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« Des étrangers sans droits dans une France bananière »
Rapport de mission en Guyane et à Saint-Martin

 

« Des étrangers sans droits dans une France bananière »
Rapport de mission en Guyane et à Saint-Martin

SUR L'ÎLE DE SAINT-MARTIN

SUR L'ÎLE DE SAINT-MARTIN

Les « naufragés » du village
de tentes à Concordia

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[Village de tentes]

Trois mois après le passage du cyclone Luis, qui a frappé Saint-Martin les 5 et 6 septembre 1995, Concordia, l'un des plus vastes bidonvilles de la partie française de l'île, essentiellement habité par des Haïtiens, n'est plus qu'un village de tentes au pied du « morne » (colline) sur le flanc duquel se trouvait la cité proprement dite. Des constructions — les photographies témoignent qu'il y avait là environ 400 petites maisons individuelles couvertes de taules avant la tempête —, il ne reste rien. Les fondations de l'une d'entre elles ont résisté. Pour le reste, on discerne l'emplacement du bidonville grâce à l'absence d'herbe sur tout l'espace que des bulldozers ont nettoyé après que le village a été incendié et rasé le 22 septembre par des hommes de main payés par la mairie de Marigot. Les gendarmes ont fait évacuer le site. Ils ont maintenu les résidents à la périphérie. Puis l'éradication a commencé sans que les propriétaires et les locataires puissent vider tout ce que contenaient leurs maisons.

Au bas du morne, les habitants vivent dans un village de quarante tentes blanches (dont dix grandes). Une partie d'entre elles sont vides. Au lendemain du cyclone, on a d'abord hébergé les étrangers sinistrés dans un lycée d'enseignement professionnel (LEP) voisin pendant quelques jours, avant de les transférer ici où, pendant au moins un mois, il n'y a pas eu d'eau courante. Depuis, un bloc sanitaire convenable a été bâti. À l'origine, il y aurait eu une centaine d'Haïtiens sous les tentes. Ils n'étaient plus qu'une cinquantaine en décembre, pour la plupart en situation administrative régulière. Parmi eux, la rencontre d'un Français constitue une véritable surprise. II est tout sourire quand il s'extrait de sa tente, tellement il prévoit l'effet que son apparition va susciter. Ceux qui sont partis — une majorité de sans-papiers — ont accepté le « retour volontaire » proposé par la préfecture après le cyclone, ou ont été reconduits de force dans leur pays d'origine, ou se sont évanouis dans la nature (la rumeur veut que ce soit du côté hollandais de l'île, où la chasse aux étrangers clandestins serait moins efficace).

— Pourquoi n'avez-vous pas engagé un procès contre ceux qui ont détruit vos maisons à Concordia ?

« Moi tout seul, je ne peux pas. Il y a là des étrangers qui sont en situation régulière, d'autres en situation irrégulière. Je ne peux pas y aller tout seul. À la mairie, ils ont dit qu'à Concordia, c'étaient des maisons de faveur. Ils sont venus en hélicoptère et ils ont dit « Ne clouez pas ». Je vais vous dire : vous êtes le Blanc ; je suis un Noir. Avec les populations de gendarmes qui sont venues à Concordia, vous aussi, vous auriez eu peur. Le cyclone est passé le 4 et le 5 septembre. Ils ont dit de sortir des maisons à partir du 22 septembre. Ils n'ont pas donné même 24 heures ».

» Je sais qu'il y a un Haïtien (en fait, il est français par naturalisation) qui fait un procès. Dites-moi : est-ce qu'on va attaquer les Haïtiens qui sont réguliers à cause de procès ? (Ils craignent des représailles).

— On n'a pas besoin d'avoir des papiers pour faire un procès contre ceux qui ont cassé les maisons. Même un Haïtien sans papier peut faire un procès.

« Ah bon ! ».

Un autre Haïtien prend la parole.

« Tout le monde a perdu sa maison. Moi-même, j'habitais dans le village. Après le cyclone, ma femme, elle a été rapatriée en Haïti parce qu'elle n'avait pas de papiers. Moi, j'ai les papiers et je suis resté ici. Avec les deux enfants, je l'ai envoyée en Haïti. J'ai gardé les colis à expédier en Haïti. Ils étaient à l'intérieur de la maison. Le vendredi (22 septembre), les tracteurs sont arrivés. Ils ont tout écrasé. Je n'ai même pas pu sortir les colis de la maison, que je devais envoyer à ma femme en Haïti. Il y avait ma machine à laver, mon matériel de boulanger. Ils ont écrasé mon moulin, le frigidaire aussi, tout ce qu'il y avait dans la maison.

» Ça, c'est comme les macoutes ».

Un troisième Haïtien se joint au groupe.

« J'ai trois enfants ici. Deux enfants vont à l'école. Mes droits à la CAF (les allocations familiales) ont été arrêtés. Moi, je suis en arrêt de travail depuis la fin de 1994. À Concordia, à côté de ma maison, j'avais installé une citerne pour 2 800 dollars. Ils m'ont démoli tout ça ».

— Pour les « retours volontaires » après le cyclone, on avait proposé de l'argent à ceux qui acceptaient de partir, en plus du billet d'avion et des bagages. Combien leur a-t-on donné ?

« Oui, la préfecture a annoncé qu'elle allait donner 2 500 F à ceux qui accepteraient de partir volontairement. Moi, j'ai accompagné ma femme à la préfecture. C'était pas vrai. Elle est partie sec. On avait promis à la radio. À la préfecture, on n'a rien donné.

» Les colis des volontaires, qui sont déjà partis dans des containers par le bateau, n'ont pas encore été délivrés à ceux qui sont rentrés. Ils sont arrivés à Haïti. Mais, là, il y a un problème. Les colis ont été remis à la douane. Ils seraient à Delmas 33 (dans les environs de Port-au-Prince) ».

Des Haïtiennes devant leurs tentes

« AVANT, ILS CASSAIENT LES PORTES POUR ENTRER »

— Les enfants qu'on voit là, dans les allées, pourquoi ne sont-ils pas à l'école ?

« Les enfants des Haïtiens sans papiers ne sont pas inscrits. Mais, depuis le cyclone, les associations ont discuté avec la mairie. C'est mieux.

— Oui, mais ceux qu'on voit ici, ils ne sont pas inscrits ?

« C'est pas tous qui peuvent aller à l'école ».

— Est-ce que la police fait des contrôles d'identité dans le village de tentes ?

« Non, pas beaucoup. Mais il n'y a presque plus d'Haïtiens sans papiers ici. Ils sont partis. Parfois, c'est par le retour volontaire après la tempête, parfois, c'est par la police. Beaucoup, ils sont de l'antre côté, dans la partie hollandaise.

» La police, maintenant, c'est plus comme avant le cyclone. Avant, ils venaient tout le temps, la nuit ou le jour, dans le quartier. Ils cassaient les portes pour rentrer. Surtout la PAF (Police de l'air et des frontières), pas tellement la gendarmerie. Maintenant qu'il n'y a plus de village, ils ne font plus comme ça. Mais, quand ils ont tout rasé avec la gendarmerie, dans les maisons, ils ont cassé aussi tous les meubles. On n'a pu rien prendre. On a tout perdu. ».

Apparition d'un Français de métropole

« LES HAÏTIENS TRAITÉS COMME DES RATS »

Sans doute intrigué par l'animation des Haïtiennes racontant leurs malheurs, un Blanc sort d'une tente voisine. Blond, la cinquantaine, en short, serviette de toilette autour du cou, il s'amuse de l'étonnement que son apparition provoque parmi les membres de la mission.

« Et bien oui. Moi aussi je suis un sinistré. Je vivais dans les maisons de Concordia avec les Haïtiens. Après le cyclone, on a détruit la maison que je louais à l'un d'entre eux avec mon RMI. Me voilà sous la tente.... ».

Il raconte que, après divers métiers dans la Caraïbe, il a échoué à Saint-Martin où, pendant plusieurs années, il a construit et vendu des maquettes de bateaux. Puis, pour des raisons obscures, il a pris le chemin de l'exclusion.

« Vous savez, le boulot, ici pour moi, c'est un problème. Les étrangers travaillent au noir pour 400 dollars par mois. Il n'est pas question que j'accepte le même salaire, parce que, moi, je touche le RMI.

» Venez n'importe quel matin de bonne heure là-bas, devant les sanitaires, à l'entrée du village de tentes. Vous les verrez les employeurs venir chercher les Haïtiens. Jamais de feuilles de paie. Jamais de déclarations. Et jamais de contrôles de l'administration. Ce serait pourtant enfantin.

» Les Saint-Martinois se plaignent. Ils disent : “Pas de boulot à cause des étrangers”. D'accord, mais s'il n'y avait pas d'étrangers ici, les patrons embaucheraient les Saint-Martinois au noir. C'est comme ça à Saint-Martin. Des emplois, il n'y en a pratiquement que pour ceux qui bossent au noir. Et comme il n'y a jamais aucun contrôle...

» Je pourrais protester comme eux, dire que les Haïtiens vivent comme des rats. S'ils vivent comme des rats, les Haïtiens, c'est parce que tout le monde les traite comme des rats ».

Deux étrangers en situation irrégulière auxquels on a refusé le « retour volontaire »

Au premier coup d'oeil il paraît perdu. Il a l'air très jeune. Il veut demander conseil. Il ne souhaite pas dire son nom.

« Je voudrais que vous m'aidiez. Comment je pourrais quitter Saint-Martin et rentrer chez moi ? J'ai demandé le retour volontaire après le cyclone, et on m'a dit que ce n'était pas pour moi ».

Il nous explique qu'il a 17 ans, qu'il est canadien, que ses parents sont d'origine haïtienne. Il ne sait pas si sa mère est toujours haïtienne et, dans ce cas, si elle a des papiers, ou si elle est française. II a quitté le Canada, où il vivait avec son père, il y a environ un an pour venir voir sa mère à Saint-Martin. II a décidé de prolonger son séjour. Puis, le cyclone est arrivé et sa mère a disparu. Quant à son père, il ne veut pas financer son retour au Canada. Alors il a demandé son rapatriement au titre des « retours volontaires ». Mais il est toujours là et ne sait plus quoi faire.

Nadilia, elle, est haïtienne en situation irrégulière. Elle a juste 40 ans. À Saint-Martin depuis 1982, elle y a mis au monde un enfant en 1983, puis un autre en 1994. Après le cyclone et la destruction de sa maison par les hommes de main de la mairie, on l'a hébergée dans le village de tentes. Elle a opté pour le « retour volontaire ». À son grand étonnement, on le lui a refusé. L'assistante sociale de la mairie de Marigot ne veut pas l'aider, insiste-t-elle. Alors, elle travaille « au coup par coup », comme elle dit. Et sans fiches de paie. Elle ne se souvient pas en avoir reçu une seule depuis qu'elle vit à Saint-Martin, soit depuis treize ans.

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Dernière mise à jour : 25-01-2001 18:00.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/1996/bananier/saint-martin/concordia.html


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