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ARTICLES

 

Faire émerger le droit
des étrangers en le contestant,
ou l’histoire paradoxale
des premières années du GISTI

par Liora Israël
Sociologue

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Article paru dans la revue Politix (volume 16, n° 62/2003) [ed. Lavoisier]

Le GISTI, Groupe d'Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés, apparaît dans le paysage politico-associatif français comme l'une des organisations les plus à mêmes d'être traitée à travers le prisme de cette articulation particulière du droit et du politique qu'est le Cause Lawyering. Encore récemment, lorsque le GISTI prit position contre le traitement par le Ministère de l'Intérieur du dossier Sangatte, le quotidien Libération titrait significativement « Sarkozy rappelé à l'ordre juridique » [1] , illustrant la forte légitimité publique sur le terrain du droit de cette association. Par ailleurs, le GISTI possède un certain nombre de caractéristiques qui le rapprochent des thèmes privilégiés par les recherches « canoniques » portant sur le Cause Lawyering : il s'agit d'une association née dans les années 1970, se situant très nettement à gauche, dont les membres sont des professionnels du droit ou des personnes ayant acquises des compétences précises dans ce domaine. Enfin, l'objet même de l'association a bien été, dès sa fondation, de s'inscrire sur le terrain du droit. C'est de la période de cette fondation et des premières années du GISTI (1971-1978) que nous entendons traiter ici, afin de montrer à travers une approche socio-historique comment l'association qui apparaît aujourd'hui comme l'exemple quasi paradigmatique d'une mouvance associative de gauche de plus en plus coutumière de l'usage des outils juridiques s'est constituée grâce à l'alliance improbable de militants issus de traditions opposées (des énarques proches de la gauche réformatrice, des travailleurs sociaux souvent trotskistes ou maoïstes, des jeunes magistrats membres du Syndicat de la Magistrature naissant, des juristes du Mouvement d'Action Judiciaire), dans un contexte très spécifique qui a priori n'était pas forcément le plus favorable à cette inscription sur le terrain juridique, et autour d'une question qui, du point de vue des juristes, n'était pas légitime. En effet, la première mise en forme de cette problématique par les jeunes énarques fondateurs du groupe constitua à repérer les questions relatives à l'immigration comme une « zone de non-droit », un « infra-droit », un vide juridique. L'inscription efficace sur le terrain du droit supposait ainsi d'être capable de recueillir de la part des institutions, en particulier judiciaires, une reconnaissance de la pertinence de la catégorisation juridique de ce problème considéré traditionnellement comme ne relevant pas vraiment du droit. Cette reconnaissance paradoxale passait par la capacité à obtenir des victoires judiciaires, qui allaient signaler l'intérêt de cet ancrage sur le terrain du droit aux autres mouvements d'extrême-gauche, tout en produisant une reconnaissance et une forme de légitimation officielle du travail juridique de l'association. 

Nous nous intéresserons aux conditions de la pérennisation de cette configuration particulière d'acteurs et d'institutions, et au-delà à ce que le droit fait à l'action politique. Cette interaction du droit et du politique renvoie à la fois aux enjeux de légitimation du politique par le juridique, c'est-à-dire au pouvoir de légitimation caractéristique de la « force du droit » [2] , et à la possible délégitimation de la cause par le passage par certaines institutions, comme la Justice, notamment lorsqu'elles dépendent d'un pouvoir politique dont la contestation a été le fondement de la construction de la cause.

Plutôt que de saisir dans les seuls discours l'entremêlement des registres juridiques et politiques spécifiques à l'association, il nous a semblé utile d'étudier les modalités pratiques de l'activité du GISTI, la constitution de ses répertoires d'action spécifiques telle qu'elle transparaît notamment dans ses archives. Nous nous attarderons ainsi spécifiquement sur les guides juridiques, fiches techniques, permanences juridiques qui vont constituer autant de dispositifs pratiques caractéristiques de l'association et d'un certain mode de domestication du droit à usage politique. Cet intérêt pour les archives sera combiné avec l'étude de témoignages réalisés avec des membres du GISTI, à l'invitation de l'association elle-même qui avait souhaité faire un retour sur sa propre histoire et inviter plusieurs chercheurs en sciences sociales à accompagner ce retour « sur soi ». Ce dispositif original, qui s'est concrétisé tout particulièrement par une journée au cours de laquelle de nombreux membres et anciens membres du GISTI se sont réunis pour échanger sur leur parcours [3], constitue ainsi un des terrains et l'origine de cette recherche, qui s'inscrit donc dans un ensemble de recherches rendues possibles par l'association [4] déjà matérialisé par un numéro spécial de la revue du GISTI intitulé « Immigration : trente ans de combat par le droit » [5].

Cette étude nous permettra de faire apparaître comment, très tôt dans l'histoire du GISTI, surgit une contradiction propre à son mode de fonctionnement par et pour le droit. En effet, participer de l'institutionnalisation du droit concernant une catégorie spécifique, les immigrés, signifie aussi renforcer une forme de contrainte, et ce dans une double direction. D'une part, cela accroît la dépendance des immigrés eux-mêmes aux porteurs de compétence juridique. D'autre part, cela conduit à l'entrée dans une sorte de compétition avec l'État sur l'encadrement juridique de l'immigration, au risque de voir se retourner le dispositif de critique du droit contre ses objectifs initiaux (les critiques faites par le GISTI permettant de combler les failles du dispositif juridique et par là même à le rendre plus difficilement contestable dans l'arène judiciaire).

Les premières années du GISTI apparaissent ainsi intéressantes d'un double point de vue, d'une part pour souligner au niveau micro-historique la manière dont s'est construit un répertoire pratique et symbolique spécifique fondé sur le droit, d'autre part dans le cadre d'une analyse en termes de cause lawyering  ou de causes juridiques et judiciaires. En effet, en donnant à voir la genèse d'une telle cause, on souligne à la fois la difficulté et le bricolage permanent qui participent de sa construction. Il est ainsi possible de questionner la naturalisation produite à la fois par l'analyse et par l'histoire, qui contribuent toutes deux (en particulier lorsqu'on articule enquêtes sur les usages militants du droit et ce qui est aujourd'hui décrit comme la « juridicisation » ou la « judiciarisation » de la société [6] ) à donner à voir comme évident ce qui s'est construit difficilement, à l'entrecroisement de réseaux d'acteurs, d'une conjoncture spécifique, celle de l'après-68, et d'une « structure d'opportunité juridique » pour paraphraser Sydney Tarrow [7] , propre à l'éclosion d'une mise en forme juridique de la situation des travailleurs immigrés.

I. La naissance du GISTI : quatre jeunes énarques dans le vent de la contestation

a) La constitution d'un groupe autour de la définition de l'immigration comme zone de non-droit

À l'origine du GISTI, telle qu'elle fut présentée lors de la journée « Histoire et Mémoire », il y a quatre jeunes énarques qui, pris entre leur formation professionnelle de futurs hauts fonctionnaires et l'esprit plus subversif des mobilisations politiques de leur génération, vont être conduits à imaginer une forme d'engagement conciliable avec cette vocation pour la haute administration. Le contexte plus général des années 60 dans lequel ils ont grandi n'est pas étranger à cette invention, comme le rappelle un de ces quatre anciens énarques [8]  : « C'est le contexte de la guerre d'Algérie, de la décolonisation, de la croissance que je vais appeler de ce vieux terme "la croissance bourgeoise des années 60", avec la rupture de 1968 qui a marqué un certain nombre d'entre nous et certainement ceux qui ont fait partie de cette fondation » [9] . L'évènement déclencheur de la réflexion collective conduisant au GISTI est la signature par plusieurs jeunes énarques, en 1969, d'un texte protestant contre la loi « anti-casseurs ». Suite à cette protestation, le gouvernement de l'époque réagit en demandant à ces jeunes gens de démissionner de l'ENA ou de retirer leur signature. Cette pression subite du pouvoir induit chez une quarantaine de membres de cette promotion, tout d'abord la peur de devenir des « purs rouages » de l'administration, et d'autre part la volonté de créer des groupes de travail sur des questions précises et de produire une expertise et une réflexion politiques. Ces groupes, dits groupes « Paoletti » du nom de celui qui en prit l'initiative, vont se spécialiser sur des terrains différents. Ainsi, celui qui nous intéresse, constitué au départ de quatre énarques, se spécialise sur les questions d'immigration : « Nous avions décidé qu'il y avait un thème qui était intéressant, un thème à forte charge et à faible visibilité qui était le vide juridique du côté des immigrés, cette espèce de zone de non-droit » [10] . Cet intérêt à la fois juridique et politique ne se concrétise pas immédiatement dans la constitution d'un groupe autonome : c'est seulement après une période de prospection auprès des syndicats, dans lesquels on ne leur propose pas véritablement de réponse concrète à leur volonté d'engagement spécifique sur ce terrain, qu'est envisagée de prendre une initiative distincte, comme le rappelle l'un d'entre eux : 

« Nous voulions nous engager socialement entre guillemets, et nous nous sommes dits après tout puisque nous avions une certaine formation universitaire et une bonne capacité technique, nous pouvions offrir nos services à des organisations constituées. Alors nous nous sommes dits : au fond là où se passe le mouvement social, c'est le mouvement ouvrier, et nous sommes allés voir les syndicats. Nous sommes allés voir les confédérations syndicales en leur disant : "Voilà, nous sommes plusieurs, nous ne sommes pas plus bêtes que d'autres et assez bien formés sur le plan du droit, nous vous apportons notre force de travail le soir". Nous sommes donc allés voir le secteur migrant de la CGT et de la CFDT. L'accueil a été distant. On nous a dit : "Ah c'est très intéressant, adhérez à votre section d'entreprise, très bien, bravo, voilà de bons jeunes gens, il faut faire ça oui oui... Et bien écoutez laissez nous votre nom et votre adresse on vous écrira". C'était une démarche d'employeur assez classique, c'est-à-dire qu'on n'a pas eu de réponse [...] Bref nous nous sommes dit que ce n'était pas là que nous allions nous déployer et nous employer ! Bref, quoi faire ? Alors on s'est dit, ben au fond, quoi faire, ce que nous avions choisi à la suite d'un raisonnement idéalistico-politico-idéologique : le thème de l'oppression de l'immigration, de l'infra-droit - le mot est venu très vite - des immigrés, comment faire un mouvement social. » [11]

Ce témoignage illustre combien l'invention du GISTI est le moyen pour ces jeunes énarques de produire une solution rationnelle à ce qui leur apparaît comme un dysfonctionnement, à savoir le refus qu'on leur oppose lorsqu'ils proposent de mettre leurs compétences spécifiques au service des syndicats, puisque ces derniers étaient les acteurs principaux sur le terrain des questions relatives à des migrants alors définis avant tout comme des travailleurs immigrés [12] . Ce premier échec impose un contournement de l'obstacle et rend nécessaire une élaboration différente de ce projet de construction d'une expertise radicale relative à l'immigration sur le terrain du droit. C'est donc plutôt par l'intermédiaire de réseaux militants et amicaux que va peu à peu se constituer, autour du noyau initial des énarques, un groupe informel de réflexion sur ces questions qui va agréger des avocats membres de la Ligue des Droits de l'Homme, comme Jean-Jacques de Felice, des membres du syndicat de la magistrature créé en 1968 [13] , mais aussi des travailleurs sociaux, notamment confrontés au problème des bidonvilles, et des membres du milieu associatif, et particulièrement du secteur migrants de la CIMADE.

La première des réunions du groupe dont nous disposons du compte-rendu date du 18 décembre 1971. Le groupe n'a pas encore de nom bien déterminé (le compte-rendu porte la mention « Groupe pour la défense des Immigrés »), mais ses sujets sont déjà très représentatifs de la spécificité de ce qui s'appellera le GISTI : « Éléments discutés le 18 décembre 1971 : outre un échange d'information sur la situation des foyers africains et la création du comité de liaison des travailleurs immigrés, les points suivants ont été discutés : 1° Orientation des membres du groupe non juristes [...]. 2° Travail des juristes [...] ». Cette distinction est intéressante puisqu'elle illustre, d'une part que dès le début - et c'est toujours le cas - l'association a des membres actifs non juristes, et d'autre part de façon complémentaire que ces derniers se voient reconnaître une place spécifique, en partie distincte de la dimension technique et experte à propos de laquelle sont sollicités les juristes.

Dès cette première réunion, la division des tâches se présente comme suit. Aux juristes, la rédaction d'études par exemple sur le secret professionnel des travailleurs sociaux ou sur les textes et la jurisprudence relatifs à l'expulsion, mais aussi la participation à des procédures ou à la préfiguration d'actions en justice. Sont ainsi évoquées des procédures à engager contre des foyers de travailleurs immigrés, et l'examen de la légalité de contrats de travail.  L'activité des non-juristes est plus généraliste, elle consiste, toujours selon ce premier compte-rendu, à créer des contacts avec la CFDT pour envisager la participation à la formation des militants et responsables syndicaux ; l'autre point étant d'envisager la publication à terme d'une petit livre de vulgarisation (dont nous reparlerons). Le souci précoce de publiciser et de diffuser le travail réalisé par le groupe apparaît également à travers mention du fait qu'ils disposent de contacts permettant à la fois obtenir de faire passer des informations dans le journal Le Monde, et, sur un plan plus directement politique, de transmettre des questions à l'Assemblée par l'intermédiaire de François Mitterrand et Michel Rocard.

L'usage du droit apparaît, dès cette première réunion, orienté à la fois vers la publicisation du problème des étrangers et vers le développement d'une technicité utile socialement (avec l'idée d'organiser des formations). La question du contentieux reste en retrait, évoquée comme une perspective éventuelle.

Ces hésitations et ces premières intuitions sont évaluées par les membres du groupe dès la réunion du 19 mars 1972, qui avait pour objet de « fixer plus précisément les objectifs que se donne le groupe et les méthodes de travail ». Est ainsi d'abord élaboré un « bilan rapide » du groupe, portant notamment sur sa composition puisqu'il réunit « 23 membres de professions et donc d'expériences variées : travailleuses sociales, membres de la CIMADE, avocats, étudiants, fonctionnaires (magistrats, Conseil d'État, CNRS, Ministères de l'Industrie, des finances, de l'Éducation Nationale, de l'Équipement) », et sur son activité : il a « constitué une documentation assez importante de textes et d'études concernant les conditions d'existence et de travail des immigrés, leur statut juridique ». Le souci de rationalisation de l'activité militante apparaît central, puisqu'est (déjà) élaboré un questionnaire joint à ce compte-rendu, dans lequel il est demandé aux participants de préciser comment ils sont devenus membres du groupe, avec quelle disponibilité, quels autres engagement sur les questions des immigrés, et surtout quels types d'attentes, attentes qui vont -cases à cocher- de l'information des membres du groupe ou de l'opinion publique à la participation à des luttes concrètes, en passant par l'information des travailleurs immigrés et l'assistance technique et juridique à des groupes de travailleurs immigrés ou des groupes travaillant sur ces problèmes. D'ores et déjà, à l'issue de cette réunion et avant que ne soit tiré un bilan de cette consultation, sont posées trois types de conclusions provisoires, qui constituent une sorte d'auto-identification temporaire :

«- Le groupe peut rassembler une documentation et étudier une question posée par un membre

- il ne s'est pas manifesté à l'extérieur (en tant que tel), ni par une action directe avec les travailleurs immigrés, ni par une information du public.

- les membres du groupe peuvent y consacrer une part très variable de leur temps » [14].

b) Un groupe d'intervention fondé sur l'expertise juridique

Deux semaines plus tard, les conclusions de cette enquête sont tirées sur plusieurs points, avec pour objectif de trouver un nom au groupe « pour pouvoir [se] situer dans des contacts avec d'autres organisations, dénoncer une situation ». C'est à cette occasion que le nom GISTI est adopté. Le terme même inscrit le GISTI dans la mouvance d'autres mouvements articulant prise de position politique, expertise technique et compétence intellectuelle, puisque plusieurs de ces groupes ont en commun, outre plusieurs de leurs membres, les mêmes initiales GI ; le premier d'entre eux et le plus célèbre, notamment du fait du rôle essentiel qu'y joue Michel Foucault, qui vient d'entrer au Collège de France, est le GIP (Groupe d'Information sur les Prisons) créé en février 1971. Apparaissent ensuite le GIS (Groupe d'Information Santé) en mai 1972 puis le GIA (Groupe d'Information sur les Asiles) [15] .  Comme l'explique bien Philippe Artières, ces différents groupes sont caractérisés par la spécialisation et la technicité de leurs membres dans des champs sociaux spécifiques : « il s'agissait toujours de mettre à profit la situation d'expert qui était la leur pour dénoncer des faits » [16].

Si le GISTI naissant se choisit donc un nom susceptible de l'insérer dans une filiation politique et médiatique, néanmoins ses membres expriment le souhait « que le groupe ne se marquera pas par la présence de quelques célébrités. Pour expliquer ce qu'il est on dira qu'il comprend notamment [17] des avocats, des fonctionnaires des travailleurs sociaux ». Ce souci de la présentation adéquate apparaît également à travers l'annonce selon laquelle « un petit texte sera rédigé à l'usage interne du groupe pour que sa présentation soit unifiée ». Ce travail de mise en cohérence interne et externe du groupe est associé à la mise en place de méthodes et de moyens d'organisations (nomination d'un responsable principal pour chaque action engagée, cotisations pour financer un minimum de secrétariat).

Le GISTI apparaît ainsi caractérisé, d'un point de vue formel, par une volonté précoce de rationalisation de ses procédures et de contrôle de ses modes de présentation. Il est frappant de constater qu'alors le groupement n'a encore que peu d'implications directes dans les mouvements issus de l'immigration, hormis la défense assurée par des avocats membres du groupe, comme Simone Pacot, Jean-Jacques de Felice, Georges Pinet, en faveur de travailleurs menacés d'expulsions ou de résidents de foyers. La faible présence directe des immigrants ou de certains de leurs représentants ainsi que cette dimension juridique et judiciaire distinguent donc le GISTI d'autres formes de mobilisations contemporaines qui posent la question du traitement politique de l'immigration [18] . Par contre, les publications du GISTI - alors de petites brochures photocopiées - se multiplient, et donnent des occasions de collaboration avec d'autres associations ou syndicats tels que la CIMADE [19] , l'ADELS [20] ou la CFDT. Avec cette dernière, des discussions sont menées sur des sujets tels que « les fondements du droit syndical (est-ce la nationalité ou le contrat de travail ?), la formation permanente et l'alphabétisation (l'alphabétisation des travailleurs immigrés peut-elle s'inscrire dans le cadre de la loi du 16/7/71 sur la formation permanente ? ), les réfugiés politiques [.], le règlement des foyers [...] ». [21] Le travail militant du GISTI naissant se distingue ainsi par l'inscription de ses registres d'action en relation avec des formes de pratiques professionnelles (qu'il s'agisse de la formation professionnelle, de la vulgarisation juridique à destination des responsables syndicaux, ou de la défense pratiquée par les avocats devant les tribunaux). L'alliance de l'expertise et de la radicalité, rendue manifeste par la proximité onomastique avec les autres Groupes d'Informations, se traduit par un souci d'efficacité pratique allié à une attention particulière portée à la dimension de présentation publique du groupe.

Ce souci du public passe par la volonté de contrôler l'image de l'association, notamment en adoptant une présentation unifiée. Le premier jet de cette tentative d'auto-définition est rédigé par l'avocat Me Pinet qui le présente lors de la réunion du 10 mars 1972 :

« Le GISTI a pour but :

- de réunir toutes informations sur la situation économique et sociale des travailleurs immigrés.

- d'informer ces derniers des conditions réelles d'exercice et de protection de leurs droits.

- de soutenir leur action en vue de la reconnaissance et de l'établissement des droits que leur confère leur situation de travailleur et d'obtenir le respect. » [22]

Cette configuration particulière d'objectifs, entre collecte et diffusion d'informations d'une part, et soutien des actions des travailleurs immigrés d'autre part, entraîna des modalités d'action spécifiques, dans un champ de l'investissement politique alors fortement encombré :

« Le GISTI ça c'est donc constitué à partir de là, [...], agir par le droit, avec l'idée qu'il fallait se battre contre une vision anormale du pouvoir administratif ou du pouvoir exécutif. C'était nécessaire, par conséquent il fallait agir par le droit, il fallait faire du recours, il fallait contester la non respect du droit par l'administration et le gouvernement. Agir par l'écrit, c'était le deuxième thème, nous avons tout de suite pensé qu'il fallait faire des notes, qu'il fallait faire des écrits, qu'il fallait publier, diffuser, on était encore très loin d'actes de Plein droit [23] . Nous avons fait assez vite des circulaires, on s'est dit après tout pourquoi pas nous, plutôt qu'aux préfets, en diffusant un arrêt du Conseil d'État qui nous donnait raison, nous avons reçu des lettres indignées à l'époque de la DPM qui disait c'est scandaleux, vous n'avez pas le droit de faire des circulaires, c'est pas à vous d'en faire... Il fallait enfin, c'était la troisième idée... On pouvait pas faire du droit, faire de l'écrit, sans être sur le terrain, c'est-à-dire s'accrocher aux problèmes concrets, aux problèmes de terrain, s'accrocher avec les associations militantes, les associations de lutte... J'ai presque envie de dire lutte classique.... Et travailler par conséquent sur des conflits ou sur des luttes locales... Ça c'était difficile, d'abord parce que le champ est extrêmement occupé par tout le monde, de façon parfois extrêmement désordonnée... mais la question lancinante est revenue très vite, avec qui on s'allie, comment on fait, où va-t-on... » [24].

Le répertoire d'action spécifique du GISTI, tel qu'il apparaît dans cette citation, repose davantage sur l'écrit ou sur la réflexion intellectuelle que sur l'action collective. Il est marqué par cette forme particulière de mise en relation entre grande technicité juridique et radicalité politique qui reste aujourd'hui la marque de fabrique de l'association. Le GISTI peut ainsi être caractérisé dès ses débuts comme une organisation de « cause lawyering » [25]  ; c'est-à-dire une organisation de défense juridique et judiciaire dans laquelle « engagements progressistes et pratiques professionnelles » sont amenés à cohabiter, et dans laquelle « le droit et les instruments de la légalité peuvent être interprétés comme un cadre de l'action collective » [26] , pour reprendre la terminologie de David Snow [27] , le cadre juridique étant considéré par les participants comme susceptible d'entrer en résonance avec les objectifs de ce mouvement. Un des enjeux du groupe, véritablement constitué en association à partir du milieu des années 70, consista à faire reconnaître dans le champ associatif et politique le caractère véritablement militant et l'efficacité réelle de ce type d'actions fondées sur le droit, qui apparaissaient atypiques dans le cadre des mobilisations de l'extrême-gauche des années 1970.

II. Entre radicalité politique et technicité juridique : des modes opératoires spécifiques fondés sur le droit.

a) Les permanences juridiques ou l'extension problématique de la logique du cas.

L'idée de mettre en place des permanences juridiques apparaît pour la première fois lors de la réunion du 15 avril 1972, avec la proposition de mettre à l'ordre du jour de la prochaine réunion « le problème des avocats disposés à organiser une permanence juridique avec la CIMADE ». Cette aide téléphonique assurée par des membres du GISTI et des travailleurs sociaux devait être relayée par des avocats qui accepteraient de devenir les « conseils juridiques » de la CIMADE et du GISTI. Cette réflexion est menée de concert avec le MAJ [28] qui partage avec le GISTI plusieurs de ses membres importants. Faire de l'offre juridique aux travailleurs immigrés le cour des missions du GISTI n'est pourtant pas sans poser problème au sein de l'association, comme le signalent rapidement certains membres du GISTI. Il s'agit de ne pas se contenter d'être « un simple bureau d'assistance juridique [...] » et il « faudrait pour que notre action retrouve une signification au niveau politique, d'une part que cette permanence ne joue pas auprès des travailleurs un rôle démobilisateur (dans la mesure où en général il n'y a pas de réponse juridique à leur problème) et d'autre part qu'ils trouvent éventuellement auprès des animateurs un soutien actif [...] afin qu'ils soient aidés dans leur lutte » [29]. La volonté fondatrice et paradoxale du GISTI, insufflée par les quatre énarques, d'inscrire la lutte par le droit dans un espace de non-droit, prend ainsi toute sa dimension concrète et problématique dès la mise en place des permanences. La question qui apparaît alors est de savoir comment transformer le constat de l'absence de droit en la possibilité d'une mobilisation collective, les permanences et les dossiers individuels auxquels elles donnent accès ne constituant pas en soi un outil permettant d'atteindre un tel objectif.

De fait, les premières permanences mises en place, en octobre 1972 [30], vont dans un premier temps - et alors que les appels sont encore peu nombreux - servir à former des travailleurs sociaux sur ces questions, puisqu'ils sont susceptibles, avec les avocats, d'avoir à répondre. La permanence est pensée dans la perspective d'une  dynamique de luttes individuelles mais aussi collectives : lors de la réunion du 4 janvier 1973 est annoncée la création d'un comité de bilan de permanence « qui s'efforcera de faire le bilan des problèmes posés à la permanence et de dépasser le stade d'une simple juxtaposition de cas individuels rassemblés dans un cahier » [31].

La mise en place de permanences juridiques avait ainsi une triple fonction de collecte de problèmes juridiques concrets, de formation de travailleurs sociaux aux problèmes juridiques, mais aussi d'offre de service juridique aux immigrés. Elle matérialisait l'articulation pratique entre la volonté d'agir par le droit imaginée par les jeunes énarques et la nécessité d'organiser les formes particulières du traitement juridique des cas. En cela, les permanences produisaient une forme d'offre juridique alternative à la relation professionnelle traditionnelle entre l'avocat et son client. En effet, bien qu'organisées le plus souvent par des avocats et en relation avec leurs cabinets lorsque certains cas sélectionnés étaient transformés en affaires, ces permanences s'inscrivaient dans le cadre d'une structure associative distincte à la fois du cadre de la profession libérale et de l'assistance judiciaire. Cette structure originale, proche par certains aspects des « boutiques de droit » [32] permettant de donner accès aux ressources juridiques aux plus démunis, peut être réinscrite plus largement dans la mouvance critique qui remit notamment en cause les institutions juridiques et judiciaires traditionnelles dans les années 1970. Cette problématique du « critical lawyering » donna en effet lieu, notamment en Amérique du Nord, à un travail de redéfinition de la profession d'avocat, du double point de vue de la relation entre le professionnel et son client, et du lien entre travail juridique et mobilisation politique [33]. La permanence juridique facilitait l'accès au droit d'immigrés qui n'auraient sans doute pas osé aller voir un avocat, elle confrontait les avocats à des  problèmes concrets relevant souvent des frontières du droit (il suffisait parfois d'aider à rédiger une lettre ou de renvoyer sur l'administration compétente), contribuant à brouiller à la fois les termes de la relation traditionnelle au client et ceux de la définition des tâches professionnelles. En cela, elle s'inscrivait bien dans une remise en cause des usages sociaux traditionnels du droit, qui au-delà de la cause des travailleurs immigrés invitait à une lecture nouvelle et subversive de la légalité.

b) La mise en mots et en droit de la cause : la rédaction de textes d'analyse juridique et de mise en perspective politique.

Avant même l'inauguration des permanences juridiques, des problèmes précis apparaissaient à l'occasion de procès comme ceux intentés contre des marchands de sommeil dans lesquels intervenaient des avocats comme Simone Pacot, du cabinet d'Henri Leclerc, et Georges Pinet ; ou dans la pratique de travailleurs sociaux, mobilisés essentiellement sur la question des bidonvilles depuis les années 1960. C'est notamment ce que rappelle B., travailleur social. Arrivé dans des « circonstances post soixant-huitardes » [34] sur le terrain, il travaillait à la fin des années 60 au bidonville de Nanterre comme animateur social auprès des travailleurs immigrés. Le bidonville de Nanterre était selon lui au centre d'une conjonction très spéciale à l'époque, ce que corrobore l'analyse de Michèle Zancarini-Fournel [35] qui souligne que la question était apparue sur la scène publique dès 1964, avec la dénonciation du problème des bidonvilles dans la presse et l'adoption d'une loi sur leur résorption. Après 1968, les groupes d'extrême-gauche apparaissent au côté des immigrés, particulièrement dans les bidonvilles et les foyers de travailleurs, et assurent cours d'alphabétisation et soutien lors des conflits liés au travail ou aux conditions de logement. En ce qui concerne plus particulièrement Nanterre, B. souligne combien cette ville était intéressante du point de vue des luttes politiques, car rassemblant étudiants et immigrés dans une ville ouvrière communiste.

Encadrés par ces mouvements et notamment au niveau local par des ASTI(s) [36] , ces luttes sont menées notamment contre des expulsions. Les premiers contacts avec le GISTI ont lieu par l'intermédiaire d'une avocate, Simone Pacot, autour de questions très concrètes qui concernent le quotidien des immigrés et de leur défense juridique : savoir si les locaux des marchands de sommeil relèvent de la loi de 1948, étant en quelque sorte des hôtels, mais non déclarés ; de quel statut dépendent les hôtels garnis ; ou encore la question importante de savoir si les habitations des bidonvilles devaient être considérées ou non comme des domiciles, notamment pour réagir face aux forces de police spéciales qui vérifiaient de manière nocturne si les bidonvilles accueillaient de nouveaux habitants et détruisaient les baraques en construction.  Était-il possible d'invoquer  que ces interventions constituaient des violations de domiciles ?

Toutes ces questions vont constituer autant de thèmes des premiers travaux rédigés par les membres du GISTI, et publiés en général avec la CIMADE [37] . Une forme de travail de traduction et de montée en généralité est produit à partir des exemples fournis par des avocats et des travailleurs sociaux qui connaissent directement les immigrés et leurs problèmes concrets. Pour citer quelques titres représentatifs de la constitution d'une expertise pratique, en juillet 73 est publié un document appelé « marche à suivre pour les locataires ou occupants menacés d'éviction ». Toujours en juillet 73, une étude du GISTI sur les foyers pour travailleurs migrants est réalisée avec le service migrants de la CIMADE. Le ton de ce cette publication apparaît suffisamment spécifique pour devoir être cité :

Introduction.

« Les travailleurs immigrés n'habitent pas le plus souvent des logements comme les autres. Pour loger les « isolés », des foyers ont été créés soit par des particuliers qui voyaient là l'occasion de faire de bonnes affaires (foyers « sauvages »), soit, et c'est là la majeure partie des cas, grâce à diverses sources de financement mobilisées par les pouvoirs publics (foyers « publics »). [...] De plus, les immigrés, ici comme c'est souvent le cas, connaissent une situation où l'absence de droit est poussée d'une façon caricaturale. Cette absence de droit n'est pourtant pas totale, il faut chercher à utiliser les textes mal connus qui précisent la situation des immigrés ; et  autant qu'une analyse des conditions de vie dans les foyers, il faut faire le point des droits de l'occupant du foyer.

Ce dossier est divisé en trois parties : la première cherche à présenter les droits de l'occupant du foyer en précisant la nature juridique des logements-foyers ; la deuxième partie est une analyse critique d'un certain nombre de règlements intérieurs de foyers qui sont cités en annexe ; la troisième est une synthèse des problèmes de la vie dans un foyer et de la fonction que ce type de logement remplit.

Plusieurs annexes viennent étayer ce dossier : la première apporte quelques précisions sur ce qu'est le FAS, les deux suivantes sont les textes de deux règlements intérieurs, la dernière enfin résume les normes minimales des foyers telles que les a définies la circulaire du 8/9/71 du Ministre de l'Équipement et du Logement. »

p. 20 « En allant plus loin dans l'analyse, on a vu que les nécessités économiques de l'expansion de type capitaliste, et notamment le recours à la main-d'ouvre étrangère, impliquaient la construction de Foyers comme cadres de la reproduction de la force de travail des étrangers. Subordonnés aux besoins industriels, les Foyers ne sont pas des logements au sens plein du terme, car la concentration des travailleurs étrangers en des lieux précis correspond à toute une série de contrôles de type policier dans la vie quotidienne. Ainsi se découvre la fonction objective du Foyer : contrôler les travailleurs pour qu'ils restent isolés de la classe ouvrière nationale et ne viennent pas la renforcer. »

Ce travail d'exégèse et de mise en perspective politique de la situation des immigrés, apparaît caractéristique de ces textes, qui sont généralement complétés par la reproduction des textes réglementaires concernés, mais aussi de circulaires. Or ces dernières, qui normalement n'ont pas à être diffusées hors de l'administration concernée, vont être reproduites pour donner à voir les principes effectifs régissant l'administration des travailleurs immigrés. Ainsi, en mai 1973, la CIMADE et le GISTI publient la circulaire du Ministère des Affaires Sociales du 21 novembre 1972 dite circulaire Barbeau concernant l'introduction de travailleurs étrangers par la procédure du contrat nominatif, suivie d'un commentaire de ce texte. La publication de ces circulaires est révélatrice à la fois d'une bonne connaissance des rouages de l'administration, caractéristique des hauts fonctionnaires membres du GISTI, et des capacités subversives inédites qui peuvent résulter de la mise au jour de ces modes de fonctionnements. En étant à même de se procurer et de diffuser ces circulaires, le GISTI donnait des éléments de prise sur une gestion administrative de l'immigration dont l'emprise sur les immigrés était renforcée par l'invisibilité de ses principes.

Le travail d'analyse mais aussi et surtout de mise à disposition des textes juridiques accompagnés d'un appareil critique, va trouver un public élargi avec la publication en avril 1974, dans la Petite collection Maspero, d'un livre de poche intitulé Le petit livre juridique des travailleurs immigrés [38], rédigé par les membres du GISTI et du Collectif d'alphabétisation (collectif de travailleurs faisant de l'alphabétisation à titre bénévole ou professionnel) [39].

Le choix de la collection Maspero inscrit d'emblée le livre dans un ensemble de fascicules engagés, dont François Maspero rappelle le foisonnement après mai 68 : « Les éditions [Maspero] se sont ouvertes sans contrepartie aux groupes d'extrême gauche et publient pour eux à prix coûtant ou à perte, parallèlement aux collections commerciales, toute une littérature de propagande dont nous sommes convaincus qu'elle nourrira le fructueux débat où se forge l'avenir, en attendant la mort (imminente) du capitalisme » [40]. Mais le  Petit livre juridique des travailleurs immigrés se distingue dans cet ensemble pour sa double visée, dénonciatrice à l'égard d'une politique mais aussi pratique dans l'aide aux étrangers [41]. Comme le précisaient ses auteurs, cette brochure « a pour but de clarifier la législation actuelle qui limite les droits au séjour et au travail des étrangers en France, de fournir une information pratique sur les règles en vigueur et l'application qui en est faite ». À la question « À quoi peut servir cette clarification ? » des réponses sont données qui mettent en relation analyse et usages politiques du droit.

« Mieux analyser la situation juridique des travailleurs immigrés ». Cette première réponse est immédiatement articulée à une perspective politique, puisqu'il s'agit de montrer « comment les multiples catégories et procédures introduites dans la réglementation, les pratiques discriminatoires qui placent les travailleurs étrangers à l'écart des travailleurs français, créent des causes de division de la classe ouvrière en France ».

« Utiliser les ressources du droit pour défendre des cas individuels et collectifs ».

Cette deuxième réponse s'articule à une triple lecture du droit, en contestant aussi bien ceux qui « pensent que le droit est le même pour tous et qu'il fournit toutes les possibilités de défense »  et ceux qui « pensent que la législation traduit essentiellement le rapport de force favorable aux classes dominantes », pour promouvoir l'idée selon laquelle si le droit est intrinsèquement inégalitaire du fait des « contradictions internes des sociétés capitalistes », il peut être une arme utile. Se situant dans le sillage de la pensée marxiste-léniniste du droit développée notamment en France par l'avocat Marcel Willard dès les années 1930 [42] , ce rapport ambivalent au droit était à même de correspondre à des juristes eux-mêmes divisés entre une compétence professionnelle fondée sur le droit et un engagement politique qui, en contestant l'État, pouvait induire à rejeter toute pensée juridique. Il était ainsi mentionné dans cette introduction que si « le droit n'est pas une panacée » il est une arme parmi d'autres, dont il est possible de tirer avantage dans une lutte qu'il faut néanmoins toujours penser comme collective, en évitant le « cas par cas ».

Comme outil, le droit pouvait apparaître biaisé de par son origine étatique, et il fallait donc le présenter comme possiblement neutre (« une arme parmi d'autres »), et doté d'une utilité légitimant son utilisation. L'idée d'un droit constituant « la forme par excellence du discours légitime » [43] contribuant par contiguïté à légitimer les causes qui lui sont associées, était ainsi inversée, la lutte par le droit devant être justifiée au sein d'une association qui, contrairement à la croyance répandue dans l'universalité du droit, n'ignorait pas « la part plus ou moins grande d'arbitraire qui est au principe de son fonctionnement » [44] .

La manière dont les conflits juridiques pouvaient apparaître comme une succession de cas individuels, et par là-même empêcher une représentation collective des problèmes, était un autre problème auquel s'articulait l'introduction, sous le titre « Insérer les luttes individuelles dans une lutte collective ». Cette volonté de se démarquer d'une approche reposant sur le règlement des problèmes personnels sur un mode « humanitaire », en réaffirmant que la priorité était de changer la condition des immigrés, était également un moyen de se situer par rapport à d'autres associations proches. La référence  principale en la matière était la Ligue des Droits de l'Homme, dont Éric Agrikoliansky a bien analysé la tradition de « secours juridique », fondée pratiquement sur le recours au procès mais aussi et surtout sur « le recours hiérarchique (ou gracieux) auprès d'une autorité administrative ou politique » [45] . La présentation de l'ouvrage révélait ainsi un travail de positionnement dans le champ associatif, où coexistaient groupes militants d'extrême gauche et associations humanistes de défense des cas marqués par l'injustice ou la détresse.

Le petit livre conciliait une double dimension de guide pratique et d'invitation à la lutte qui constitue une synthèse intéressante, caractéristique à la fois de la mise en valeur d'une connaissance technique et d'une certaine croyance dans la force du droit propre à des juristes, et d'une mise à distance militante permettant de relativiser ce droit. L'instrument juridique était posé non comme une fin en soi, mais avant tout comme un moyen permettant d'atteindre le véritable objectif de l'organisation, celui d'une lutte en faveur de la condition des travailleurs immigrés, eux-mêmes érigés en symboles et en symptômes d'une classe ouvrière paupérisée. La littérature à la fois juridique et militante produite par le GISTI se présentait ainsi comme une forme de doctrine subversive, au sens où le producteur de doctrine est un « interprète du droit », dont la fonction repose sur l'idée selon laquelle « les textes juridiques sont par essence polysémiques, que les significations qu'ils recèlent peuvent être multiples, confuses, voire contradictoires » [46]. Les textes du GISTI s'inscrivaient doublement dans cette logique, en pointant les contradictions des textes régissant la condition de l'immigré tout en en proposant une interprétation fondée sur une compétence spécifique propre aux interprètes légitimes du droit, catégorie à laquelle plusieurs d'entre eux appartenaient d'un point de vue professionnel.

c) La constitution des affaires, ou les usages du contentieux

Le troisième volet de cette analyse renvoie à une partie importante, mais sans doute moins facilement saisissable de l'activité de l'association, notamment parce qu'elle excédait en partie sa capacité d'action en la rendant partiellement dépendante des opportunités d'action ouvertes par l'apparition d'un conflit, la parution d'une circulaire, l'éclatement d'un scandale. La dimension contentieuse était en même temps la plus à même de faire apparaître la compétence spécifique de l'association, au niveau du contentieux correctionnel, mais aussi et surtout du contentieux administratif. Ce dernier volet présentait en effet une spécificité juridique et sociale particulière, tenant notamment à l'interlocuteur crucial que fut le Conseil d'État. Rappelons que deux des quatre énarques fondateurs étaient membres de cette institution, qui n'était pas non plus un interlocuteur neutre politiquement et socialement : la confrontation à cette plus haute autorité administrative engageait un processus de généralisation et de révélation juridique du traitement public de l'immigration. Bien plus, en accordant une puis des victoires au GISTI, le Conseil d'État contribuait au processus de légitimation de l'association, sans commune mesure avec la taille de ses effectifs.

i) La masse du contentieux : « petites » affaires et collectivisation des problèmes juridiques.

Le traitement judiciaire de l'immigration est apparu de manière précoce dans l'histoire du GISTI avec l'arrivée de participants confrontés directement dans leur pratique avec les problèmes quotidiens des immigrés, ces problèmes étant susceptibles de se traduire sur la scène judiciaire. Ces professionnels comprenaient des travailleurs sociaux, en particulier sensibilisés au problème des bidonville, parmi lesquels se distingue la figure de Monique Hervo. Du côté des avocats, reviennent souvent les noms de Simone Pacot (du cabinet Pinet-Leclerc), de Georges Pinet lui-même, mais aussi de Jean-Jacques de Felice qui dès les années 50 avait défendu des habitants algériens des bidonvilles [47] . La jonction entre le GISTI naissant et les avocats va se faire notamment grâce au rôle pivot de Jean-Jacques de Felice, instigateur de mobilisations et de réflexions, en particulier à travers le MAJ (Mouvement d'Action Judiciaire) qui se présentait alors comme « un mouvement de "travailleurs du droit" (avocats, magistrats, personnels des tribunaux, enseignants, étudiants, éducateurs, assistantes sociales) qui ont choisi de remettre en cause l'institution judiciaire » [48] . La spécificité et la place du MAJ méritent d'être analysées pour comprendre, de manière relationnelle, le rôle que joua le GISTI en particulier pour des avocats intéressés par ces formes d'articulation entre droit et politique.

Né en 1968 sous le nom de « Groupement d'Action Judiciaire », le MAJ rassembla principalement des avocats que les événements de Mai conduisirent à « se remettre en cause dans leur fonction même d'avocat, à des degrés divers ». Cette difficulté à concilier sensibilité politique et profession juridique se traduisit d'une part par une réflexion collective, et d'autre part par la mise en place de sous groupes intitulés « Défense active » et « Défense collective »qui s'inscrivaient dans un questionnement liant intimement rôle professionnel et rôle politique : « Des tentatives ont été élaborées avec les idées maîtresses de défense collective ; de "sortir de son cabinet", de casser le mystère de l'avocat, d'utiliser sa fonction au profit de ceux qui n'accèdent pas ou difficilement à la justice, ou qui sont écrasés par elle » [49] . Le MAJ aboutissait ainsi au milieu des années 70, moment où se tenait son premier congrès, à une plate-forme caractérisée par trois propositions : « Faire pénétrer le droit dans les lieux où il est exclu », « Se porter vers les luttes illégales », « développer les luttes à l'intérieur de l'appareil judiciaire » [50] . Ces positions du MAJ n'étaient pas sans poser problème à certains de ses membres juristes, notamment lorsqu'à la question "faut-il rompre avec la légalité ou demander son application?" [51] il était signalé quelques lignes plus loin que certains dans l'organisation répondait que la seule solution était de rompre avec la légalité.

Le témoignage de Me M., une avocate issue du MAJ qui rencontra le GISTI à cette époque met bien en évidence à la fois le questionnement identitaire qui caractérisait ces juristes de gauche et la réponse que le GISTI était à même d'apporter à ces interrogations :

« Dans la mouvance post-soixante-huitarde, être juriste c'était pas absolument évident. C'est-à-dire qu'utiliser l'outil juridique c'était utiliser l'instrument de l'ennemi. Et on se faisait assez mal voir, de revendiquer de faire du droit dans ce contexte. Et au sein du MAJ, ce débat était extrêmement vif. De savoir si on était simplement par notre statut d'avocat des porte-paroles, et on faisait parler les gens, ou  si on devait utiliser l'outil juridique pour essayer d'avancer et de progresser. Ce débat-là a été très rapidement réglé au GISTI, puisque précisément l'objet du GISTI c'était d'utiliser l'outil juridique. Et un certain nombre d'entre nous qui dans certaines activités du MAJ se trouvaient pas bien parce que ça nous suffisait pas d'être des porte-parole, et on pensait qu'on avait un instrument en main, se sont retrouvés plus facilement au sein du GISTI, à répondre à ces questions-là. Donc il y a eu, on ne peut pas dire qu'il y a eu une scission, il y a eu des gens du MAJ qui se sont investis dans un tas d'organisations, d'associations, et notamment au GISTI. Et ce qui pour nous était tout à fait important au GISTI, c'est que dans tout le travail qu'on essayait de faire avec les associations d'immigrés, ce qui nous manquait le plus c'était la documentation, c'était l'outil. On n'avait pas les circulaires, on savait pas où les trouver, l'administration nous mettait dans les dents des règles qu'on ne connaissait pas, et une des choses qui moi me reste et moi m'a semblé essentielle au GISTI, c'est cet aspect publication. On connaît des choses, on vous les oppose,  et on vous les donne. Finalement quand on regarde l'histoire du droit en général, la publication c'est une vieille revendication, le droit occulte etc., etc... Mais le GISTI a fait à cette époque-là ce que personne ne faisait, c'est-à-dire de donner aux travailleurs immigrés et à ceux qui travaillent avec eux, les instruments pour répondre à une certaine forme d'arbitraire, c'est-à-dire qu'on savait ce qu'on nous opposait [52 ».

Le GISTI permit de concilier pour un certain nombre d'avocats, notamment issus du MAJ, leur contestation de l'ordre politique avec la volonté de ne pas totalement remettre en cause leur compétence spécifique et son utilité sociale, y compris dans un contexte considéré comme répressif. Le GISTI se distinguait, comme le souligne Me M., par sa capacité à fournir des instruments utiles pour la collectivisation de la lutte notamment dans un domaine, le droit correctionnel, où les victoires ne peuvent à priori être, comme les inculpations, qu'individuelles. En cela, l'association fut à même de produire une forme d'action collective coordonnée proprement juridique, à la fois contestataire et alternative à des formes de mobilisation illégales ou extra-juridiques, dans lesquelles n'étaient pas mises en valeur les compétences professionnelles spécifiques des militants.

À la spécification produite par le droit même dans la logique d'individualisation des incriminations, des responsabilités et des peines, les avocats du GISTI allaient indirectement répondre par un double travail de mise en commun de la jurisprudence et de circulation de l'information autour de problèmes spécifiques aux travailleurs immigrés. Ce travail de mise en commun par la création d'un système informel de veille jurisprudentielle entre les avocats liés par le GISTI s'accompagnait également de collaborations ponctuelles autour d'affaires. L'appariement du GISTI, des avocats et de ces causes se faisait dans un double mouvement d'avocats vers l'association lorsque dans leur pratique ils étaient confrontés aux spécificités de la situation et du droit des travailleurs immigrés, et d'autre part par les sollicitations du GISTI envers des avocats proches de l'association. Dans ce cadre, les permanences juridiques du samedi matin déjà évoquées furent une source constante à la fois de nouvelles questions juridiques à régler et de cas pratiques dont certains, sélectionnés parce qu'ils présentaient des chances politiques de succès, étaient transmis aux avocats pour leur défense devant les tribunaux.

Un des exemples du fonctionnement du GISTI comme outil de collectivisation d'une lutte apparaît au début des années 70 avec les premiers frémissements des mouvements de grève dits « des foyers ». L'avocat Christian Bourguet, qui avait défendu des étudiants militants d'extrême-gauche au lendemain de 68, est sollicité par ces derniers qui ont mis en place des ateliers d'alphabétisation de travailleurs africains à partir du début des années 70. C. Bourguet se familiarise avec cet environnement et va défendre des habitants de ces foyers, en particulier à partir de 1973 [53] , notamment en déposant une puis des plaintes pour prix illicites, qui vont accompagner les premiers mouvements de grève des foyers. Une fois ces foyers en grève, un comité de coordination se met en place, et des membres du GISTI et de la CIMADE s'y intéressent et  aident à la mise en relation d'avocats confrontés au même type de problèmes, ainsi qu'au soutien logistique du Comité de coordination. La place du GISTI dans de telles luttes, qui vont durer jusqu'au début des années 80 [54] , apparaît importante, au niveau de la coordination du travail au cas par cas (en faisant circuler la jurisprudence) comme de la  volonté d'organiser des formes d'action collective au-delà des victoires juridiques ponctuelles (par exemple en favorisant l'émergence des comités de résidents dans les foyers). Néanmoins, elle demeure très discrète, comme le souligne C. Bourguet, le GISTI refusant par exemple d'apparaître en tant que négociateur dans les négociations entre les foyers et les pouvoirs publics [55] . Cette remarque permet d'insister sur la discrétion dans les luttes d'une association qui tenait à la fois une place importante d'un point de vue logistique et politique, tout en présentant une faible visibilité publique, hormis pour les professionnels qui bénéficiaient de ses ressources et les militants directement confrontés à sa présence [56].

ii) Les recours devant le Conseil d'État : légitimation de l'expertise et proximité au pouvoir.

Si le traitement du contentieux judiciaire révélait l'importance du contact avec des praticiens confrontés aux problèmes concrets des immigrés, les recours devant le Conseil d'État et notamment le premier d'entre eux contre les circulaires dites Marcellin-Fontanet s'inscrivent dans la mise en oeuvre d'une compétence technique et plus désincarnée du point de vue de ses liens avec le quotidien, davantage caractéristique des membres du GISTI proches de la haute fonction publique et de l'Université.

Les circulaires Marcellin et Fontanet apparaissent pour la première fois dans les archives du GISTI à travers un article d'André Legouy [57] , intitulé « Un scandaleux trafic d'hommes ». Cet article réagissait à une circulaire dite Fontanet sur les travailleurs immigrés, dont elle reprenait un passage pour titre, et à la circulaire parallèle de M. Marcellin qui visait, pour reprendre ses termes mêmes, à « contrôler plus étroitement les flux d'immigration » avec pour objectif d'inscrire « harmonieusement » la politique d'immigration dans le cadre de la politique de l'emploi, dans « la perspective d'une protection sociale des migrants et d'une égalisation de leurs droits avec ceux des travailleurs français ». Ces circulaires se présentaient donc comme des textes relativement progressistes et la critique d'André Legouy de juin 73 leur reprochait surtout de ne pas aller assez loin : « C'est dire que des Associations comme la CIMADE ou le GISTI ne sauraient prendre pour argent comptant les déclarations gouvernementales et se satisfaire de mesures - d'ailleurs arrachées de haute lutte - , qui se contentent de soigner quelques plaies particulièrement voyantes sans jamais atteindre le mal à sa racine ; qu'elles ne cesseront de dénoncer les mécanismes qui engendrent l'exil forcé de millions de travailleurs et les soumettent contre leur gré à un "scandaleux trafic d'hommes" ; et qu'en attendant le jour où les échanges entre pays ne seront plus régis par la loi du plus fort, elles s'efforceront de soutenir toutes les luttes et revendications par lesquelles les travailleurs immigrés briseront leurs chaînes ».

Des circulaires qui, sur le fond, furent d'abord critiquées pour leur insuffisante portée vont ainsi donner l'occasion d'un enchaînement crucial dans l'histoire de l'association, de la création progressive d'un registre de dénonciation autour de ces textes particuliers à la victoire inespérée devant la plus haute juridiction administrative. De la première réaction de Legouy, en juin 1973, à la victoire devant le Conseil d' État, différentes étapes jalonnent ce qui rétrospectivement constitue l'histoire du premier « arrêt GISTI » [58] . La Commission Droit du Travail du GISTI rédige tout d'abord une note consacrée à la rupture du contrat de travail, puisque d'après ces circulaires le contrat avec le premier employeur à l'entrée sur le territoire vaut alors comme titre de travail dans les procédures d'introduction ou de régularisation, créant une dépendance du travailleur par rapport à ce premier employeur [59] . La Commission-Logement du GISTI publie également une fiche d'information en juin 74 consacrée à l'attestation logement, puisque : « Les circulaires Marcellin et Fontanet [60] ont prévu que les contrats de travail des travailleurs immigrés compteront pour la première année une attestation-logement, délivrée par l'employeur et dont il est dit qu'elle « fait partie intégrante du contrat » ». Ce texte reprenait la critique d'André Legouy, en interprétant cette mesure comme un échec de la politique de suppression de l'habitat insalubre par manque de volontarisme politique ; en même temps à travers la critique de la mention du contrôle de ces conditions de logement contenue dans la circulaire, elle dénonçait un renforcement de l'arbitraire et des contrôles à l'encontre des immigrés.

Cette question a priori marginale de l'attestation-logement adjointe au contrat des travailleurs immigrés va être un des fondements de l'attaque des circulaires Marcellin et Fontanet devant le Conseil d'État pour illégalité et incompétence. La requête déposée par Philippe Waquet [61] au nom d'un syndicaliste CFDT nommé Da Silva [62] , ne s'illustre ainsi ni par la clarté et l'évidence des principes qui seraient mis à mal par la circulaire, ni par la visibilité qui serait ainsi donnée à l'association. Cette première victoire, en date du 13 janvier 1975, va pourtant avoir un retentissement très important, comme l'illustre la publication d'une brochure en janvier 1975 intitulée « Conséquences pratiques et politiques de l'annulation par le Conseil d'État des circulaires Marcellin et Fontanet ». Cette brochure donne les raisons juridiques de l'annulation, mais aussi les conséquences pratiques et immédiates de cet arrêt sur de nombreuses questions qu'abordaient les circulaires : questions de régularisation, d'obtention de cartes de travail et de séjour, de l'attestation logement. Outre ces données pratiques, l'arrêt du Conseil d'État est immédiatement mis en perspective du point de vue des conséquences à plus long terme de l'annulation des circulaires, de deux ordres selon le GISTI. Premièrement, la décision est décrite comme un « coup porté à une longue politique de réglementation illégale des étrangers par circulaire ». Deuxièmement, cette victoire juridique est aussi interprétée comme une victoire politique, dans la mesure où  l'annulation des circulaires révèle selon les auteurs du texte ce qu'est « réellement » au sens du GISTI la politique du gouvernement envers les étrangers, c'est-à-dire une politique répressive, qui doit être analysée dans l'ensemble des rapports de forces, notamment économiques ». Les deux ordres parfois contradictoires de construction et de légitimation de la spécificité de l'association sont donc présents dans ce texte, qui se réjouit dans un premier temps de la légalisation de la politique d'immigration induite par l'arrêt, pour mieux stigmatiser dans un second temps sa nature profondément et intrinsèquement injuste.

Cette première victoire dont l'importance est en partie rétrospective n'en entraîna pas immédiatement d'autres, puisque le second recours victorieux devant le Conseil d'État, cette fois-ci au nom de l'association, date de 1978, et porte sur la question du regroupement familial. Ce second arrêt est très important dans la mesure où il fait partie des deux "grands arrêts" du Conseil d'État dus au GISTI, la définition du grand arrêt étant le fait des juristes eux-mêmes qui compilent les arrêts qui marquent les retournements ou les évolutions importantes de la jurisprudence dans Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, publié chez Dalloz [63] . Cette inscription dans l'arène la plus haute du droit administratif ancre durablement la légitimité et la spécificité du GISTI à travers l'invocation du respect de principes fondamentaux du droit, qui transcende la spécificité de contentieux plus ponctuels. Ce changement d'échelle du point de vue des principes invoqués doit également être mis en relation avec les conséquences concrètes considérables de ce nouveau registre d'action, dont la portée peut influencer le contenu des politiques de l'immigration mais aussi modifier les modes de gouvernement eux-mêmes. Ainsi le succès du recours contre les circulaires Marcellin-Fontanet remit-il en cause la pratique de réglementation de l'immigration par voie de circulaire.

Le caractère crucial de cette décision tient à la place spécifique du Conseil d'État dans le dispositif institutionnel français, du point de vue de sa légitimité juridique comme de sa distance supposée par rapport aux mouvements sociaux, en particulier aussi marginaux que le GISTI (alors qu'à l'époque la participation au GISTI est quasi clandestine : les premiers statuts n'ont pas été déposés aux noms de ses véritables initiateurs [64] , particulièrement pour protéger l'anonymat des jeunes hauts fonctionnaires fondateurs).

Ce recours contre les circulaires Marcellin-Fontanet prend également tout son sens au regard du  projet initial du GISTI, qui s'il se voulait contestataire avait aussi pour objet ambitieux - du moins pour les énarques - de combler le non-droit existant par un droit considéré comme plus protecteur qu'une absence de droit, comme le rappelle une des fondatrices :

« Je crois qu'il y avait l'idée que fallait qu'il y ait du texte, parce que la pratique nue c'était ce qu'il y avait de pire. C'est-à-dire que la pratique qui ne s'exprime pas c'est quelque chose justement contre quoi les assistantes sociales, les immigrés, les avocats étaient complètement démunis. Donc le pire c'est quand il y a la pratique sans rien du tout, après c'est quand il y a une circulaire parce qu'au moins on peut l'attaquer, on peut la publier nous-mêmes... Le pire c'est le non-droit, et si on se défend, si on lutte peut-être qu'on peut faire un droit meilleur et peut-être que la loi peut être meilleure, mais en tout cas la loi c'est certainement meilleur que le silence et l'apathie. » [65]

La première victoire devant le Conseil d'État peut ainsi s'interpréter comme la preuve de la possibilité d'influer directement le mode de gestion politique et administratif de l'immigration : vouloir substituer un droit à un non droit revenait bien à encourager et orienter la production législative visant les immigrés. L'action judiciaire acquérait ainsi une dimension performative inédite, en ouvrant la voie à ce que les anglo-saxons qualifient de « change through litigation », ce qui revient à obtenir par un renversement de jurisprudence des résultats politiques, et donc à défendre un usage du contentieux avec des objectifs résolument réformateurs. Si ce type de représentation correspond avant tout à des systèmes de common law, où la jurisprudence a un rôle plus déterminant dans l'évolution du droit, elle se rapproche de l'opinion d'un professeur de droit proche du GISTI, qui participa à la rédaction d'un certain nombre de recours. Il soulignait que le GISTI avait pour objectif de se soucier de l'adéquation croissante de la loi mise en ouvre avec des principes exprimables en termes de droits, au sens de droits fondamentaux ou de droits de l'homme : « Le travail du GISTI, c'était précisément que la loi générale, c'est-à-dire sur le plan du droit positif, soit à la fois une garantie des droits. C'était une partie du travail du GISTI de faire que les deux coïncident le plus » [66] . Cette volonté de faire coïncider loi générale et garantie des droits correspondait notamment à la critique des voies procédurales de mise en oeuvre de la politique d'immigration, à travers l'opposition aux circulaires dites Marcellin, Fontanet mais aussi Gorse ou Barbeau. Leur caractère officieux -qui empêchait par définition tout recours- était contesté, ainsi que leur contenu puisqu'elles édictaient de fait des règlements, ce qui ne relevait pas normalement du pouvoir des ministres qui les produisaient. Hormis la contestation devant la juridiction administrative, une autre forme de lutte particulièrement intéressante consistait donc tout simplement à publier ces circulaires, à les rendre publiques, afin de briser l'absurdité qui faisait qu'il existait des règles que les gens -en l'occurrence les immmigrés- devaient respecter sans possibilité de les connaître. La volonté de rendre ces textes publics s'inscrivait donc dans un raisonnement typiquement juridique selon lequel une règle n'est opposable que si elle est connue. Ces circulaires, obtenues grâce aux contacts - bien sûr officieux - du GISTI dans la haute administration, étaient ainsi rendues plus conformes aux règles mêmes du droit par l'intervention de l'association.

Cette philosophie progressiste et sa matérialisation dans la première victoire devant le Conseil d'État étaient porteuses d'une certaine ambiguïté, en ouvrant la possibilité d'une co-production d'une politique publique entre l'État et une jeune association qui s'était pourtant construite à travers la remise en cause à la fois du contenu de la politique d'immigration et de ses modalités mêmes de mise en oeuvre. Cette ambiguïté annonçait d'ailleurs les divergences qui apparurent au sein du GISTI après le victoire de la gauche en 1981 : un certain nombre de ses membres, hauts fonctionnaires ou magistrats, entrèrent à cette occasion dans les cabinets ministériels ou les cercles proches de l'Élysée pour développer une expertise technique de gauche, en particulier sur les questions sociales [67] , se démarquant du reste de l'association qui choisit de conserver une position critique à l'égard du nouveau gouvernement [68].

Les formes pratiques du contentieux du GISTI étaient ainsi différenciées à un triple niveau : du point de vue de leur légitimité juridique, entre des petites « affaires » relatives à des espaces de non-droit comme les bidonvilles, et des recours devant le Conseil d'État réaffirmant les grands principes du droit ; du point de vue des acteurs de l'association spécialisés sur ces types d'affaires, respectivement d'une part avocats et travailleurs sociaux, de l'autre universitaires, avocats aux conseils, hauts fonctionnaires; enfin en ce qui concerne les enjeux politiques en partie contradictoires de ces luttes, entre des formes de guérillas judiciaires appuyées sur la multiplication de conflits locaux, et la montée en généralité produite par des recours devant Conseil d'État qui offraient des possibilités d'action sur le contenu et la forme de la politique de l'immigration.

Conclusion  :

Cette socio-histoire des premières années du GISTI permet de mettre en évidence le positionnement paradoxal d'une association caractérisée par un ancrage politique radical mais dotée d'outils réformateurs ; fondée sur un noyau de militants limité mais dont l'extrême compétence et les réseaux sociaux, des travailleurs sociaux aux plus hautes sphères de l'État, étaient remarquables, au point parfois d'induire des situations où les membres du GISTI se trouvaient juges et parties (particulièrement au sein du Conseil d'État ou de la magistrature [69] , puisque des magistrats membres du Syndicat de la Magistrature - et notamment de l'un de ses fondateurs participèrent aux débuts de l'association). Cette proximité et parfois même confusion avec ses propres adversaires judiciaires n'est d'ailleurs pas propre au seul GISTI, et a également été observée à propos d'autres organisations de défense juridique des causes. Yoav Dotan a ainsi mis en évidence le même phénomène relativement aux avocats de défense des droits de l'homme et aux représentants du gouvernement israélien dans les procès où l'État était mis en cause, en particulier par des palestiniens [70] . Yoav Dotan expliquait cette apparente contradiction en soulignant que des deux côtés on retrouvait une même croyance dans le droit et en particulier le respect de droit fondamentaux, et que pratiquement leur activité professionnelle était assez peu différente, ce qui correspond bien au cas particulier des avocats, hauts fonctionnaires ou professeurs de droit membres du GISTI.

Cette alliance de compétences, de réseaux sociaux et logistiques et de réflexion poussée sur un domaine circonscrit mais politiquement central dans les mouvements politiques de l'après 1968, produisit des résultats tangibles, jurisprudentiels et pratiques, depuis les évolutions produites devant le Conseil d'État jusqu'à la création d'instruments pratiques de luttes, permanences juridiques, publications, circulation de jurisprudence entre les avocats.

Cette spécificité acquise très tôt dans une triple distinction à l'égard de la tradition de "secours juridique" incarnée par la LDH, de la dimension humanitaire assurée par les ASTI ou la CIMADE, de la démarche plus radicale et presque sans issue pour certains juristes incarnée par le MAJ, est d'autant plus remarquable que, définie dès les premières réunions, elle reste aujourd'hui la marque de fabrique spécifique d'une association dont la continuité à l'égard des premières mises en forme de son projet apparaît étonnante. Cet équilibre si particulier entre une grande technicité qui construisait une forme de droit comme objet en même temps qu'elle le combattait, à travers le cas particulier du droit relatif aux différentes dimensions de la condition immigrée, n'était pourtant pas sans contradictions. Cette association, fondée sur la compétence de ses membres dans un domaine considéré comme discriminatoire, effectuait en quelque sorte un travail juridique contribuant à le rationaliser et à le renforcer. Cette évolution d'une confrontation à une forme de « collaboration objective » (pour reprendre les termes de l'époque) avec les pouvoirs publics fut d'ailleurs remarquée, que ce soit pour le critiquer comme Jean-Jacques de Felice qui souligne le "risque de devenir de plus en plus technicien d'un droit qu'il [le GISTI] avait dénoncé en lui-même" [71] , ou pour le constater comme cette membre fondatrice aujourd'hui Conseillère d'État qui souligne que peu à peu le GISTI est devenu « un espèce de requérant d'habitude du Conseil d'État, qui a quasiment un espèce de rôle de service public, c'est celui qui aide le Conseil d'État à vérifier la légalité des textes, en gros. Mais enfin un partenaire un petit peu particulier... » [72].

Cette réflexion sur les paradoxes et les limites de ces usages du droit, souvent perçus par les membres de l'association [73] , permet de tirer quelques conclusions plus générales sur les effets mitigés de la lutte par le droit. En effet, malgré ses succès, l'association s'est régulièrement retrouvée confrontée au problème posé dès Le Petit Livre de 1974, de la difficile conciliation entre la défense individuelle par le droit et la lutte collective pour les droits. Pourtant, la conclusion selon laquelle les vraies victoires ne se remportent pas dans les prétoires mais dans les mobilisations et/ou les négociations politiques n'est pas totalement satisfaisante, dans la mesure où elle occulte les victoires individuelles, l'importance logistique d'une association dans la mise en relation, la formation et le soutien d'avocats isolés, spécialistes de causes peu légitimes, ou encore les victoires devant le Conseil d'État, ayant produit des évolutions jurisprudentielles telles que les fameux deux "grands arrêts" GISTI, celui du 8 décembre 1978 dans lequel le Conseil d'État élève au rang de "principe général du droit" le droit pour les étrangers comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale, et celui du 29 juin 1990 par lequel le Conseil d'État se reconnaît le droit d'interpréter les traités. Au-delà de ces preuves de l'efficace propre à l'association, demeure pourtant une inconnue, celle qui résulte des coûts et avantages d'un usage contestataire du droit, et qui renvoie à l'inévitable légitimation apportée à un système juridique et judiciaire par ceux qui acceptent de le combattre de l'intérieur, usant de ses propres instruments [74] , ce qui leur confère une force particulière tout en les associant indirectement à l'exercice du pouvoir qu'ils combattent.

                  


Notes

[1] 21 novembre 2002.

[2] BOURDIEU (P.), « La Force du droit »,  Actes de la recherche en sciences sociales, 64, 1986.

[3] Journée Histoire et Mémoire du GISTI, samedi 8 décembre 2000. J'ai retranscrit l'ensemble de ces débats, qui constituent donc l'une des sources de cette recherche Cette source est particulièrement intéressante puisque durant cette journée se sont opposés les points de vue des membres fondateurs du GISTI, qui aujourd'hui n'en sont plus membres, et les militants d'aujourd'hui. J'ai également assisté à deux autres journées, l'une réunissant Gérard Moreau, Bruno Ehrmann et André Le Gouy ayant donné lieu à une synthèse publiée dans Plein Droit, l'autre plus importante autour des questions d'asiles dans les années 80-90, regroupant des membres de l'association ainsi que des membres d'organisations en lutte alors soutenues par le GISTI. Par ailleurs, j'ai effectué deux entretiens supplémentaires avec des avocats proches du GISTI, Jean-Jacques de Felice et Christian Bourguet. Enfin, avec l'aide d'André Legouy et de Pauline Boutron, j'ai pu consulter les archives des premières années de l'association (compte-rendus de réunions, cahiers de permanence, publications).

[4] Même si bien entendu le contenu de cet article n'engage que son auteure et ne représente nullement le point de vue de l'association.

[5] « Immigration : trente ans de combat par le droit », Plein droit, La revue du GISTI, n° 53-54, juin 2002. À noter tout particulièrement, l'article « La création du GISTI » par Anna Marek (p. 9 à 11) qui reprend et analyse les témoignages issus de la journée « Histoire et Mémoire » évoquée ci-dessus, ainsi que l'interview croisée de trois militants précoces du GISTI parue dans le même numéro (p. 12 à 17). Nous renvoyons également à deux sources documentaires très précieuses publiées dans ce numéro spécial, d'une part un « cahier de jurisprudence » rassemblant les principaux « arrêts GISTI » (voir infra), d'autre part une excellente chronologie comparée de l'histoire du GISTI et le la politique migratoire française entre 1972 et 2002. Enfin nous nous permettons de renvoyer à notre présentation de deux parcours d'avocats proches du GISTI, Christian Bourguet et Jean-Jacques de Felice, dans ce même numéro. Un mémoire de DEA de sociologie politique,  intitulé « Le Gisti ou l'expertise militante. Une analyse du répertoire d'action de l'association » a été consacré au GISTI par Anna Marek en 2001 (IEP Paris).

[6] Voir COMMAILLE (J.), DUMOULIN (L.), ROBERT (C.), (sous la dir.),  La juridicisation du politique. Leçons scientifiques. Paris, LGDJ, 2000.

[7] Dans TARROW (S.), Power in movement : social movements, collective action, and politics. Cambridge University Press, Cambridge, 1994, Sydney Tarrow présente et met en application le concept aujourd'hui répandu de structure d'opportunité politique.

[8] Les quatre membres fondateurs sont désignés dans l'article comme F1, F2, F3 et F4. L'une de ces personnes est aujourd'hui décédée. Les trois autre ont participé à la journée Histoire et Mémoire du GISTI, et l'une d'entre elles a demandé à ce que son anonymat soit respecté : par contiguïté nous avons ainsi choisi de ne pas nommer les trois autres, puis d'anonymiser l'ensemble des témoignages issus de la journée Histoire et Mémoire. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons présenté peu d'éléments tenant à la carrière ultérieure des quatre énarques, même si d'un point de vue sociologique c'est en partie regrettable. Au contraire, les citations de sources signées, ou concernant les personnes engagées publiquement (par exemple comme avocats) auprès du GISTI ou les entretiens que nous avons réalisés n'ont pas subi d'anonymisation.

[9] Témoignage de F1 lors de la journée Histoire et Mémoire du GISTI

[10] Témoignage de F2, Journée Histoire et Mémoire du GISTI.

[11] Témoignage de F1 Journée Mémoire du GISTI.

[12] Sur l'évolution de la perception, en particulier administrative, de l'immigration, voir l'article d'Alexis Spire, SPIRE (A.), « De l'étranger à l'immigré. La magie sociale d'une catégorie statistique », Actes de la recherche en sciences sociales, 129, septembre 1999.

[13] Sur le Syndicat de la Magistrature, voir la thèse d'Anne Deville, DEVILLE (A.), « Le Syndicat de la Magistrature en France 1968-1988. Interprétation de la construction d'une action collective », Thèse de sociologie, Université catholique de Louvain - Département de sciences politiques et sociales, 1992.

[14] Compte-rendu de la réunion du 19 février 72.

[15] Sur l'émergence de ces groupes, voir ARTIÈRES (P.), « 1972 : naissance de l'intellectuel spécifique », in « Immigration : trente ans de combats par le droit », op. cit., pp. 37-38, et sur le GIP : ARTIÈRES (P.), QUERO (L.) ET ZANCARINI-FOURNEL (M.) (Documents réunis et présentés par), Le Groupe d'Informations sur les Prisons, Archives d'une lutte (1970-1972), Éditions de l'IMEC, Paris, 2003.

[16] ARTIÈRES (P.), « 1972, naissance de l'intellectuel spécifique », op. cit., p. 38.

[17] Souligné par l'auteur.

[18] Voir la thèse de Johanna Siméant, publiée sous le titre La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po, Paris, 1998, mais aussi pour une relecture fine des théories de l'action collective au regard de la problématique des mobilisations des étrangers en situation irrégulière en France du début des années 70 au début des années 90, SIMÉANT (J.), « Immigration et action collective. L'exemple des mobilisations d'étrangers en situation irrégulière », Sociétés contemporaines, 20, décembre 1994.

[19] « La Cimade a été fondée en 1939 au sein des mouvements de jeunesse protestants. De sa mission initiale auprès des "évacués" de l'Alsace-Lorraine fuyant l'avancée nazie, elle a conservé son nom (dont la signification était "Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués"), mais aussi un lien avec le monde protestant -bien qu'étant aujourd'hui ocuménique- et surtout une fidélité aux valeurs et aux engagements de ses fondateurs.»

Présentation de la CIMADE sur son site www.cimade.org

[20] Association pour la Démocratie et l'Éducation Locale et Sociale.

[21] Compte-rendu de la réunion du 18 mars 1972.

[22] Compte-rendu de la réunion du 30 mars 1972

[23] Revue du GISTI.

[24] Intervention de F1, Journée Histoire du GISTI

[25] Pour reprendre le terme de « Cause Lawyering Organization » utilisé par Noga Morag-Levine dans son analyse d'une association de défense du droit de l'environnement. MORAG-LEVINE (N.), « The Politics of Imported Rights : Transplantation and Transformation in an Israeli Environmental Cause-Lawyering Organization », in SARAT (S.) et SCHEINGOLD (S.), Cause Lawyering and the State in a Global Era, Oxford, New York, Oxford University Press, coll. « Oxford Socio-Legal Studies », 2001, p. 334.

[26] ibid, p. 336

[27] Voir notamment SNOW (D.) and BENFORD (D.), « Ideology, Frame Resonance and Participant Mobilization », International Social Movement Research, 1, 1988, pp. 197-217. Pour une présentation et une discussion des théories du cadre et du cadrage, voir CÉFAÏ (D.) et TROM (D.) (dir.), « Les formes de l'action collective. Mobilisations dans des arènes publiques. Raisons Pratiques n°12, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, décembre 2001.

[28] Mouvement d'Action Judiciaire (voir infra.).

[29] Compte-rendu de la réunion du 6 septembre 1972.

[30] Le premier cahier de permanence juridique est présenté et retranscrit par ARTIÈRES (P.), « Fragments du singulier, archives du collectif », in « Immigration : trente ans de combat par le droit », op. cit.

[31] Compte-rendu de la réunion 4 janvier 1973.

[32] Jean-Jacques de Felice a insisté sur l'importance de ces réflexions dans sa pratique de l'époque (entretien, 14 janvier 2002). Le mouvement dit des « boutiques de droit » a eu beaucoup d'importance dans les années 70-80, notamment en Belgique comme en témoignent les nombreuses « boutiques » existant aujourd'hui. À Lyon, sous l'impulsion d'avocats progressistes comme Ugo Ianucci, la première boutique de droit fut inaugurée en 1980. Une seconde boutique a ouvert depuis à Vénissieux.

[33] Voir BUCHANAN (R.) et TRUBECK (L.), « Resistance and Possibilities : A Critical and Practical Look at Public Interest Lawyering, New York University Review of Law and Social Change, 19, 1992 ; cité dans l'article de TRUBECK (L.) et KRANSBERGER (E.), « Critical Lawyers : Social Justice and the Structures of Private Practice », in Cause Lawyering, Political Commitment and Professional Responsabilities, Oxford, New York, Oxford University Press, coll. « Oxford Socio-Legal Studies », 1998.

[34] Intervention de B., journée histoire et Mémoire du GISTI. 

[35] ZANCARINI-FOURNEL (M.), « La question immigrée après 68 », in « Immigration : Trente ans de combat pour le droit », Plein Droit, op. cit.

[36] Associations de solidarité avec les travailleurs immigrés. Sur les ASTI(s), voir LECHIEN (M.-H.), « Des militants de la "cause immigrée". Pratiques de solidarité et sens privé de l'engagement », Genèses n° 50, mars 2003.

[37] Qui à l'époque accueille également dans ses locaux les réunions du GISTI.

[38] COLLECTIF D'ALPHABÉTISATION, GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS (GISTI), Le petit livre juridique des travailleurs immigrés, Paris, FM/Petite Collection Maspero, 1974. 

[39] Reproduction de l'Introduction dans « Immigration : trente ans de combat par le droit », op. cit., p. 8.  

[40] François Maspero, Les abeilles et la guêpe, collection Fiction & Cie, Paris, Seuil, 2002, p. 220.

[41] Pour situer dans l'ensemble de ces publications Le petit livre juridique des travailleurs immigrés, on peut citer par exemple, dans la même collection, Les polices de la Nouvelles Société, de Claude Angeli et René Backmann, publié en 1971. Cet ouvrage visait à démontrer « ce que vaut la police et ce qu'elle est », à partir d'une analyse tant organisationnelle que politique de l'institution policière. En conclusion, ce livre contenait lui aussi des conseils pratiques adressés aux militants, puisque son chapitre six intitulé « Ce qu'il faut savoir » rappelait en quelques pages quelles étaient les conditions légales de la garde à vue ou de la perquisition, mais aussi comment déposer un recours « si vous estimez être victime d'un abus d'autorité ».   

[42] Présentée dans son ouvrage WILLARD (M.),  La Défense accuse, Éditions Sociales 1938 [pour la première édition]. Sur cette question, voir ISRAËL (L.) et ELBAZ (S.), « L'invention du droit comme arme politique dans le communisme français : l'Association Juridique Internationale (1929-1939) », article à paraître dans la revue XXème siècle.

[43] BOURDIEU (P.), « La force du droit », op.cit., p. 17.

[44] Ibidem.

[45] AGRIKOLIANSKY (E.), La Ligue française des droits de l'homme et du citoyen depuis 1945. Sociologie d'un engagement civique, L'Harmattan, 2002, p. 291.

[46] CHEVALLIER (J.), « Les interprètes du droit », in La doctrine juridique, CURAPP-CHDRIP, Éditions PUF, Paris, 1993. p 259.

[47] Sur la trajectoire de Jean-Jacques de Felice, voir mon article : ISRAËL (L.), « Deux Parcours d'avocats » Plein Droit, op. cit..

[48] « Qu'est ce que le MAJ ? », Présentation du Premier Congrès du MAJ dans  m.a.j. informations, inséré dans le numéro de mars-avril 1975 de la revue Actes.

[49] « D'où vient le MAJ ? », idem, p. 21-22. On retrouve ici la proximité avec le mouvement des « boutiques de droit » évoqué plus haut.

[50] « Quel MAJ », idem, p. 22.

[51] Idem., p. 23.

[52] Journée Histoire et Mémoire du GISTI, témoignage Me M.

[53] Entretien avec C. Bourguet, 17 janvier 2002.

[54] Sur les luttes des foyers, voir l'article de GALANO (M.), « Une lutte exemplaire », in « Immigration, Trente ans de combat par le droit », op. cit.

[55] Comme le souligne C. Bourguet : « J'ai toujours participé aux négociations en tant qu'avocat. Le GISTI n'a jamais, à ma connaissance, participé aux négociations en tant que négociateur. Le GISTI assistait les membres du Comité de Coordination, comme moi ». Entretien du 17 janvier 2002.

[56] Cette remarque a été confirmée par les témoignages collectés lors de la journée organisée par le GISTI sur les mouvements de grève de la faim des demandeurs d'asile, en particulier turcs, dans les années 80-90.

[57] Ancien aumônier des prisons qui avait rencontré dans ce cadre les leaders du FLN à Fresnes, permanent de la CIMADE travaillant au service migrant, participe aux réunions du GISTI dès les touts débuts puis rejoint institutionnellement le GISTI au terme d'une crise avec la CIMADE (relative à l'activité du secteur migrant dans les bidonvilles).

[58] Le terme est cité dans LATOUR (B.), La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d'État, La Découverte, 2002.

[59] Fiche d'information n°1. Janvier 1974. GISTI. Commission Droit du Travail. « La rupture du Contrat de Travail ». 5 pages dactylographiées.

[60] Datées respectivement du 24 janvier et 23 juillet 72.

[61] Alors avocat aux Conseils.

[62] Sans doute parce que l'association n'avait pas encore officiellement déposé ses statuts.

[63] Présentation du « Cahier de jurisprudence »de Plein droit  n° 52-53 consacré aux « grands arrêts » du GISTI, p. III. 

[64] Témoignage de F3, journée Histoire et Mémoire du GISTI.

[65] Témoignage de F2, journée Histoire et Mémoire du GISTI.

[66] Témoignage d'un professeur de droit, Journée Histoire et Mémoire du GISTI.

[67] L'une des fondatrices participait au groupe des « experts en politique sociale » sur lesquels vont s'appuyer les socialistes lors de leur arrivée au pouvoir, comprenant de « jeunes énarques qui avaient créé une section CFDT à l'ENA » et plus largement des membres qui avaient déjà une bonne expérience de la haute administration, particulièrement dans le domaine des politiques sociales. Leur influence fut néanmoins remise en cause avec l'échec de la politique de relance et le succès des idées néo-libérales. Voir Bruno Jobert et Bruno Théret, « France : la consécration républicaine du néo-libéralisme », in Bruno Jobert (sous la dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, collection Logiques Politiques, Éditions l'Harmattan, Paris, 1994.

[68] Cette rupture apparut nettement lors de la journée Histoire et Mémoire, à travers l'évocation de ceux qui étaient « partis » en 1981 et l'allusion au fait que, malgré leurs sollicitations, le GISTI se refusa à adopter une posture de proposition, l'association critiquant dès 1981 une circulaire Deferre rappelant la fermeture des frontières en la qualifiant de « circulaire Bonnet-bis ».  Il faudrait développer davantage que ne le permettent les bornes chronologiques et la problématique choisies pour cet article la question du tournant de 1981 du point de vue du GISTI et d'autres associations critiques issues de la mouvance post-68 et fondées sur une expertise engagée de gauche ou d'extrême gauche.

[69] C. Bourguet souligna durant la journée « Histoire et Mémoire du GISTI » que le premier dépôt de plainte pour prix illicites effectué par des résidents de foyers a été rendu possible grâce à l'aide d'un magistrat membre du syndicat de la Magistrature qui les aida à déposer plainte... puis s'en saisit !  

[70] DOTAN (Y.), « The Global Language of Human Rights. Patterns of Cooperation between State Lawyers and Civil Rights Lawyers in Israel », Cause Lawyering and the State..., op. cit.

[71] Entretien avec J.-J. de Felice, 14 janvier 2002.

[72] Témoignage de F2, Journée Histoire et Mémoire du GISTI.

[73] Et souvent invoqués pour justifier la prise de position de 1997 en faveur de l'abolition des frontières.

[74] Sur ces questions, voir le symposium « Lawyering under Repressive State », Law and Social Inquiry volume 20, number 2, spring 1995, et tout particulièrement son introduction, ELLMAN (S.), « Struggle and Legitimation »

 


 

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La revue Politix, dans laquelle a été publié cet article (volume 16, n° 62/2003) est en vente sur le site web des éditions Lavoisier

 

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Dernière mise à jour : 5-11-2003 14:52 .
Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2003/politix/index.html


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