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Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC Chapitre IV
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Encadré 16 - Médecines libérale, hospitalière et salariée : une politique persistante d'exclusion des étrangers, des Français naturalisés et des Français à diplôme étranger |
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La corporation des médecins s'est particulièrement illustrée dans le passé pour exclure non seulement les étrangers mais également les naturalisés, en imposant la double exigence de nationalité française et de diplôme français pour exercer à titre libéral (cf 1ère partie). Même le médecin français qui a fait ses études à l'étranger devra obtenir une équivalence s'il veut pratiquer [Wolmark, 1997]. Pour sortir de la double exigence de nationalité et de diplôme, la seule possibilité pour les médecins étrangers ou les médecins à diplôme étranger de sortir des statuts précaires et d'exercer dans les conditions de droit commun est de suivre une procédure en plusieurs étapes : passer un examen ; passer des épreuves orales ; obtenir un avis d'une commission ; et enfin obtenir une autorisation individuelle du ministre, un quota d'autorisations étant fixées annuellement. Résultat : 2 à 4 % d'autorisations accordées, soit 40 à 80 personnes par an (75 en 1997). Certains candidats ayant obtenu les examens depuis plus de 10 ans attendent toujours une autorisation ministérielle. Devant une telle aberration, le secrétariat d'Etat à la Santé a annoncé 400 autorisations pour 1999 (J.O. du 31/12/1998). Le verrou à la pratique de la médecine libérale ne suffisait pas comme l'attestent encore les développements de ces dernières années visant à exclure les médecins (français ou non), à diplôme étranger, salariés dans les hôpitaux. Ainsi, un rapport du professeur Mercadier adopté en 1994 par l'académie de médecine fait l'amalgame entre médecins étrangers et médecins incompétents et dénonce un système de santé français « laxiste et intolérable » parce qu'il fait appel à des « médecins étrangers non qualifiés » et « laisse certains postes hospitaliers à des étrangers qui sont en situation critiquable voire irrégulière » [Ettahiri, 1994]. L'objectif crûment affiché par ce rapport est de « réduire progressivement le flux des médecins étrangers venant travailler dans les hôpitaux... [et d'] encourager le recrutement de médecins français dans les hôpitaux généraux... ». En fait, les hôpitaux français fonctionnent pour nombre d'entre eux grâce à ces salariés sous-payés et qui exercent sans sécurité de l'emploi dans des conditions très difficiles : si les médecins à diplôme étranger représentent un quart des effectifs, ils exercent surtout dans les régions, les hôpitaux ou les services les moins prisés (les urgences notamment) et effectuent la moitié des gardes de nuit. Ils sont de nationalité française pour les deux tiers. Un décret du 20 novembre 1991, prévu pour être appliqué à partir de la fin 1994, limite les recrutements de « faisant fonction d'interne » aux étrangers préparant un diplôme inter-universitaire de spécialisation (DIS), diplôme dont l'accès est lui-même extrêmement réduit depuis un arrêté du 1er août 1991. Ce DIS, bien que diplôme français, « n'ouvre pas droit [une fois obtenu] à l'exercice de la spécialité en France », quand bien même la personne serait ou deviendrait française ensuite. Avec ces décisions, des étrangers travaillant depuis des années à l'hôpital sont privés de toute ressource et de toute possibilité d'exercer en France. La loi du 4 février 1995 poursuit la logique d'exclusion. Elle porte sur les titulaires de diplômes étrangers, que ces titulaires soient étrangers ou français, et sur les étrangers titulaires du diplôme français d'Etat de docteur. La réforme prévoit d'autoriser ces personnes à continuer à pratiquer à l'hôpital à condition de passer avec succès un concours, qui permet d'être inscrit sur une rubrique spécifique du tableau de l'Ordre des médecins. Seuls peuvent se présenter, et ce jusqu'à la dernière session en 1999, ceux en fonction et ayant exercé pendant trois ans au moment de l'entrée en vigueur de la loi tout en ayant rempli un certain nombre de vacations par mois. Dans la réalité, ce concours agit comme une purge massive : sur 8 000 médecins à diplôme étranger, 4 254 ont postulé au concours, 2 126 ont été admis à l'examen, 1 035 ont été reçus et seulement 500 postes avec ce nouveau statut ont été créés au 25 avril 1997 [Wolmark, 1997]. In fine, l'intéressé dispose d'un contrat de 3 ans, renouvelable. Ce statut est payé à un niveau inférieur au statut français, voire même au statut jusque là occupé par le médecin, et les possibilités de promotion sont inexistantes. Tous les autres, qu'ils n'aient pas été autorisés à passer le concours ou qu'ils n'aient pas été reçus se retrouvent exclus non seulement de la profession de médecin mais de toutes les professions puisqu'on leur retire l'autorisation de travail. Mais, du fait de l'impossibilité d'appliquer la loi sans porter atteinte à la continuité des soins, une nouvelle loi du 28 mai 1996 a permis aux chefs de clinique de déroger à la loi de 1995 en demandant une autorisation au ministère. Enfin, différentes circulaires (17 octobre 1997, 3 août 1998) sont intervenues pour maintenir en fonction ces médecins, au moins jusque fin 1999, traduisant l'impossibilité de se passer d'eux sans mettre en péril le bon fonctionnement des services. Pour résumer, un médecin de nationalité étrangère qui a suivi la totalité de ses études de médecine en France ou qui travaille depuis longtemps dans les hôpitaux français ne peut exercer à titre libéral, sauf très rares exceptions. Pour les Français et les étrangers à diplôme étranger, une règle : la précarité d'exercice. Une seul élément d'extranéité suffit donc pour exclure un médecin de l'exercice de la médecine. Et comme la naturalisation pourrait lever le seul élément d'extranéité pour certains médecins à diplôme français, une circulaire du 27 avril 1995 vient combler la « brèche ». En donnant aux préfets des instructions pour apprécier les demandes de naturalisation, à la suite des réformes du Code de la nationalité introduites par la loi Méhaignerie du 22 juillet 1993, elle retient parmi les critères le suivant : « En revanche, les demandes d'étrangers qui veulent accéder à des professions réservées aux nationaux et aux ressortissants de certains Etats européens peuvent être refusées lorsque ces professions sont soumises à un numerus clausus. », ce qui signifie, une fois décodé, que les demandes émanant de médecins, de chirurgiens-dentistes, de pharmaciens, de masseurs kinésithérapeuthes, de sages-femmes de psychomotriciens, d'orthophonistes, d'infirmiers diplômés d'Etat, professions déjà réservées aux Français (sauf pour les masseurs kinésithérapeuthes depuis la loi du 25 juillet 1985), seront considérées avec un préjugé défavorable. Comme quiconque veut exercer la médecine en France doit depuis les années trente posséder à la fois la nationalité française (ou d'un Etat de la Communauté) et un diplôme français (ou d'un Etat membre de la Communauté), cette mention signifie qu'on doit barrer l'accès à la nationalité française dès lors qu'elle leur ouvrirait l'accès à la profession de médecin. Il faut choisir entre être médecin ou être français, et donc entre partir ou changer de métier car s'il ne devient pas français, l'intéressé ne pourra non plus être médecin. On ne peut que constater la très forte continuité entre ces décisions récentes et les mesures les plus détestables prises dans les pires accès de xénophobie et d'antisémitisme des années trente [Lochak, 1995c]. ______________________ (1) Sous divers statuts spécialement créés pour eux. Un « faisant fonction d'interne » (FFI) gagne environ le Smic. Un assistant associé étranger gagne en moyenne 500 F de moins que son collège français pour la même fonction et la même charge de travail. Les indemnités de gardes des attachés associés étrangers ont été ramenées par un arrêté de janvier 1989 de 1 324 francs à 448 francs. Devant les réactions, l'arrêté n'a pas été exécuté et a été suspendu le 16 juillet 1993 (Ettahiri, 1996). |
De très nombreuses professions indépendantes sont interdites aux étrangers. Ils ne peuvent, pêle-mêle, se livrer à la fabrication et au commerce des armes et munitions [103], diriger un établissement privé d'enseignement technique [104], être directeur ou gérant d'une agence privée de recherche, exercer à titre individuel ou comme dirigeant d'entreprise des activités privées de surveillance, de gardiennage ou de transports de fonds [105], être directeur d'une publication périodique [106], d'un service de communication audiovisuelle [107], d'une société coopérative de messagerie de presse [108], siéger dans le comité de rédaction d'une entreprise éditant des publications destinées à la jeunesse [109], se voir accorder de concession de service public ou d'énergie hydraulique [110] ou exercer certains métiers indépendants de la finance ou du commerce (agents de change [111], courtiers de marchandises assermentés, remisiers et gérants de portefeuille). Nous n'avons pu estimer le nombre d'emplois de ce catalogue, probablement non exhaustif.
En outre, les étrangers ne peuvent pas, sauf disposition plus favorable d'une convention internationale, gérer un débit de boissons [112] ou un débit de tabac [113], établissements dans lesquels exercent environ 40 000 non salariés à la fin 1995 [114]. Ils ne peuvent non plus exploiter des cercles de jeu ou des casinos [115]. On comptait un peu moins de 600 entreprises de jeux de hasard et d'argent à la fin 1996 [INSEE 1998 p. 845]. Ils ne peuvent diriger une des 6 900 entreprises ayant des activités de spectacle [116] à la fin 1996 [INSEE 1998 p. 845]. Ils sont exclus des professions indépendantes du secteur des transports routiers, fluviaux ou aériens où environ 68 000 non salariés exercent à la fin 1995 [117]. Ils sont aussi exclus des métiers indépendants du secteur des assurances [118] (courtiers, agents généraux, etc.), secteurs regroupant 76 000 non salariés à la fin 1995 (93 000 fin 1991) parmi lesquels 17 400 agents généraux et 2 400 courtiers [INSEE, 1998, p. 853].
L'ensemble de ces dernières professions représente de l'ordre de 200 000 emplois, estimation a minima des emplois d'indépendants (hors professions libérales) soumis à une condition de nationalité.
Le principe de liberté de circulation pour les citoyens de l'Union européenne ignore toujours les ressortissants des pays tiers même si ce sont des travailleurs établis, résidents en situation régulière depuis longtemps [Dollat, 1998, Cortes-Diaz et Saas, 1998, Wrench, 1998]. Contrairement aux nationaux, ils sont limités dans leur liberté de mouvement. Leur titre de séjour ne leur ouvre pas le droit de travailler dans un autre Etat membre, encore moins d'y résider. Les possibilités offertes aux nationaux (d'un Etat de l'Union européenne) de travailler à l'étranger ne sont pas négligeables, en témoignent les 200 000 frontaliers comptabilisés au recensement de 1990, c'est-à-dire les personnes résidant en France et travaillant hors de France [Aubry, 1998] [119]. Ce nombre ne cesse de croître. Localement, ces emplois peuvent être très importants. Dans certaines zones frontalières, la ou les zones voisines de l'autre côté de la frontière offrent en effet de nombreux débouchés. Ainsi, dans 117 communes françaises, la part des frontaliers dépasse 50 % et elle dépasse 10 % dans 987 communes, soit 2,7 % des communes françaises [Aubry, 1998]. Les effectifs de frontaliers les plus importants résident surtout en Alsace, en région Rhône-Alpes et en Lorraine. Les pays concernés sont par ordre d'importance la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg (dont le nombre de frontaliers résidents français a plus que doublé depuis 1990) et la Belgique.
L'absence de liberté de mouvement en Europe pour les ressortissants des Etats tiers a eu des effets particulièrement importants, comme l'illustre l'exemple de la zone d'emploi de Longwy en Lorraine, à la suite des restructurations industrielles des années 1970-80. Les pays voisins ont pu offrir des débouchés à la main d'oeuvre locale, ce qu'atteste le quasi triplement du nombre de frontaliers entre 1968 et 1990. Ils représentent 22 % des résidents au recensement de 1990 (travaillant pour 86 % d'entre eux au Luxembourg). A la suite des restructurations dans la sidérurgie, les étrangers, par exemple les Algériens licenciés ou les jeunes, n'ont pas eu, comme leurs ex-collègues et voisins, la liberté d'aller travailler au Luxembourg ou en Belgique. Un constat identique peut être dressé pour d'autres zones d'emploi où l'emploi frontalier occupe une fonction déterminante, notamment en Lorraine (Sarreguemines, bassin houiller lorrain, Thionville) ou en Alsace (Haguenau, Altkirch...).
[89] Art. L. 356 du Code de la santé publique
[90] La condition de nationalité n'est pas opposée aux Marocains et aux Tunisiens, qui peuvent ainsi exercer en France la profession de médecin mais à la condition d'être titulaire d'un diplôme d'Etat français de docteur en médecine.
[91] Dans le cas des médecins, ce quota permet de répondre à seulement 2 à 4 % des demandes d'autorisations (cf encadré 16).
[92] Respectivement, l'article L. 514 du Code la santé publique et l'article 309-1 du Code rural.
[93] Le nombre de masseurs-kinésithérapeuthes s'élève à environ 50 000, mais certains sont salariés et n'exercent pas à titre libéral (SESI, 1998).
[94] Art. 10 et 11 de la loi du 3 janvier 1977.
[95] Loi du 7 mai 1946 modifiée par la loi du 15 décembre 1987 qui a ouvert la profession aux ressortissants communautaires.
[96] Ordonnance du 19 septembre 1945 modifiée par la loi du 8 août 1994 qui a ouvert la profession aux ressortissants communautaires.
[97] Les fonctions d'officier ministériel sont plus strictement réservées aux Français que les autres, puisqu'il n'existe à l'heure actuelle aucune exception à cette règle, même sur le fondement d'une convention internationale.
[98] Art. 5 et 21 de la loi du 25 janvier 1985.
[99] La règle ancienne a été maintenue par la loi du 31 décembre 1971 réorganisant la profession (art. 11), qui réserve toutefois l'application des conventions internationales.
[100] Au recensement de 1990, les effectifs des professions de santé étaient de 1 462 000, soit 6,6% de la population active (301 000 dans les professions médicales, 349 000 dans les professions paramédicales et 812 000 dans les professions de santé). A ces professions de santé, on peut également ajouter les autres professions sociales, soit 453 000 personnes et 2 % de la population active au recensement de 1990 (SESI, 1998).
[101] Cf. Rodière, 1998, pp. 160-162.
[102] 311 000 selon l'enquête emploi de mars 1997. Les médecins exerçant à titre libéral sont près de 120 000 en France en 1997 sur un total d'environ 175 000 médecins (SESI, 1998). On compte plus de 40 000 chirurgiens-dentistes, 13 000 sages-femmes, 60 000 pharmaciens dont 26 000 titulaires d'officine et plus de 10 000 vétérinaires. Nous ne connaissons pas les effectifs des autres professions libérales.
[103] Décret du 14 août 1939.
[104] Art. 70 du Code de l'enseignement technique, qui subordonne parallèlement l'exercice des fonctions de professeur à une condition de nationalité, sauf autorisation spéciale du ministre de l'Éducation nationale.
[105] Art. 5 de la loi du 12 juillet 1983.
[106] Art. 6 de la loi du 29 juillet 1881 (modifiée à plusieurs reprises).
[107] Art. 93-2 de la loi du 29 juillet 1982. La loi du 30 septembre 1986 confirme la condition de nationalité française pour le directeur de tout service ou entreprise de l'audio-visuel.
[108] Art. 11 de la loi du 2 avril 1947.
[109] Art. 4 de la loi du 16 juillet 1949.
[110] Décret-loi du 12 novembre 1938 et art. 26 de la loi du 16 octobre 1919 respectivement. Deux décrets du 15 avril 1970 et du 12 mai 1971 ont toutefois assimilé les ressortissants communautaires aux Français dans ces deux domaines.
[111] La nationalité française était exigée aux agents de change avant la réorganisation de la profession par la loi du 22 janvier 1988 qui confie leurs fonctions à des sociétés de bourse.
[112] Art. L. 31 du Code des débits de boissons. Cette restriction a été introduite par un décret-loi du 29 juillet 1939 (cf 1ère partie).
[113] La gestion des débits de tabacs, liée au monopole de l'Etat, est considérée comme une Fonction publique.
[114] Le nombre de cafés est d'environ 16 000 fin 1996 et de 13 000 pour les cafés-tabacs à la fin 1995 (INSEE, 1998, p845). Les effectifs des non salariés des cafés-tabacs est d'environ 16 000 à la fin 1995, pour un total de près de 40 000 non salariés pour l'ensemble des débits de boisson à la fin 1995 (INSEE, 1998, p. 847).
[115] Art. 3 de la loi du 15 juin 1907 modifiée par la loi du 9 juin 1977.
[116] Art. 4 de l'ordonnance du 13 octobre 1945.
[117] A la fin de 1995, on compte près de 38 000 entreprises de transport routier de marchandises, plus de 3 000 entreprises de transports urbains et routiers de voyageurs et près de 2 000 entreprises de frêt (INSEE, 1998 pp. 766-7). Le secteur des transports fluviaux compte plus d'un millier de travailleurs indépendants à la fin 1995 (INSEE, 1998, p. 779) et le secteur des transports aériens environ 7 500 non salariés fin 1995 (INSEE, 1998, p. 793). Le secteur des transports emploie au total environ 68 000 non salariés à la fin 1995 (INSEE, 1998, pp. 129-130).
[118] Art. R. 511-4 du Code des assurances.
[119] Il faudrait aussi tenir compte de l'interdiction faite aux ressortissants des Etats tiers, non seulement de travailler dans un autre Etat membre en continuant à résider en France comme le font les frontaliers, mais aussi d'aller y travailler en s'y installant. Sur 1,7 million de Français résidant à l'étranger, on estime ceux résidant dans l'Union européenne à 0,9 million dont une forte proportion y exerçant une activité. Ces emplois également fermés aux étrangers non communautaires sont bien réels. Il serait cependant trop hasardeux d'en estimer le nombre.
Dernière mise à jour :
13-11-2000 16:49.
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