque fois qu'un demandeur d'asile territorial « a
sollicité l'asile territorial et le statut de réfugié
et, dans le cadre de cette seconde demande, a fait l'objet d'un refus
de séjour dans les conditions prévues par l'article 10
de la loi du 25 juillet 1952, alinéa 2, 3 et 4 » ;
que, par ces dispositions, les auteurs de la circulaire ont entendu
se référer aux 2°, 3° et 4° du troisième
alinéa de cet article ; que les paragraphes 3°
et 4° de cet alinéa se rapportent respectivement aux cas
où la présence de l'étranger en France constitue
une menace grave pour l'ordre public et où la demande d'asile
présente un caractère frauduleux ou abusif, lesquels sont
expressément prévus par l'article 9 précité
du décret du 23 juin 1998 ; que le 2° du même
alinéa concerne le cas où « le demandeur
d'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été
mises en uvre les dispositions de l'article 1er C5 de
la convention de Genève du 18 juillet 1951 »,
c'est-à-dire le cas où « les circonstances
à la suite desquelles (il) a été reconnu comme
réfugié ayant cessé d'exister, (il) ne peut plus
continuer à refuser de se réclamer de la protection du
pays dont (il) a la nationalité » ;
Considérant que si, en vertu du sixième alinéa
de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952, dans les cas
prévus par les dispositions précitées de l'article 10
de cette loi, l'Office français de protection des réfugiés
et apatrides « statue par priorité sur la demande
de reconnaissance de la qualité de réfugié »,
aucune disposition de l'article 9 du décret du 21 juin
1998, qui énumère limitativement les cas où le
ministre de l'intérieur statue en urgence sur la demande d'asile
territorial, n'autorisait les auteurs de la circulaire attaquée
à y ajouter les demandes présentées par les étrangers
se trouvant dans le cas prévu au 2° du troisième
alinéa de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952 ;
que les associations requérantes sont, dès lors, recevables
et fondées à en demander l'annulation sur ce quatrième
point ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 9
du décret du 23 juin 1998, le ministre de l'intérieur
statue en urgence notamment « lorsque l'étranger
qui demande l'asile territorial se trouve en rétention administrative,
en application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre
1945 » ; que le second alinéa dispose que,
dans ce cas « l'étranger est entendu sans délai » ;
qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 du même
décret : « L'étranger est entendu en
préfecture au jour que lui a fixé la convocation » ;
que ces dernières dispositions excluent que l'étranger
puisse être entendu par un fonctionnaire chargé de la surveillance
du centre de rétention ; que, dans ces conditions, les dispositions
de la circulaire attaquée, selon lesquelles l'audition de l'étranger
placé en rétention administrative peut être faite
par un fonctionnaire chargé de la surveillance du centre, méconnaissent
les dispositions précitées du décret du 23 juin
1998 ; que les associations requérantes sont recevables
et fondées à en demander l'annulation sur ce cinquième
point ;
Considérant que l'article 9 du décret du 23 juin
1998 prévoit que le ministre de l'intérieur statue en
urgence lorsque la demande d'asile territorial est de nature abusive,
frauduleuse ou dilatoire ;
Considérant que, selon la circulaire attaquée, « la
demande d'asile paraît dilatoire » si l'intéressé
« est en situation irrégulière et a déposé
sa demande d'asile territorial alors qu'il venait de se voir notifier
une invitation à quitter la France, ou un arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière. C'est
le cas en particulier si l'intéressé a été
débouté par l'office français de protection des
réfugiés et apatrides ou la commission des recours des
réfugiés postérieurement à rentrée
en vigueur de la loi du 11 mai 1998, sans que le directeur de l'office
ou le président de la commission des recours n'aient saisi le
ministre de l'intérieur au titre de l'asile territorial » ;
qu'il en est de même si l'intéressé « séjourne
irrégulièrement sur le territoire français et formule
sa demande d'asile territorial au moment où il est interpellé » ;
que la circulaire prévoit également que présente
un caractère abusif une demande d'asile territorial non assortie
d'éléments nouveaux et présentée « soit
peu de temps après un rejet précédent d'une première
demande d'asile territorial (moins de six mois), soit après deux
ou plusieurs demandes d'asile territorial rejetées » ;
que les auteurs de la circulaire attaquée se sont bornés,
dans les dispositions susmentionnées, à indiquer à
ses destinataires des exemples de cas où la demande d'asile territorial
pourrait être regardée comme de nature dilatoire ou abusive ;
que ces dispositions ne sauraient exclure, quel que soit le caractère
de la demande présentée, un examen individuel de chaque
demande ; que, par suite, elles ne font pas grief aux associations
requérantes ;
Considérant que la circulaire attaquée indique qu'au
cas où l'étranger a déposé une demande de
reconnaissance de la qualité de réfugié et une
demande d'asile territorial et où, en application de la convention
de Dublin en date du 15 juin 1990 relative à la détermination
de l'État responsable d'une demande d'asile présentée
auprès d'un État membre des Communautés européennes,
l'État compétent a donné son accord pour statuer
sur la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié,
la demande d'asile sera instruite de façon prioritaire, après
avoir été suspendue conformément aux dispositions
de l'article 7 du décret du 23 juin 1998 ; que
ces dispositions qui ne restreignent aucun des droits que les demandeurs
d'asile territorial tiennent de l'article 13 de la loi du 25 juillet
1952 et du décret du 23 juin 1998, sont dépourvues
de valeur réglementaire ; que les conclusions tendant
à leur annulation doivent, dès lors, être rejetées
comme irrecevables ;
DÉCIDE :
Article 1er : Dans la circulaire du 25 juin 1998 du
ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères,
relative à l'asile territorial, sont annulés :
- Au premier alinéa, les mots « lorsque ces menaces
émanent de personnes ou de groupes distincts des autorités
publiques de ce pays » ;
- Au dernier alinéa du I 1 A a), le membre de phrase
commençant par « cette disposition ne vous interdit
pas » et se terminant par « de l'auditionner
immédiatement » ;
- Au deuxième alinéa du 11 A b), les mots « à
ses frais » ;
- Au a) du paragraphe « définition » du
I 2, les mots « alinéa 2 » ;
- Au quatrième alinéa du paragraphe « modalités
de la procédure d'urgence » du I 2, les mots
« selon le cas (...) par un fonctionnaire chargé
de la surveillance du centre de rétention ».
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes
est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée
à l'ASSOCIATION FRANCE TERRE D'ASILE, à AMNESTY INTERNATIONAL,
au GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS, au ministre
de l'intérieur et au ministre des affaires étrangères.
Délibéré dans la séance du 5 janvier
2000 où siégeaient : Mme Aubin, Président-adjoint
de la Section du Contentieux, président ; M. Robineau,
M. Lasserre, Présidents de sous-section ; M. Errera,
Conseiller d'État-rapporteur ; M. Boucher, M. Belorgey,
M. Faure, M. Balmary, Conseillers d'État et Mlle Verot,
Auditeur.
Lu en séance publique le 26 janvier 2000.
Le Président :
Signé : Mme Aubin
Le Conseiller d'État-rapporteur :
Signé : M. Errera
Le secrétaire :
Signé : M. Conrath
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur
et au ministre des affaires étrangères, chacun en ce qui
le concerne et à tous huissiers à ce requis, en ce qui
concerne les voies de droit commun contre les parties privées
de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le secrétaire
Dernière mise à jour :
15-05-2001 23:24.
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