|
|||||||||
| |||||||||
Communiqués
Pétitions Presse Références En ligne Dossiers Libre circulation CD Mémoire
Voir aussi
|
Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC Chapitre II
|
Encadré 5 - Les effets économiques dépressifs
d'un départ massif d'étrangers : une illustration empirique |
---|
Une étude sur la région de Montbéliard fournit une illustration concrète des effets du départ des immigrés via la baisse de la demande de biens et services [Mamet, 1987]. Cette région est marquée par la mono-industrie avec la firme Peugeot. Les réductions d'effectifs dès la fin des années soixante-dix touchent davantage les immigrés (les effectifs passent de 40 000 à 23 500 entre 1979 et fin 1986, le nombre des travailleurs immigrés de 8 500 à 2 700). Cette baisse s'explique d'abord par le renvoi immédiat en 1979 des immigrés employés comme intermédiaires et par une première opération « retour au pays » en 1980 qui ne rencontre pas l'effet escompté. Mais c'est entre 1984 et 1986 qu'une opération d'envergure va être menée. A une prime de l'Etat d'autres aides sont ajoutées les unes aux autres : aide au déménagement, billet de retour par avion pour l'intéressé et sa famille, indemnité correspondant à 66 % des droits aux ASSEDIC, indemnité de licenciement, prime supplémentaire de Peugeot. Cette prime au retour qui peut paraître mirifique, de 100 000 à 140 000 F suivant la situation familiale et l'ancienneté, a un revers de taille : l'intéressé perd tous ses droits sociaux acquis, notamment la retraite. Dans un climat de chômage, de racisme larvé et de menaces (tracts....), l'opération rencontre un certain succès. Avec les familles ce sont près de 7 000 immigrés qui quittent la région de Montbéliard entre 1984 et 1986, soit plus de 5 % de la population. Ce départ a un effet désastreux pour de nombreuses activités, effet d'autant plus visible qu'il est rapide :
|
Dans l'approche néo-classique, les entreprises combinent des « facteurs de production » (capital et travail) avec une technologie déterminée, pour produire les biens et services vendus ensuite sur le marché. En général plusieurs technologies sont possibles pour fabriquer un bien particulier : certaines emploient relativement beaucoup de capital et peu de travail (techniques « capitalistiques » ou « intensives en capital »), d'autres au contraire utilisent surtout du travail (secteurs de main-d'oeuvre ou « intensifs en travail »). Les entreprises vont, quand elles ont le choix, retenir la technique qui leur garantit le moindre coût, et donc le meilleur profit. Si un facteur devient cher relativement à un autre, des entreprises vont probablement abandonner, si elles le peuvent, la technologie qui emploie intensivement le premier pour adopter une technologie qui fait davantage appel au second. En termes techniques, l'accroissement du prix relatif d'un facteur de production favorise sa substitution par un autre facteur. Mais ces possibilités de substitution entre facteurs sont limitées par le nombre restreint de technologies disponibles. Cas extrême, si une seule technologie est possible pour produire un bien déterminé, le prix relatif des facteurs de production n'aura aucune importance pour déterminer les quantités utilisées : on dira alors que ces facteurs sont strictement complémentaires [14]. A l'inverse, si une infinité de technologies sont possibles, chacune combinant différentes proportions de facteurs, une faible variation des prix relatifs entraîne une variation correspondante (mais en sens inverse) des quantités employées : les facteurs sont alors dits parfaitement substituables et leurs prix sont égaux.
Deux facteurs ne sont pas nécessairement entièrement substituables ou totalement complémentaires l'un par rapport à l'autre ; en fait dans la plupart des cas, ils sont imparfaitement substituables (ou partiellement complémentaires) : quand leurs prix relatifs varient, les quantités employées varient bien en sens inverse, mais plus ou moins fortement que les prix, selon que leur « élasticité de substitution » est supérieure ou inférieure à 1. La complémentarité ou la substituabilité sont donc affaire de degré, non de nature.
A priori l'immigration représente une hausse exogène (c'est-à-dire venant de l'extérieur, dans ce cas de l'étranger) de la quantité de l'un des facteurs de production, le travail. Mais le facteur travail est souvent considéré par les économistes comme un bien non homogène : il existe plusieurs sortes de travail qui possèdent des qualités et des prix différents. Au minimum, on distingue le travail qualifié et le travail non qualifié ; pour les études sur l'impact de l'immigration, celle-ci est considérée comme une hausse de l'offre de travail non qualifié. Certaines études distinguent une catégorie spécifique, le travail immigrant.
Si l'offre (la quantité disponible sur le marché) d'un facteur de production, par exemple le travail non qualifié, augmente alors que l'offre des autres facteurs reste stable, ce facteur deviendra relativement moins rare : si les prix et les salaires sont flexibles, il verra en général son prix baisser. Les salaires des travailleurs non qualifiés baisseront alors tous, jusqu'à ce que tous soient employés. Les entreprises emploieront donc au final davantage de main-d'oeuvre (non qualifiée) : la production augmentera.
Les économistes néo-classiques démontrent alors que si les marchés fonctionnent de façon parfaite, le surcroît de production permis par l'immigration ne sera pas entièrement absorbé par la rémunération des nouveaux venus [15] : un « surplus de l'immigration » permettra aux autres facteurs de s'enrichir, dans la mesure où ils sont complémentaires au travail non qualifié. Un afflux de main d'oeuvre immigrante, majoritairement non qualifiée, a donc pour conséquence théorique d'accroître la rentabilité du capital, ainsi que, probablement, les salaires relatifs des travailleurs qualifiés par rapport aux non qualifiés. La main d'oeuvre non qualifiée (ou la main d'oeuvre immigrante, quand elle est traitée de façon spécifique par les modèles) verra son salaire relatif diminuer puisque, toutes choses égales par ailleurs, son offre relative augmente sous l'impact de l'immigration. « L'immigration réduit le prix des facteurs avec lesquels la main d'oeuvre immigrante est parfaitement substituable, a un effet ambigu sur le prix des facteurs avec lesquels la main d'oeuvre immigrante est imparfaitement substituable, et accroît la rémunération des facteurs avec lesquels elle est complémentaire » [Friedberg et Hunt, 1995]. Si les salaires des travailleurs non qualifiés sont rigides à la baisse (par exemple en présence d'un SMIC), c'est leur chômage qui augmentera.
Un courant théorique plus récent, d'inspiration néo-classique mais modernisé [Layard, Nickell, Jackman, 1991], admet que les marchés, et en particulier le marché du travail, ne sont pas concurrentiels : le « chômage d'équilibre » résulte de la confrontation d'une demande de travail marquée par des comportements monopolistes des entreprises et d'une offre de travail caractérisée par un pouvoir de négociation syndical. Dans ces modèles, dits de « théorie de la négociation », l'immigration peut apparaître comme un moyen de diviser le front syndical et de réduire les prétentions salariales des travailleurs autochtones : en tirant vers le bas l'ensemble des salaires, l'immigration aura pour effet de diminuer le « chômage d'équilibre » (du moins si elle ne ralentit pas trop la croissance de la productivité du travail). Là encore l'immigration accélérera la croissance économique.
Ainsi, pour tous les économistes d'inspiration néo-classique, l'immigration accroît le bien-être social global [16], mais surtout, provoque une redistribution des revenus en faveur du capital et du travail très qualifié (les facteurs les plus complémentaires au travail des immigrants), et en défaveur des travailleurs non qualifiés ou des immigrés plus anciens (dans les modèles qui distinguent deux catégories de non qualifiés, autochtones et immigrants). Cet effet redistributif de l'immigration pourrait expliquer pourquoi ce sont souvent les entreprises qui vont chercher les migrants ou qui s'opposent aux restrictions à l'immigration, alors que les travailleurs les moins qualifiés, qui se sentent le plus concurrencés par les migrants, y sont le plus hostiles.
Toutefois ces mécanismes théoriques évoqués se limitent à une vision statique et de court terme ; en outre leur pertinence théorique doit être validée par une confrontation empirique avec les données, qui seules permettent de juger de leur importance réelle (cf. infra, encadré 7 « Le cas américain »). Or la quasi totalité des études empiriques de la question concluent que les effets de l'immigration sur les salaires et le chômage des autochtones sont négligeables, et qu'ils sont très faibles (mais non nuls) sur les salaires et le chômage des immigrés eux-mêmes. C'est vrai aux Etats-Unis, et la seule étude française sur la question [Garson et al., 1987] obtient un résultat similaire : « les groupes de main-d'oeuvre étrangère sont plutôt complémentaires à la main-d'oeuvre nationale et substituables entre eux » [Tribalat et al., p. 216]. Par conséquent, « un retour massif des travailleurs étrangers entraînerait rapidement une élévation importante des coûts salariaux de beaucoup d'entreprises et une chute de leur rentabilité » [id].
Encadré 6 - Un point de vue d'économiste libéral
sur l'immigration |
---|
Lors des débats qui ont fait rage autour des lois Debré, puis Chevènement, bien peu d'économistes ont pris la parole en s'appuyant sur les acquis de leur discipline. Une exception notable est celle de Paul-Louis Courier, « pseudonyme d'un haut fonctionnaire », qui présentait dans « Le Figaro » du 4/09/1997 « une approche économique de l'immigration » : « Il est étonnant de constater, dans le débat actuel sur l'immigration, combien les économistes se font peu entendre. Pourtant il existe une abondante littérature sur le sujet (...). En premier lieu, les immigrés présentent un certain nombre de caractéristiques intéressantes du point de vue de l'économiste. Par exemple, leur taux de natalité est sensiblement plus élevé que celui des nationaux, ce qui corrige l'externalité négative due à la faible natalité des nationaux. Autre point important, les immigrés tendent à être des contributeurs nets au budget de l'Etat et des organismes de sécurité sociale. (...). Par ailleurs, on rend généralement les immigrés responsables de la baisse de l'intensité capitalistique et, in fine, de la baisse des salaires réels des nationaux. Cette affirmation est particulièrement fallacieuse. En effet, il appartient aux autorités du pays d'accueil de faire progresser l'investissement par une politique monétaire et budgétaire avisée, ce qui devrait avoir pour effet de faire progresser l'intensité capitalistique, la productivité par travailleur et finalement les salaires réels, que ce soit ceux des nationaux ou des immigrants. (...) En outre, l'effet négatif de l'immigration sur les salaires réels est plus que compensé par les gains en revenus des actions qu'une utilisation plus intensive du capital permet (...) Un deuxième problème est posé par la baisse du niveau des classes scolaires que la présence de nombreux enfants immigrés peut entraîner. La solution à ce problème réside dans une adaptation du système éducatif proposée de longue date par Milton Friedman. Il s'agirait de créer des chèques éducation qui, associés au libre choix des parents quant à l'établissement scolaire de leurs enfants, permettraient de réduire les effectifs des classes à faible niveau et d'adapter la pédagogie en fonction du nombre et du niveau des élèves (...) A dire vrai la présence d'une population immigrée que certains jugent trop importante n'est que la contrepartie des rigidités qui caractérisent notre marché du travail. La France paie sous la forme d'une immigration non négligeable la rigidité de son mode de formation des salaires réels due à l'existence du SMIC, de dispositifs de « protection de l'emploi », d'un système d'indemnisation du chômage plutôt généreux et de bien d'autres facteurs, notamment le niveau du RMI. C'est à ces rigidités qu'il faut s'attaquer si l'on souhaite réduire l'immigration ». |
Les conclusions théoriques ne valent toutefois que dans les modèles en équilibre partiel de court terme : à moyen-long terme, si l'on prend en compte les rétroactions du système économique sur lui-même, l'effet de l'immigration devient largement indéterminé. Car ce n'est qu'à court terme que l'offre des autres facteurs (travail qualifié et capital) demeure inerte, et que l'immigration modifie les volumes relatifs de l'offre. Mais à moyen-long terme les travailleurs et les épargnants vont prendre en compte les signaux adressés par les marchés (l'accroissement de la rentabilité des études et du capital). Ainsi les travailleurs autochtones des régions d'immigration, dont les salaires ou l'emploi seraient touchés par la concurrence des migrants, vont eux-mêmes changer de région [Greenwood et Hunt, 1995] : les effets déjà très faibles enregistrés au niveau local seront ainsi à terme dilués dans l'ensemble de l'économie. De même, le différentiel de salaires (et/ou de chômage) entre qualifiés et non qualifiés s'accroissant, les autochtones vont investir davantage dans la formation, pour acquérir les qualifications dont le rendement s'est accru. A long terme ceci va accroître l'offre de main d'oeuvre qualifiée et réduire le différentiel de salaire (et/ou de chômage). Enfin, même si le taux de profit augmente grâce à l'immigration, des capitaux viendront s'investir pour en bénéficier, ce qui tendra à ramener la rentabilité à son niveau initial... Car si les capitaux sont parfaitement mobiles, leur rémunération est fixée sur les marchés internationaux, et ne dépend pas de l'immigration dans un pays particulier. In fine, la rémunération du capital reviendra à son niveau de départ ; ce seront alors les travailleurs autochtones qui récupéreront le surplus de l'immigration.
La théorie néo-classique, avec ses mécanismes spontanés de rééquilibrage par le libre jeu des marchés, aboutit donc à prévoir une absence d'effets durables de l'immigration sur le marché du travail. Pour le court-moyen terme, elle fait jouer un rôle primordial à la distinction « substituabilité-complémentarité » : dans le premier cas, l'immigration pourrait, au moins à court terme, déplacer la main-d'oeuvre autochtone et aggraver son chômage, mais dans le second, elle serait entièrement bénéfique à l'économie du pays d'accueil. Les études empiriques américaines, de loin les plus développées, montrent un degré très large de complémentarité entre main-d'oeuvre immigrante et autochtone, et amènent à des conclusions optimistes sur l'effet économique des migrations (cf encadré 7).
On peut toutefois s'interroger sur cette focalisation sur la question de la substituabilité : de toutes façons, même si l'on montrait l'existence d'une forte substituabilité entre les deux catégories, l'immigration ne serait pas - et serait même peut-être encore moins - un problème pour l'économie et les travailleurs autochtones. En effet les mécanismes macro-économiques favorables évoqués (impact sur la productivité via les effets d'échelle et sur la demande finale) jouent d'autant plus que les immigrants ont des caractéristiques de qualification, de productivité et de salaires proches de celles des autochtones, c'est-à-dire d'autant plus que la substituabilité est forte entre ces deux catégories. Autrement dit, l'arrivée d'immigrants très différents (« complémentaires ») accroît la richesse nationale et les revenus des autochtones, mais l'immigration de travailleurs en tous points semblables aux nationaux (« substituables ») n'a aucune raison d'introduire des déséquilibres. Les économistes néo-classiques n'auraient-ils pas tendance à se polariser sur la question de la substituabilité par manque de vision macro-économique ?
Encadré 7 - Le cas américain : une investigation systématique |
---|
Les économistes américains, à la différence des européens, ont été nombreux à s'interroger sur l'effet de l'immigration sur le marché du travail. Le National Bureau of Economic Research (NBER), un organisme fédéral de financement de la recherche économique, a coordonné en 1988 un vaste programme d'études sur l'impact économique de l'immigration, coordonné par Abowd et Freeman. Le NBER a financé un ensemble impressionnant d'études statistiques afin d'éclairer le débat social autour de ces questions. La problématique initiale traite à la fois des impacts de l'immigration, du commerce extérieur et de l'investissement étranger, phénomènes liés à l'ouverture croissante de l'économie américaine sur l'extérieur au cours des années 70-80. La méthodologie des travaux consiste surtout à étudier ce qui se passe dans les secteurs ou les régions selon l'intensité des flux migratoires ou commerciaux qu'ils connaissent, pour tenter d'en inférer l'impact de ces flux. En comparant par exemple l'évolution des salaires dans des villes à forte proportion d'immigrés, et dans d'autres situées à l'écart des flux migratoires, les économistes peuvent espérer quantifier l'impact de ces flux. Le choix explicite a été fait de ne pas utiliser des modèles d'équilibre général, qui décrivent les impacts globaux et de long terme, mais de tenter de cerner les effets de court terme du commerce et de l'immigration sur le bien-être des catégories a priori les plus susceptibles d'être affectées par l'internationalisation du marché du travail (les immigrés eux-mêmes, anciens et nouveaux, et les catégories autochtones avec lesquelles ils rentrent éventuellement en concurrence). Quelques-uns des principaux résultats du programme de recherche du NBER sont résumés ci-après.
Immigration et offre de travail
Les flux d'immigration enregistrés ont connu une hausse constante depuis la Seconde Guerre mondiale ; dans les années quatre-vingt l'immigration légale a contribué pour 25 % à l'accroissement démographique du pays (contre 13 % dans les années soixante). Elle ne représente pourtant, en stock, que 6,2 % de la population totale et 6,7 % de la population active en 1980 [Borjas et Freeman] ; (le chiffre de 9,3 % pour 1988 est cité par Borjas, Freeman et Katz]. Le changement de politique d'immigration en 1965 (passage d'une immigration de travailleurs qualifiés, plutôt européens, suivant la fixation de quotas, à une immigration de regroupement familial et de travailleurs peu qualifiés) a contribué à cette accélération des flux d'immigration.
L'estimation de la population immigrée non enregistrée amène à augmenter un peu ces estimations : les flux réels ont représenté 38 % de l'accroissement démographique et le stock 6,8 % de la population totale et 7,3 % de la population active en 1980. Cette estimation est réalisée par Borjas, Freeman et Lang [in Abowd et Freeman] par recoupement de différentes méthodes : étude de la mortalité et de la natalité aux USA des personnes « nées mexicaines », étude du nombre d'arrestations par la patrouille des frontières en tenant compte de l'évolution de ses moyens d'action, enquêtes menées sur des petits échantillons. A noter que l'opération de régularisation des sans papiers (illegal aliens) menée en 1986 a concerné plus de 3 millions de personnes (Immigration Reform and Control Act), et que l'Immigration Act de 1990 prévoit un accroissement des flux d'immigration légale au cours des années quatre-vingt-dix, tout en renforçant la répression de l'immigration illégale. L'origine des immigrants s'est également fortement transformée : plus de la moitié (53 %) venaient d'Europe dans les années cinquante, mais seulement 11 % dans les années quatre-vingt, la part des latino-américains passant de 25 à 42 % et celle des asiatiques de 5 à 42 % [Borjas et Freeman]. Malgré l'ouverture croissante de l'économie américaine (le taux d'ouverture passant de 5 à 13 % entre les années cinquante et quatre-vingt), la proportion de personnes travaillant dans des secteurs exposés est tombée de 33 % à 21 % entre 1960 et 1987 du fait de la montée de la part des services dans le PIB [Abowd et Freeman]. Concernant l'investissement étranger, sa part dans l'investissement total est passée de 0,4 % en 1960 à 9,2 % en 1988 : c'est évidemment là que l'internationalisation est la plus radicale.
Les taux de pénétration varient considérablement d'un secteur industriel à l'autre mais guère d'une région à l'autre, alors que l'inverse se produit pour la proportion d'immigrants. D'où les stratégies de recherche généralement employées par les chercheurs : des comparaisons intersectorielles pour évaluer l'effet du commerce, et inter-régionales pour évaluer l'impact de l'immigration (qui se concentre notamment à New-York, Miami, Los Angeles et El Paso) [Abowd et Freeman]. Les femmes et les immigrants sont concentrés dans les mêmes secteurs (industriels ou non), qui connaissent généralement des déficits commerciaux quand ils sont industriels [id.]. Les déterminants de la mobilité Les modèles théoriques prédisent l'existence d'une « auto-sélection » dans le processus migratoire : les travailleurs provenant de pays où règnent de fortes inégalités salariales tendent à s'auto-sélectionner parmi les moins productifs ou moins qualifiés de leur pays. Dans le cas américain, le changement de politique d'immigration en 1965 a affaibli l'attractivité des USA pour les migrants à fort potentiel [Borjas, in Abowd et Freeman]. Ramos [in Borjas et Freeman] confirme que les Portoricains qui « émigrent » vers le continent sont parmi les moins qualifiés, et que ceux qui retournent à Porto-Rico sont plutôt parmi les plus qualifiés des migrants. Les immigrants sont mobiles à l'intérieur du pays, mais leur mobilité ne les amène pas à se répartir également dans toutes les régions, bien au contraire. La tendance des immigrants à se concentrer dans certaines zones géographiques n'est pas contrebalancée par l'effet des incitations économiques comme les différences inter-régionales de taux de chômage ou de protection sociale [Bartel et Koch, in Abowd et Freeman]. On peut y voir une confirmation de la théorie des réseaux évoquée ci-dessus. L'impact sur le marché du travail :
Dans une approche essentiellement empirique et en coupe instantanée (sur le recensement de 1980), l'étude de LaLonde et Topel est particulièrement intéressante : l'accroissement du flux d'immigrants aurait un impact faible et négatif sur les salaires des immigrés déjà présents (un doublement de l'immigration provoquerait une baisse de 3 % de leurs salaires), et un effet encore plus faible, voire indiscernable, sur les salaires des Noirs ou des Hispano-Américains [La Londe et Topel] ; les immigrés depuis trente ans et plus ne seraient pas affectés par ce phénomène. Les effets sur l'emploi sont nuls. Au total les auteurs concluent que « les immigrants sont facilement absorbés par le marché du travail américain » [p. 190]. Il est à noter que ce type de résultat est courant dans les études du même type menées durant les années soixante-dix et quatre-vingt [OCDE, 1997]. Cependant il semble que les salariés « autochtones » peu qualifiés soient en partie déplacés des secteurs qui emploient le plus des immigrants vers d'autres secteurs ; le recours à l'immigration semble permettre alors à certains secteurs de résister mieux que d'autres au déclin [Altonji et Card, in Abowd et Freeman]. Selon cette étude, le recours à l'immigration serait plus une alternative à l'automatisation ou à la disparition du secteur qu'à l'emploi de travailleurs autochtones. L'immigration peut avoir un effet sur le commerce extérieur, et en partie se substituer aux importations, les bas salaires acceptés par les immigrants peuvent rendre rentables des activités qui seraient autrement délocalisées ou supprimées, et remplacées par des importations. En France, l'industrie de l'habillement dans le Sentier est un exemple de ce genre. Altonji et Card confirment que l'accroissement de l'immigration a un effet légèrement dépressif sur les salaires des autochtones les moins qualifiés : un accroissement d'un point de la proportion d'immigrants dans la population réduirait les salaires de ceux-ci de 0,3 à 1,2 % (l'incertitude est grande sur la valeur du coefficient). Là encore, l'effet sur l'emploi est nul. Il faut remarquer que les modèles prédisent que si l'ajustement ne peut se faire sur les prix (par exemple du fait d'un salaire minimum), il se fera sur les quantités (c'est à dire le volume d'emploi) [p. 208]. ... mais pas unanimes Les résultats classiques et rassurants de LaLonde et Topel sont contestés par un deuxième rapport du NBER, publié un an plus tard, et qui rassemble des études dont la synthèse est faite par Borjas et Freeman : ils notent que, selon le travail de Filer [in Borjas et Freeman], les « autochtones » semblent quitter les zones où l'immigration s'accroît fortement, ce qui « étalerait » les répercussions de cette immigration sur le territoire et empêcherait d'en saisir les effets par une comparaison inter-régionale (du type de l'étude LaLonde et Topel). L'étude de Borjas, Freeman et Katz [in Borjas et Freeman] se situe directement au niveau macro-économique : les auteurs estiment que l'accroissement du déficit commercial dans les années quatre-vingt (qui représente une « offre implicite de travail non qualifié ») et la hausse de l'immigration ont provoqué une augmentation de l'offre de travail non qualifié d'environ 30 % [p. 232]. Ce choc sur l'offre de travail expliquerait de 30 à 50 % de l'accroissement des inégalités de salaires aux USA entre 1980 et 1988 : « le pouvoir explicatif de ces facteurs est de grandeur similaire à celui d'autres variables qui ont récemment fait l'objet d'études, comme la baisse du taux de syndicalisation de la main d'oeuvre américaine » [p. 215]. Notons que ce calcul repose sur une simulation macro-économique où l'élasticité des salaires relatifs par rapport à l'offre relative de travail est supposée être égale à -0,7, ce qui peut être considéré comme élevé : un paramètre plus faible réduirait l'ampleur de l'effet. Les conclusions de Borjas, Freeman et Katz sont critiquées implicitement par l'OCDE qui ne les trouve pas « suffisamment cohérent(e)s » avec le reste de la littérature empirique [OCDE, 1997]. Au total, il semble plausible que des flux aussi massifs d'immigration « non qualifiée » (le critère ici étant le niveau scolaire) aient eu un impact sur l'offre relative de travail non qualifié, et par là, de façon significative mais faible, sur les salaires relatifs. Bien que les auteurs divergent sensiblement sur l'ampleur de cet effet, l'accroissement des inégalités salariales aux USA pourrait pour partie s'expliquer par l'accroissement de l'immigration : la stagnation du salaire minimum tout au long des années quatre-vingt a permis cet affaissement des bas salaires. En revanche aucun effet sur l'emploi ne peut être observé. Il faut noter à nouveau que ce sont les immigrés eux-mêmes qui sont le plus concurrencés par les nouveaux migrants. Il est clair que la situation française (avec la chute des flux d'immigration et la hausse du salaire minimum réel) se situe à l'opposé, ce qui empêche évidemment toute généralisation des enseignements du cas américain. Des études spécifiques seraient utiles, à condition de prendre pleinement en considération les particularités institutionnelles françaises. |
Encadré 8 - Libéralisme économique et libéralisme politique : la difficile cohérence |
---|
La théorie économique libérale, on l'a montré, ne voit que des avantages à l'immigration. Pourtant la cohérence libérale est parfois mise à la rude épreuve des phobies xénophobes. Témoin cet extrait d'une interview de Pascal Salin, Président de la Société du Mont Pèlerin, le temple de l'ultra-libéralisme international (fondé par l'économiste autrichien Hayek en 1947) : « En tant que libertarien, je suis favorable à la libre circulation des personnes. La France a bénéficié de l'immigration depuis très longtemps. Les immigrés ont contribué pendant longtemps à notre civilisation. Pour moi la liberté des individus est très importante parce que la source ultime de la richesse est l'esprit humain. Les sociétés sont diminuées lorsqu'elles restreignent le droit de circulation. Mais en France c'est impossible. Nous ne vivons pas dans un monde libertarien. Les droits de propriété ne sont pas respectés. Nous avons un énorme Etat-Providence. Aujourd'hui nous avons une énorme quantité d'immigration mais de très faible qualité. Les gens qui viennent ont de faibles revenus et de faibles qualifications. Ils reçoivent des aides publiques. Au bout du compte, ils prélèvent plus sur la société qu'ils n'apportent, ce qui complique énormément le sujet. C'est vrai qu'en France les règles sont très strictes. Mais les immigrés ont appris à les manipuler. Des gens viennent pour les prestations sociales en prétendant qu'ils ont des problèmes politiques chez eux. Ils disent avoir besoin de rassembler leur famille, mais ils rassemblent des familles où ils ont déjà plusieurs femmes (...). Des millions de personnes viennent sans autorisation et apprennent à manipuler le système. Après dix ans et plus, on ne peut plus les renvoyer. Le problème de l'immigration est toujours très délicat en France, il n'y a pas de solutions simples, même d'un point de vue libertarien ». in « Pascal Salin, un Autrichien à Paris », Austrian Economics Newsletter, volume 16, n° 2, summer 1996.(traduction CERC-Association). |
[11] Citons cette déclaration de quarante chefs d'Etat représentant plus de la moitié de la population mondiale : « si cette croissance de la population sans précédent se poursuit, la nourriture, le logement, les soins médicaux, l'éducation, les ressources naturelles et les débouchés en matière d'emploi feront défaut aux générations futures », (Fonds des Nations Unies pour les Activités en Matière de Population, 1985, in Population, 11(11) :1 ; cité par Horlacher et Heligman, 1991, p. 331).
[12] Il n'est d'ailleurs sans doute pas décisif, à cet égard, que les immigrés consomment leurs revenus en France ou les épargnent pour les envoyer à leurs familles au pays : on observe en effet, plus particulièrement dans le cas du Maghreb, que les francs ainsi exportés sont largement utilisés pour alimenter le commerce d'import-export (à partir notamment de Marseille), ce qui induit un flux de commandes pour le commerce français.
[13]Ce paragraphe s'appuie largement sur la synthèse de Jayet (1998).
[14]Notons que le terme de « technologie » employé par les économistes est particulièrement vague : il désigne toute combinaison de facteurs dans une proportion fixe. Ainsi, si les autochtones refusent certains emplois tel celui d'éboueur, la « technologie » du ramassage d'ordures sera composée de camions et de travailleurs immigrants, qui constitueront alors deux facteurs complémentaires entre eux et par rapport à la main d'oeuvre autochtone.
[15]En effet le salaire de ceux-ci, comme de l'ensemble des non-qualifiés, s'établira au niveau de la productivité marginale du dernier arrivé ; la productivité marginale du travail étant décroissante, l'écart entre productivité marginale et productivité moyenne permettra de dégager un surplus que pourront s'approprier les autres facteurs (capital et travail qualifié), dont le prix aura augmenté par suite de leur rareté relative plus grande.
[16]Dans la mesure toutefois où elle n'a pas un impact trop fort sur l'aggravation des inégalités : car si celles-ci interviennent pour beaucoup dans la mesure du bien-être social, l'immigration peut s'avérer négative à cet égard.
Dernière mise à jour :
13-11-2000 16:41.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/presse/1999/cerc/chapitre-2-3.html