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Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC

Chapitre I
La population étrangère sur le marché du travail : un cadrage

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I.3 - Les étrangers en première ligne
de la crise de l'emploi

Ces mutations s'opèrent sur un fond de forte baisse de l'emploi des étrangers, et, corrélativement, d'une très forte montée du chômage. En effet, la baisse de l'emploi industriel, qui frappe en priorité les étrangers, n'est pas compensée par la tertiairisation et l'essor du travail indépendant. De plus, ce ne sont évidemment pas les mêmes personnes qui perdent leur emploi d'ouvrier de l'industrie, et qui accèdent à un emploi dans le tertiaire peu qualifié, « où les impératifs de rentabilité à court terme sont forts et où le personnel est particulièrement tributaire des aléas de la conjoncture » [Maurin, 1991], et où la concurrence par les coûts est importante. Les premiers subissent massivement un chômage de longue durée, tandis que les derniers alimentent un chômage récurrent.

On peut se reporter aux analyses de R. Schor pour retracer l'évolution de la crise de l'emploi des étrangers [Schor, p. 241 et suivantes]. Au moment de la suspension de l'immigration de travail en 1974, les étrangers occupaient principalement des emplois peu qualifiés et requérant une activité physique importante. Dans un premier temps, de 1974 à 1978, le chômage a surtout frappé les jeunes et les femmes, victimes de la suspension des embauches, et a relativement épargné les salariés en place, parmi lesquels les travailleurs immigrés qui en outre étaient une main d'oeuvre bon marché. Ceux qui ont alors perdu leur emploi appartenaient surtout au secteur du bâtiment et des travaux publics. Le chômage des étrangers passe alors de 40 000 personnes soit 8 % des personnes sans travail, à 130 000 soit 10 % [Schor, p. 241].

A partir de 1979-1980, la crise a en revanche frappé beaucoup plus durement l'emploi des étrangers et en particulier dans l'industrie et toujours le BTP. La main d'oeuvre étrangère subit de plein fouet les restructurations de l'industrie au point de jouer « un rôle non négligeable d'amortisseur de la crise » [Marchand, 1991]. L'automobile, avec ses vagues continues de licenciements fournit le meilleur exemple de ce bouleversement en deux temps de leur emploi. Jusqu'au début des années quatre-vingt, les licenciements ont été importants mais les étrangers ont continué à être considérés comme une main-d'oeuvre moins coûteuse, économiquement et socialement. Mais progressivement, les restructurations du secteur ont signifié le rejet de l'OS et du même coup du travailleur étranger. A eux seuls, ils ont supporté 42 % du total des pertes d'emplois enregistrées par le secteur durant ces quinze années de crise et de restructuration [Marie, 1997, pp. 148-149]. Dans le BTP, ils ont supporté plus de la moitié des pertes d'emploi [Mucchielli, 1997].

Au total, en quinze ans, de 1975 à 1990, 40 % des postes de travail occupés par les étrangers dans l'industrie ont été supprimés, ce qui correspond au licenciement de plus d'un demi-million de salariés [Marie, 1997, p. 150].

Encadré 3 - Les sources statistiques pour l'étude des étrangers sur le marché du travail

Les sources statistiques permettant de mesurer la situation de la population étrangère sur le marché du travail sont d'une part le recensement et d'autre part les enquêtes statistiques réalisées périodiquement sur le marché du travail. Les recensements généraux de la population constituent une source qui sert de référence en matière d'évaluation chiffrée de la population étrangère et qui permet à la fois de dégager les grandes tendances dans une perspective historique et de livrer la structure précise de la population étrangère en 1990. Concernant les principales enquêtes quantitatives, on dispose d'une source « entreprise », l'enquête ACEMO (activité et conditions d'emploi de la main d'oeuvre) et d'une source « ménage », l'enquête sur l'emploi de l'INSEE.

L'enquête spécifique ACEMO sur la main-d'oeuvre étrangère est réalisée par le ministère du Travail « auprès d'un échantillon représentatif d'établissements de 10 salariés et plus, à l'exception de l'agriculture, des administrations publiques, des services domestiques et des entreprises de travail temporaire ». L'enquête ACEMO ne permet pas d'étudier l'ensemble de la population active étrangère puisque les étrangers travaillant dans de petits établissements et les travailleurs non salariés ne sont pas comptabilisés. De plus, une source « entreprise » ne comporte bien évidemment aucune donnée sur le chômage. En revanche, elle contient des informations détaillées sur les caractéristiques de l'emploi salarié étranger selon le sexe, l'âge, la nationalité ou encore la catégorie socioprofessionnelle.

L'enquête annuelle sur l'emploi de l'INSEE est réalisée auprès des ménages et a pour unité statistique le logement ; son champ ne couvre pas non plus l'ensemble de la population étrangère puisqu'elle exclut les travailleurs vivant en foyers et les personnes hébergées sur les chantiers. L'enquête Emploi fournit en revanche des informations détaillées sur le chômage, la précarité, les conditions d'emploi...

Cette tendance se confirme au début des années quatre-vingt-dix. Le salariat étranger, dans les établissements de 10 salariés et plus, est passé de 738 000 en 1991 à 637 000 en décembre 1995 soit une baisse de 14 % (enquêtes ACEMO). Alors qu'ils représentaient 12 % de la main d'oeuvre salariée dans ces établissements fin 1973, ils n'en représentent plus que 7,7 % fin 1991 et 6,6 % fin 1995. Ce repli apparaît clairement comme le résultat de deux évolutions concomitantes : de moins en moins d'établissements font appel à des salariés étrangers et lorsque le personnel de ces firmes se réduit, la contraction de la proportion d'étrangers est toujours plus importante que celle de la main d'oeuvre nationale [Lebon, 1998]. Dans la période récente, les étrangers ont donc continué à jouer ce rôle d'amortisseur de crise et à subir, plus que les nationaux, le très fort recul de l'emploi du début des années quatre-vingt-dix.

Les étrangers sont aussi les premières victimes des emplois précaires, comme en témoigne leur poids important dans le travail intérimaire. En 1996, 1 240 000 personnes ont effectué au moins une mission d'intérim. 23,6 % étaient des étrangers. Les Algériens, Marocains et Tunisiens représentent sept intérimaires étrangers sur dix. Deux Maghrébins sur cinq ont dû ainsi se tourner vers l'intérim pour accéder à l'emploi [Jourdain, 1998]. Les ressortissants de ces pays travaillent ainsi près de dix fois plus souvent en intérim que les nationaux.

I.3.1 - Les actifs étrangers sont deux à trois fois plus touchés par le chômage que les Français

En mars 1998, le taux de chômage des étrangers s'élevait à 23,7 % tandis que celui des Français était de 11,1 %. Mais si l'on isole les étrangers n'étant pas originaires de l'Union européenne, leur taux de chômage est quasiment le triple de celui des actifs français. En revanche, le taux de chômage des étrangers de l'UE est très proche de celui des Français (graphique 1). Le clivage ne se situe donc pas seulement entre étrangers et nationaux mais il traverse également les différentes nationalités qui composent la main d'oeuvre étrangère.

Graphique 1 - Taux de chômage au sens du BIT
selon la nationalité
Graphique 1

Source : enquêtes emploi de 1991 à 1998

« Il existe un double mouvement, d'une part la stabilisation de l'insertion des ressortissants de l'UE et d'autre part, une détérioration de l'insertion et de la situation professionnelle des autres étrangers. Cette évolution du chômage par nationalité permet de mettre en évidence une segmentation au sein du salariat étranger quant à la vulnérabilité au chômage, mais une investigation supplémentaire en termes d'âge entre les deux segments distingués peut s'avérer nécessaire pour approfondir les explications en termes de spécificité du chômage des étrangers » [Viprey, 1998, p. 62]. La distinction classique entre un chômage d'exclusion des plus âgés, de précarité pour les âges intermédiaires et d'insertion pour les jeunes vaut également pour les étrangers [Marie, 1994]. Mais, quel que soit l'âge, le taux de chômage est plus élevé pour les étrangers hors UE que pour les Français, et cette différence est particulièrement marquée pour les plus âgés (tableau 7).

Tableau 7 - Taux de chômage selon l'âge, le sexe et la nationalité en mars 1998 (en %)

Sexe et âge

Etrangers hors UE

Etrangers UE

Français

15-24 ans :
hommes
femmes
ensemble
 
41.4
55.2
47.2
 
20.9
9.5
15.2
 
21.1
29.4
24.7
25-49 ans :
hommes
femmes
ensemble
 
27.4
35.0
30.4
 
8.6
10.1
9.2
 
8.7
12.6
10.5
50 ans et plus :
hommes
femmes
ensemble
 
27.2
36.0
29.0
 
12.3
11.6
12.0
 
6.3
8.6
7.3
Total :
hommes
femmes
ensemble
 
28.3
37.0
31.4
 
10.0
10.4
10.2
 
9.3
13.2
11.1

Source  : enquête emploi, mars 1998, INSEE

Ainsi, le chômage d'exclusion des anciens ouvriers de la grande industrie frappe beaucoup plus durement les étrangers. Au-delà de 50 ans, le taux de chômage des étrangers hors Union européenne est quatre fois plus important que celui des Français, et c'est aussi aux âges élevés que le taux de chômage des ressortissants de la Communauté européenne dépasse celui des Français. A ce constat s'ajoute l'importance du chômage de longue durée : 38 % des demandeurs d'emploi étrangers sont inscrits à l'ANPE depuis plus d'un an, contre 32 % pour les Français, et plus du quart d'entre eux a plus de 50 ans. Il semble d'ailleurs que l'allongement de la durée du chômage dans les années quatre-vingt-dix, signe de leur exclusion du marché du travail, soit plus marqué pour les étrangers.

Le sur-chômage qui touche les étrangers est-il à mettre au compte d'une plus faible qualification, de l'arrivée récente en France impliquant une insertion plus faible dans les réseaux et des difficultés culturelles (comme la maîtrise linguistique), ou de discriminations à l'embauche et au licenciement subis en tant qu'étrangers ? Quelle part dans le sur-chômage des étrangers peut être attribuée à des discriminations légales (cf. infra) ou illégales ? Par quels canaux passent ces discriminations ?

Les étrangers sont généralement peu formés et peu qualifiés. De plus, comme on l'a vu plus haut, les emplois qu'ils occupent traditionnellement sont concentrés dans les entreprises des secteurs les plus confrontés à la crise, qui réduisent massivement, depuis vingt ans, leurs effectifs. Ces caractéristiques expliquent un sur-chômage important. Cependant, d'après une étude datant de 1991, « le risque du chômage est plus élevé pour un Maghrébin ou un ressortissant d'Asie du Sud-Est, que pour un Français du même âge, ayant la même formation, la même qualification et travaillant pour le même secteur. Pour trouver un emploi stable, les étrangers rencontrent des difficultés qui ne sont pas seulement celles des plus démunis » [Maurin, 1991]. Si les étrangers occupent les emplois les moins qualifiés et travaillent dans les secteurs les plus exposés, ces conditions n'expliquent donc pas complètement le sur-chômage des étrangers. « Toutes choses égales par ailleurs, le risque du chômage est, par exemple, 80 % plus élevé pour les Nord-Africains que pour les Français » [Maurin, 1991]. On note, dans la même étude qu'au contraire les Portugais ont un risque de chômage inférieur de près de 50 % à celui des Français, en neutralisant les effets propres de la qualification et du secteur d'activité.

Plus l'arrivée en France est récente, plus l'exposition au chômage est importante. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs (y compris à nationalité donnée), avoir passé moins de 20 % de sa vie en France explique plus qu'un doublement du risque de chômage par rapport aux personnes nées en France. Si l'on tient compte de la durée de vie passée en France, le sur-chômage des étrangers n'est alors plus aussi net, sauf, curieusement, pour les Portugais.

Au total, il semble bien que le sur-chômage des étrangers soit en grande partie expliqué, en premier lieu, par leur cantonnement dans des emplois et des secteurs très exposés au chômage. Les discriminations légales (cf. chapitre 4), en interdisant l'accès à des emplois stables de la Fonction publique, encouragent la polarisation sur les secteurs les plus exposés. De plus, on peut penser que les discriminations raciales (illégales), par la non embauche systématique dans certaines entreprises, comme par l'existence de filières organisées par régions ou pays d'origine, conduisent également à cantonner les étrangers dans des secteurs d'activités et sur des types d'emploi dévalorisés, où ils subissent une forte précarité et sont les premières victimes des licenciements.

Mais d'autre part, la faible ancienneté du séjour en France, qui traduit probablement pêle-mêle des effets de « file d'attente » (difficulté de trouver le premier emploi), de faiblesses des réseaux personnels qui pourraient être mobilisés pour accéder à un emploi, de difficultés linguistiques, etc., joue un rôle important dans le sur-chômage des étrangers.

I.3.2 - Une très faible présence dans les emplois aidés

Les étrangers en situation régulière titulaires d'un titre permettant l'accès au marché du travail ont de droit accès aux dispositifs publics d'aide à l'emploi. Mais pour pallier les difficultés particulières d'insertion, le FAS (Fonds d'action sociale) intervient de manière spécifique.

Au total, on peut dire que l'accès des étrangers aux dispositifs de formation est relativement important [Bayade, DPM, 1997] : les actions de formation qui leur sont destinées ont accueilli plus de 67 000 personnes en 1995, auxquelles il faut ajouter environ 2 000 réfugiés formés principalement dans des stages assurés par la CIMADE (Service oecuménique d'entraide). Les stages de formations réservés soit aux jeunes (stages 18-25 ans comme le CFI), soit aux chômeurs de longue durée (SIFE) accueillent une proportion d'étrangers à peu près équivalente à leur poids dans le chômage.

En revanche, les emplois aidés dans le secteur marchand, tels les contrats en alternance ou encore les actions menées par l'AFPA destinées à l'ensemble des demandeurs d'emploi sont nettement plus fermés aux étrangers (tableau 8) : « Les données statistiques montrent que les étrangers bénéficient de stages réalisés principalement dans les centres de formation. Leur présence dans ces actions se situe autour de 10 à 13 % correspondant à leur pourcentage de représentation parmi les demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE (12 %). Plus de 80 % des stagiaires étrangers n'appartiennent pas à l'Union européenne. En revanche, dès que le dispositif de formation ou d'insertion est essentiellement basé sur une immersion dans le travail, les étrangers y sont moins présents. Cette faiblesse est très marquée dans les divers contrats aidés passés avec les entreprises ».

Tableau 8 - Proportion d'étrangers dans les contrats en alternance en 1995

Types de contrats

Total

dont étrangers

Part d'étrangers
(%)

Contrats d'apprentissage

171 008

5 943

3,4

Contrats de qualification

98 415

3 557

3,6

Contrats d'adaptation

54 040

1 421

2,6

Source  : ministère du Travail du Dialogue social et de la Participation, DARES, cité dans [Bayade, DPM, 1997]

Le poids des étrangers dans les Contrats emploi-solidarité (CES), initialement faible, se rapproche depuis quelque temps de leur poids dans le chômage (4 % des entrées en 1990, 7,5 % en 1994 et en 1997), plaçant cette forme d'emploi aidé, du point de vue de l'accueil des étrangers, à mi-chemin entre la formation hors entreprise et l'emploi marchand. Notons enfin que la part des étrangers dans les emplois-jeunes n'est pas connue.

I.3.3 - Des discriminations qui portent plus sur l'accès à l'emploi que sur le niveau des salaires

Les salaires des actifs étrangers sont en moyenne moins élevés que ceux des nationaux ; ces inégalités tiennent, d'une part, à la structure des qualifications moins favorables pour les étrangers et, d'autre part, à la concentration des étrangers dans des secteurs économiques moins bien rémunérés et où la main d'oeuvre est plus instable. Ainsi, les études menées « toutes choses égales par ailleurs » ne permettent de mettre en évidence qu'une discrimination spécifique, à secteur économique et qualification donnés, d'importance relativement faible, et qui se serait réduite ces dernières années : selon l'étude de Concialdi et Ponthieux sur les bas salaires, la probabilité d'avoir un bas ou un très bas salaire en 1996 serait de 6 % supérieure pour un étranger par rapport à un Français, pour une qualification et un secteur donné. Ce différentiel aurait été divisé par deux entre 1985 et 1996 [Concialdi, Ponthieux, 1997]. On peut interpréter cette évolution comme un effet de l'ancienneté croissante -dû au tarissement de l'immigration de travail- de l'arrivée en France des étrangers ayant un emploi : plus la durée de leur séjour est importante, plus leur condition d'emploi se rapproche de celle des Français. Cependant, la concentration toujours très forte des étrangers dans des emplois et secteurs à bas salaire laisse peu de marge pour une discrimination spécifique.

Cette analyse des discriminations salariales envers les étrangers, qui passe surtout par leur cantonnement sur des emplois spécifiques, rejoint en grande partie celle du sur-chômage et peut finalement être rapprochée de la plupart des phénomènes de discrimination sur le marché du travail : plutôt qu'individuelles et propres au comportement spécifiquement discriminatoire de telle ou telle entreprise (même si de tels comportements illégaux existent bien évidemment, par exemple au travers de certaines petites annonces), les discriminations les plus massives seraient globales et structurelles, elles tiendraient à l'organisation même du marché du travail en segments plus ou moins dévalorisés (voir infra).

Encadré 4 - La mesure des flux migratoires : l'obsession du « bon » chiffre

L'idée qu'un meilleur contrôle des flux nécessite leur meilleure connaissance statistique se retrouve dans divers rapports officiels (1), commandés à des hauts fonctionnaires et destinés à prescrire des instructions pour améliorer l'enregistrement statistique des flux d'entrées et de la population étrangère résidant en France. Pourtant, la configuration du système statistique à cet égard ne s'est guère modifiée et on constate toujours la coexistence d'une pluralité de sources qui illustre une pluralité de logiques administratives. Un examen attentif de ces sources permet de comprendre l'inanité de la recherche obsessionnelle d'un « vrai » chiffre de l'immigration, injonction qui a pris ces dernières années une ampleur particulièrement importante du fait de la place accordée à l'immigration dans le débat politique. La thématique du déferlement a progressivement été reprise bien au delà des cercles restreints de l'extrême droite dans lesquels elle restait confinée (2). A cette angoisse du déferlement ou de l'invasion correspond donc l'injonction faite au système statistique de prendre la mesure exacte du phénomène, d'en donner une photographie exacte.

Les différentes sources administratives

Dans l'ensemble des administrations dont il va être question, la mesure des flux porte donc sur le nombre d'arrivées d'immigrants définis comme l'ensemble des étrangers qui, pour la première fois, sont autorisés à séjourner en France pour au moins un an. Les flux d'entrées relatifs à des étrangers dont le séjour est temporaire ne sont pas comptabilisés comme immigrants, même s'il est possible que certains d'entre eux, peu nombreux, prolongent leur séjour. Les étudiants, dont la durée de séjour est limitée à celle de leurs études, ne sont pas non plus comptabilisés. Sont donc exclus du calcul de flux d'entrées les travailleurs saisonniers, les bénéficiaires d'une autorisation provisoire de travail, les étudiants, les stagiaires et les visiteurs. Il existe trois administrations qui publient, annuellement, des statistiques sur les flux d'entrées et chacune selon une logique qui lui est propre.

1 - La compilation des sources de l'OMI et de l'OFPRA

L'Office des Migrations Internationales (OMI) a, entre autres, la charge du contrôle sanitaire de certaines catégories d'étrangers : le recrutement de main d'oeuvre et le regroupement familial. A ce titre, cette administration publie des statistiques sur les flux d'entrées mais qui demeurent par nature incomplètes. Ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de l'OMI tous les étrangers dont l'entrée et le séjour sont soumis à des accords internationaux (par exemple les Togolais) et tous ceux qui ne sont pas tenus d'effectuer la procédure de contrôle sanitaire de l'OMI, et en particulier les ressortissants de l'Union européenne. Cependant, pour ces derniers, l'OMI introduit dans ses statistiques un décompte (certes imparfait) des travailleurs originaires de la Communauté, par une autre méthode que le contrôle sanitaire (transmission des déclarations d'engagement par les employeurs). Les modalités du contrôle sanitaire ont beaucoup varié jusque 1987  ; c'est la raison pour laquelle le groupe statistique du Haut Conseil à l'Intégration considère que les statistiques de l'OMI ne sont fiables que depuis 1990 [HCI, 1997].

Aux sources de l'OMI, il faut ajouter les données fournies par l'Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) qui comptabilise l'ensemble des étrangers reconnus comme réfugiés. En revanche, aucune statistique n'est disponible pour ceux qui bénéficient de l'asile territorial, accordé à la discrétion du ministère de l'Intérieur.

2 - Les estimations de la Direction des Populations et Migrations (DPM)

Comme on l'a déjà signalé, les statistiques de l'OMI ne sont pas exhaustives, même si on y ajoute les chiffres de réfugiés de l'OFPRA. C'est la raison pour laquelle chaque année, la Direction des Populations et Migrations propose dans son rapport, une estimation des flux d'entrées à partir des chiffres de l'OMI et de l'OFPRA et d'une conjecture sur le nombre d'étrangers entrés par les procédures qui ne nécessitent pas de passage à l'OMI (outre celles déjà citées, la DPM prend en compte les visiteurs). Le risque d'une telle estimation est bien évidemment d'introduire des double comptes puisque cette méthode combine des sources qui se recoupent partiellement.

3 - Le ministère de l'Intérieur

Les statistiques du ministère de l'Intérieur sont construites à partir des données administratives sur les titres de séjour en cours de validité. Les enfants de moins de seize ans ne sont donc pas pris en compte dans la mesure où ils ne sont pas tenus de posséder un titre de séjour. Les mineurs de 16 à 18 ans ne sont comptabilisés que s'ils travaillent. De la fin 1990 à mai 1993, le ministère de l'Intérieur a procédé à l'informatisation de toutes les préfectures. A partir de 1994, l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) a permis de produire des statistiques de flux d'entrées d'étrangers chaque année. La fonction principale de cette application est la gestion des dossiers administratifs des étrangers depuis l'ouverture du dossier (demande de séjour, demande d'asile, interpellation) jusqu'à la fin de ce dossier (départ volontaire, mesure d'éloignement, acquisition de la nationalité française, décès...) [DLPAJ, 1997].

Il faut souligner que les chiffres du ministère de l'Intérieur ne correspondent en aucun cas à des entrées physiques sur le territoire. En effet, un étranger peut être entré en France depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, et obtenir bien plus tard un premier titre valide au moins 12 mois. Une étude financée par Eurostat et prise en charge par l'INSEE a permis de montrer qu'il y avait un « déphasage entre l'entrée sur le territoire et la prise en compte dans les flux du ministère » [Laflamme, 1996]. Ce délai d'enregistrement concerne particulièrement les réfugiés dont l'examen de la demande a pris du temps, les étrangers sans papier et régularisés et les mineurs puisque la carte de séjour n'est pas obligatoire avant dix-huit ans, sauf pour ceux qui, à partir de seize ans exercent une activité salariée.

Les flux d'entrées d'immigrants étrangers permanents* de 1990 à 1997
selon les trois sources administratives

Années

OMI-OFPRA

DPM

ministère de l'Intérieur

1990

96 997

115 796

-

1991

102 483

123 413

-

1992

110 669

135 372

-

1993

94 152

116 000

-

1994

64 102

91 500

86 342

1995

50 387

77 000

78 777

1996

46 688

73 983

-

1997

65 750

-

-

* à l'exclusion des séjours de moins d'un an et des étudiants

La mesure statistique des flux est intrinsèquement dépendante des techniques de contrôle de l'immigration ; c'est la raison pour laquelle on dispose de différentes sources administratives pour les flux d'entrées mais qu'aucune n'est susceptible de livrer une mesure exacte des flux de sorties. En effet, l'Etat contrôle les entrées mais aucun dispositif d'enregistrement obligatoire n'est prévu pour ceux qui sortent spontanément (3). Seuls sont connus les départs qui font suite à un acte administratif, c'est-à-dire les expulsions et les aides aux retours ; mais ils ne constituent qu'une petite partie de l'ensemble des retours.

Les instruments d'analyse des chiffres de l'immigration sont donc très hétérogènes car tirés de statistiques d'activité administrative de services dont la logique répond à des besoins spécifiques. Ces écarts, traités comme autant d'erreurs ou d'anomalies statistiques, peuvent également être interprétés comme la traduction de perceptions différentes de l'immigration par des institutions distinctes. Ils n'empêchent pas d'analyser les tendances des flux migratoires avec une précision suffisante, hormis bien évidemment - par définition - les flux non enregistrés... Aucune des sources administratives existantes ne mesure les flux physiques au moment du passage aux frontières. Il n'est d'ailleurs pas envisageable dans le cadre d'un Etat démocratique de contrôler et enregistrer tous les passages aux frontières. On estime en effet à 290 millions le nombre annuel d'entrées aux frontières françaises, les quatre cinquièmes, les plus difficiles à contrôler, s'effectuant par voie terrestre. Environ 80 millions de ces entrées concernent des ressortissants étrangers. Un enregistrement des passages serait tout aussi illusoire aux frontières extérieures de l'Europe : leur nombre est estimé à environ 1,7 milliard par an [Bigo, 1996a, 1996b].

Les évolutions récentes des flux

Malgré ces écarts entre sources administratives, de grandes tendances se dégagent qui permettent l'analyse statistique des flux migratoires : hors effets des régularisations récentes, l'immigration annuelle de travailleurs est passée de 174 000 en 1970 à environ 25 000 au début des années quatre-vingt-dix, et à peine plus de 10 000 aujourd'hui (majoritairement originaires d'Union Européenne). Le regroupement familial,aux alentours de 80 000 par an avant 1974 est passé à 45 000 en 1978-79, puis environ 15 000 depuis quelques années. Enfin, le nombre des demandeurs d'asile a augmenté au cours des deux dernières décennies, et particulièrement à la fin des années quatre-vingt, en passant de quelques milliers dans les années soixante-dix à 22 000 en 1983 puis 61 000 en 1989 pour revenir autour de 20 000 depuis ce pic. Cependant, le statut de réfugié n'est plus reconnu qu'à 5 000 personnes par an.. Quant aux flux de retour, on les estime, à partir des Recensements, autour de 75 000 par an entre 1975 et 1982 et environ 40 000 depuis vingt ans.

Ainsi, au total, l'immigration légale a fortement diminué depuis 1974 pour passer de plus de 250 000 par an à environ 50 000 (après une remonté provisoire à la fin des années quatre-vingt, due notamment aux demandeurs d'asile) avant les récentes régularisations. Celles-ci, suite à la circulaire du 24 juin 1997, « gonflent » les statistiques de 1997 d'environ 19 000 personnes.

A cette entrée d'immigrés permanents (plus d'un an) s'ajoutent des entrées d'étudiants (34 000 dont 15 000 ressortissants de la Communauté européenne en 1994 et 1995, selon le ministère de l'Intérieur).

 

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Dernière mise à jour : 13-11-2000 17:57.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1999/cerc/chapitre-1-3.html


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