Utilisation
du référé administratif : décision Hyacinthe
Référé liberté de Mme Hyacinthe
en appel devant le Conseil d'Etat
Alain-François Roger
Avocat au Conseil d'Etat
et à la Cour de Cassation
Paris
Requête à Monsieur le Président
de la section du contentieux
du Conseil d'Etat
Statuant en référé
par application du § 2 de l'article L 523-1
du Code de justice administrative
Pour : Madame Rose-Michèle HYACINTHE,
aujourd'hui hébergée... [adresse].
Contre : Une ordonnance du Juge des référés
du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 2 janvier
2001 rejetant sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint sous
astreinte au Préfet du département de Seine Saint Denis :
La requérante défère l'ordonnance sus-énoncée
à la censure de Monsieur le Président de la section du
contentieux du Conseil d'Etat pour les motifs de fait et de droit qui
seront ci-après exposés.
I. RAPPEL DES FAITS
1. Madame Rose-Michèle HYACINTHE, de nationalité
haïtienne, est arrivée à l'aéroport d'Orly
le 30 novembre 2000 afin de rejoindre son compagnon, Monsieur Dillon
MAIGNAN, également de nationalité haïtienne, lui-même
demandeur d'asile, qui séjourne en France depuis le mois de mai
2000 et dont elle attendait un enfant.
2. Arrêtée par les services de la Police
aux Frontières, faute de passeport régulier, Madame HYACINTHE
a été immédiatement déférée
au Juge répressif suivant la procédure de comparution
immédiate.
N'ayant pu obtenir d'être assistée d'un avocat, ainsi
qu'elle l'avait demandé, Madame HYACINTHE a été
placée en détention provisoire et écrouée
à la prison de Fresnes sans aucun égard pour son état
de grossesse et à la suite d'un examen médical sommaire.
3. Le 3 décembre 2000, elle donnait naissance,
dans sa cellule, à une petite fille dans des conditions sanitaires
déplorables et humainement dégradantes.
4. Ayant finalement pu obtenir l'assistance d'un avocat,
Madame HYACINTHE a de nouveau comparu devant le Tribunal correctionnel
qui l'a condamnée à un mois de prison avec sursis et à
deux ans d'interdiction du territoire français.
5. Accompagnée du père de son enfant, elle
s'est présentée à deux reprises, les 26 et 29 décembre
2000 auprès des services de la Préfecture du département
de Seine Saint Denis afin d'obtenir la remise du formulaire nécessaire
à l'introduction auprès de l'OFPRA de la demande de reconnaissance
de la qualité de réfugié.
A deux reprises et devant témoins, la simple remise de ces
documents lui a été purement et simplement refusée.
6. C'est dans ces conditions que Madame HYACINTHE a saisi
le juge des référés du Tribunal administratif de
Cergy Pontoise afin qu'il enjoigne au Préfet de lui fournir les
éléments nécessaires à l'examen de sa demande
d'admission au séjour en tant que réfugiée et la
délivrance d'une autorisation provisoire, le tout sous astreinte
de 800 francs par jour de retard.
Par ordonnance du 2 janvier 2001, le Juge des référés
a rejeté sa requête par ces motifs :
« Que la circonstance que Madame Rose-Marie HYACINTHE
n'ait pu à deux reprises, les 26 et 29 décembre 2000
accéder aux guichets de la préfecture de Seine Saint Denis
en vue d'y obtenir une autorisation provisoire de séjour délivrée
dans le cas des demandeurs d'asile en attente d'une décision
de l'OFPRA, n'est par à elle seule de nature à établir
l'existence d'une urgence justifiant que soit prononcée la mesure
sollicitée et la délivrance d'une autorisation provisoire
de séjour ».
C'est l'ordonnance attaquée.
DISCUSSION
Il est à peine besoin de rappeler que le nouvel article L
521-2 du Code de justice administrative confie au Juge des référés
le soin, « saisi d'une demande en ce sens justifiée
par l'urgence, [d']ordonner toutes mesures nécessaires à
la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une
personne morale de droit public ... aurait porté, dans l'exercice
d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».
Les faits relatés en prologue de la présente discussion
illustrent pareille hypothèse :
-
parce que le comportement de l'autorité administrative
à l'égard de Madame Rose-Michèle HYACINTHE
est manifestement illégal (I) ;
-
que ce comportement a porté une atteinte grave à
plusieurs libertés fondamentales (II) ;
- qu'il l'expose, à tout moment, à la prise d'une mesure
d'éloignement dont il serait pratiquement impossible d'empêcher
l'exécution et qu'il est urgent qu'il y soit remédié
par toutes mesures appropriées notamment celles figurant au
dispositif de la présente requête (III).
I. Le comportement de l'autorité administrative
est ici manifestement illégal
1. La Convention de Genève du 28 juillet 1951
(art. 33 §1) fait peser sur les Etats qui en sont signataires
l'obligation de ne pas refouler les personnes qui demandent à
être reconnues réfugiées vers les frontières
des territoires où leur vie ou leur liberté est menacée
du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leur appartenance
à un certain groupe social ou leurs opinions politiques. En application
de la Convention relative à la détermination de l'Etat
responsable de l'examen d'une demande d'asile dans l'un des Etats membres
des communautés européennes du 15 juin 1990, dite
Convention de Dublin (articles 3 et 7), toute demande d'asile
présentée à un Etat signataire doit être
examinée.
2. L'article 2 de la loi du 25 juillet 1952
modifiée, dispose ainsi que « l'Office [O.F.P.R.A.]
ne peut être saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité
de réfugié qu'après que le représentant
de l'Etat dans le département, ou à Paris le Préfet
de police, a enregistré la demande d'admission du séjour
du demandeur d'asile ».
Et l'article 10 de la loi précise que « l'admission
[au séjour] ne peut être refusée au seul motif que
l'étranger serait démuni des documents et des visas mentionnés
à l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ».
Enfin, aux termes de l'article 11 de la même loi, le demandeur
d'asile, lorsqu'il a été admis à séjourner
en France en application des dispositions de l'article 10 « est
mis en possession d'un document provisoire de séjour lui permettant
de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié
auprès de l'OFPRA ».
Le Préfet ne peut refuser l'admission en France d'un demandeur
d'asile que pour les motifs limitativement énumérés
par cet article 10, soit :
-
si, en application de la Convention de Dublin, l'examen de la
demande relève d'un autre Etat signataire de cette convention ;
-
si le demandeur a la nationalité d'un pays pour lequel
a été mise en oeuvre les dispositions de l'article 1C5
de la Convention de Genève (clause de cessation) ;
-
si la présence du demandeur en France constitue une menace
grave pour l'ordre public ;
- si la demande d'asile repose sur une fraude délibérée
ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est
présentée qu'en vue de faire échec à une
mesure d'éloignement prononcée ou imminente.
Encore faut-il relever que ces motifs ne permettent pas de refuser
l'enregistrement de la demande de reconnaissance du statut de réfugié
en attendant l'instruction de la demande, mais uniquement la délivrance
de l'autorisation provisoire de séjour prévue à
l'article 11.
3. Or, il résulte des circonstances sus-relatées
et dont la matérialité doit être regardée
comme constante pour n'avoir jamais été contestée,
que Madame Rose-Michèle HYACINTHE n'a pas même été
mise en mesure de formuler sa demande d'admission au séjour.
En effet, dès qu'elle a indiqué aux services de la préfecture
de la Seine Saint-Denis qu'elle souhaitait déposer une demande
d'asile, il lui a été répondu que sa requête
était irrecevable au motif qu'elle ne pouvait produire de passeport.
Cette fin de non-recevoir, attestée par deux témoins a
contraint Mme HYACINTHE à quitter la Préfecture sans
autorisation provisoire de séjour et sans les documents que l'administration
était pourtant tenue de mettre à sa disposition pour lui
permettre d'introduire auprès de l'OFPRA sa demande de reconnaissance
de la qualité de réfugié. L'administration s'est
mise, de son propre fait, dans l'impossibilité d'enregistrer
la demande d'admission ainsi que la loi lui en fait obligation et fait
obstacle à l'intervention de l'OFPRA.
Le comportement illicite de l'administration est ici parfaitement
caractérisé, puisqu'en éconduisant Mme HYACINTHE,
elle a violé les articles 2, 10 et 11 de la loi du
25 juillet 1952 qui lui faisaient obligation, même en l'absence
de passeport, d'une part d'enregistrer la demande d'asile, d'autre part
de la munir d'un document de séjour afin qu'elle puisse formuler
sa requête auprès de l'OFPRA.
Et c'est tout à fait vainement que l'on évoquerait l'une
ou l'autre des quatre exceptions à la délivrance d'un
titre provisoire de séjour visées à l'article 10
de la loi puisque l'administration n'a pas même daigné
prêter attention à la personne de Madame Rose-Michèle
HYACINTHE.
II. Le comportement manifestement illicite
de l'administration a porté une atteinte grave
à plusieurs libertés fondamentales auxquelles
Madame HYACINTHE pouvait prétendre
1. La première d'entre elles est évidemment
celle du droit d'asile lui-même.
Certes, ce principe de valeur constitutionnelle (C.C. 9 janvier
1980 DS 1980 J. 249 note Auby) connaît-il des aménagements
en forme d'exceptions diverses, mais en refusant purement et simplement
au demandeur d'asile de faire valoir son droit, l'administration porte
atteinte au droit d'asile lui-même en instituant « de
facto » et sans aucune base légale, une sorte de
refoulement automatique de l'étranger, au risque de l'exposer
à la violation de ses droits et libertés fondamentaux
dans son Etat d'origine.
2. Plus directement, un tel comportement affecte, dans
les circonstances de l'espèce, le droit à la vie familiale
garanti notamment par l'article 8 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme.
Il est acquis aux débats qu'en l'espèce, Madame HYACINTHE
s'est rendue en France afin d'y retrouver Monsieur Dillon MAIGNAN, son
compagnon et père de son enfant, qui y réside depuis le
mois de mai 2000 et dont la demande tendant à se voir reconnaître
la qualité de réfugié est en cours d'instruction.
Monsieur MAIGNAN, de nationalité haïtienne, a dû quitter
son pays en raison des craintes qu'il peut légitimement éprouver
à la suite de menaces dont il a été l'objet par
suite de son engagement politique.
III. Sur l'urgence
Pour rejeter la requête qui lui était présentée,
le premier juge a estimé qu'il n'y avait aucune urgence à
ce que Madame Rose-Michèle HYACINTHE soit mise en mesure de se
procurer les documents nécessaires à l'introduction de
sa demande d'asile.
Cette appréciation ne saurait être approuvée.
1. Dépourvue de toute espèce de document
prouvant les démarches qu'elle a entreprises pour accéder
au statut de réfugiée, Madame HYACINTHE peut à
tout instant être interpellée par la police et être
reconduite vers son pays d'origine qu'elle a été contrainte
de quitter en raison des menaces pesant sur sa vie et son intégrité
physique. Plus concrètement, elle s'expose d'abord à une
reconduite à la frontière prononcée par arrêté
préfectoral en vertu de l'article 22 de l'ordonnance du
2 novembre 1945. Il résulte en effet de la disposition précitée
que le préfet peut décider qu'un étranger sera
reconduit à la frontière :
Par ailleurs, Madame HYACINTHE, qui a été condamnée
par le tribunal correctionnel de Bobigny à une interdiction du
territoire français de deux ans, peut de ce fait être immédiatement
reconduite à la frontière « une interdiction
du territoire français emportant de plein droit reconduite à
la frontière du condamné » (art. 19
de l'ordonnance du 2 novembre 1945).
Enfin, Madame HYACINTHE, s'étant maintenue sur le territoire
dans le but certes de déposer sa demande d'asile mais placée
dans l'impossibilité de pouvoir justifier sa démarche,
commet le délit réprimé par l'article 27 de
la même ordonnance : en vertu de ladite disposition, celui
qui se soustrait ou aura tenté de se soustraire à une
mesure d'éloignement, quelle qu'elle soit, encourt une peine
d'emprisonnement de 3 ans. Ainsi, l'exposition à de tels risques
par la faute de l'administration constitue manifestement l'urgence requise.
Elle s'expose en outre, en cas de retour dans son pays à des
mesures de représailles sans même qu'elle ait pu faire
valoir son droit au statut de réfugié, ce qui conduit
de surcroît la préfecture de Bobigny à la méconnaissance
de l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de
l'Homme.
Cette situation justifie l'urgence qu'elle invoque.
3. Enfin, en engageant la procédure d'obtention
du statut, elle doit recevoir un titre provisoire de séjour qui
la rendra elle-même, ainsi que son enfant, éligible à
la couverture maladie universelle dont bénéficient, aux
termes de l'article R 380-1 du code de la sécurité
sociale issu du décret 99-1005 du 1er décembre 1999
« 3° [les] personnes reconnues réfugiées,
admises au titre de l'asile ou ayant demandé le statut
de réfugié ».
Faute d'avoir été mise en mesure de demander le bénéfice
du statut, Madame HYACINTHE et son enfant âgé de quelques
semaines seulement se voient donc privés d'une protection dont
la nécessité urgente n'échappe à personne.
PAR CES MOTIFS
et tous autres à produire, déduire ou suppléer,
même d'office,
PLAISE à Monsieur le Président de la section
du contentieux du Conseil d'Etat :
ANNULER l'ordonnance attaquée avec toutes conséquences
de droit
ENJOINDRE à Monsieur le Préfet de Seine Saint
Denis :
- de fournir à Madame Rose-Michèle HYACINTHE les documents
nécessaires à l'établissement de sa demande d'admission
au séjour en tant que réfugiée,
- d'examiner cette demande,
- de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
PRESCRIRE ces mesures sous astreinte de 800 francs par jour.
CONDAMNER l'Etat, pris en la personne de Monsieur le Préfet
du département de Seine Saint Denis, à payer à
Madame HYACINTHE une somme de 10.000 francs au titre de l'article L
761-1 du Code de justice administrative.
Production
- Ordonnance attaquée du 2 janvier 2001
- Extraits de presse :
- Libération : 11.12.2000
- « Elle » : 15.12.2000
- Libération : 20.12.2000
- La Croix : 03.01.2001
- Requête introductive d'instance
- Témoignages de MM. Talles et Alaux
- Extrait du registre de l'Etat Civil portant acte de reconnaissance
conjointe de filiation naturelle.
Dernière mise à jour :
17-01-2001 11:52.
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