Utilisation
du référé administratif : décision Hyacinthe
Référé liberté de Mme Hyacinthe
devant le tribunal administratif
Le 2 janvier 2001.
Rose-Michèle HYACINTHE
née le 1er mai 1972 à Aquin (Haïti)
de nationalité haïtienne
[adresse]
Monsieur le Président
Tribunal administratif
2, boulevard Hautil
95027 Cergy-Pontoise Cedex
Fax : 01 30 17 34 06
Référé liberté
Demande d'annulation pour illégalité du refus d'autorisation
de séjour que m'oppose le préfet de Seine-Saint-Denis
et demande d'injonction à délivrer cette autorisation
sous astreinte
Objet : requête, en vertu de l'art. 521-2 du
code modifié de justice administrative.
Monsieur le Président
Au moindre de mes déplacements, je suis actuellement sous la
menace de me voir délivrer un arrêté préfectoral
de reconduite à la frontière si intervient un contrôle
d'identité. Or, je cherche à demander la reconnaissance
du statut de réfugiée, car je suis en danger en Haïti,
mon pays d'origine. J'ai tenté, par deux fois entre le 26 et
le 29 décembre 2000 de demander une autorisation provisoire
de séjour à la préfecture de la Seine-Saint-Denis
à Bobigny. Je n'ai pas pu entrer dans les locaux, ce qui est
manifestement illégal. Devant le risque de me voir notifier une
mesure d'éloignement contre laquelle je ne pourrai rien, je vous
prie d'annuler en urgence le refus de facto que m'oppose le préfet
de Seine-Saint-Denis, et de l'enjoindre sous astreinte de me délivrer
l'autorisation refusée.
Conformément à la réglementation en
vigueur, j'ai donc tenté par deux fois de me présenter
au service des étrangers de la préfecture de Bobigny en
vue d'y formuler une demande d'admission au séjour dans la perspective
de requérir le statut de réfugiée auprès
de l'OFPRA.
J'ai, une première fois, fait la queue, à partir de
4 heures du matin, dans la nuit du 25 au 26 décembre
2000, devant la préfecture en compagnie de Dillon Maignan, le
père de ma petite fille née il y a 16 jours, et de
dizaines d'autres demandeurs d'asile. A l'ouverture des services, on
n'a admis que 14 personnes. Nous étions vingtièmes
dans la file. On m'a interdit d'entrer. On ne m'a donné aucune
convocation. Je n'ai donc pas pu engager la procédure pour laquelle
j'étais venue.
Je suis revenue à 2 heures du matin dans la nuit du 29 décembre
2000, toujours avec ma petite fille et le père de celle-ci. Cette
fois, j'étais la première de la file d'attente.
Les policiers et quelques fonctionnaires en civil ont alors décidé
de ne recevoir que 8 personnes sur la quarantaine présentes.
Ils ont procédé, à l'extérieur des locaux,
à une pré-examen des documents dont nous étions
porteurs. Ils ont éliminé tous ceux qui ne possédaient
pas de passeport, ce qui est mon cas. Je produis ci-joints deux témoignages
sur l'honneur de personnes qui ont assisté à la scène
(Olivier Tallès et Jean-Pierre Alaux).
J'ai donc, une deuxième fois, quitté la préfecture
de Bobigny sans avoir pu déposer ma demande d'admission au séjour
et sans obtenir de convocation pour un examen ultérieur de cette
demande.
J'ai essuyé deux refus l'autorisation provisoire de séjour
sans examen de ma demande et en violation de la réglementation
en vigueur. Cette illégalité manifeste a des conséquences
graves et immédiates pour moi : elle m'expose en permanence
à une mesure d'éloignement et donc à un retour
forcé en Haïti, pays que j'ai fui parce que j'y risquais
ma vie.
Illégalité de la procédure
de la préfecture
de Seine-Saint-Denis
Le respect de la Convention de Genève sur les réfugiés
de 1951 implique que l'administration du pays accueillant enregistre
l'état civil du demandeur d'asile sur une simple base déclaratoire.
Il ne peut être exigé ni de documents d'identité
ni de titre de voyage.
Tirant les conséquences de ce principe, l'article 10 de
la loi modifiée du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile
explique que « l'admission [au séjour] ne
peut être refusée au seul motif que l'étranger est
démuni des documents et des visas mentionnés à
l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ».
Par ailleurs, l'article 2 de la loi modifiée du 25 juillet
1952 dispose que (al. 5) « l'Office ne peut être
saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié
qu'après que le représentant de l'Etat dans le département
ou, à Paris, le préfet de police, a enregistré
la demande d'admission au séjour du demandeur d'asile ».
Vous noterez que la loi du 25 juillet 1952 ordonne au préfet
d'« enregistrer » la demande d'admission
au séjour. Il ne peut la refuser que dans les 4 cas prévus
à l'article 10 de la même loi. Or, d'une part, ma
situation ne correspond à aucun de ces cas ; et, d'autre
part, la préfecture de Seine-Saint-Denis m'ayant opposé
deux refus d'entrée dans ses locaux, elle n'a pas examiné
ma situation et ne serait donc pas fondée à m'opposer
cette disposition.
Compte tenu de la gravité des risques que me fait courir une
telle décision illégale reconduite à
la frontière, alors que j'ai fui mon pays parce que j'y risquais
la vie , je vous demande d'enjoindre le préfet de
Seine-Saint-Denis de me délivrer immédiatement l'autorisation
provisoire de séjour demandée et, faute de cette délivrance
immédiate à compter de la notification de votre jugement,
de fixer une astreinte de 800 F par jour de retard
Je vous indique, à cet égard, que j'ai donné
naissance, le 3 décembre 2000 (il y a donc 18 jours
aujourd'hui) à une petite fille dont le père Dillon
MAIGNAN, de nationalité haïtienne est demandeur
d'asile. Il doit être entendu le 18 janvier 2001 par la Commission
de recours des réfugiés.
En ce qui me concerne, le préfet de Bobigny a donc commis une
illégalité manifeste.
En ne me délivrant ni récépissé de ma
demande ni convocation à un rendez-vous lui permettant d'examiner
ultérieurement cette demande, le préfet de Seine-Saint-Denis
a également ignoré l'article 19 de la loi du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations. Il affirme que « toute demande adressée
à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé
de réception ».
Gravité des conséquences immédiates
de ces illégalités
Ces illégalités manifestes ont des conséquences
graves et immédiates pour ma sécurité.
J'ai fui Haïti parce que j'y ai été menacée
en raison du fait que je vivais là-bas en concubinage avec le
père de ma petite fille, née en France le 3 décembre
2000, le jour de mon arrivée en métropole. Mon concubin,
Dillon Maignan, était, en effet, conseiller municipal dans la
commune d'Aquin. Avec une grande partie de la formation politique qui
soutenait initialement le président de la République élu,
il s'est désolidarisé de cette majorité. A partir
de ce désaccord politique, les menaces se sont multipliées
jusqu'à ce qu'elles nous imposent l'exil pour sauver nos vies.
Je peux rapporter des faits très précis sur les dangers
encourus par moi en Haïti.
Ces circonstances font que je crains tout retour en Haïti. Or,
le comportement de la préfecture de Seine-Saint-Denis me maintient
dans une situation d'irrégularité qui m'expose à
des conséquences dramatiques en cas de contrôle d'identité.
Il est clair que, dans cette hypothèse, on va considérer
que je suis clandestine et donc en infraction au regard de la réglementation
sur l'entrée et le séjour en France. Et je ne peux produire
aucune pièce établissant que j'ai tenté de me conformer
à la réglementation.
Si, à la suite d'un tel contrôle d'identité, la
préfecture de Seine-Saint-Denis est interrogée par la
police pour savoir quelle est ma situation administrative et s'il est
vrai que j'ai effectué une démarche auprès d'elle
pour la régulariser, cette préfecture répondra
nécessairement par la négative, puisque nul n'a jamais
rien enregistré de mes deux tentatives d'accès à
ses guichets.
Je suis ainsi manifestement exposée à la prise à
mon encontre, par le préfet de Seine-Saint-Denis, d'un arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière (APRF),
qui peut avoir des conséquences mortelles pour moi.
Sur quelles bases le juge du tribunal administratif appelé
à statuer sur la légalité de cet APRF (art. 22 bis
de l'ordonnance de 2 novembre 1945) pourra-t-il être convaincu
de ma bonne foi et des risques que j'encours en Haïti ? Devant
le tribunal administratif, le représentant de la préfecture
de Seine-Saint-Denis soutiendra immanquablement que tout ce que j'affirme
est faux : que je ne suis jamais venue à la préfecture
de Bobigny, puisqu'il n'en existe aucune trace ; que l'invocation
par moi de risques en Haïti est dilatoire, simplement destinée
à m'opposer à la mesure d'éloignement qui me frappe.
Bref, il y a toutes les chances que l'APRF soit validé et que
je sois éloignée en Haïti.
Voilà quels risques me fait courrir l'illégalité
de la procédure utilisée par la préfecture de Seine-Saint-Denis,
laquelle viole de la sorte l'art. 3 de la Convention européenne
des droits de l'homme puisqu'elle m'expose ainsi à des « traitements
inhumains et dégradants ».
Les circonstances ci-dessus rapportées me conduisent
à invoquer l'article L 521-2 du code de justice administrative,
modifié par la loi du 30 juin 2000 relative au référé
devant les juridictions administratives. L'urgence de faire cesser le
refus est manifeste. L'illlégalité de la décision
de refus du préfet de Seine-Saint-Denis également. C'est
pourquoi je vous prie de faire cesser cette illégalité
en l'annulant et d'ordonner, sous astreinte de 800 F par jour de
retard à compter de la notification de votre décision,
la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour
en vue de me permettre de requérir le statut de réfugiée.
Je vous indique, à cet égard, que j'ai donné
naissance, le 3 décembre 2000 (il y a donc 18 jours
aujourd'hui) à une petite fille dont le père Dillon
MAIGNAN, de nationalité haïtienne est demandeur
d'asile. Il doit être entendu le 18 janvier 2001 par la Commission
de recours des réfugiés.
Le refus d'autorisation provisoire de séjour du préfet
de Seine-Saint-Denis me prive du droit de bénéficier de
toute protection sociale, y compris de la CMU, à un moment où
la santé de ma fille requiert cette protection.
Vous remerciant de l'attention que vous porterez à ce référé,
je vous prie, Monsieur de Président, de recevoir l'expression
de ma considération distinguée,
Rose-Michèle Hyacinthe
Pièces jointes :
-
Copie de ma lettre AR au préfet de Seine-Saint-Denis en
date du 30 décembre 2000. Cette lettre lui a également
été faxée au numéro de son cabinet le
samedi 30 décembre 2000 vers 13h30.
-
Copie du fax que le Gisti a adressé le 26 décembre
2000, immédiatement après ma première vaine
venue, au préfet de Seine-Saint-Denis.
-
Copie du témoignage d'Olivier Tallès sur ma deuxième
vaine venue du 29 décembre 2000 (avec copie de sa carte
d'identité).
-
Copie du témoignage de Jean-Pierre Alaux, du Gisti, sur
cette même tentative du 29 décembre (avec copie
de la page d'identité de son passeport).
-
Copie du carnet de santé de ma fille née le 3 décembre
2000.
-
Copie de la convocation de mon concubin, père de ma fille,
Dillon MAIGNAN, devant la Commission de recours des réfugiés
le 18 janvier 2001.
- Copie de la reconnaissance de paternité par Dillon Maignan,
mon concubin.
Dernière mise à jour :
17-01-2001 12:07.
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