ZONE D'ATTENTE
:
DEUX RAPPORTS ACCABLANTS DE L'ANAFÉ
« [L'étranger] peut également
demander au président ou à son délégué
le concours d'un interprète ». article 35 quater
de l'ordonnance du 2 novembre 1945
« Le président nomme un interprète
si l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française,
le demande » article 6 al. 2 du décret
du 15 décembre 1992
Les difficultés linguistiques rencontrées par les étrangers
lors des audiences se retrouvent à plusieurs stades durant la
procédure au tribunal.
Tout d'abord, il y a le litige que soulèvent presque systématiquement
les avocats du ministère de l'Intérieur, lorsqu'il apparaît,
lors de l'audience, que le requérant ne parle pas la langue du
procès-verbal. Le représentant du ministère de
l'Intérieur fait alors observer que pour l'audience, les étrangers
sollicitent le bénéfice d'un interprète dans une
langue différente de celle qui apparaît avoir été
employée lors de la procédure administrative, préalable
à la comparution devant le juge délégué.
Il va parfois jusqu'à souligner que l'étranger doit comprendre
cette langue ; du fait que celle-ci est mentionnée par l'ONU,
comme étant la langue officielle du pays dont il est originaire.
Le 30 janvier, l'avocat du ministère de l'Intérieur
soutient même que tous les étrangers présents à
l'audience parlent français puisqu' « ils
ont eu des entretiens à l'aéroport et que les papiers
qui leur ont été présentés ont même
été signés ». À la sortie
du tribunal, l'observateur présent accompagne 10 étrangers
qui ont été libérés. Seuls un Sénégalais
et un Sierra Leonais parviennent à s'exprimer en français.
Le 17 janvier, on a frôlé l'absurde, quand face à
une Sierra Leonaise ne parlant pas l'anglais [4],
l'avocate du ministère de l'Intérieur indique au juge
que c'est à la requérante de prouver qu'elle ne comprend
pas l'anglais.
Certains étrangers parlent de manière imparfaite la langue,
dite officielle, de leur pays [5].
Il est évident que la communication devient alors problématique.
Certains juges décident de suspendre leur examen, le temps qu'un
interprète soit présent ; alors que d'autres se contentent
de l'interprète anglais ou poursuivent la séance en français.
Ainsi le 9 janvier, un Iranien déclare ne parler que le
persan. L'audience se déroule quand même en l'absence d'interprète.
D'autres irrégularités dans la procédure apparaissent.
À de nombreuses reprises, l'interprétariat se déroule
de manière très succincte. L'interprète traduit
uniquement la décision de maintien ou de remise en liberté,
sans apporter d'explication complémentaire (audience du 23 janvier).
Le lendemain, alors que l'interprète en crio et peul est présent
à l'audience, la traduction pour les Sierra Léonais se
fait automatiquement en anglais. Le juge souligne à plusieurs
reprises que l'anglais est la langue officielle du pays. Là encore,
l'interprète anglais intervient seulement pour traduire la décision
du juge. Seules les personnes qui font signe qu'elles ne comprennent
pas ou très peu, se voient assistées de l'interprète
en crio / peul. À aucun moment, le juge n'a demandé
à ce dernier de se présenter, lorsqu'un étranger
de nationalité sierra léonaise passait à l'audience.
Il en sera de même pour les ressortissants du Congo (RDC).
Enfin, certaines procédures se déroulent sans interprète
(audience du 30 janvier). Le 14 janvier, les étrangers
avaient eu la chance d'avoir un interprète en anglais. Un Afghan,
de langue pachtou, une jeune Sierra Leonaise qui parlait crio, un Tamoul
ainsi que les Ghanéens ont dû s'en contenter.
Enfin, les deux observations suivantes résument à elles
seules les résistances à l'encontre du droit de se faire
assister d'un interprète. Le 28 décembre, un jeune
Malien de 22 ans, après s'être présenté,
indique avec un fort accent, qu'il ne parle pas le français.
La juge explose alors de rage : « Il dit en français,
qu'il ne parle pas français. De qui se moque-t-il ? Veut-il
faire dépenser davantage d'argent à la France, pour lui
payer un interprète ? Et bien soit, allons-y ! ».
L'argent dépensé le 28 décembre est économisé
durant l'audience du 18 janvier, lorsqu'un étranger maintenu
en zone d'attente est demandé à la barre pour servir d'interprète
en lingala à un autre.
L'attitude des magistrats qui ont assuré les audiences durant
cette campagne est extrêmement variable. Certains, lorsqu'ils
statuent sur les différentes procédures, prennent le temps
nécessaire pour comprendre le cheminement des requérants
et les raisons de leur demande. D'autres, du fait de l'absence d'avocat,
semble-t-il, expédient rapidement les dossiers. Mais ce qui surprend
davantage, ce sont les attitudes de connivence entre certains juges
et les avocats du ministère de l'Intérieur.
Durant des audiences, des présidents essaieront, malgré
l'absence d'avocats, de respecter le déroulement de la procédure.
Mais il faut rappeler que l'absence de conseil est un handicap important
pour les étrangers, qui devrait conduire les juges à reconnaître
leur impossibilité de statuer, les étrangers devant être
libérés. Face à cette situation, des magistrats
s'emploient à rééquilibrer la « balance »,
recourant à différents stratagèmes, pour que l'étranger
ait l'impression d'avoir un procès équitable...
Tout d'abord, il y a ceux qui, tout en paraissant de bonne foi, font
preuve d'amateurisme. Il faut évidemment préciser que
le roulement à la présidence des audiences du 35 quater
est incessant, tandis que les représentants du ministère
de l'Intérieur, présents quotidiennement, se dotent d'une
jurisprudence à jour. Le 29 décembre, la juge interroge
longuement les personnes maintenues et semble vouloir les aider. Pourtant,
elle ira jusqu'à demander à une jeune femme enceinte si
elle pense que son état est compatible avec la zone d'attente !
Face à un jeune Kurde, la juge constate que la procédure
est nulle du fait de l'absence d'interprète... en arabe. Elle
lui demande alors s'il préfère rester en zone d'attente
ou aller dans une association. Sur les huit dossiers instruits, deux
personnes ont été libérées.
Lors de l'audience du 18 décembre le juge prononce une
seule prolongation sur 26 dossiers, en l'absence d'avocats. Elle
concerne une jeune femme sierra leonaise de 18 ans, qui parle très
peu l'anglais. En raison, semble-t-il, de la « rigidité »
de l'interprétariat, à la question du juge « Souhaitez-vous
un avocat ? », la jeune femme répond non.
Profitant de cette aubaine, le juge a immédiatement prononcé
la prolongation, en « oubliant » de procéder
à l'examen de sa situation. L'audience a duré deux minutes.
D'autres juges se montrent assez attentifs vis-à-vis des étrangers.
Ils soulèvent des problèmes de santé (audience
du 25 décembre) ou veillent au confort des personnes maintenues
lors de l'audience. Le 26 décembre, la juge demande qu'on
apporte une chaise pour que l'étranger puisse s'asseoir en attendant
que l'ordonnance soit rédigée.
Enfin, des présidents d'audience pointent les dysfonctionnements
du maintien en zone d'attente, en adoptant une attitude plutôt
ironique à l'égard de l'avocat du ministère de
l'Intérieur (audiences 15 décembre et du 17 janvier).
Si de tels petits gestes ou conduites, qui pourraient paraître
anodins, sont mentionnés, c'est pour mieux souligner leur caractère
exceptionnel par rapport à des audiences qui sont le plus souvent
totalement extravagantes.
À plusieurs audiences, il a été noté que
les échanges entre certains juges et le représentant du
ministère de l'Intérieur ressemblent fort à de
la connivence. Certains juges vont jusqu'à omettre d'interroger
les étrangers (audience du 27 décembre). Ainsi, il
peut en découler un traitement rapide des situations. On en oublie
la gravité des dossiers ; le passage au tribunal n'est ni
plus ni moins qu'une formalité du maintien en zone d'attente,
par laquelle doivent transiter les personnes en attendant que leur demande
d'asile ait été examinée par le ministère
des Affaires étrangères (MAE). Le juge se contente parfois
d'enregistrer les demandes formulées par la PAF, sans les remettre
aucunement en question.
À ces irrégularités de procédures durant
les audiences s'ajoutent les dérapages verbaux, nombreux
au cours de la période d'observation :
Le 23 décembre, le magistrat tente d'expliquer qu'il est
incompétent pour statuer sur la demande d'asile. Puis il dit
durement à l'étranger : « (...) il faut
le temps d'instruire votre demande. On ne peut pas, rien qu'en vous
regardant, vous accorder l'asile ou non. Si c'est fait trop vite, c'est
mal fait. Vous pouvez repartir si vous le souhaitez. »
Audience du 28 janvier, une femme de quarante ans, originaire
de RDC, est maintenue en zone d'attente pour 8 jours, avec
un bébé d'un an. Elle déclare que si on la ramène,
on la renvoie à la mort (...) On pose la question de sa
capacité à comprendre le français. Mais la juge
hurle qu'elle le comprend suffisamment pour avoir fait une demande d'asile.
« L'article 35 quater n'a
pas distingué la situation des mineurs de celle des majeurs.
Cette non-distinction permet à l'administration de maintenir
les mineurs au même titre que les majeurs en zone d'attente.
Il faut donc se référer aux principes de droit commun
et aux dispositions internationales lorsqu'on est amené à
prendre la défense d'un mineur maintenu en zone d'attente. »
Guide de l'accès des étrangers au territoire français
ANAFE 1996.
« Les États
parties veillent à ce que [...] b) Nul enfant ne soit
privé de liberté de manière illégale ou
arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement
d'un enfant doit n'être qu'une mesure de dernier ressort et
être d'une durée aussi brève que possible. »
Article 37 de la Convention
internationale de New York relative aux droits de l'enfant.
« Le juge peut relever d'office la nullité
pour défaut de capacité d'ester en justice. »
Article 120 alinéa 2 du nouveau code
de procédure civile.
« Constituent des irrégularités
de fond affectant la validité de l'acte : le défaut
de capacité d'ester en justice (...) »
Article 117 du nouveau code de procédure
civile.
L'article 35 quater ne spécifie aucune procédure
particulière concernant le maintien en zone d'attente des
mineurs isolés. L'administration a choisi de leur appliquer la
même procédure qu'aux adultes. Pourtant, pour placer un
mineur en zone d'attente il faut lui avoir notifié au préalable
deux décisions, l'une de refus d'entrée sur le territoire
et l'autre de placement en zone d'attente. Toutes les deux comportent
des conséquences en droit et ouvrent des voies de recours (très
théoriques). Elles ne devraient par conséquent pas être
opposées à un mineur sans représentant légal.
De ce fait, le maintien en zone d'attente d'un mineur isolé est
illégal même pendant les quatre premiers jours. Ce n'est
pourtant qu'au terme de ces quatre premiers jours que la jurisprudence
de la cour d'appel de Paris impose au juge chargé d'apprécier
l'opportunité de la prolongation du maintien en zone d'attente
d'ordonner la libération des mineurs en raison de leur incapacité
juridique. Lors de la grève des avocats commis d'office, l'irresponsabilité
de certains juges et le comportement suspect d'avocats, ayant en charge
la défense de ces adolescents, voire jeunes adultes (c'est à
dire dont l'âge est compris entre 18 et 21 ans), ont attiré
à plusieurs reprises l'attention des observateurs. Quant à
ceux qui étaient accompagnés par des adultes, leur sort
a généralement suivi celui de l'adulte accompagnateur.
Face à l'augmentation de ces jeunes demandeurs d'asile, le recours
à la détermination « scientifique »
de leur âge, notamment par l'intermédiaire de l'examen
osseux, est souvent utilisé par le ministère de l'Intérieur.
Il permet de reconnaître majeurs de jeunes garçons ou jeunes
filles, qui d'après l'avocat du ministère de l'Intérieur,
« mentent sur leur âge pour se sortir de cette mauvaise
situation ». Certains magistrats considèrent que
ces tests médicaux sont fiables [6],
mais n'hésitent pas à demander parfois une vérification,
en cas de désaccord entre la défense du mineur et l'avocat
du ministère de l'Intérieur. Ce fut le cas pour un jeune
Turc de quinze ans [7] dont la demande
d'asile n'avait pas été enregistrée et qui a vu
son maintien prolongé. De manière assez étonnante,
la PAF a parfois tendance à jouer au « forum-shopping ».
Si une décision d'un juge délégué requiert
un nouvel examen osseux, elle représente le dossier quelques
jours plus tard, en espérant bénéficier d'une « connivence
expéditive »... Le 12 janvier, B. S., né
en 1983 en Sierra Leone, est présenté à l'audience.
Il a déjà été présenté devant
le juge délégué qui avait ordonné un nouvel
examen à l'Hôtel Dieu. Or, la PAF n'hésite pas à
le représenter sans que l'examen médical ne soit fait.
Pour justifier un tel comportement, l'avocate du ministère de
l'Intérieur estime que l'administration n'a pas à prendre
en charge le coût de ce second examen. Elle ajoute : « Il
n'a qu'une carte d'identité sierra leonaise qu'on peut contrefaire. »
Il n'y a donc pas eu de 2ème examen et la juge le déclare
majeur. Le 35 quater est applicable et il est maintenu.
D'autres juges doutent de la validité de l'examen osseux. Il
faut préciser que ces tests sont très contestables et
contestés , notamment parce qu'ils se réfèrent
à des ensembles statistiques établis sur des populations
nord-américaines, qui plus est, avant la seconde guerre mondiale.
Par conséquent, leur utilisation pour les populations concernées
est parfaitement inadaptée.
Quand la minorité s'avère évidente, malgré
la mauvaise foi du représentant du ministère de l'Intérieur,
les adolescents sont libérés et présentés
au parquet des mineurs [8]. La transition
entre les deux instances judiciaires, lorsqu'elle a lieu, relève
cependant de l'improvisation administrative. La police refuse parfois
d'accompagner ces jeunes personnes, prétextant que cela n'entre
pas dans ses fonctions.
Le 23 janvier, une Sierra Leonaise mineure, dont les papiers mentionnent
un âge de 14 ans, tandis que le test osseux indique 12 ans
et demi, est remise en liberté sans qu'aucune mesure ne soit
prise par le juge. L'interprète raconte alors aux observateurs
que la greffière l'a emmenée pour la remettre à
l'aide sociale à l'enfance (ASE).
Le 6 janvier, un jeune Sierra Leonais, S. D., né le
3 décembre 1983 d'après sa carte d'identité,
est décrété majeur (test osseux, dentaire et développement
sexuel selon la PAF). Cependant, la juge s'interroge sur sa protection
et lui propose de bénéficier d'un encadrement « jeunes
majeurs ». Le jeune homme accepte. Il est alors transmis au
parquet des mineurs, pour un accompagnement ASE dans le cadre des 18-21
ans. Or le juge des mineurs ne voudra pas le recevoir puisque officiellement
il est majeur. Sur le conseil d'une interprète, il partira, sans
sauf conduit, en direction de la gare du Nord, pour rejoindre Amsterdam,
où, paraît-il, il existe un camp de réfugiés
pour les gens de Sierra Leone. L'interprète sera incapable de
nous donner la moindre précision sur cet hypothétique
camp, mais déclarera aux observateurs : « en
Hollande, il sera à l'abri ».
Certaines audiences laissent pantois lorsque personne ne soulève
l'exception de minorité alors qu'elle ne fait aucun doute. Il
nous appartient de dénoncer ces faits qui mettent en lumière
le mépris de certaines règles de droit fondamental telle
que l'incapacité d'un mineur d'ester en justice.
C'est ainsi que certains juges ne retiennent pas « la
possibilité de soulever d'office le défaut de capacité
d'une partie » (article 117 et s. du nouveau code
de procédure civile), qui leur permet de déclarer nulle
la procédure dont fait l'objet l'étranger mineur, puisqu'en
droit commun, les mineurs doivent être représentés
à l'audience par un parent ou un tuteur. Le pouvoir d'appréciation
de l'opportunité du maintien en zone d'attente, pourtant
clairement défini par la loi [9],
est ici écarté délibérément ou par
ignorance. Le 23 janvier, un jeune Congolais de Kinshasa de 17
ans, aurait pu en bénéficier ; l'ignorance du magistrat
l'en a empêché.
À l'opposé, la liberté, lorsqu'elle est accordée
par le juge, peut aussi déboucher pour ces mineurs sans accompagnateur
sur l'inconnu. Les prises en charge effectives font défaut. Le
26 janvier, un jeune Sierra Leonais, B. B., né le 3 juillet
1983, qui ne parle que le peul, déclare au cours de l'audience
qu'il a 18 ans. Il le répète plusieurs fois, incapable
de dire un mot de plus en français. La juge s'en tient à
ses dires. Il sortira, totalement isolé ; il a été
battu comme la plupart des étrangers présentés
lors de cette audience. Incapable de dire un mot en français
ou en anglais, il est pris en charge par les observateurs. À
la sortie, certains d'entre eux demandent à la juge si elle ne
pense pas qu'on lui a soufflé cette unique phrase et qu'il est
curieux, à la différence d'autres présentés
ce même jour, qu'il n'y ait pas eu le moindre test médical.
Le silence de la magistrate sera la seule réponse.
À différentes reprises des comportements douteux d'avocats
venant défendre des étrangers en zone d'attente ont été
observés. Les faits semblent connus de la police et des interprètes.
En effet, des jeunes filles mineures, assistées d'avocat, ont
pu être libérées en raison d'irrégularités
flagrantes lors de leur maintien en zone d'attente sans que leur
minorité ne soit soulevée.
C'est ainsi que le 31 janvier le substitut du procureur qui avait
été alerté n'avait pu intervenir pour la protection
de deux jeunes filles. Dans leur dossier figurait un procès-verbal
précisant qu'elles avaient déclaré être majeures,
alors que leur document d'identité attestait du contraire. À
aucun moment, cette pièce n'avait été mentionnée
lors de l'examen.
Un garçon et deux filles sont reconnus mineurs. Une des jeunes
filles, Sierra Leonaise, déclare en crio avoir un frère
ici dont elle ne connaissait pas l'adresse. Alors que tous trois étaient
retenus dans une petite pièce en attendant d'être présentés
au juge des enfants, les observateurs présents ont vu un avocat
en civil aller leur parler à deux reprises en langue africaine.
La juge l'a fait sortir une fois, mais il revient leur parler puis fait
un grand clin d'il à son confrère en robe dans la
salle. À la fin de l'audience, le greffier lui aussi témoin
du manège, ajoute qu'elles vont aller dans un foyer d'où
elles s'enfuiront dans deux jours. « Elles ont maintenant
des numéros de téléphone ».
Le 28 décembre, un jeune Congolais arrive en France avec
le passeport de son frère aîné. En effet, sa mère
réside en France avec l'aîné, mais ne remplit pas
les conditions du regroupement familial. La juge estime qu'il n'y a
pas coïncidence entre les noms de famille des prétendus
frères et de la mère. Puis elle ajoute qu'elle ne peut
établir aucune corrélation entre l'acte de naissance,
produit à l'audience et la personne présente. Par la suite,
la juge ne voit pas l'intérêt de nommer un administrateur
ad hoc puisque, dit-elle, la mère détient l'autorité
parentale. Elle venait pourtant de dire que le lien de parenté
était inexistant. Vingt minutes après le jugement, l'enfant
s'écroule en larmes, appelle sa mère. Il est emmené
dans une pièce attenante où on l'entend pleurer, sangloter,
crier : « je veux mourir ». On entend
des bruits de chaises renversées. La juge est imperturbable et
paraît ne rien entendre.
Le 4 janvier un étranger se dit mineur, l'examen osseux
le dit majeur. La juge remarque que selon elle « il paraît
bien jeune ». Malgré cette remarque la juge
s'estime liée par l'examen et ne demande aucune expertise.
Le 26 janvier, Mlle D., une enfant de 14 ans est présentée
à l'audience. Sur le passeport, il est mentionné qu'elle
est de nationalité française, née le 10 juin
1986 à Epinay-sur-Seine. Elle est arrivée avec sa mère
malienne, qui est entrée sans problème sur le territoire.
Soupçonnant un passeport falsifié, la PAF a retenu l'enfant
seule du 22 au 26 janvier. Il semble que l'enfant n'a reçu
aucune visite de la part de sa famille. Aucun membre de sa famille n'a
été prévenu que la fillette était présentée
à cette audience, où elle arrive seule, avec comme seule
langue le bambara. La juge décide d'envoyer l'enfant devant le
substitut, afin qu'il contacte la mère.
« L'ordonnance est susceptible d'appel
devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué. [...]
Le droit d'appel appartient à l'intéressé, au
ministère public et au représentant de l'État
dans le département. » Article 35 quater
de l'ordonnance du 2 novembre 1945
« Le magistrat fait connaître
verbalement aux parties présentes le délai d'appel et
les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé.
Il les informe également que l'appel n'est pas suspensif »
Article 7 du décret du 15 décembre
1992
Certains jours, il a été constaté que les juges
ne notifient pas leurs droits aux personnes qui comparaissent ou ne
le font que de manière partielle. Ainsi, à aucun moment,
ils ne demandent aux personnes au début de l'audience si elles
souhaitent être assistées d'un avocat commis d'office.
De même, à l'issue de l'audience, ils omettent de dire
à l'étranger qu'il a la possibilité de faire appel.
En l'absence d'avocat, l'irrégularité demeure...
En revanche, certains juges informent toutes les personnes de la possibilité
de faire appel (audience du 22 décembre), mais dans ce cas,
il est rare que l'intéressé comprenne le sens de la démarche.
La difficulté peut être d'autant plus importante quand
la traduction n'est pas assurée. Plusieurs observateurs disent
avoir essayé d'avertir les interprètes de la nécessité
de faire appel, mais sans avoir pu entrer en contact avec les étrangers.
Lorsque le juge rend sa décision, les étrangers sont
déjà fragilisés par une procédure et des
informations complexes. On leur demande de signer la notification d'une
décision qui ne leur a pas été forcément
traduite. Et on n'hésitera pas à prendre trente secondes,
pour leur indiquer où ils doivent signer.
Le 25 janvier, la juge, après lecture de l'ordonnance indique :
« Vous êtes libre, mais je vous invite à prendre
vos dispositions pour quitter le territoire français le plus
vite possible, sous peine de vous exposer à un nouveau retour
en prison ».
« Si le maintien en zone
d'attente n'est pas prolongé au terme du délai fixé
par la dernière décision de maintien, l'étranger
est autorisé à entrer sur le territoire sous le couvert
d'un visa de régularisation de huit jours. »
Article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945
Les explications des juges lorsque les personnes maintenues sont
libérées, sont très variables et vont du plus lapidaire
au plus détaillé, lorsqu'elles sont données. Entre
ceux qui expédient les dossiers dans des délais très
brefs [10] et ceux qui acceptent de prendre du temps pour
expliquer un tant soit peu ce qui attend les demandeurs d'asile à
la sortie du tribunal, la « marge » est parfois
importante.
Ainsi, des juges indiquent systématiquement aux personnes libérées
la possibilité d'obtenir un sauf-conduit à Roissy et de
se rendre ensuite sous huit jours à la préfecture afin
de déposer leur demande d'asile (audiences du 22 décembre
et du 18 janvier). Mais le langage juridique et la rapidité
des explications ne facilitent pas toujours la compréhension
bien que le président de l'audience et les interprètes
aient une attitude très conciliante.
D'autres magistrats soulignent cette possibilité, de façon
sporadique et lapidaire. Certains n'en font pas du tout mention. C'est
ainsi que la juge présente à l'audience les 23 et 25 janvier,
qui libérera une grande partie des étrangers du fait de
l'absence d'avocat commis d'office, ne leur signalera à aucun
moment la possibilité d'obtenir un sauf-conduit.
Enfin, plusieurs juges s'inquiètent, en cours d'audience, de
savoir comment les personnes libérées vont regagner Roissy
pour retirer leur sauf-conduit. Le 9 janvier, la juge trouve scandaleux
que ce document ne leur soit pas remis sur place. Elle demande alors
à la cantonade si les associations ne pourraient pas s'en charger.
Le 17 janvier, le juge souligne l'inertie des autorités
de contrôles aux frontières à l'officier présent
et exprime fortement des doutes quant au fait que cette pratique change
un jour. Cependant il semblerait qu'un dispositif soit en cours de réflexion
entre la justice et la police pour trouver une solution à la
délivrance des sauf-conduits à la sortie des audiences.
Il est à noter qu'un des arguments avancés par la PAF
pour que les audiences du 35 quater se déroulent directement
dans l'enceinte de la zone d'attente est justement la facilité
de délivrance des sauf-conduits à l'issue des audiences ;
alors que ces documents pourraient tout à fait être établis
sur place à Bobigny, tel que cela était d'usage il y a
quelques années.
Notes
[4] Ce qui n'a pas empêché
que l'entretien du MAE se déroule en anglais.
[5] Le 27 décembre,
la PAF n'hésite pas à présenter la liste des langues
de l'ONU dans lesquelles les demandeurs sont censés s'exprimer
(cf. annexe). Le juge suspendra cependant
l'audience pendant une heure vingt, afin de rechercher des interprètes
en poulha, penjabi, pashtou ou farsi, crio et peul. De même, le
17 janvier, du fait que l'interprète en langue hindi était
absent, le président suspend l'examen en attendant que l'interprète
arrive (3 heures d'attente pour la personne).
[6] Audience du 25-01-2001
[7] Audience du 25-12-2000
[8] Audience du 07-01-2001 :
une mineure chinoise libérée et présentée
au parquet des mineurs.
Audience du 08-01-2001 : 2 mineurs libérés
et présentés au parquet des mineurs.
Audience du 30-01-2001 : 4 mineurs sont présentés,
un seul examen médical a été effectué. Un
sera libéré pour absence d'avocat (malgré l'expertise
médicale le déclarant majeur) ; 2 autres sont libérés
pour être présentés ensuite au parquet des mineurs.
Enfin un dernier est maintenu en ZA pour « retour volontaire »,
alors qu'il avait refusé d'embarquer auparavant !
[9] Guide de l'accès
des étrangers au territoire français et du maintien en
zone d'attente ANAFE 1996.
[10] Le 26 janvier, 63 dossiers
ont été présentés en trois heures. Cette
surabondance donne en moyenne, 3 minutes environ par dossier !
Dernière mise à jour :
2-04-2001 21:37.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/actions/2001/zone-attente/audiences/bilan-2.html
|