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Plein Droit
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« Des
étrangers sans droits dans une France bananière » EN GUYANE Comme une guerre
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Si l'on excepte Cayenne, où nous avons pu consacrer plusieurs jours à des visites et à des rencontres, les autres villes n'ont été rapidement parcourues que pendant la journée du 3 décembre. C'est peu pour obtenir une vision et surtout une compréhension exhaustive de la Guyane. Mais, dans ce département, la situation des étrangers est si caricaturale, les témoignages recueillis indépendamment les uns des autres si convergents, les signes de la répression dont les immigrés sont l'objet si évidents, qu'il ne faut pas beaucoup de temps pour acquérir la certitude que l'administration, la police et, parfois, l'armée leur livrent une véritable « guerre de basse intensité » en utilisant des moyens violents et d'une légalité souvent discutable. On ne reconduit pas à la frontière 12 000 étrangers en 1994 et près de 15 000 en 1995 dans un département de 150 000 habitants, selon la préfecture (au recensement de 1990, l'INSEE a compté 114 808 habitants, dont 34 002 étrangers) sans considérer que la fin justifie les moyens, ce qui n'est pas la règle dans un État de droit.
Autre caractéristique évidente de la situation des étrangers : la relégation d'une grande partie d'entre eux dans des bidonvilles ou dans des quartiers populaires qui y ressemblent fort. Toujours selon l'INSEE, 44 % de l'habitat était constitué, en 1990, de maisons de fortune, de cases ou de maisons traditionnelles, tandis que 56 % était composé de maisons en dur et d'immeubles collectifs. Les pouvoirs publics, qui investissent volontiers dans la répression, s'accommodent de l'existence de ces ghettos pour étrangers qui ont pignon sur rue depuis de nombreuses années. A l'égard de ces plaies urbaines, les autorités pratiquent de longue date la politique du laisser-faire.
Éléments démographiques
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Français
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Étrangers (total)
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dont
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Population
totale |
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80 806
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34 002
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Haïtiens
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Brésiliens
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Guyaniens
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Surinamiens
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114 808
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8 899
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5 615
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1 648
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13 296
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Source : INSEE, recensement
de 1990.
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Pourtant, la Guyane française a longtemps accepté de bon coeur la présence sur son territoire de milliers d'étrangers. C'était au temps où elle en avait besoin. Comme dans tous les DOM, l'affranchissement des esclaves en 1848 a été compensé par l'introduction de travailleurs étrangers sous contrat. Par exemple, les premiers Chinois (dits aujourd'hui « créoles ») sont recrutés en Chine dès les années 1850. Il y eut aussi des Africains ou des Indiens. En 1975 encore, n'est-ce pas Olivier Stirn, ministre des DOM-TOM, qui a fait venir quelques centaines de familles hmongs du Laos dans le cadre de son « plan vert » ? Dans le courant des années 80, les travailleurs étrangers sont progressivement devenus moins utiles sur une population potentielle active de 48 700 personnes, il existait 11 700 chômeurs en 1990 , au moment même où, à la fin de la décennie, des troubles politiques en Haïti et au Surinam, l'instabilité économique au Brésil, la pauvreté au Guyana ont suscité l'arrivée de nouveaux flux de réfugiés et d'immigrants. D'où plus de 2 000 reconduites à la frontière dès 1988 en Guyane.
Une bonne proportion Chinois, Libanais, Haïtiens des immigrés anciens a pu acquérir la nationalité française. Le maintien des étrangers dans la clandestinité est cependant une vieille tradition guyanaise. Les quelques dizaines de milliers de Noirs marrons (descendants des esclaves qui ont fui en forêt dès le début de l'esclavage de plantation en 1635) de nationalité surinamienne qui se sont réfugiés dans le département à partir de décembre 1986 à l'occasion de la guerre intestine qui les opposait à l'armée n'ont, par exemple, jamais pu obtenir la moindre carte de séjour, ni l'examen de leur situation par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Les autorités françaises se sont contentées de les regrouper dans des camps près de Saint-Laurent-du-Maroni et de Mana notamment ceux de Karouany et d'Acarouany gardés par l'armée et ... un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui semble s'être accommodé de ce traitement sommaire et illégal. Aucune scolarisation n'a été proposée à leurs enfants de peur que l'apprentissage de la langue française ne les incite à se fixer en Guyane.
De même, pour exploiter la forêt, on a fait appel, dès les années 80, à des Brésiliens, à des Surinamiens et à des Haïtiens, dont une bonne proportion était en situation irrégulière. En 1990 encore, le maire de Montjoly, commune jouxtant celle de Cayenne, répétait à qui voulait l'entendre que « sans Haïtiens, il n'y aurait plus de ramassage d'ordures ni d'enterrements. Sans Brésilens, plus de construction. Et sans les Hmongs, plus de produits frais » [1].
Trois facteurs cumulatifs expliquent à la fois la présence actuelle d'un grand nombre d'étrangers (70 000 sur 150 000 habitants, selon la préfecture) en Guyane et, parmi eux, celle d'une presque moitié de sans-papiers (30 000 environ, toujours selon la préfecture). Outre l'immensité du département, dont la superficie égale celle du Portugal, et sa très faible densité démographique, le premier facteur tient au besoin local de main-d'oeuvre : ce vaste département comptait à peine 44 000 habitants en 1967. La mise en valeur du territoire, l'exploitation de la forêt, l'ouverture progressive de la base spatiale de Kourou, l'édification du barrage de Petit-Saut, la construction de l'habitat urbain, et jusqu'au développement d'une agriculture maraîchère avec les Hmongs ou l'implantation de la riziculture autour de Mana avec des Surinamiens ont largement reposé sur l'afflux d'étrangers.
Voir le témoignage
« A Suzini, il y a plus
de 2000 personnes ».
Le deuxième facteur relève de l'instabilité politique dans la région. En Haïti, les soubresauts du duvaliérisme tout au long des années 80, puis les dictatures militaires qui lui ont succédé au début des années 90 ont poussé des milliers de Haïtiens vers la Guyane. L'irruption de la démocratie dans ce pays a, par la suite, conduit certains partisans des dictatures haïtiennes à y trouver un exil. Au Surinam, la guerre civile qui a commencé à la fin de 1986 entre les Noirs marrons et l'armée a, à son tour, propulsé un flux important de réfugiés en Guyane.
Le troisième facteur est économique. La Guyane étant un département français, elle bénéficie, comme tous les DOM d'Amérique et de l'Océan indien, de flux financiers venus de la métropole, qui font d'elle même artificiellement et sous perfusion un Eldorado au regard des niveaux de vie moyens au nord du Brésil, au Surinam, au Guyana et en Haïti. D'autant que le développement et l'exploitation du Centre spatial guyanais (CSG) injectent un supplément de richesse de presque 300 millions de francs par an (sous-traitance, salaires et charges, et dépenses diverses), auquel s'ajoutent 160 millions de francs d'investissements. En 1990, le budget de fonctionnement de la base s'est monté à 600 millions de francs quand celui du conseil général du département cumulait à 500 millions de francs. La mise au point d'Ariane-5, la nouvelle fusée européenne, a requis 37 milliards de francs d'investissements, qui laissent des miettes non négligeables en Guyane.
Aujourd'hui, la Guyane continue à vivre en partie sur le dos de ses étrangers. Il y a, comme on le verra dans les observations de notre mission, une bonne dose d'hypocrisie ou d'intoxication dans le soutien que l'opinion guyanaise apporte à la chasse aux étrangers que l'administration a intensifiée depuis 1990. Combien de petites entreprises vivent de l'emploi de salariés étrangers non déclarés ? Combien de familles bourgeoises utilisent des employées de maison étrangères sans les payer au salaire légal et sans leur donner la moindre fiche de paie ? Le secteur de la construction, pour ne citer que lui, fonctionnerait-il sans Brésiliens pour la charpente et sans Haïtiens pour le gros oeuvre ? Et l'un des principaux dirigeants de la Chambre de commerce de Cayenne ne vient-il pas d'être condamné parce qu'il employait 15 étrangers clandestinisés ?
Les conditions de l'opération de régularisation engagée en 1994 par la préfecture témoignent de cette ambiguïté. Si, pour obtenir une carte de séjour et une autorisation de travail, les étrangers devaient être entrés en Guyane avant août 1991, ils devaient surtout être parrainés par leur employeur qui avouait ainsi ipso facto qu'il les avait employés jusqu'alors au noir. Mais, évidemment, l'on passait l'éponge. Malgré cette amnistie inavouée, il n'y a eu que 2 000 dossiers déposés et 1 500 régularisations. De toute évidence, l'immense majorité des employeurs ont préféré que leurs salariés étrangers restent irréguliers.
Jusqu'à ces toutes dernières années, la préfecture, les pouvoirs locaux, la police regardaient d'un oeil distrait les bidonvilles grandir comme des champignons sans trop se demander qui pouvait bien y habiter. Et l'on poussait le paradoxe jusqu'à y apporter des infrastructures minimales de survie (eau et parfois électricité) juste pour éviter que l'insalubrité de ces ghettos ne contamine la société tout entière. La répression en plus, on en est toujours là aujourd'hui, au terme d'un cycle prémédité de clandestinisation des immigrés. Ce cycle avait intégré, dès l'origine, la possibilité de leur rejet. C'est ce que la simple observation des paysages urbains apprend à qui veut bien les regarder avec un peu d'attention.
De toute évidence, les résidents ne bénéficient guère des services publics. Cet abandon n'empêche pas qu'on leur ait concédé l'arrivée de conduites d'eau qui permettent l'utilisation de robinets collectifs. Quant à l'électricité, elle fait, semble-t-il, l'objet de branchements aussi sauvages qu'artisanaux.
A quelques encablures de cette improvisation urbaine, les pavillons d'un programme de réhabilitation de l'habitat en faveur, nous a-t-on expliqué, des Noirs marrons (français) brillent par leur inoccupation. Faute de pouvoir ou de vouloir payer un loyer supérieur, les bénéficiaires supposés préfèrent visiblement rester dans le bidonville voisin.
Sous réserve d'une enquête plus approfondie, on retire de ce parcours rapide l'impression d'une politique d'« insertion » caractérisée par sa grande hypocrisie et son inadaptation aux conditions sociales et économiques. La ville veut ignorer l'évidence de la présence éclatante de ce sous-prolétariat d'étrangers et de Noirs marrons. Leur marginalisation, juste tempérée par des soucis minimalistes de santé publique, montre à quel point la société de Kourou a besoin d'un contingent variable de parias selon les circonstances économiques.
Voir le témoignage
« Quand la police invente le droit »
Pour dissuader de nouveaux pauvres de venir grossir le contingent en place, de grosses opérations de police tentent de tranquilliser l'opinion. Ainsi, le 24 octobre 1995, un déploiement de 150 gendarmes, dont deux maîtres-chien, équipés de 23 véhicules et d'un hélicoptère, ont fait irruption dans le village Saramaca, l'une des ethnies de Noirs marrons de nationalité essentiellement surinamaise. Ils y ont interpellé 50 étrangers en situation irrégulière, en majorité des femmes, qui ont été reconduits dès l'après-midi au Surinam [2].
C'est aux abords du nouveau centre de rétention de Rochambeau, près de l'aéroport de Cayenne, que nous avons directement vérifié la pression de la police sur les étrangers. Les parents de Haïtiens de Kourou mis en rétention, et qui figurent probablement parmi les victimes de l'accident d'avion du 7 décembre à proximité de Port-au-Prince, évoqueront auprès de nous la multiplication des contrôles d'identité musclés à leur domicile.
[1] Le Monde, 7 avril 1990.
[2] France-Guyane, 25 octobre 1995.
Dernière mise à jour :
25-01-2001 15:47.
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