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Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC

Chapitre II
Le rôle de l'immigration dans la régulation du marché du travail

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« Chaque fois qu'un étranger occupe un emploi, c'est un Français qui en est privé »
A. Peyrefitte, Le Figaro, 22 novembre 1985.

Introduction

L'ordonnance de 1945, comme l'ensemble des textes réglementant depuis lors l'entrée et le séjour des étrangers, établissent un lien direct entre les facilités d'admission d'un travailleur étranger en France et la situation du marché de l'emploi, dans la localité ou la profession. Tous les pays de l'Union européenne en font autant. En juin 1994, les gouvernements des Etats membres adoptaient une « résolution concernant la limitation de l'admission à des fins d'emploi de ressortissants des pays tiers ». Cette résolution évoque même la nécessité d'une « préférence communautaire à l'emploi ». A l'échelle nationale comme européenne, tout se passe comme si les politiques reposaient sur la certitude de l'existence avérée d'un lien direct entre flux nets d'immigration et volume de chômage dans les pays d'accueil : l'immigration, auxiliaire de la croissance économique dans les bonnes conjonctures, serait facteur d'aggravation du chômage en période de difficultés.

Les économistes, de façon curieuse, interviennent peu dans ce débat. « Tout se passe comme si la communauté des économistes craignait l'application de cette réflexion générale à un sujet brûlant, sur lequel ils ne sont pas sûrs de pouvoir émettre des avis fondés et pertinents » [Fayolle, 1999, p. 193]. Pourtant « la réflexion économique sur l'immigration, et plus largement les migrations internationales, existe de longue date à l'échelle internationale, et elle est aujourd'hui active dans certains pays, notamment aux Etats Unis » [id].

A priori l'immigration de travailleurs est susceptible d'affecter de multiples façons, positives et négatives, la situation économique d'un pays d'accueil. Toute évaluation sérieuse doit prendre en compte l'ensemble des mécanismes mis en oeuvre et évaluer leur importance relative. Or il n'existe pas en France, aujourd'hui, d'étude systématique de ce type. Aussi curieux que cela puisse paraître, le large consensus dont fait l'objet l'idée d'un lien direct entre immigration et chômage ne repose sur aucune évaluation scientifique, même partielle. La dernière étude systématique en date portant sur ce thème [Le Pors, 1977] aboutissait pourtant à interroger fortement la validité de cette relation ; elle rejetait clairement, au nom d'arguments non pas éthiques mais scientifiques, l'idée qu'un renvoi massif des immigrés dans leur pays d'origine serait susceptible d'atténuer sensiblement l'ampleur du chômage en France. Depuis, le constat de l'installation durable de ces personnes et de leurs familles a modifié les termes du débat : il n'est plus guère question de renvoyer massivement les immigrés pour faire de la place aux Français, ne serait ce que parce que beaucoup d'entre eux ont été naturalisés[3]. En revanche l'idée s'est imposée, dans la quasi-totalité du champ politique, qu'il n'est économiquement pas possible de laisser les étrangers entrer librement en France. Comme le dit Patrick Weil dans son rapport de 1997, « la porte de l'immigration de travail non qualifiée doit rester fermée : des millions de chômeurs sont à la recherche d'un emploi et ce contexte ne permet aucun autre choix » [Weil, 1997, p. 49][4].

Bien sûr l'impact de l'immigration sur le chômage, ou plus globalement sur le fonctionnement du marché du travail, n'est pas la seule justification avancée aux politiques de restriction de l'immigration menées depuis 1974. L'impact sur les budgets sociaux est aussi une crainte, voire une certitude, souvent évoquée. Là encore aucune étude systématique sérieuse n'est venu étayer cette hypothèse. Mais c'est surtout la crainte de troubles sociaux dans les quartiers « difficiles », où le taux de chômage est élevé et où les immigrés et leurs enfants vivent nombreux, qui incite les pouvoirs publics à limiter strictement l'immigration. Si l'on y regarde de plus près, les hypothèses implicitement ou explicitement avancées sont alors :

  1. qu'une plus grande liberté de circulation amènerait un accroissement important du nombre d'immigrants : « si l'Etat accorde des droits à 58 millions de Français et à quelques millions d'étrangers en situation régulière, 5 milliards d'être humains dans le monde peuvent vouloir en bénéficier » [P. Weil, Le Monde, 23/9/1997][5] ;

  2. qui viendraient se concentrer dans ces mêmes quartiers,

  3. ce qui y aggraverait encore le chômage et donc les tensions sociales. « Ce ne serait pas un service rendu à la République que d'accroître le nombre des chômeurs en Seine-Saint-Denis ou ailleurs » [J.P. Chevènement, Le Nouvel Observateur, 10/9/1997].

L'ambition de cette partie du dossier n'est pas de porter un jugement sur l'ensemble des hypothèses sous-jacentes aux politiques de restriction de l'immigration. Il s'agit plus modestement de montrer que, dans l'état actuel des connaissances théoriques et empiriques dont disposent les économistes en la matière, ces hypothèses n'ont pas le statut d'évidences que le sens commun leur prête. Au contraire même, les modèles théoriques qu'utilisent quotidiennement la plupart des économistes, amènent spontanément à une vision plutôt optimiste de l'influence de l'immigration sur le bien-être social. Il se peut que d'autres disciplines -la sociologie ? l'histoire ? la démographie ?- fournissent des indications plus pessimistes. Mais nous avons limité ici notre propos à l'économie : à la fois par nécessité de restreindre l'ampleur du thème étudié au registre limité des compétences des membres du groupe de travail ; et surtout parce que la question du chômage est à l'évidence au centre des discours sur l'immigration.

Que disent la théorie et l'observation sur l'impact économique de l'immigration ? On sait d'abord que la théorie économique n'est pas un champ unifié : des courants de pensée différents y cohabitent sans jamais converger, même si l'un d'eux -le courant néo-classique, dit « orthodoxe »- est aujourd'hui dans une position dominante. On s'efforcera donc de refléter la diversité de ces courants, tout en s'attachant particulièrement à examiner les conclusions du courant orthodoxe, qui détient la préséance et inspire largement les politiques économiques menées aujourd'hui dans le monde.

Par ailleurs, les mécanismes économiques mobilisés par l'arrivée d'un courant d'immigrants dans un pays sont variés, et il importe de prendre en considération les principaux d'entre eux, sans se limiter à ceux qui viennent en premier à l'esprit. C'est l'intérêt de la théorie économique que de permettre à la fois d'analyser les impacts partiels, et d'embrasser l'ensemble des conséquences d'un phénomène sur l'équilibre économique global. Quels sont donc les principaux mécanismes à l'oeuvre sur le marché du travail en présence d'un afflux d'immigrants[6] ? Tout d'abord, l'immigration a un effet sur le nombre total d'habitants : avant d'être des travailleurs, les immigrants sont des hommes, des femmes ou des enfants. L'augmentation de la population a, en soi, des effets économiques potentiels qu'on peut analyser.

Ainsi les immigrants sont tous des consommateurs. Par ce biais, leur arrivée a un impact sur le marché des produits, qui va se répercuter sur le marché du travail en accroissant la demande de travail par les entreprises.

Les immigrants sont évidemment aussi (mais pas tous) des travailleurs. Ils accroissent donc la population active, et notamment l'offre de travail salarié, ce qu'on appelle aussi les « ressources en main d'oeuvre ». Par ce biais, l'immigration modifie à la fois le volume total de richesses créées dans l'économie nationale, et surtout leur répartition entre les différentes catégories sociales (ou « facteurs de production », dans la terminologie orthodoxe). Cet effet redistributif est, on le verra, l'une des motivations principales des entreprises dans leur recours à la main d'oeuvre étrangère.

Mais -sauf hasard improbable- les immigrants, en moyenne, n'ont pas les mêmes caractéristiques que les autochtones. Age, sexe, qualification, expérience professionnelle ne sont pas identiques entre les deux populations. L'immigration va donc affecter non seulement le volume de l'offre de travail, mais sa structure. L'impact sur la main d'oeuvre autochtone sera lui aussi probablement différencié. C'est là que peuvent intervenir des effets de « substitution » (les immigrants entrant en « concurrence » avec la main d'oeuvre autochtone, grâce par exemple à leur acceptation de salaires inférieurs) ou de « complémentarité » (les immigrants remplissant les postes de travail dédaignés par les autochtones), dont les conséquences sur le chômage seront fort différentes.

Tous ces effets -et d'autres, sans doute d'importance moindre- jouent simultanément, dans des sens contradictoires, et avec des délais différents : l'impact à court terme de l'immigration peut différer considérablement de l'impact à long terme, certains mécanismes d'action immédiate s'effaçant sous l'effet d'autres mécanismes plus lents ou de contre-tendances déclenchées par les effets de court terme. Par exemple, une baisse des salaires relatifs des travailleurs peu qualifiés, enregistrée à court terme suite à un flux de migration, peut inciter les autochtones à accroître leurs qualifications : à long terme le creusement des inégalités de salaires sera résorbé par un accroissement de l'offre relative de travail qualifié.

C'est pourquoi il est extrêmement difficile d'apporter des réponses claires et définitives à la question de l'impact économique de l'immigration. L'étude des différents mécanismes en jeu et de leur importance empirique relative permet néanmoins d'éclairer un peu le débat. Toutefois, avant de pouvoir analyser l'impact de l'immigration sur le marché du travail des pays d'accueil, il faut s'interroger sur les causes de ces migrations. Traditionnellement l'analyse économique des migrations distingue les facteurs de « répulsion » (qui poussent les personnes à quitter leur pays d'origine) et les facteurs « d'attraction » (qui les attirent vers certains pays d'accueil). L'accent mis, dans l'explication des phénomènes migratoires, plutôt sur l'une ou l'autre de ces séries de facteurs, influence le diagnostic sur les mécanismes essentiels à l'oeuvre, et donc sur les effets finaux de l'immigration. Pour aller vite, les théories qui privilégient les facteurs de « répulsion » tendent à des conclusions plus pessimistes que celles qui accordent plus d'importance aux facteurs « d'attraction ». Car ces dernières prédisent que l'immigration s'ajustera au moins en partie aux changements des besoins en main d'oeuvre du système productif d'accueil, alors que les premières n'intègrent guère un tel mécanisme régulateur. C'est pourquoi il est utile de commencer par un bref survol des théories des migrations internationales.


Notes

[3] Ce que certains semblent regretter : « Au fond ce n`est pas tant l'immigration d'aujourd'hui, ni celle de demain qui est à craindre, même si elle devient un épouvantail avec lequel nous aimons à nous faire peur dans le noir. En réalité nous sommes menacés par des citoyens français ex-immigrés ou d'origine immigrée et qui sont pour beaucoup Français à part entière, comme nous tous  » (A. Damien, « Dans quelle mesure l'Etat peut-il maîtriser les flux migratoires », p. 104, in Dupaquier (1998) ).

[4] Commentant cette phrase, J. Fayolle écrit : « dans les millions de chômeurs il n'y a pas que des personnes non qualifiées, même si elles y tiennent une large part, et on ne voit pas pourquoi l'argument du chômage ne pourrait pas être invoqué à l'encontre d'autres catégories de main-d'oeuvre immigrée » (Fayolle, 1999, p. 196)

[5] Ou, dans une version provenant de la droite de la « droite républicaine », ces propos du député Daniel Colin (Ass. Nat., séance du 17/12/1996, JO, p. 8449) : « Osons avancer une hypothèse : si 10 % des 500 millions de jeunes Africains que l'Afrique comptera en 2025 venaient tenter leur chance en Europe chaque année, ce sont entre 30 et 50 millions d'Africains qui arriveraient, soit la population d'un pays comme l'Espagne, c'est dire l'ampleur du problème que nous avons à gérer ».

[6] En règle générale, on parle ici « d'immigrants » quand on s'intéresse aux conséquences de l'arrivée de nouveaux immigrants, et non pas directement aux problèmes d'intégration ou de discrimination des populations immigrées présentes sur le territoire national. On reviendra (infra) sur les problèmes de terminologie.

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Dernière mise à jour : 13-11-2000 16:39.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1999/cerc/chapitre-2-1.html


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