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Des droits fondamentaux
bien encombrants
ÉDITO
La question du respect des droits fondamentaux a longtemps été
la mauvaise conscience des gouvernements qui ont repris à leur
compte le credo de la fermeture de frontières. Au « pays
des droits de lhomme », comme dans le reste de lEurope,
le droit de vivre en famille ou de bénéficier dune
protection étaient rarement contestés dans leur principe,
même sils étaient quotidiennement bafoués
en pratique.
Il se pourrait bien que ce jeu de dupes ne soit plus de mise : ces
derniers mois, dans les discussions nationales et européennes
sur le devenir des politiques dasile et dimmigration, on
parle désormais de ces droits comme de freins à une «
véritable politique dimmigration » (sous-entendu,
une politique où les immigrés sont choisis, et non plus
subis en fonction de leur droit à demander lasile ou à
vivre en famille). Les droits fondamentaux ne sont plus présentés
comme une réalité dont il faudrait saccommoder,
mais comme un reliquat du passé dont il faudrait saffranchir
pour atteindre une nouvelle modernité politique. Le récent
rapport de la Cour des comptes sur Laccueil des immigrants
et lintégration des populations issues de limmigration
(novembre 2004) et le projet de traité établissant une
Constitution pour lEurope sont à cet égard éloquents.
Appelant de ses vux une nouvelle politique de limmigration
et critiquant, parfois à bon escient, les politiques publiques
passées, la Cour des comptes semble bien inviter à la
remise en cause des droits fondamentaux lorsquelle constate, apparemment
sur le ton du regret, « quun quasi-statut de
limmigrant en situation irrégulière a été
mis en place en matière de protection sociale, de droit à
la scolarisation, demploi et daides au retour ».
On relèvera le cynisme de lexpression « quasi-statut »
alors que se multiplient les attaques contre le droit à laccès
aux soins (projets successifs de réforme de laide médicale
État) et que la police, au mépris des droits à
la scolarité et à vivre en famille, investit les écoles
pour piéger les parents délèves en situation
irrégulière (voir dans ce numéro, « Lécole,
un piège pour les sans-papiers »).
La Cour de comptes est, hélas, dans lair du temps. De
toute part, quand il sagit du statut des étrangers, les
droits de lhomme reculent. Le Danemark, dont le gouvernement sappuie
sur les voix de lextrême droite est en pointe sur le sujet
exigeant, par exemple, un stage de sept ans des conjoints étrangers
de Danois avant de leur accorder un véritable droit au séjour
et semble simposer comme modèle aux autres pays
de lUnion européenne. Au début de lannée
2003, Tony Blair suggérait que la Convention de Genève
sur le droit dasile comme la Convention européenne des
droits de lhomme étaient des textes obsolètes. Moins
dun an après, au nom de la chasse aux « faux demandeurs
dasile », le nombre de réfugiés accueillis
en Grande-Bretagne avait dailleurs diminué de moitié.
Cette évolution risque encore de saccentuer car elle est
au cur du projet européen de traité constitutionnel.
Si celui-ci intègre la Charte des droits fondamentaux de lUnion,
jusque là réduite au statut de catalogue de vux
pieux sans force contraignante, cest en précisant que les
droits quelle reconnaît « et qui font lobjet
de dispositions dans dautres parties de la Constitution sexercent
dans les conditions et limites y définies » (art.
II-112-2). On en déduit que ces droits fondamentaux ne sappliqueront
que dans la mesure où ils nentravent pas la mise en uvre
des politiques relatives aux contrôles aux frontières,
à lasile et à limmigration, lesquelles incluent
notamment « une gestion efficace des flux migratoires »
et « une prévention de limmigration illégale
[
] et une lutte renforcée contre celle-ci » (art.
III-267). Cette révolution copernicienne transforme ainsi des
droits fondamentaux en droits accessoires ou conditionnels.
A contre-courant de ces orientations, le Gisti, associé à
des ONG italiennes et espagnoles, a intenté auprès de
la Commission européenne une action à lencontre
de lItalie qui, début octobre 2004, expulsait en quelques
jours plus de 1500 boat-people vers la Libye [1].
Alors que le principe de non-refoulement lun des pivots
de la Convention de Genève sur les réfugiés
était bafoué aux yeux de tous, et que ces naufragés
étaient renvoyés vers un pays connu pour ses atteintes
récurrentes aux droits de lhomme, aucune voix ne sest
élevée parmi les partenaires européens de lItalie
pour protester, aucun rappel à lordre na été
formulé par la Commission, gardienne des traités européens.
Si les droits de lhomme sont brandis haut et fort quand il sagit
de sopposer à la candidature de la Turquie, aucun mécanisme
collectif de sanction nest prévu contre un État
qui y porterait atteinte, comme sils étaient par hypothèse
respectés par les États membres, du seul fait de leur
appartenance à lUnion. Une façon de laisser la voie
libre à toute initiative qui bafouerait ouvertement les droits
de lhomme.
La réponse de la Commission a été très
claire : sans se prononcer sur le fond à propos des illégalités
dénoncées par les associations, elle sest contentée
de rappeler que les questions soulevées nentraient pas
dans son domaine de compétence. Manière formelle denterrer
les droits fondamentaux pour ouvrir lère des droits accessoires.
Notes
[1]
« Pour le respect
des droits de lHomme et du droit dasile par lUE. Dix
ONG portent plainte auprès de la Commission européenne contre
le gouvernement italien ». Voir dans ce numéro larticle
reprenant le contenu de la plainte et la réponse de la Commission :
« Violer les droits de lhomme en Europe... en toute impunité »
Dernière mise à jour :
12-04-2005 16:32
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/64/edito.html
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