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ZONE D'ATTENTE
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DEUX RAPPORTS ACCABLANTS DE L'ANAFÉ
« Si le maintien en zone
d'attente n'est pas prolongé au terme du délai fixé
par la dernière décision de maintien, l'étranger
est autorisé à entrer sur le territoire français
sous le couvert d'un visa de régularisation de huit jours. »
Article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre
1945
La première difficulté pour les étrangers libérés
est de comprendre la nécessité de se rendre à l'aéroport
pour obtenir le sauf-conduit [14] ; la seconde est de s'y rendre. Rappelons que l'obtention
de ce laisser-passer peut avoir, par la suite, des conséquences
importantes sur la procédure de demande d'asile. Un sauf-conduit
étant considéré comme une entrée régulière
sur le territoire français, il donne le droit d'avoir un avocat
pris en charge par l'aide juridictionnelle lors de l'examen éventuel
du dossier par la Commission des recours des réfugiés.
Après l'audience, les étrangers libérés
attendent, dans le hall d'entrée du tribunal, les différentes
ordonnances et doivent trouver un moyen de se rendre à Roissy.
Ils ne sont bien évidemment plus à la charge de la police.
De son propre chef, la Croix Rouge a décidé de pallier
les carences de l'État et de conduire les étrangers libérés
à Roissy pour qu'ils récupèrent leur sauf conduit.
Cette assistance essentielle ne suffit malheureusement pas à
couvrir les besoins. Et en l'absence de la Croix Rouge, les personnes
se retrouvent à Bobigny, avec au mieux la carte de téléphone
donnée par l'OMI, aucun plan de la région parisienne,
et aucune idée de ce qu'ils doivent faire (audience des 15 et
27 décembre et 3 janvier).
Dans l'ensemble, ils sont très démunis et n'ont pas de
vêtements adéquats. Nombreux sont ceux qui ne portent que
des vêtements d'été. Un bénévole de
la Croix Rouge, rencontré à Roissy, souligne qu'il est
la plupart du temps impossible pour les étrangers de récupérer
leurs bagages en soute. Il semble aussi qu'il n'y ait pas systématiquement
de distribution de nourriture et de boissons chaudes pour les personnes
qui passent à l'audience à Bobigny. Le 26 janvier,
les étrangers n'avaient rien mangé depuis la veille au
soir et n'ont eu les décisions que vers 15 heures. Généralement
il semble que seuls les policiers soient nourris à midi et souvent
les audiences se poursuivent jusqu'à 16 heures.
Le parcours pour se rendre à l'aéroport pourrait se résumer
de la sorte. Du fait de l'absence de moyen financier pour ces personnes,
la seule possibilité offerte est généralement d'aller
sans ticket jusqu'à la station de RER de Roissy. On peut ensuite
imaginer, pour ceux qui comprennent l'utilité d'un tel déplacement,
l'hésitation à laquelle ils doivent faire face, à
la fin de la ligne du RER B entre Roissy I et Roissy II !
Le périple se poursuit en bus pour ceux qui regagnent l'aérogare
1, ZAPI 2 ou ZAPI 3. C'est très long et pénible
pour des gens extrêmement stressés et souvent au bord de
l'épuisement.
À Roissy, la Croix Rouge assure une permanence de 14 heures
à 20 heures du lundi au jeudi et de 16 heures à
20 heures le vendredi. Leur local à Roissy 1 est très
difficile à trouver, il faut téléphoner pour qu'un
bénévole vienne vous chercher et vous conduise dans un
dédale d'escaliers et de couloirs. Dans ce local, il n'y a ni
nourriture, ni vestiaire, ni médicaments. Les bénévoles,
eux aussi démunis et en nombre insuffisant, se démènent
pour obtenir les sauf-conduits, durant les quelques heures de permanence.
Enfin, comme cela se passe habituellement pour d'autres démarches
administratives, on constate que les rapports avec les forces de l'ordre
diffèrent selon que les étrangers sont seuls ou accompagnés
de bénévoles de la Croix Rouge ou de l'ANAFÉ.
Audience du 15 décembre : « À
l'issue de la matinée, l'interprète en anglais nous a
demandé de nous occuper de deux des personnes libérées,
la Croix-Rouge étant absente, elle ne voyait pas comment ces
deux personnes allaient pouvoir retirer leur sauf-conduit. Nous les
avons donc accompagnées à Roissy, où nous avons
obtenu leur sauf-conduit. Puis, nous avons été interpellés
par deux autres étrangers, libérés le 13 décembre.
Ceux-ci se sont vus refuser la délivrance de leur sauf-conduit
à deux reprises, parce qu'ils ne parlaient pas français !
Nous les avons alors accompagnés au terminal 2F où
ils ont obtenu ce document en l'espace de 15 minutes. »
Les étrangers patientent dans le hall d'entrée du tribunal,
en attendant l'ordonnance du juge, plusieurs observateurs ont relevé
la présence d'hommes extérieurs abordant les jeunes africaines
libérés. Une observatrice indique que, lors des
sorties des audiences du 19 janvier et 2 février 2001,
les jeunes femmes de Sierra Leone semblaient être les plus vulnérables.
« Les avocats ou autres personnes les encadraient et nous
empêchaient de leur parler : puis nous avons assisté
au départ, sous bonne escorte, de deux d'entre elles sans rien
pouvoir faire. Visiblement, elles ne connaissaient pas les hommes qui
venaient les chercher mais semblaient prévenues. Equipés
de portable, très sûrs d'eux, ils passent de nombreux appels ».
Les comportements de ces hommes, à la sortie du tribunal, semblent
bénéficier de l'appui de certains avocats, qui interviennent
lors des audiences. Le 23 décembre, deux observateurs ont
pu échanger quelques propos avec des policiers. L'un d'entre
eux dénonce alors un avocat, si connu des policiers de la PAF
qu'ils l'ont affublé d'un surnom. Il précise que c'est
un spécialiste du 35 quater dans le mauvais sens du terme.
« C'est son business. On le voit toujours ici. Il se fait
de l'argent sur la misère des gens » [15].
À plusieurs reprises, il obtient la remise en liberté
de Sierra Leonaises. Son comportement est généralement
agressif. Certains jours, il défend bien ses clientes ;
d'autres jours, il plaide de manière fantaisiste, menace de déposer
une plainte pour voie de fait ou de saisir le bâtonnier.
Audience du 14 janvier : « Le rôle de
certains avocats, non commis d'office, m'est apparu particulièrement
trouble, en cette période de grève. Certains profitent
du désarroi des étrangers pour leur faire croire qu'ils
vont être renvoyés chez eux, s'ils n'ont pas d'avocat.
Ils en profitent pour extorquer d'importantes sommes d'argent, à
des gens manifestement très démunis. J'ai d'ailleurs eu
une vive altercation avec l'un d'entre eux qui essayait de m'interdire
d'aller parler avec les étrangers ». Sur
une note, l'observatrice précise qu'elle a été
violemment prise à parti par un avocat, alors qu'elle parlait
avec une jeune sierra leonaise, en la mettant en garde contre les proxénètes.
« Il m'a insultée en m'interdisant de parler à
sa cliente (elle n'était pas sa cliente puisqu'elle venait de
comparaître sans avocat), que je n'avais rien à faire là
et qu'il entendait bien être respecté ».
De tels agissements concernent également des hommes qui n'ont
personne pour les guider lors de leur libération. L'attitude
de ces « rabatteurs » consiste à venir recruter
des gens isolés et désemparés.
Le 30 janvier, un mineur sierra leonais âgé de 16 ans,
mais déclaré majeur par l'expertise médicale, a
été pris en charge par un homme d'une trentaine d'années.
Les protestations d'une avocate qui explique alors aux étrangers
qu'ils ne doivent suivre personne mais aller à la Croix Rouge
de Roissy n'y feront rien. L'homme est parti avec six jeunes hommes.
Audience du 26 janvier : « Nous avons été
témoins de manèges suspects. Cela se passe généralement
en diverses langues africaines et concerne aussi bien les adultes que
les mineurs, les hommes que les femmes. Alors que nous étions
sept représentants d'associations, accompagnant un groupe d'une
trentaine d'hommes à la station de bus, nous avons été
suivis par deux individus se disant : « cousins ».
Comme nous avions longuement parlé avec les étrangers,
en les mettant en garde, aucun ne s'est dit : « cousins »
des deux individus. À cela s'ajoutent des « avocats »
qui proposent leurs services et qui sont visiblement furieux lorsque
les associations viennent en aide à ces étrangers. Un
greffier nous dira : « Il faut bien savoir que les avocats
sont des commerçants, ce sont des professions libérales ! ».
Notes
[14] Cf. paragraphe
g) de la première partie
[15] Le 27 décembre,
un interprète, un greffier et un policier de la PAF ont dit,
à plusieurs reprises, aux observateurs présents, de ne
pas se réjouir lorsque les étrangers sont relâchés.
Car, avaient-ils ajouté, des réseaux les attendent à
la sortie, et qu'il serait plus difficile de récupérer
les jeunes filles, sur le trottoir.
Dernière mise à jour :
2-04-2001 21:39.
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