« Des
étrangers sans droits dans une France bananière »
Rapport de mission en Guyane et à Saint-Martin
EN GUYANE
Des moyens insuffisants
pour la justice
ENTRETIEN AVEC JEAN-LUC
BECK, PROCUREUR
DE LA RÉPUBLIQUE AUPRÈS DU TGI DE CAYENNE
Après nous avoir appris, lors d'un rendez-vous le 5 décembre
1995, que nous avions été précédés
de peu par un journaliste de Paris Match [1],
Jean-Luc Beck, procureur de la République auprès du tribunal
de grande instance de Cayenne, observe d'emblée que la situation
n'est pas simple à gérer, alors qu'il est seul avec deux
substituts pour assurer l'action publique dans un département
aussi grand (un peu moins d'un cinquième de la France métropolitiaine)
et qui a, au surplus, la particularité de comprendre la base
spatiale de Kourou, réglementairement considérée,
avec la ville, comme une zone de défense (où les contrôles
d'identité peuvent être opérés de façon
discrétionnaire). La géographie et les particularismes
locaux rendent la tache du parquet difficile.
Les moyens à la disposition de la justice sont insuffisants.
Il y a, depuis peu, deux juges d'instruction affectés au tribunal.
Il y a encore quelques mois, le seul juge en place avait près
de 400 dossiers en gestion, dont ceux de 140 détenus.
La maison d'arrêt conçue pour 125 places accueille
340 détenus. Le procureur nous a précisé que
cette réalité orientait sa politique pénale. On
limite donc le recours à l'ouverture d'informations. Le tribunal
a rendu 1 700 décisions correctionnelles en 1994. On
n'exécute pas les peines inférieures à un an prononcées
pour les prévenus libres, et le juge d'application des peines
a une fonction de désengorgement. Une nouvelle maison d'arrêt
est attendue à échéance de trois ans.
Les opérations de contrôle de situation des étrangers
se font pour partie dans le cadre de réquisitions du parquet.
Des réquisitions judiciaires sont données une fois par
mois. Un contrôle permanent s'effectue sur un pont de la route
qui conduit à Saint-Laurent-du-Maroni, lieu de circulation importante.
Le procureur n'a pas eu connaissance des problèmes qui nous ont
été dénoncés s'agissant des contrôles
d'identité dans les bidonvilles. Cependant il nous indique que
le tribunal vient d'annuler plusieurs contrôles d'identité
illégaux.
Le tribunal ne connaît pas un volume important de contentieux
de nationalité. Il en existe, en revanche, un non négligeable
en matière de procédure déclarative à la
naissance. Depuis l'arrivée de notre interlocuteur à Cayenne,
il n'y a plus de signalements systématiques au parquet par les
mairies des mariages d'étrangers. Son parquet n'a pas de politique
particulière en ce domaine. Par ailleurs, le tribunal n'a pas
mis en place de commission d'expulsion, car il n'y a pas de nécessité.
Le procureur relève l'existence de filières d'immigration
clandestine, notamment dans la communauté haïtienne et dans
la communauté chinoise. Cette dernière serait, selon lui,
impliquée dans un trafic de documents de séjour indûment
délivrés par la préfecture, qui mettrait en cause
quelques fonctionnaires. Des passeurs haïtiens seraient en cause
à la frontière avec le Surinam.
S'agissant des reconduites à la fontière, le procureur
précise que c'est le juge des enfants du tribunal qui assure
la fonction de juge délégué pour la rétention
administrative. Il n'y aurait en moyenne que 350 à 400 procédures
par an (sur 12 000 à 15 000 reconduites). Il n'existe
pas de permanence organisée par le barreau pour assurer la défense
des étrangers devant le juge délégué. Selon
les demandes exprimées, c'est le juge qui sollicite l'avocat
de permanence pour les procédures pénales. Ce dernier
semble venir en fonction de ses disponibilités.
Pour la répression des employeurs ayant irrégulièrement
recours à de la main-d'oeuvre étrangère en situations
régulière ou irrégulière, le procureur assure
que sa politique pénale est plus ferme que celle de ses prédécesseurs.
Il donne l'exemple de l'interpellation et de la mise en garde-à-vue
du président de la Chambre de commerce, qui dirige une entreprise
à Saint-Laurent-du-Maroni, où une quinzaine d'étrangers
en situation irrégulière étaient récemment
employés.
[1] Lire « Guyane,
le département le plus menacé par les clandestins »,
Paris Match, 18 janvier 1996.
Dernière mise à jour :
24-01-2001 16:43.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/publications/1996/bananier/guyane/beck.html
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