« Des
étrangers sans droits dans une France bananière »
Rapport de mission en Guyane et à Saint-Martin
EN GUYANE
« Les gendarmes sont entrés.
J'ai vu un des couteaux piqués
dans le contreplaqué. »
TÉMOIGNAGE DE GUYANE
« C'était un lundi matin de septembre dernier à
6 H du matin. On a frappé à la porte. J'ai ouvert
la porte. Les gendarmes sont aussitôt rentrés. J'ai montré
nos cartes de séjour. Mais ils ont regardé partout, sous
les lits, sous les couvertures pour voir qui étaient dans les
lits, dans tous les coins jusqu'au fond de la maison. Ils étaient
quatre.
» Après, ils sont allés vers la gazinière.
Il y avait les casseroles dans lesquelles je préparais à
manger pour les enfants. Ils ont soulevé les couvercles, ont
regardé à l'intérieur des casseroles. Je sais que
les gendarmes sont les maîtres, qu'ils font ce qu'ils veulent.
J'ai laissé faire.
» Les deux enfants se sont approchés. Ils ont peur.
Ils disent « Police, police ! » et s'accrochent
aux pantalons des policiers. Tout de suite, le gendarme le plus âgé
repousse un des enfants. J'ai entendu un bruit, comme s'ils avaient
tiré. J'ai eu peur, parce que les gendarmes viennent avec des
haches, des fusils. Tout de suite les enfants ont dit « Maman,
regarde ce qu'il fait maintenant ». J'ai vu un de ses couteaux
de cuisine piqué dans le contreplaqué de la cloison au-dessus
de la gazinière. C'était les policiers qui avaient planté
le couteau ».
(On voit très bien le trou fait par le couteau dans la cloison.
La mère de famille peut le ficher à nouveau dedans. Il
tient sans aucune difficulté).
Pourquoi, ils ont fait ça à votre avis ?
« Ils font ça parce que nous sommes des étrangers.
Si nous étions des Guyanais, ils n'auraient pas le droit. Même
en Haïti, où il y a beaucoup de macoutes (les hommes
de main des Duvalier et, par extension, tous ceux qui commettent des
brutalités), les policiers n'ont pas le droit de faire ça.
Pour nous, la réciprocité, c'est un caoutchouc (allusion
au « Père Lebrun », supplice du collier à
la mode haïtienne) ».
Vous, vous avez des papiers ?
« Oui, mon mari et moi, on a les papiers. Mais je n'ai pas
de travail. Moi, ma carte, c'est « Membre de famille »
. Et, avec cette carte, j'ai du mal à trouver du boulot. Partout
où je vais pour en demander, on ne veut pas m'en donner. Par
contre, j'ai ma carte de sécurité sociale ».
Mais vous, Monsieur, vous avez la carte de salarié ?
Et votre femme est rentrée par le regroupement familial ?
« Oui, moi j'ai la carte de salarié de dix ans. Ma
femme, elle est rentrée clandestine. Je me suis marié
avec elle. Et elle a eu sa carte « Membre de famille ».
En juin 1996, elle aura pour la troisième fois. Quand elle aura
la carte de dix ans, elle pourra travailler ».
Avant de recevoir la carte de séjour « Membre
de famille », Madame, vous avez passé une visite médicale
et payé une taxe à l'OMI (Office des migrations internationales) ?
« Oui, j'ai passé la visite médicale. Mais
je n'ai pas payé la taxe à l'OMI, parce que ça
n'existait pas.
Le directeur de l'Association pour le développement de la
culture haïtienne et la formation (ADCHF) explique alors : « Avant,
soit on payait au Trésor 3 565 F, soit il fallait qu'on
achète un billet à Air-France. L'OMI est arrivé
au début de 1993. On payait 1 800 F, puis c'est monté
à 2 000 et quelques, et maintenant c'est 4 950 F ».
En fait, elle a été donc été
régularisée au titre de regroupement familial, mais sur
place, sans qu'on l'oblige à repartir en Haïti ?
« Oui, mais pour avoir la carte, il faut que la dame ait
été enfantée avec le monsieur. Après, on
fait le groupe sanguin à l'Institut Pasteur. Après, on
peut donner une carte de séjour à la dame ».
On fait des analyses de sang de qui ? Des enfants ?
« Oui, des enfants, du papa, et de la maman ».
Et c'est pour vérifier que l'enfant est bien l'enfant
des deux parents ?
« Oui, c'est ça. Et, quand on a la preuve que c'est
bien leur enfant, on donne une carte de séjour à la mère ».
Qui fait la prise de sang ?
« On la fait au papa pour savoir si c'est bien son enfant.
On la fait à l'Institut Pasteur à Cayenne ».
On fait ça à qui ?
« A moi, par exemple. En Guyane, le comportement sexuel est
tellement en désordre que, pour reconnaître mon enfant,
je vais faire une prise de sang pour voir si, l'enfant et moi, on a
le même groupe sanguin ».
Pour les cartes de séjour, cette prise de sang, elle
sert à quoi ? Si un des deux parents a déjà
une carte de séjour et que l'autre n'en a pas, il l'obtient parce
qu'il a un enfant avec le premier ?
« Pas si un des deux parents a déjà la carte
de séjour. Seulement si le papa a déjà la carte.
La maman, non ».
Donc, le papa a une carte de séjour, l'enfant est
né ici en France, qu'est-ce qui arrive ?
« Le papa peut donner à la dame, à la maman
qui vient d'accoucher de l'enfant, une carte de séjour ».
Seulement d'un an ?
« Oui. Avant, c'était pareil pour les mariages. Mais
maintenant, pour les mariages, ils ne la donnent plus ».
Vous connaissez la loi qui permet ça ?
« Non, je ne la connais pas ».
Dernière mise à jour :
8-01-2001 18:25.
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