ZONE D'ATTENTE
:
DEUX RAPPORTS ACCABLANTS DE L'ANAFÉ
Les visites effectuées en zone d'attente à l'aéroport
de Roissy Charles De Gaulle par les différentes associations
habilitées permettent de déceler les difficultés
que rencontrent les étrangers et de mieux saisir le dysfonctionnement
quasi-permanent de ce régime de privation de liberté dérogatoire
au droit commun. En outre, les observations des audiences du « 35 quater »
conduisent aussi à entrevoir, à un autre stade, la précarité
des personnes au cours de leur maintien en zone d'attente, que
ce soit au niveau des conditions matérielles ou dans le déroulement
de la procédure à l'hôtel IBIS, au Mesnil Amelot
(ZAPI 2) ou encore dans le nouveau bâtiment inauguré
en janvier : ZAPI 3. Ainsi, les plaidoiries des avocats,
les interventions des requérants, aussi brèves soient-elles,
et les différentes réponses apportées aux interrogations
de certains juges nous ont permis de noter les discordances notoires
entre les textes en vigueur et la réalité dans ces lieux
difficilement accessibles.
« [L'étranger] peut demander
l'assistance d'un interprète. » Article 35 quater
de l'ordonnance du 2 novembre 1945
« L'interprète doit nécessairement
être présent aux côtés de l'étranger
qui en sollicite l'assistance ». Arrêt
de la Cour de cassation du 7 octobre 1999.
Les problèmes d'interprétariat se retrouvent pratiquement
à tous les stades de la procédure. Parmi les personnes
qui se présentent au poste frontière de l'aéroport,
une majeure partie d'entre elles semble pouvoir se faire comprendre
auprès de l'officier de la PAF, en indiquant qu'elles viennent
demander l'asile en France, soit avec quelques mots du « pays
d'accueil » ou d'anglais, soit dans le meilleur des cas en
parlant bien l'une de ces deux langues. Généralement,
le fait que la personne se soit exprimée [11]
dans l'une de ses deux langues, avec plus ou moins de difficultés,
suffit pour estimer le degré de compréhension de la langue
suffisant pour expliquer une procédure aussi complexe que celle
du maintien en zone d'attente et de l'examen du caractère
manifestement infondé de la demande d'asile. L'officier dresse
alors le procès verbal en anglais ou en français, ce qui
évite d'avoir recours à un interprète dans une
autre langue. Ces pratiques peuvent aussi conduire à ne pas respecter
les langues parlées par les intéressés et « officialiser »
le principe que l'anglais, voire le français, étant langue
officielle du pays et reconnue par l'ONU, doit être compris par
tous. Ainsi, lors de l'audience du 24 janvier plusieurs ressortissants
de nationalité sierra leonaise sont maintenus en zone d'attente,
malgré l'incompréhension manifeste de la langue. Quelques
jours auparavant, deux Sri Lankaises refusent de signer le PV de
placement en zone d'attente car elles ne comprennent pas l'interprète
en anglais.
Malgré l'arrêt de la Cour de Cassation du 7 octobre
1999, qui impose la présence physique d'un interprète
afin que les étrangers comprennent leurs droits à travers
ces méandres procéduriers, il apparaît encore des
situations où les traductions se font par téléphone.
Ces moyens ont pu être soulevés par certains avocats ou
d'office par certains juges attentifs, conduisant généralement
à la nullité de la procédure (audience du 25 décembre).
Pour les demandeurs d'asile qui ne parlent aucune des deux langues
précitées et ne parviennent pas à se faire comprendre
auprès des autorités administratives, il arrive qu'ils
se retrouvent face au juge à Bobigny, sans que leur demande d'asile
ait été enregistrée. Une personne peut alors se
retrouver dans une situation qui pourrait s'apparenter à une
scène burlesque, si elle ne traduisait une grave dégradation
de l'accès aux droits et garanties normalement reconnu par la
loi. Ainsi le 27 janvier, en provenance d'Abidjan, un Sierra Leonais
se présente au poste frontière avec comme seul papier
une carte de la Croix Rouge internationale, sur laquelle est noté
en anglais « refugee ». Quatre jours plus tard,
l'avocat de la PAF se contente alors d'expliquer au juge que cet homme
n'a pas de papier, excepté la carte de la Croix Rouge où
est mentionnée son identité, et demande le prolongement
du maintien en zone d'attente le temps de pouvoir préparer
le rapatriement sur Abidjan. Il faudra l'attention du juge pour mettre
en relief l'absurdité du comportement de la PAF, vis à
vis de cet homme qui parle crio et souhaite manifestement demander l'asile.
Le requérant verra sa détention prolongée de huit
jours, le temps d'examiner sa demande ! La langue, au-delà
d'un instrument de communication, devient un instrument de pouvoir devant
des hommes et des femmes démunis.
« [la
décision de maintien] est portée
sans délai à la connaissance du procureur de la République »
Article 35 quater de
l'ordonnance du 2 novembre 1945.
La demande d'asile, une fois enregistrée, doit être transmise
aux ministères de l'Intérieur (DLPAJ) et des Affaires
étrangères. En outre la décision de placement en
zone d'attente doit être notifiée au Parquet. Or, plusieurs
dossiers laissent apparaître des délais importants entre
l'heure où l'avis à Parquet, obligatoire en matière
de placement en zone d'attente, est notifié, et le moment où
les étrangers sont à la disposition de la police. Ce moyen
de nullité peut être retenu par certains juges, à
partir seulement d'un « écart horaire minimum »
qui se situe autour de quatre ou cinq heures [12].
Ce constat n'est pas nouveau et avait été relevé
dans le rapport de l'Anafé du 23 mars 2000.
Les autorités sont ainsi amenées à présenter
des dossiers dont les délais tardifs avoisinent la dizaine d'heures.
Par exemple, un avis de placement en zone d'attente concernant deux
Sierra Léonaises sera notifié dix heures après
leur interpellation par la PAF ; idem pour deux Sri Lankais dont
le placement a été notifié plus de neuf heures
après leur interpellation. Ces quatre personnes seront remises
en liberté.
On notera enfin que, si l'absence de signature des officiers de la
PAF sur les procès verbaux de placement en zone d'attente est
retenue [13] comme un moyen de nullité, l'absence
de signature de la part des étrangers ne vaut pas, jusqu'à
ce jour, preuve d'incompréhension.
La suspicion fréquente vis à vis d'étrangers accusés
d'être des « faux réfugiés »,
voire des « clandestins », aboutit à interrompre
le voyage de personnes en transit à Roissy. Ainsi, de peur de
devoir réacheminer certaines personnes, on n'hésite pas
à maintenir certaines d'entre elles en zone d'attente, malgré
des papiers en règle. Par exemple, un Ivoirien, en transit à
Roissy le 14 janvier entre Douala et Zürich où il réside
avec son épouse et son enfant, est accusé d'avoir un faux
passeport. Il nie et persiste à dire qu'il a des preuves. Après
avoir subi deux tentatives d'embarquement, il est présenté
pour une prolongation du maintien. Il sera finalement remis en liberté,
en l'absence d'avocats. Son billet d'avion lui ayant été
confisqué, il demande conseil auprès des observateurs
pour rentrer en Suisse, où il doit absolument reprendre le travail.
Pour récupérer passeport et billet d'avion, il devra adresser
un courrier à la PAF. Quelle adresse ? Quelle solution ?
Ces comportements des autorités de contrôle aux frontières
semblent conduire à outrepasser le droit par des abus, que ce
soit au moment de la sortie de l'avion ou au tribunal face au juge.
Ainsi il n'est pas rare que des pièces soient manquantes ou incomplètes
(telles que la notification de maintien en zone d'attente) lors
de la présentation du dossier au juge, ce qui n'empêche
pas le représentant du ministère de l'Intérieur
de demander une prolongation, voir même une deuxième prolongation
qui, bien sûr, est exceptionnelle...
Le 9 janvier, un Congolais est libéré par la juge
qui constate qu'il n'y avait pas de notification officielle de son placement
en zone d'attente, mais seulement un rapport sans date ni heure, dont
l'indication est nécessaire pour qu'il puisse statuer. Le 28 janvier,
deux dossiers sont ainsi présentés. Les deux personnes
concernées seront relâchées. Il arrive aussi que
des notifications sans interprète et sans mention de l'heure
soient présentées au juge. Certaines conduiront vers une
ordonnance de libération, d'autres non.
Ces exemples de dossiers incomplets, pris parmi d'autres, et présentés
par la PAF au juge, laissent à penser que de telles pratiques
existent de manière assez habituelle, sans que tous les juges
soulèvent d'office ces moyens de nullité.
Le 7 janvier, les observateurs présents prennent en charge
une angolaise ne parlant pas français qui avait été
arrêtée en transit. Elle est accompagnée de quatre
enfants, bras et jambes nus, dont la fourchette d'âge semble se
situer entre 5 et 8 ans. Un avocat arrive à midi alors
qu'elle est déjà libérée. Un des interprètes
explique aux observateurs que l'avocat a été vu en zone
d'attente et a demandé 1300 $ pour la défense de
la famille. L'avocat est alors interpellé et une dispute s'en
suit. Il refuse de rendre l'argent. La famille n'a plus que 200 $
pour regagner la Hollande, son pays de destination.
Le 23 janvier, le représentant du ministère de l'Intérieur,
explique au cours d'une discussion informelle que le tarif le plus élevé
jamais pratiqué en zone d'attente s'élève à
7 000 dollars. Lorsqu'on sait que la marge de manuvre des
avocats et des juges est assez réduite dans le cadre des audiences
35 quater, on peut se demander si la liberté contractuelle
n'entraîne pas des abus de la part de certains avocats peu scrupuleux.
Certaines demandes d'asile ne sont pas enregistrées en zone
d'attente. Compte tenu des difficultés liées à
l'absence d'interprétariat et du fait que la présence
des associations pour apporter une assistance juridique reste limitée
et tributaire du ministère de l'Intérieur, il est parfois
impossible de savoir si la demande d'asile a été ou sera
enregistrée. Le 14 janvier, il a été observé
qu'aucune procédure n'avait été déclenchée
pour cinq personnes présentées à l'audience.
Pour certains requérants, la demande d'asile n'est enregistrée
qu'après la visite de l'avocat en zone d'attente. Parmi ces étrangers,
certains ont dû essuyer un refus préalable d'embarquement
(cas d'une Sri Lankaise, présentée à l'audience
du 22-12-2000).
Au bout de quatre jours de maintien en zone d'attente, la prolongation
de 8 jours est généralement très facilement
acceptée par les juges, afin qu'un fonctionnaire du MAE rencontre
le demandeur d'asile ou que la décision du ministère de
l'Intérieur soit rendue pour savoir si la demande est ou n'est
pas manifestement infondée ! Quant à la deuxième
prolongation de 8 jours, qui ne devrait être prononcée
qu'à titre exceptionnel, il n'est pas rare que le tribunal l'accorde
à la PAF au seul motif (exceptionnel bien sûr) que le MAE
n'a pas pu rencontrer la personne ou n'a pas pu donner une réponse.
Mais, là encore, l'attitude du juge varie. Ainsi le 17 janvier
un Congolais entendu par le MAE le 10 janvier n'a toujours pas
de réponse à sa demande d'asile. Le juge accordera sa
libération au « vu de la détention exceptionnelle
à laquelle il a été soumis ». Pour
d'autres cas, malgré l'absence de réponse du MAE, le maintien
en zone d'attente est accordé.
Divers compte rendus d'audiences témoignent de ces attitudes
variables :
Audience du 22 décembre : trois Sri Lankais n'ont
pas pu faire enregistrer leur demande d'asile en zone d'attente. Leur
avocate demande la condamnation de l'administration pour voie de fait.
Le juge retient la voie de fait et libère ces deux personnes.
Audiences des 25 et 27 décembre : demandes de prolongation
acceptées du fait que les requérants n'avaient pas été
entendus par le MAE.
Il est souvent difficile de savoir dans quelles conditions les étrangers
ont été « maintenus ». Dans l'ensemble,
la rapidité des audiences laisse peu de temps pour évoquer
les conditions de maintien, le juge s'attardant au mieux à comprendre
si la procédure a été régulière,
et l'étranger n'a généralement guère le
temps de dire plus que son identité et son origine... La seule
remarque soulevée au cours d'une audience a été
faite, le 9 janvier, par un Sri Lankais qui se plaignait d'avoir
été menacé d'être frappé pendant son
maintien.
Le 26 janvier, l'attention des observateurs est attirée
par le fait qu'un Soudanais est pieds nus. Libéré, il
leur explique que c'est la police qui lui a pris ses chaussures et l'a
battu. Il raconte qu'il est arrivé quatre jours plus tôt
avec 42 autres Nouba originaires du sud Soudan, où ils sont
persécutés. Et que tous demandaient l'asile. Ils ont été
divisés en plusieurs groupes : 14, dont il n'a plus aucune
nouvelles, ont été expédiés à Cotonou ;
4 autres ont été envoyés à Bamako où
ils ont demandé l'asile. Les autorités les ont refusés
et envoyés à Conakry (autre refus !). C'est alors
qu'ils sont revenus en France. À chaque embarquement, ils ont
été battus, ainsi que dans l'hôtel Ibis. Un médecin,
bénévole à la CIMADE 93, a été
appelé en fin de journée pour constater les plaies et
les contusions. Les observateurs interpellent la juge pour lui demander
si elle sait qu'ils ont été battus ou si elle a remarqué
que leurs vêtements étaient déchirés (manches
arrachées, tee-shirt en lambeaux) et que l'un d'eux était
nus pieds. Elle répond qu'elle n'a rien remarqué, en précisant
qu'ils n'avaient rien déclaré et qu'ils n'avaient qu'à
porter plainte.
Pendant un mois et demi, en plein hiver, il a été noté
à de nombreuses reprises que certaines personnes maintenues,
parmi lesquelles des enfants, étaient peu vêtues. Il semble
que l'Office des Migrations Internationales ne soit pas en mesure de
pourvoir à l'assistance humanitaire prévue par la mission
que l'État lui a confiée.
Les juges semblent eux-même oublier le rôle que doit remplir
l'OMI. Le 25 décembre, le juge interpelle les deux bénévoles
d'une association, présents à l'audience afin de prendre
le problème en charge.
Les problèmes médicaux des étrangers ne sont généralement
pas considérés comme une priorité par les juges
et encore moins par la PAF. Ainsi, face à différentes
plaintes des requérants, plusieurs observateurs ont assisté
à des attitudes passives de la part des juges. Les juges n'ont-ils
pas le pouvoir d'exiger la consultation d'un médecin ? Pour
illustrer ces quelques lignes, quatre exemples ont été
retenus :
Audience du 26 décembre : l'étranger se plaint
et demande à voir un médecin. Le juge lui répond
qu'il fallait le demander en zone d'attente.
Audience du 29 décembre : la juge fait remarquer que
d'après un examen médical, la jeune femme est enceinte
de trois mois. Elle demande alors à l'intéressée,
si elle pense que son état est compatible avec le maintien
en zone d'attente. L'intéressée répond que oui...
La prolongation est prononcée. On demande donc aux étrangers
d'établir eux-mêmes leur propre diagnostic médical.
Audience du 21 janvier : une Sri Lankaise essaye d'expliquer
qu'elle est asthmatique. En l'absence d'interprète elle n'a pu
se faire comprendre et n'a donc vu aucun médecin durant son maintien
à Roissy. Elle reparle de son asthme à l'audience, mais
le juge ne réagit pas.
Audience du 28 janvier : une femme de quarante ans, originaire
de RDC, avec un bébé d'un an, se plaint de ne pas avoir
eu d'interprète lors de la visite d'un médecin en zone
d'attente. Elle ajoute qu'elle n'a donc pas pu être soignée.
La juge lui répète qu'elle comprend. La discussion n'ira
pas plus loin. Manifestement, ça ne l'intéresse pas.
L'attitude des membres de la PAF est très variable à
l'égard des étrangers. On peut ainsi passer de l'impassibilité
ou l'indifférence, la compassion reste rare. Des attitudes sont
révélatrices :
Audience du 23 décembre : « Nous sommes
120 appelés qui logent dans des préfabriqués
au bord des pistes, dans des conditions bien moins bonnes que celles
des personnes en zone d'attente. »
« Les chambres sont faites tous les jours, mais ils salissent
tout. Parfois, il faut les forcer à nettoyer. Les femmes ne mettent
pas de serviette sur le lit, pour changer leur bébé ;
elles le font généralement par terre. Alors forcément,
tout est sale. »
« En cas d'expulsion, en général, ça
va. Mais certains ne veulent pas partir, alors il faut être un
peu dur avec eux. On est obligé... »
Notes
[11] Il faut parfois entendre
par « exprimer », le fait que la personne prononce
juste quelques mots d'anglais ou de français. Ainsi le 27 décembre
2000, les procès verbaux de tamouls présentés à
l'audience, étaient rédigés en anglais, alors qu'ils
ne parlaient pas cette langue.
[12] Le 8 janvier,
deux libérations ont été ordonnées, pour
notification tardive du placement en zone d'attente (4-5 heures après
l'interpellation) ; alors que le lendemain, pour des motifs similaires,
une femme avec son enfant, originaires de la République Démocratique
du Congo, verront leur prolongation accordée par le juge (interpellés
à 18h, leur notification de placement avait eu lieu à
23h45).
Le 17 janvier, une Sierra Leonaise interceptée par
la PAF à 11h et enregistrée à 17h30, sera maintenue
en zone d'attente malgré le délai anormalement long.
[13] Voir irrégularité
de procédure à l'audience.
Dernière mise à jour :
2-04-2001 21:38.
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