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ARTICLES
par Liora
Israël
Sociologue
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Article paru dans la revue Politix
(volume 16, n° 62/2003) [ed. Lavoisier]
Le GISTI, Groupe d'Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés,
apparaît dans le paysage politico-associatif français comme l'une des
organisations les plus à mêmes d'être traitée à travers le prisme de
cette articulation particulière du droit et du politique qu'est le Cause
Lawyering. Encore récemment, lorsque le GISTI prit position contre
le traitement par le Ministère de l'Intérieur du dossier Sangatte, le
quotidien Libération titrait significativement « Sarkozy
rappelé à l'ordre juridique » [1] , illustrant la forte légitimité publique sur
le terrain du droit de cette association. Par ailleurs, le GISTI possède
un certain nombre de caractéristiques qui le rapprochent des thèmes
privilégiés par les recherches « canoniques » portant sur
le Cause Lawyering : il s'agit d'une association née dans
les années 1970, se situant très nettement à gauche, dont les membres
sont des professionnels du droit ou des personnes ayant acquises des
compétences précises dans ce domaine. Enfin, l'objet même de l'association
a bien été, dès sa fondation, de s'inscrire sur le terrain du droit.
C'est de la période de cette fondation et des premières années du GISTI
(1971-1978) que nous entendons traiter ici, afin de montrer à travers
une approche socio-historique comment l'association qui apparaît aujourd'hui
comme l'exemple quasi paradigmatique d'une mouvance associative de gauche
de plus en plus coutumière de l'usage des outils juridiques s'est constituée
grâce à l'alliance improbable de militants issus de traditions opposées
(des énarques proches de la gauche réformatrice, des travailleurs sociaux
souvent trotskistes ou maoïstes, des jeunes magistrats membres du Syndicat
de la Magistrature naissant, des juristes du Mouvement d'Action Judiciaire),
dans un contexte très spécifique qui a priori n'était pas forcément
le plus favorable à cette inscription sur le terrain juridique, et autour
d'une question qui, du point de vue des juristes, n'était pas légitime.
En effet, la première mise en forme de cette problématique par les jeunes
énarques fondateurs du groupe constitua à repérer les questions relatives
à l'immigration comme une « zone de non-droit », un « infra-droit »,
un vide juridique. L'inscription efficace sur le terrain du droit supposait
ainsi d'être capable de recueillir de la part des institutions, en particulier
judiciaires, une reconnaissance de la pertinence de la catégorisation
juridique de ce problème considéré traditionnellement comme ne relevant
pas vraiment du droit. Cette reconnaissance paradoxale passait par la
capacité à obtenir des victoires judiciaires, qui allaient signaler
l'intérêt de cet ancrage sur le terrain du droit aux autres mouvements
d'extrême-gauche, tout en produisant une reconnaissance et une forme
de légitimation officielle du travail juridique de l'association.
Nous nous intéresserons aux conditions de la pérennisation de cette
configuration particulière d'acteurs et d'institutions, et au-delà
à ce que le droit fait à l'action politique. Cette interaction
du droit et du politique renvoie à la fois aux enjeux de légitimation
du politique par le juridique, c'est-à-dire au pouvoir de légitimation
caractéristique de la « force du droit » [2] , et à la possible délégitimation de la cause
par le passage par certaines institutions, comme la Justice, notamment
lorsqu'elles dépendent d'un pouvoir politique dont la contestation
a été le fondement de la construction de la cause.
Plutôt que de saisir dans les seuls discours l'entremêlement des
registres juridiques et politiques spécifiques à l'association, il
nous a semblé utile d'étudier les modalités pratiques de l'activité
du GISTI, la constitution de ses répertoires d'action spécifiques
telle qu'elle transparaît notamment dans ses archives. Nous nous attarderons
ainsi spécifiquement sur les guides juridiques, fiches techniques,
permanences juridiques qui vont constituer autant de dispositifs pratiques
caractéristiques de l'association et d'un certain mode de domestication
du droit à usage politique. Cet intérêt pour les archives sera combiné
avec l'étude de témoignages réalisés avec des membres du GISTI, à
l'invitation de l'association elle-même qui avait souhaité faire un
retour sur sa propre histoire et inviter plusieurs chercheurs en sciences
sociales à accompagner ce retour « sur soi ».
Ce dispositif original, qui s'est concrétisé tout particulièrement
par une journée au cours de laquelle de nombreux membres et anciens
membres du GISTI se sont réunis pour échanger sur leur parcours [3], constitue ainsi un des terrains et l'origine de cette recherche,
qui s'inscrit donc dans un ensemble de recherches rendues possibles
par l'association [4]
déjà matérialisé par un numéro spécial de la revue du GISTI intitulé
« Immigration : trente ans de combat par le droit »
[5].
Cette étude nous permettra de faire apparaître comment, très tôt
dans l'histoire du GISTI, surgit une contradiction propre à son
mode de fonctionnement par et pour le droit. En effet, participer
de l'institutionnalisation du droit concernant une catégorie spécifique,
les immigrés, signifie aussi renforcer une forme de contrainte, et
ce dans une double direction. D'une part, cela accroît la dépendance
des immigrés eux-mêmes aux porteurs de compétence juridique. D'autre
part, cela conduit à l'entrée dans une sorte de compétition avec l'État
sur l'encadrement juridique de l'immigration, au risque de voir se
retourner le dispositif de critique du droit contre ses objectifs
initiaux (les critiques faites par le GISTI permettant de combler
les failles du dispositif juridique et par là même à le rendre plus
difficilement contestable dans l'arène judiciaire).
Les premières années du GISTI apparaissent ainsi intéressantes d'un
double point de vue, d'une part pour souligner au niveau micro-historique
la manière dont s'est construit un répertoire pratique et symbolique
spécifique fondé sur le droit, d'autre part dans le cadre d'une analyse
en termes de cause lawyering ou de causes juridiques et judiciaires.
En effet, en donnant à voir la genèse d'une telle cause, on souligne
à la fois la difficulté et le bricolage permanent qui participent
de sa construction. Il est ainsi possible de questionner la naturalisation
produite à la fois par l'analyse et par l'histoire, qui contribuent
toutes deux (en particulier lorsqu'on articule enquêtes sur les usages
militants du droit et ce qui est aujourd'hui décrit comme la « juridicisation »
ou la « judiciarisation » de la société [6] ) à donner à voir comme évident
ce qui s'est construit difficilement, à l'entrecroisement de réseaux
d'acteurs, d'une conjoncture spécifique, celle de l'après-68, et d'une
« structure d'opportunité juridique » pour paraphraser Sydney
Tarrow [7] , propre à l'éclosion d'une mise en forme juridique
de la situation des travailleurs immigrés.
I. La naissance du GISTI : quatre jeunes énarques dans le vent
de la contestation
a) La constitution d'un groupe autour de la définition de l'immigration
comme zone de non-droit
À l'origine du GISTI, telle qu'elle fut présentée lors de la journée
« Histoire et Mémoire », il y a quatre jeunes énarques qui,
pris entre leur formation professionnelle de futurs hauts fonctionnaires
et l'esprit plus subversif des mobilisations politiques de leur génération,
vont être conduits à imaginer une forme d'engagement conciliable avec
cette vocation pour la haute administration. Le contexte plus général
des années 60 dans lequel ils ont grandi n'est pas étranger à cette
invention, comme le rappelle un de ces quatre anciens énarques [8] : « C'est le contexte de la guerre
d'Algérie, de la décolonisation, de la croissance que je vais appeler
de ce vieux terme "la croissance bourgeoise des années 60",
avec la rupture de 1968 qui a marqué un certain nombre d'entre nous
et certainement ceux qui ont fait partie de cette fondation »
[9] . L'évènement déclencheur de la réflexion collective conduisant
au GISTI est la signature par plusieurs jeunes énarques, en 1969,
d'un texte protestant contre la loi « anti-casseurs ». Suite
à cette protestation, le gouvernement de l'époque réagit en demandant
à ces jeunes gens de démissionner de l'ENA ou de retirer leur signature.
Cette pression subite du pouvoir induit chez une quarantaine de membres
de cette promotion, tout d'abord la peur de devenir des « purs
rouages » de l'administration, et d'autre part la volonté de
créer des groupes de travail sur des questions précises et de produire
une expertise et une réflexion politiques. Ces groupes, dits groupes
« Paoletti » du nom de celui qui en prit l'initiative, vont
se spécialiser sur des terrains différents. Ainsi, celui qui nous
intéresse, constitué au départ de quatre énarques, se spécialise sur
les questions d'immigration : « Nous avions décidé qu'il
y avait un thème qui était intéressant, un thème à forte charge et
à faible visibilité qui était le vide juridique du côté des immigrés,
cette espèce de zone de non-droit »
[10] . Cet intérêt à la fois juridique et politique ne se concrétise
pas immédiatement dans la constitution d'un groupe autonome :
c'est seulement après une période de prospection auprès des syndicats,
dans lesquels on ne leur propose pas véritablement de réponse concrète
à leur volonté d'engagement spécifique sur ce terrain, qu'est envisagée
de prendre une initiative distincte, comme le rappelle l'un d'entre
eux :
« Nous voulions nous engager socialement entre guillemets,
et nous nous sommes dits après tout puisque nous avions une certaine
formation universitaire et une bonne capacité technique, nous pouvions
offrir nos services à des organisations constituées. Alors nous
nous sommes dits : au fond là où se passe le mouvement social,
c'est le mouvement ouvrier, et nous sommes allés voir les syndicats.
Nous sommes allés voir les confédérations syndicales en leur disant
: "Voilà, nous sommes plusieurs, nous ne sommes pas plus bêtes
que d'autres et assez bien formés sur le plan du droit, nous vous
apportons notre force de travail le soir". Nous sommes donc
allés voir le secteur migrant de la CGT et de la CFDT. L'accueil
a été distant. On nous a dit : "Ah c'est très intéressant,
adhérez à votre section d'entreprise, très bien, bravo, voilà de
bons jeunes gens, il faut faire ça oui oui... Et bien écoutez laissez
nous votre nom et votre adresse on vous écrira". C'était une
démarche d'employeur assez classique, c'est-à-dire qu'on n'a pas
eu de réponse [...] Bref nous nous sommes dit que ce n'était
pas là que nous allions nous déployer et nous employer ! Bref, quoi
faire ? Alors on s'est dit, ben au fond, quoi faire, ce que nous
avions choisi à la suite d'un raisonnement idéalistico-politico-idéologique
: le thème de l'oppression de l'immigration, de l'infra-droit -
le mot est venu très vite - des immigrés, comment faire un mouvement
social. » [11]
Ce témoignage illustre combien l'invention du GISTI est le moyen
pour ces jeunes énarques de produire une solution rationnelle à ce
qui leur apparaît comme un dysfonctionnement, à savoir le refus qu'on
leur oppose lorsqu'ils proposent de mettre leurs compétences spécifiques
au service des syndicats, puisque ces derniers étaient les acteurs
principaux sur le terrain des questions relatives à des migrants alors
définis avant tout comme des travailleurs immigrés
[12] . Ce premier échec impose un contournement de l'obstacle
et rend nécessaire une élaboration différente de ce projet de construction
d'une expertise radicale relative à l'immigration sur le terrain du
droit. C'est donc plutôt par l'intermédiaire de réseaux militants
et amicaux que va peu à peu se constituer, autour du noyau initial
des énarques, un groupe informel de réflexion sur ces questions qui
va agréger des avocats membres de la Ligue des Droits de l'Homme,
comme Jean-Jacques de Felice, des membres du syndicat de la magistrature
créé en 1968 [13] ,
mais aussi des travailleurs sociaux, notamment confrontés au problème
des bidonvilles, et des membres du milieu associatif, et particulièrement
du secteur migrants de la CIMADE.
La première des réunions du groupe dont nous disposons du compte-rendu
date du 18 décembre 1971. Le groupe n'a pas encore de nom bien déterminé
(le compte-rendu porte la mention « Groupe pour la défense des
Immigrés »), mais ses sujets sont déjà très représentatifs de
la spécificité de ce qui s'appellera le GISTI : « Éléments
discutés le 18 décembre 1971 : outre un échange d'information
sur la situation des foyers africains et la création du comité de
liaison des travailleurs immigrés, les points suivants ont été discutés :
1° Orientation des membres du groupe non juristes [...]. 2° Travail
des juristes [...] ». Cette distinction est intéressante
puisqu'elle illustre, d'une part que dès le début - et c'est toujours
le cas - l'association a des membres actifs non juristes, et d'autre
part de façon complémentaire que ces derniers se voient reconnaître
une place spécifique, en partie distincte de la dimension technique
et experte à propos de laquelle sont sollicités les juristes.
Dès cette première réunion, la division des tâches se présente comme
suit. Aux juristes, la rédaction d'études par exemple sur le secret
professionnel des travailleurs sociaux ou sur les textes et la jurisprudence
relatifs à l'expulsion, mais aussi la participation à des procédures
ou à la préfiguration d'actions en justice. Sont ainsi évoquées des
procédures à engager contre des foyers de travailleurs immigrés, et
l'examen de la légalité de contrats de travail. L'activité des non-juristes
est plus généraliste, elle consiste, toujours selon ce premier compte-rendu,
à créer des contacts avec la CFDT pour envisager la participation
à la formation des militants et responsables syndicaux ; l'autre
point étant d'envisager la publication à terme d'une petit livre de
vulgarisation (dont nous reparlerons). Le souci précoce de publiciser
et de diffuser le travail réalisé par le groupe apparaît également à
travers mention du fait qu'ils disposent de contacts permettant à
la fois obtenir de faire passer des informations dans le journal Le
Monde, et, sur un plan plus directement politique, de transmettre
des questions à l'Assemblée par l'intermédiaire de François Mitterrand
et Michel Rocard.
L'usage du droit apparaît, dès cette première réunion, orienté à
la fois vers la publicisation du problème des étrangers et vers le
développement d'une technicité utile socialement (avec l'idée d'organiser
des formations). La question du contentieux reste en retrait, évoquée
comme une perspective éventuelle.
Ces hésitations et ces premières intuitions sont évaluées par les
membres du groupe dès la réunion du 19 mars 1972, qui avait pour objet
de « fixer plus précisément les objectifs que se donne le
groupe et les méthodes de travail ». Est ainsi d'abord élaboré
un « bilan rapide » du groupe, portant notamment sur sa
composition puisqu'il réunit « 23 membres de professions et
donc d'expériences variées : travailleuses sociales, membres
de la CIMADE, avocats, étudiants, fonctionnaires (magistrats, Conseil
d'État, CNRS, Ministères de l'Industrie, des finances, de l'Éducation
Nationale, de l'Équipement) », et sur son activité :
il a « constitué une documentation assez importante de textes
et d'études concernant les conditions d'existence et de travail des
immigrés, leur statut juridique ». Le souci de rationalisation
de l'activité militante apparaît central, puisqu'est (déjà) élaboré
un questionnaire joint à ce compte-rendu, dans lequel il est demandé
aux participants de préciser comment ils sont devenus membres du groupe,
avec quelle disponibilité, quels autres engagement sur les questions
des immigrés, et surtout quels types d'attentes, attentes qui vont
-cases à cocher- de l'information des membres du groupe ou de l'opinion
publique à la participation à des luttes concrètes, en passant par
l'information des travailleurs immigrés et l'assistance technique
et juridique à des groupes de travailleurs immigrés ou des groupes
travaillant sur ces problèmes. D'ores et déjà, à l'issue de cette
réunion et avant que ne soit tiré un bilan de cette consultation,
sont posées trois types de conclusions provisoires, qui constituent
une sorte d'auto-identification temporaire :
«- Le groupe peut rassembler une documentation et étudier une
question posée par un membre
- il ne s'est pas manifesté à l'extérieur (en tant que tel),
ni par une action directe avec les travailleurs immigrés, ni par
une information du public.
- les membres du groupe peuvent y consacrer une part très variable
de leur temps »
[14].
b) Un groupe d'intervention fondé sur l'expertise juridique
Deux semaines plus tard, les conclusions de cette enquête sont tirées
sur plusieurs points, avec pour objectif de trouver un nom au
groupe « pour pouvoir [se] situer dans des contacts avec d'autres
organisations, dénoncer une situation ». C'est à cette occasion
que le nom GISTI est adopté. Le terme même inscrit le GISTI dans la
mouvance d'autres mouvements articulant prise de position politique,
expertise technique et compétence intellectuelle, puisque plusieurs
de ces groupes ont en commun, outre plusieurs de leurs membres, les
mêmes initiales GI ; le premier d'entre eux et le plus célèbre,
notamment du fait du rôle essentiel qu'y joue Michel Foucault, qui
vient d'entrer au Collège de France, est le GIP (Groupe d'Information
sur les Prisons) créé en février 1971. Apparaissent ensuite le GIS
(Groupe d'Information Santé) en mai 1972 puis le GIA (Groupe d'Information
sur les Asiles) [15] .
Comme l'explique bien Philippe Artières, ces différents groupes sont
caractérisés par la spécialisation et la technicité de leurs membres
dans des champs sociaux spécifiques : « il s'agissait
toujours de mettre à profit la situation d'expert qui était la leur
pour dénoncer des faits » [16].
Si le GISTI naissant se choisit donc un nom susceptible de l'insérer
dans une filiation politique et médiatique, néanmoins ses membres
expriment le souhait « que le groupe ne se marquera pas par
la présence de quelques célébrités. Pour expliquer ce qu'il est on
dira qu'il comprend notamment [17] des avocats, des fonctionnaires
des travailleurs sociaux ». Ce souci de la présentation adéquate
apparaît également à travers l'annonce selon laquelle « un
petit texte sera rédigé à l'usage interne du groupe pour que sa présentation
soit unifiée ». Ce travail de mise en cohérence interne et
externe du groupe est associé à la mise en place de méthodes et de
moyens d'organisations (nomination d'un responsable principal pour
chaque action engagée, cotisations pour financer un minimum de secrétariat).
Le GISTI apparaît ainsi caractérisé, d'un point de vue formel, par
une volonté précoce de rationalisation de ses procédures et de contrôle
de ses modes de présentation. Il est frappant de constater qu'alors
le groupement n'a encore que peu d'implications directes dans les
mouvements issus de l'immigration, hormis la défense assurée par des
avocats membres du groupe, comme Simone Pacot, Jean-Jacques de Felice,
Georges Pinet, en faveur de travailleurs menacés d'expulsions ou de
résidents de foyers. La faible présence directe des immigrants ou
de certains de leurs représentants ainsi que cette dimension juridique
et judiciaire distinguent donc le GISTI d'autres formes de mobilisations
contemporaines qui posent la question du traitement politique de l'immigration [18] . Par contre, les publications du GISTI - alors de petites
brochures photocopiées - se multiplient, et donnent des occasions
de collaboration avec d'autres associations ou syndicats tels que
la CIMADE [19] , l'ADELS
[20] ou la CFDT. Avec cette dernière, des discussions sont menées
sur des sujets tels que « les fondements du droit syndical
(est-ce la nationalité ou le contrat de travail ?), la formation
permanente et l'alphabétisation (l'alphabétisation des travailleurs
immigrés peut-elle s'inscrire dans le cadre de la loi du 16/7/71 sur
la formation permanente ? ), les réfugiés politiques [.], le
règlement des foyers [...] ». [21] Le travail militant du GISTI
naissant se distingue ainsi par l'inscription de ses registres d'action
en relation avec des formes de pratiques professionnelles (qu'il s'agisse
de la formation professionnelle, de la vulgarisation juridique à destination
des responsables syndicaux, ou de la défense pratiquée par les avocats
devant les tribunaux). L'alliance de l'expertise et de la radicalité,
rendue manifeste par la proximité onomastique avec les autres Groupes
d'Informations, se traduit par un souci d'efficacité pratique allié
à une attention particulière portée à la dimension de présentation
publique du groupe.
Ce souci du public passe par la volonté de contrôler l'image de l'association,
notamment en adoptant une présentation unifiée. Le premier jet de
cette tentative d'auto-définition est rédigé par l'avocat Me Pinet
qui le présente lors de la réunion du 10 mars 1972 :
- de réunir toutes informations sur la situation économique
et sociale des travailleurs immigrés.
- d'informer ces derniers des conditions réelles d'exercice
et de protection de leurs droits.
- de soutenir leur action en vue de la reconnaissance et de
l'établissement des droits que leur confère leur situation de travailleur
et d'obtenir le respect. »
[22]
Cette configuration particulière d'objectifs, entre collecte et diffusion
d'informations d'une part, et soutien des actions des travailleurs
immigrés d'autre part, entraîna des modalités d'action spécifiques,
dans un champ de l'investissement politique alors fortement encombré :
« Le GISTI
ça c'est donc constitué à partir de là, [...], agir par le droit,
avec l'idée qu'il fallait se battre contre une vision anormale du
pouvoir administratif ou du pouvoir exécutif. C'était nécessaire,
par conséquent il fallait agir par le droit, il fallait faire du recours,
il fallait contester la non respect du droit par l'administration
et le gouvernement. Agir par l'écrit, c'était le deuxième thème, nous
avons tout de suite pensé qu'il fallait faire des notes, qu'il fallait
faire des écrits, qu'il fallait publier, diffuser, on était encore
très loin d'actes de Plein droit
[23] . Nous avons fait assez vite des circulaires, on s'est dit
après tout pourquoi pas nous, plutôt qu'aux préfets, en diffusant
un arrêt du Conseil d'État qui nous donnait raison, nous avons reçu
des lettres indignées à l'époque de la DPM qui disait c'est scandaleux,
vous n'avez pas le droit de faire des circulaires, c'est pas à vous
d'en faire... Il fallait enfin, c'était la troisième idée... On pouvait
pas faire du droit, faire de l'écrit, sans être sur le terrain, c'est-à-dire
s'accrocher aux problèmes concrets, aux problèmes de terrain, s'accrocher
avec les associations militantes, les associations de lutte... J'ai
presque envie de dire lutte classique.... Et travailler par conséquent
sur des conflits ou sur des luttes locales... Ça c'était difficile,
d'abord parce que le champ est extrêmement occupé par tout le monde,
de façon parfois extrêmement désordonnée... mais la question lancinante
est revenue très vite, avec qui on s'allie, comment on fait, où va-t-on... » [24].
Le répertoire d'action spécifique du GISTI, tel qu'il apparaît dans
cette citation, repose davantage sur l'écrit ou sur la réflexion intellectuelle
que sur l'action collective. Il est marqué par cette forme particulière
de mise en relation entre grande technicité juridique et radicalité
politique qui reste aujourd'hui la marque de fabrique de l'association.
Le GISTI peut ainsi être caractérisé dès ses débuts comme une organisation
de « cause lawyering » [25] ; c'est-à-dire une organisation de défense juridique
et judiciaire dans laquelle « engagements progressistes et pratiques
professionnelles » sont amenés à cohabiter, et dans laquelle
« le droit et les instruments de la légalité peuvent être interprétés
comme un cadre de l'action collective »
[26] , pour reprendre la terminologie de David Snow [27] , le cadre juridique étant
considéré par les participants comme susceptible d'entrer en résonance
avec les objectifs de ce mouvement. Un des enjeux du groupe, véritablement
constitué en association à partir du milieu des années 70, consista
à faire reconnaître dans le champ associatif et politique le caractère
véritablement militant et l'efficacité réelle de ce type d'actions
fondées sur le droit, qui apparaissaient atypiques dans le cadre des
mobilisations de l'extrême-gauche des années 1970.
II. Entre radicalité politique et technicité juridique : des
modes opératoires spécifiques fondés sur le droit.
a) Les permanences juridiques ou l'extension problématique de la
logique du cas.
L'idée de mettre en place des permanences juridiques apparaît pour
la première fois lors de la réunion du 15 avril 1972, avec la proposition
de mettre à l'ordre du jour de la prochaine réunion « le problème
des avocats disposés à organiser une permanence juridique avec la
CIMADE ». Cette aide téléphonique assurée par des membres
du GISTI et des travailleurs sociaux devait être relayée par des avocats
qui accepteraient de devenir les « conseils juridiques »
de la CIMADE et du GISTI. Cette réflexion est menée de concert avec
le MAJ [28] qui partage avec le GISTI plusieurs de ses
membres importants. Faire de l'offre juridique aux travailleurs immigrés
le cour des missions du GISTI n'est pourtant pas sans poser problème
au sein de l'association, comme le signalent rapidement certains membres
du GISTI. Il s'agit de ne pas se contenter d'être « un simple
bureau d'assistance juridique [...] » et il « faudrait
pour que notre action retrouve une signification au niveau politique,
d'une part que cette permanence ne joue pas auprès des travailleurs
un rôle démobilisateur (dans la mesure où en général il n'y a pas
de réponse juridique à leur problème) et d'autre part qu'ils trouvent
éventuellement auprès des animateurs un soutien actif [...] afin qu'ils
soient aidés dans leur lutte » [29]. La volonté fondatrice et paradoxale du GISTI, insufflée par
les quatre énarques, d'inscrire la lutte par le droit dans un espace
de non-droit, prend ainsi toute sa dimension concrète et problématique
dès la mise en place des permanences. La question qui apparaît alors
est de savoir comment transformer le constat de l'absence de droit
en la possibilité d'une mobilisation collective, les permanences et
les dossiers individuels auxquels elles donnent accès ne constituant
pas en soi un outil permettant d'atteindre un tel objectif.
De fait, les premières permanences mises en place, en octobre 1972
[30], vont dans un premier temps - et alors que les appels sont
encore peu nombreux - servir à former des travailleurs sociaux sur
ces questions, puisqu'ils sont susceptibles, avec les avocats, d'avoir
à répondre. La permanence est pensée dans la perspective d'une dynamique
de luttes individuelles mais aussi collectives : lors de la réunion
du 4 janvier 1973 est annoncée la création d'un comité de bilan de
permanence « qui s'efforcera de faire le bilan des problèmes
posés à la permanence et de dépasser le stade d'une simple juxtaposition
de cas individuels rassemblés dans un cahier » [31].
La mise en place de permanences juridiques avait ainsi une triple
fonction de collecte de problèmes juridiques concrets, de formation
de travailleurs sociaux aux problèmes juridiques, mais aussi d'offre
de service juridique aux immigrés. Elle matérialisait l'articulation
pratique entre la volonté d'agir par le droit imaginée par les jeunes
énarques et la nécessité d'organiser les formes particulières du traitement
juridique des cas. En cela, les permanences produisaient une forme
d'offre juridique alternative à la relation professionnelle traditionnelle
entre l'avocat et son client. En effet, bien qu'organisées le plus
souvent par des avocats et en relation avec leurs cabinets lorsque
certains cas sélectionnés étaient transformés en affaires, ces permanences
s'inscrivaient dans le cadre d'une structure associative distincte
à la fois du cadre de la profession libérale et de l'assistance judiciaire.
Cette structure originale, proche par certains aspects des « boutiques
de droit » [32]
permettant de donner accès aux ressources juridiques aux plus démunis,
peut être réinscrite plus largement dans la mouvance critique qui
remit notamment en cause les institutions juridiques et judiciaires
traditionnelles dans les années 1970. Cette problématique du « critical
lawyering » donna en effet lieu, notamment en Amérique du Nord,
à un travail de redéfinition de la profession d'avocat, du double
point de vue de la relation entre le professionnel et son client,
et du lien entre travail juridique et mobilisation politique [33]. La permanence juridique facilitait l'accès au droit d'immigrés
qui n'auraient sans doute pas osé aller voir un avocat, elle confrontait
les avocats à des problèmes concrets relevant souvent des frontières
du droit (il suffisait parfois d'aider à rédiger une lettre ou de
renvoyer sur l'administration compétente), contribuant à brouiller
à la fois les termes de la relation traditionnelle au client et ceux
de la définition des tâches professionnelles. En cela, elle s'inscrivait
bien dans une remise en cause des usages sociaux traditionnels du
droit, qui au-delà de la cause des travailleurs immigrés invitait
à une lecture nouvelle et subversive de la légalité.
b) La mise en mots et en droit de la cause : la rédaction de
textes d'analyse juridique et de mise en perspective politique.
Avant même l'inauguration des permanences juridiques, des problèmes
précis apparaissaient à l'occasion de procès comme ceux intentés contre
des marchands de sommeil dans lesquels intervenaient des avocats comme
Simone Pacot, du cabinet d'Henri Leclerc, et Georges Pinet ;
ou dans la pratique de travailleurs sociaux, mobilisés essentiellement
sur la question des bidonvilles depuis les années 1960. C'est notamment
ce que rappelle B., travailleur social. Arrivé dans des « circonstances
post soixant-huitardes »
[34] sur le terrain, il travaillait à la fin des années 60 au
bidonville de Nanterre comme animateur social auprès des travailleurs
immigrés. Le bidonville de Nanterre était selon lui au centre d'une
conjonction très spéciale à l'époque, ce que corrobore l'analyse de
Michèle Zancarini-Fournel
[35] qui souligne que la question était apparue sur la scène
publique dès 1964, avec la dénonciation du problème des bidonvilles
dans la presse et l'adoption d'une loi sur leur résorption. Après
1968, les groupes d'extrême-gauche apparaissent au côté des immigrés,
particulièrement dans les bidonvilles et les foyers de travailleurs,
et assurent cours d'alphabétisation et soutien lors des conflits liés
au travail ou aux conditions de logement. En ce qui concerne plus
particulièrement Nanterre, B. souligne combien cette ville était intéressante
du point de vue des luttes politiques, car rassemblant étudiants et
immigrés dans une ville ouvrière communiste.
Encadrés par ces mouvements et notamment au niveau local par des
ASTI(s) [36] , ces
luttes sont menées notamment contre des expulsions. Les premiers contacts
avec le GISTI ont lieu par l'intermédiaire d'une avocate, Simone Pacot,
autour de questions très concrètes qui concernent le quotidien des
immigrés et de leur défense juridique : savoir si les locaux
des marchands de sommeil relèvent de la loi de 1948, étant en quelque
sorte des hôtels, mais non déclarés ; de quel statut dépendent
les hôtels garnis ; ou encore la question importante de savoir
si les habitations des bidonvilles devaient être considérées ou non
comme des domiciles, notamment pour réagir face aux forces de police
spéciales qui vérifiaient de manière nocturne si les bidonvilles accueillaient
de nouveaux habitants et détruisaient les baraques en construction.
Était-il possible d'invoquer que ces interventions constituaient
des violations de domiciles ?
Toutes ces questions vont constituer autant de thèmes des premiers
travaux rédigés par les membres du GISTI, et publiés en général avec
la CIMADE [37] . Une
forme de travail de traduction et de montée en généralité est produit
à partir des exemples fournis par des avocats et des travailleurs
sociaux qui connaissent directement les immigrés et leurs problèmes
concrets. Pour citer quelques titres représentatifs de la constitution
d'une expertise pratique, en juillet 73 est publié un document appelé
« marche à suivre pour les locataires ou occupants menacés
d'éviction ». Toujours en juillet 73, une étude du GISTI
sur les foyers pour travailleurs migrants est réalisée avec le service
migrants de la CIMADE. Le ton de ce cette publication apparaît suffisamment
spécifique pour devoir être cité :
« Les travailleurs immigrés n'habitent pas le plus souvent
des logements comme les autres. Pour loger les « isolés »,
des foyers ont été créés soit par des particuliers qui voyaient
là l'occasion de faire de bonnes affaires (foyers « sauvages »),
soit, et c'est là la majeure partie des cas, grâce à diverses sources
de financement mobilisées par les pouvoirs publics (foyers « publics »).
[...] De plus, les immigrés, ici comme c'est souvent le cas, connaissent
une situation où l'absence de droit est poussée d'une façon caricaturale.
Cette absence de droit n'est pourtant pas totale, il faut chercher
à utiliser les textes mal connus qui précisent la situation
des immigrés ; et autant qu'une analyse des conditions
de vie dans les foyers, il faut faire le point des droits de l'occupant
du foyer.
Ce dossier est divisé en trois parties : la première cherche
à présenter les droits de l'occupant du foyer en précisant la nature
juridique des logements-foyers ; la deuxième partie est une
analyse critique d'un certain nombre de règlements intérieurs de
foyers qui sont cités en annexe ; la troisième est une synthèse
des problèmes de la vie dans un foyer et de la fonction que ce type
de logement remplit.
Plusieurs annexes viennent étayer ce dossier : la première
apporte quelques précisions sur ce qu'est le FAS, les deux suivantes
sont les textes de deux règlements intérieurs, la dernière enfin
résume les normes minimales des foyers telles que les a définies
la circulaire du 8/9/71 du Ministre de l'Équipement et du Logement. »
p. 20 « En allant plus loin dans l'analyse, on a vu que
les nécessités économiques de l'expansion de type capitaliste, et
notamment le recours à la main-d'ouvre étrangère, impliquaient la
construction de Foyers comme cadres de la reproduction de la force
de travail des étrangers. Subordonnés aux besoins industriels, les
Foyers ne sont pas des logements au sens plein du terme, car la
concentration des travailleurs étrangers en des lieux précis correspond
à toute une série de contrôles de type policier dans la vie quotidienne.
Ainsi se découvre la fonction objective du Foyer : contrôler
les travailleurs pour qu'ils restent isolés de la classe ouvrière
nationale et ne viennent pas la renforcer. »
Ce travail d'exégèse et de mise en perspective politique de la situation
des immigrés, apparaît caractéristique de ces textes, qui sont généralement
complétés par la reproduction des textes réglementaires concernés,
mais aussi de circulaires. Or ces dernières, qui normalement n'ont
pas à être diffusées hors de l'administration concernée, vont être
reproduites pour donner à voir les principes effectifs régissant l'administration
des travailleurs immigrés. Ainsi, en mai 1973, la CIMADE et le GISTI
publient la circulaire du Ministère des Affaires Sociales du 21 novembre
1972 dite circulaire Barbeau concernant l'introduction de travailleurs
étrangers par la procédure du contrat nominatif, suivie d'un commentaire
de ce texte. La publication de ces circulaires est révélatrice à la
fois d'une bonne connaissance des rouages de l'administration, caractéristique
des hauts fonctionnaires membres du GISTI, et des capacités subversives
inédites qui peuvent résulter de la mise au jour de ces modes de fonctionnements.
En étant à même de se procurer et de diffuser ces circulaires, le
GISTI donnait des éléments de prise sur une gestion administrative
de l'immigration dont l'emprise sur les immigrés était renforcée par
l'invisibilité de ses principes.
Le travail d'analyse mais aussi et surtout de mise à disposition
des textes juridiques accompagnés d'un appareil critique, va trouver
un public élargi avec la publication en avril 1974, dans la Petite
collection Maspero, d'un livre de poche intitulé Le petit livre
juridique des travailleurs immigrés
[38], rédigé par les membres du GISTI et du Collectif d'alphabétisation
(collectif de travailleurs faisant de l'alphabétisation à titre bénévole
ou professionnel) [39].
Le choix de la collection Maspero inscrit d'emblée le livre dans
un ensemble de fascicules engagés, dont François Maspero rappelle
le foisonnement après mai 68 : « Les éditions [Maspero]
se sont ouvertes sans contrepartie aux groupes d'extrême gauche et
publient pour eux à prix coûtant ou à perte, parallèlement aux collections
commerciales, toute une littérature de propagande dont nous sommes
convaincus qu'elle nourrira le fructueux débat où se forge l'avenir,
en attendant la mort (imminente) du capitalisme »
[40]. Mais le Petit livre juridique des travailleurs immigrés
se distingue dans cet ensemble pour sa double visée, dénonciatrice
à l'égard d'une politique mais aussi pratique dans l'aide aux étrangers [41]. Comme le précisaient
ses auteurs, cette brochure « a pour but de clarifier la législation
actuelle qui limite les droits au séjour et au travail des étrangers
en France, de fournir une information pratique sur les règles en vigueur
et l'application qui en est faite ». À la question « À
quoi peut servir cette clarification ? » des réponses
sont données qui mettent en relation analyse et usages politiques
du droit.
« Mieux analyser la situation juridique des travailleurs
immigrés ». Cette première réponse est immédiatement articulée
à une perspective politique, puisqu'il s'agit de montrer « comment
les multiples catégories et procédures introduites dans la réglementation,
les pratiques discriminatoires qui placent les travailleurs étrangers
à l'écart des travailleurs français, créent des causes de division
de la classe ouvrière en France ».
« Utiliser les ressources du droit pour défendre des cas
individuels et collectifs ».
Cette deuxième réponse s'articule à une triple lecture du droit,
en contestant aussi bien ceux qui « pensent que le droit est
le même pour tous et qu'il fournit toutes les possibilités de défense »
et ceux qui « pensent que la législation traduit essentiellement
le rapport de force favorable aux classes dominantes », pour
promouvoir l'idée selon laquelle si le droit est intrinsèquement inégalitaire
du fait des « contradictions internes des sociétés capitalistes »,
il peut être une arme utile. Se situant dans le sillage de la pensée
marxiste-léniniste du droit développée notamment en France par l'avocat
Marcel Willard dès les années 1930 [42] , ce rapport ambivalent au
droit était à même de correspondre à des juristes eux-mêmes divisés
entre une compétence professionnelle fondée sur le droit et un engagement
politique qui, en contestant l'État, pouvait induire à rejeter toute
pensée juridique. Il était ainsi mentionné dans cette introduction
que si « le droit n'est pas une panacée » il est
une arme parmi d'autres, dont il est possible de tirer avantage dans
une lutte qu'il faut néanmoins toujours penser comme collective, en
évitant le « cas par cas ».
Comme outil, le droit pouvait apparaître biaisé de par son origine
étatique, et il fallait donc le présenter comme possiblement neutre
(« une arme parmi d'autres »), et doté d'une utilité
légitimant son utilisation. L'idée d'un droit constituant « la
forme par excellence du discours légitime » [43] contribuant par contiguïté à légitimer les causes qui lui
sont associées, était ainsi inversée, la lutte par le droit devant
être justifiée au sein d'une association qui, contrairement à la croyance
répandue dans l'universalité du droit, n'ignorait pas « la
part plus ou moins grande d'arbitraire qui est au principe de son
fonctionnement » [44] .
La manière dont les conflits juridiques pouvaient apparaître comme
une succession de cas individuels, et par là-même empêcher une représentation
collective des problèmes, était un autre problème auquel s'articulait
l'introduction, sous le titre « Insérer les luttes individuelles
dans une lutte collective ». Cette volonté de se démarquer
d'une approche reposant sur le règlement des problèmes personnels
sur un mode « humanitaire », en réaffirmant que la priorité
était de changer la condition des immigrés, était également un moyen
de se situer par rapport à d'autres associations proches. La référence
principale en la matière était la Ligue des Droits de l'Homme, dont
Éric Agrikoliansky a bien analysé la tradition de « secours
juridique », fondée pratiquement sur le recours au
procès mais aussi et surtout sur « le recours hiérarchique
(ou gracieux) auprès d'une autorité administrative ou politique » [45] . La présentation de l'ouvrage révélait ainsi un travail
de positionnement dans le champ associatif, où coexistaient groupes
militants d'extrême gauche et associations humanistes de défense des
cas marqués par l'injustice ou la détresse.
Le petit livre conciliait une double dimension de guide pratique
et d'invitation à la lutte qui constitue une synthèse intéressante,
caractéristique à la fois de la mise en valeur d'une connaissance
technique et d'une certaine croyance dans la force du droit propre
à des juristes, et d'une mise à distance militante permettant de relativiser
ce droit. L'instrument juridique était posé non comme une fin en soi,
mais avant tout comme un moyen permettant d'atteindre le véritable
objectif de l'organisation, celui d'une lutte en faveur de la condition
des travailleurs immigrés, eux-mêmes érigés en symboles et en symptômes
d'une classe ouvrière paupérisée. La littérature à la fois juridique
et militante produite par le GISTI se présentait ainsi comme une forme
de doctrine subversive, au sens où le producteur de doctrine est un
« interprète du droit », dont la fonction repose sur l'idée
selon laquelle « les textes juridiques sont par essence polysémiques,
que les significations qu'ils recèlent peuvent être multiples, confuses,
voire contradictoires » [46]. Les textes du GISTI s'inscrivaient doublement
dans cette logique, en pointant les contradictions des textes régissant
la condition de l'immigré tout en en proposant une interprétation
fondée sur une compétence spécifique propre aux interprètes légitimes
du droit, catégorie à laquelle plusieurs d'entre eux appartenaient
d'un point de vue professionnel.
c) La constitution des affaires, ou les usages du contentieux
Le troisième volet de cette analyse renvoie à une partie importante,
mais sans doute moins facilement saisissable de l'activité de l'association,
notamment parce qu'elle excédait en partie sa capacité d'action en
la rendant partiellement dépendante des opportunités d'action ouvertes
par l'apparition d'un conflit, la parution d'une circulaire, l'éclatement
d'un scandale. La dimension contentieuse était en même temps la plus
à même de faire apparaître la compétence spécifique de l'association,
au niveau du contentieux correctionnel, mais aussi et surtout du contentieux
administratif. Ce dernier volet présentait en effet une spécificité
juridique et sociale particulière, tenant notamment à l'interlocuteur
crucial que fut le Conseil d'État. Rappelons que deux des quatre énarques
fondateurs étaient membres de cette institution, qui n'était pas non
plus un interlocuteur neutre politiquement et socialement : la confrontation
à cette plus haute autorité administrative engageait un processus
de généralisation et de révélation juridique du traitement public
de l'immigration. Bien plus, en accordant une puis des victoires au
GISTI, le Conseil d'État contribuait au processus de légitimation
de l'association, sans commune mesure avec la taille de ses effectifs.
i) La masse du contentieux : « petites » affaires
et collectivisation des problèmes juridiques.
Le traitement judiciaire de l'immigration est apparu de manière précoce
dans l'histoire du GISTI avec l'arrivée de participants confrontés
directement dans leur pratique avec les problèmes quotidiens des immigrés,
ces problèmes étant susceptibles de se traduire sur la scène judiciaire.
Ces professionnels comprenaient des travailleurs sociaux, en particulier
sensibilisés au problème des bidonville, parmi lesquels se distingue
la figure de Monique Hervo. Du côté des avocats, reviennent souvent
les noms de Simone Pacot (du cabinet Pinet-Leclerc), de Georges Pinet
lui-même, mais aussi de Jean-Jacques de Felice qui dès les années
50 avait défendu des habitants algériens des bidonvilles
[47] . La jonction entre le GISTI naissant et les avocats va se
faire notamment grâce au rôle pivot de Jean-Jacques de Felice, instigateur
de mobilisations et de réflexions, en particulier à travers le MAJ
(Mouvement d'Action Judiciaire) qui se présentait alors comme « un
mouvement de "travailleurs du droit" (avocats, magistrats,
personnels des tribunaux, enseignants, étudiants, éducateurs, assistantes
sociales) qui ont choisi de remettre en cause l'institution judiciaire » [48] . La spécificité et la place
du MAJ méritent d'être analysées pour comprendre, de manière relationnelle,
le rôle que joua le GISTI en particulier pour des avocats intéressés
par ces formes d'articulation entre droit et politique.
Né en 1968 sous le nom de « Groupement d'Action Judiciaire »,
le MAJ rassembla principalement des avocats que les événements de
Mai conduisirent à « se remettre en cause dans leur
fonction même d'avocat, à des degrés divers ». Cette
difficulté à concilier sensibilité politique et profession juridique
se traduisit d'une part par une réflexion collective, et d'autre part
par la mise en place de sous groupes intitulés « Défense
active » et « Défense collective »qui
s'inscrivaient dans un questionnement liant intimement rôle professionnel
et rôle politique : « Des tentatives ont été élaborées
avec les idées maîtresses de défense collective ; de "sortir
de son cabinet", de casser le mystère de l'avocat, d'utiliser
sa fonction au profit de ceux qui n'accèdent pas ou difficilement
à la justice, ou qui sont écrasés par elle » [49] . Le MAJ aboutissait ainsi
au milieu des années 70, moment où se tenait son premier congrès,
à une plate-forme caractérisée par trois propositions : « Faire
pénétrer le droit dans les lieux où il est exclu »,
« Se porter vers les luttes illégales »,
« développer les luttes à l'intérieur de l'appareil
judiciaire » [50] . Ces positions du MAJ n'étaient
pas sans poser problème à certains de ses membres juristes, notamment
lorsqu'à la question "faut-il rompre avec la légalité ou demander
son application?" [51] il était signalé quelques
lignes plus loin que certains dans l'organisation répondait que la
seule solution était de rompre avec la légalité.
Le témoignage de Me M., une avocate issue du MAJ qui rencontra le
GISTI à cette époque met bien en évidence à la fois le questionnement
identitaire qui caractérisait ces juristes de gauche et la réponse
que le GISTI était à même d'apporter à ces interrogations :
« Dans la mouvance post-soixante-huitarde, être juriste
c'était pas absolument évident. C'est-à-dire qu'utiliser l'outil
juridique c'était utiliser l'instrument de l'ennemi. Et on se faisait
assez mal voir, de revendiquer de faire du droit dans ce contexte.
Et au sein du MAJ, ce débat était extrêmement vif. De savoir si
on était simplement par notre statut d'avocat des porte-paroles,
et on faisait parler les gens, ou si on devait utiliser l'outil
juridique pour essayer d'avancer et de progresser. Ce débat-là a
été très rapidement réglé au GISTI, puisque précisément l'objet
du GISTI c'était d'utiliser l'outil juridique. Et un certain nombre
d'entre nous qui dans certaines activités du MAJ se trouvaient pas
bien parce que ça nous suffisait pas d'être des porte-parole, et
on pensait qu'on avait un instrument en main, se sont retrouvés
plus facilement au sein du GISTI, à répondre à ces questions-là.
Donc il y a eu, on ne peut pas dire qu'il y a eu une scission, il
y a eu des gens du MAJ qui se sont investis dans un tas d'organisations,
d'associations, et notamment au GISTI. Et ce qui pour nous était
tout à fait important au GISTI, c'est que dans tout le travail qu'on
essayait de faire avec les associations d'immigrés, ce qui nous
manquait le plus c'était la documentation, c'était l'outil. On n'avait
pas les circulaires, on savait pas où les trouver, l'administration
nous mettait dans les dents des règles qu'on ne connaissait pas,
et une des choses qui moi me reste et moi m'a semblé essentielle
au GISTI, c'est cet aspect publication. On connaît des choses, on
vous les oppose, et on vous les donne. Finalement quand on regarde
l'histoire du droit en général, la publication c'est une vieille
revendication, le droit occulte etc., etc... Mais le GISTI a fait
à cette époque-là ce que personne ne faisait, c'est-à-dire de donner
aux travailleurs immigrés et à ceux qui travaillent avec eux, les
instruments pour répondre à une certaine forme d'arbitraire, c'est-à-dire
qu'on savait ce qu'on nous opposait [52 ».
Le GISTI permit de concilier pour un certain nombre d'avocats, notamment
issus du MAJ, leur contestation de l'ordre politique avec la volonté
de ne pas totalement remettre en cause leur compétence spécifique
et son utilité sociale, y compris dans un contexte considéré comme
répressif. Le GISTI se distinguait, comme le souligne Me M., par sa
capacité à fournir des instruments utiles pour la collectivisation
de la lutte notamment dans un domaine, le droit correctionnel, où
les victoires ne peuvent à priori être, comme les inculpations, qu'individuelles.
En cela, l'association fut à même de produire une forme d'action collective
coordonnée proprement juridique, à la fois contestataire et alternative
à des formes de mobilisation illégales ou extra-juridiques, dans lesquelles
n'étaient pas mises en valeur les compétences professionnelles spécifiques
des militants.
À la spécification produite par le droit même dans la logique d'individualisation
des incriminations, des responsabilités et des peines, les avocats
du GISTI allaient indirectement répondre par un double travail de
mise en commun de la jurisprudence et de circulation de l'information
autour de problèmes spécifiques aux travailleurs immigrés. Ce travail
de mise en commun par la création d'un système informel de veille
jurisprudentielle entre les avocats liés par le GISTI s'accompagnait
également de collaborations ponctuelles autour d'affaires. L'appariement
du GISTI, des avocats et de ces causes se faisait dans un double mouvement
d'avocats vers l'association lorsque dans leur pratique ils étaient
confrontés aux spécificités de la situation et du droit des travailleurs
immigrés, et d'autre part par les sollicitations du GISTI envers des
avocats proches de l'association. Dans ce cadre, les permanences juridiques
du samedi matin déjà évoquées furent une source constante à la fois
de nouvelles questions juridiques à régler et de cas pratiques dont
certains, sélectionnés parce qu'ils présentaient des chances politiques
de succès, étaient transmis aux avocats pour leur défense devant les
tribunaux.
Un des exemples du fonctionnement du GISTI comme outil de collectivisation
d'une lutte apparaît au début des années 70 avec les premiers frémissements
des mouvements de grève dits « des foyers ».
L'avocat Christian Bourguet, qui avait défendu des étudiants militants
d'extrême-gauche au lendemain de 68, est sollicité par ces derniers
qui ont mis en place des ateliers d'alphabétisation de travailleurs
africains à partir du début des années 70. C. Bourguet se familiarise
avec cet environnement et va défendre des habitants de ces foyers,
en particulier à partir de 1973 [53] , notamment en déposant une puis des plaintes pour prix illicites,
qui vont accompagner les premiers mouvements de grève des foyers.
Une fois ces foyers en grève, un comité de coordination se met en
place, et des membres du GISTI et de la CIMADE s'y intéressent et
aident à la mise en relation d'avocats confrontés au même type de
problèmes, ainsi qu'au soutien logistique du Comité de coordination.
La place du GISTI dans de telles luttes, qui vont durer jusqu'au début
des années 80 [54] , apparaît importante, au niveau
de la coordination du travail au cas par cas (en faisant circuler
la jurisprudence) comme de la volonté d'organiser des formes d'action
collective au-delà des victoires juridiques ponctuelles (par exemple
en favorisant l'émergence des comités de résidents dans les foyers).
Néanmoins, elle demeure très discrète, comme le souligne C. Bourguet,
le GISTI refusant par exemple d'apparaître en tant que négociateur
dans les négociations entre les foyers et les pouvoirs publics
[55] . Cette remarque permet d'insister sur la discrétion dans
les luttes d'une association qui tenait à la fois une place importante
d'un point de vue logistique et politique, tout en présentant une
faible visibilité publique, hormis pour les professionnels qui bénéficiaient
de ses ressources et les militants directement confrontés à sa présence [56].
ii) Les recours devant le Conseil d'État : légitimation de
l'expertise et proximité au pouvoir.
Si le traitement du contentieux judiciaire révélait l'importance
du contact avec des praticiens confrontés aux problèmes concrets des
immigrés, les recours devant le Conseil d'État et notamment le premier
d'entre eux contre les circulaires dites Marcellin-Fontanet s'inscrivent
dans la mise en oeuvre d'une compétence technique et plus désincarnée
du point de vue de ses liens avec le quotidien, davantage caractéristique
des membres du GISTI proches de la haute fonction publique et de l'Université.
Les circulaires Marcellin et Fontanet apparaissent pour la première
fois dans les archives du GISTI à travers un article d'André Legouy
[57] , intitulé « Un scandaleux trafic d'hommes ». Cet
article réagissait à une circulaire dite Fontanet sur les travailleurs
immigrés, dont elle reprenait un passage pour titre, et à la circulaire
parallèle de M. Marcellin qui visait, pour reprendre ses termes mêmes,
à « contrôler plus étroitement les flux d'immigration »
avec pour objectif d'inscrire « harmonieusement » la politique
d'immigration dans le cadre de la politique de l'emploi, dans « la
perspective d'une protection sociale des migrants et d'une égalisation
de leurs droits avec ceux des travailleurs français ». Ces circulaires
se présentaient donc comme des textes relativement progressistes et
la critique d'André Legouy de juin 73 leur reprochait surtout de ne
pas aller assez loin : « C'est dire que des Associations comme
la CIMADE ou le GISTI ne sauraient prendre pour argent comptant les
déclarations gouvernementales et se satisfaire de mesures - d'ailleurs
arrachées de haute lutte - , qui se contentent de soigner quelques
plaies particulièrement voyantes sans jamais atteindre le mal à sa
racine ; qu'elles ne cesseront de dénoncer les mécanismes qui
engendrent l'exil forcé de millions de travailleurs et les soumettent
contre leur gré à un "scandaleux trafic d'hommes" ;
et qu'en attendant le jour où les échanges entre pays ne seront plus
régis par la loi du plus fort, elles s'efforceront de soutenir toutes
les luttes et revendications par lesquelles les travailleurs immigrés
briseront leurs chaînes ».
Des circulaires qui, sur le fond, furent d'abord critiquées pour
leur insuffisante portée vont ainsi donner l'occasion d'un enchaînement
crucial dans l'histoire de l'association, de la création progressive
d'un registre de dénonciation autour de ces textes particuliers à
la victoire inespérée devant la plus haute juridiction administrative.
De la première réaction de Legouy, en juin 1973, à la victoire devant
le Conseil d' État, différentes étapes jalonnent ce qui rétrospectivement
constitue l'histoire du premier « arrêt GISTI » [58] . La Commission Droit du Travail du GISTI rédige tout d'abord
une note consacrée à la rupture du contrat de travail, puisque d'après
ces circulaires le contrat avec le premier employeur à l'entrée sur
le territoire vaut alors comme titre de travail dans les procédures
d'introduction ou de régularisation, créant une dépendance du travailleur
par rapport à ce premier employeur
[59] . La Commission-Logement du GISTI publie également une fiche
d'information en juin 74 consacrée à l'attestation logement, puisque :
« Les circulaires Marcellin et Fontanet [60] ont prévu que les contrats de travail des
travailleurs immigrés compteront pour la première année une attestation-logement,
délivrée par l'employeur et dont il est dit qu'elle « fait partie
intégrante du contrat » ». Ce texte reprenait la critique
d'André Legouy, en interprétant cette mesure comme un échec de la
politique de suppression de l'habitat insalubre par manque de volontarisme
politique ; en même temps à travers la critique de la mention
du contrôle de ces conditions de logement contenue dans la circulaire,
elle dénonçait un renforcement de l'arbitraire et des contrôles à
l'encontre des immigrés.
Cette question a priori marginale de l'attestation-logement adjointe
au contrat des travailleurs immigrés va être un des fondements de
l'attaque des circulaires Marcellin et Fontanet devant le Conseil
d'État pour illégalité et incompétence. La requête déposée par Philippe
Waquet [61] au nom
d'un syndicaliste CFDT nommé Da Silva [62] , ne s'illustre ainsi ni par
la clarté et l'évidence des principes qui seraient mis à mal par la
circulaire, ni par la visibilité qui serait ainsi donnée à l'association.
Cette première victoire, en date du 13 janvier 1975, va pourtant avoir
un retentissement très important, comme l'illustre la publication
d'une brochure en janvier 1975 intitulée « Conséquences pratiques
et politiques de l'annulation par le Conseil d'État des circulaires
Marcellin et Fontanet ». Cette brochure donne les raisons juridiques
de l'annulation, mais aussi les conséquences pratiques et immédiates
de cet arrêt sur de nombreuses questions qu'abordaient les circulaires :
questions de régularisation, d'obtention de cartes de travail et de
séjour, de l'attestation logement. Outre ces données pratiques, l'arrêt
du Conseil d'État est immédiatement mis en perspective du point de
vue des conséquences à plus long terme de l'annulation des circulaires,
de deux ordres selon le GISTI. Premièrement, la décision est décrite
comme un « coup porté à une longue politique de réglementation
illégale des étrangers par circulaire ». Deuxièmement, cette
victoire juridique est aussi interprétée comme une victoire politique,
dans la mesure où l'annulation des circulaires révèle selon les auteurs
du texte ce qu'est « réellement » au sens du GISTI la politique
du gouvernement envers les étrangers, c'est-à-dire une politique répressive,
qui doit être analysée dans l'ensemble des rapports de forces, notamment
économiques ». Les deux ordres parfois contradictoires de construction
et de légitimation de la spécificité de l'association sont donc présents
dans ce texte, qui se réjouit dans un premier temps de la légalisation
de la politique d'immigration induite par l'arrêt, pour mieux stigmatiser
dans un second temps sa nature profondément et intrinsèquement injuste.
Cette première victoire dont l'importance est en partie rétrospective
n'en entraîna pas immédiatement d'autres, puisque le second recours
victorieux devant le Conseil d'État, cette fois-ci au nom de l'association,
date de 1978, et porte sur la question du regroupement familial. Ce
second arrêt est très important dans la mesure où il fait partie des
deux "grands arrêts" du Conseil d'État dus au GISTI, la
définition du grand arrêt étant le fait des juristes eux-mêmes qui
compilent les arrêts qui marquent les retournements ou les évolutions
importantes de la jurisprudence dans Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, publié chez Dalloz
[63] . Cette inscription dans l'arène la plus haute du droit administratif
ancre durablement la légitimité et la spécificité du GISTI à travers
l'invocation du respect de principes fondamentaux du droit, qui transcende
la spécificité de contentieux plus ponctuels. Ce changement d'échelle
du point de vue des principes invoqués doit également être mis en
relation avec les conséquences concrètes considérables de ce nouveau
registre d'action, dont la portée peut influencer le contenu des politiques
de l'immigration mais aussi modifier les modes de gouvernement eux-mêmes.
Ainsi le succès du recours contre les circulaires Marcellin-Fontanet
remit-il en cause la pratique de réglementation de l'immigration par
voie de circulaire.
Le caractère crucial de cette décision tient à la place spécifique
du Conseil d'État dans le dispositif institutionnel français, du point
de vue de sa légitimité juridique comme de sa distance supposée par
rapport aux mouvements sociaux, en particulier aussi marginaux que
le GISTI (alors qu'à l'époque la participation au GISTI est quasi
clandestine : les premiers statuts n'ont pas été déposés aux
noms de ses véritables initiateurs
[64] , particulièrement pour protéger l'anonymat des jeunes hauts
fonctionnaires fondateurs).
Ce recours contre les circulaires Marcellin-Fontanet
prend également tout son sens au regard du projet initial du GISTI,
qui s'il se voulait contestataire avait aussi pour objet ambitieux
- du moins pour les énarques - de combler le non-droit existant par
un droit considéré comme plus protecteur qu'une absence de droit,
comme le rappelle une des fondatrices :
« Je crois qu'il y avait l'idée que fallait qu'il y ait
du texte, parce que la pratique nue c'était ce qu'il y avait de
pire. C'est-à-dire que la pratique qui ne s'exprime pas c'est quelque
chose justement contre quoi les assistantes sociales, les immigrés,
les avocats étaient complètement démunis. Donc le pire c'est quand
il y a la pratique sans rien du tout, après c'est quand il y a une
circulaire parce qu'au moins on peut l'attaquer, on peut la publier
nous-mêmes... Le pire c'est le non-droit, et si on se défend, si
on lutte peut-être qu'on peut faire un droit meilleur et peut-être
que la loi peut être meilleure, mais en tout cas la loi c'est certainement
meilleur que le silence et l'apathie. »
[65]
La première victoire devant le Conseil d'État peut ainsi s'interpréter
comme la preuve de la possibilité d'influer directement le mode de
gestion politique et administratif de l'immigration : vouloir
substituer un droit à un non droit revenait bien à encourager et orienter
la production législative visant les immigrés. L'action judiciaire
acquérait ainsi une dimension performative inédite, en ouvrant la
voie à ce que les anglo-saxons qualifient de « change
through litigation », ce qui revient à obtenir par un renversement
de jurisprudence des résultats politiques, et donc à défendre un usage
du contentieux avec des objectifs résolument réformateurs. Si ce type
de représentation correspond avant tout à des systèmes de common
law, où la jurisprudence a un rôle plus déterminant dans l'évolution
du droit, elle se rapproche de l'opinion d'un professeur de droit proche
du GISTI, qui participa à la rédaction d'un certain nombre de recours.
Il soulignait que le GISTI avait pour objectif de se soucier de l'adéquation
croissante de la loi mise en ouvre avec des principes exprimables
en termes de droits, au sens de droits fondamentaux ou de droits de
l'homme : « Le travail du GISTI, c'était précisément que la loi
générale, c'est-à-dire sur le plan du droit positif, soit à la fois
une garantie des droits. C'était une partie du travail du GISTI de
faire que les deux coïncident le plus » [66] . Cette volonté de faire coïncider loi générale et garantie
des droits correspondait notamment à la critique des voies procédurales
de mise en oeuvre de la politique d'immigration, à travers l'opposition
aux circulaires dites Marcellin, Fontanet mais aussi Gorse ou Barbeau.
Leur caractère officieux -qui empêchait par définition tout recours-
était contesté, ainsi que leur contenu puisqu'elles édictaient de
fait des règlements, ce qui ne relevait pas normalement du pouvoir
des ministres qui les produisaient. Hormis la contestation devant
la juridiction administrative, une autre forme de lutte particulièrement
intéressante consistait donc tout simplement à publier ces circulaires,
à les rendre publiques, afin de briser l'absurdité qui faisait qu'il
existait des règles que les gens -en l'occurrence les immmigrés- devaient
respecter sans possibilité de les connaître. La volonté de rendre
ces textes publics s'inscrivait donc dans un raisonnement typiquement
juridique selon lequel une règle n'est opposable que si elle est connue.
Ces circulaires, obtenues grâce aux contacts - bien sûr officieux
- du GISTI dans la haute administration, étaient ainsi rendues plus
conformes aux règles mêmes du droit par l'intervention de l'association.
Cette philosophie progressiste et sa matérialisation dans la première
victoire devant le Conseil d'État étaient porteuses d'une certaine
ambiguïté, en ouvrant la possibilité d'une co-production d'une politique
publique entre l'État et une jeune association qui s'était pourtant
construite à travers la remise en cause à la fois du contenu de la
politique d'immigration et de ses modalités mêmes de mise en oeuvre.
Cette ambiguïté annonçait d'ailleurs les divergences qui apparurent
au sein du GISTI après le victoire de la gauche en 1981 : un
certain nombre de ses membres, hauts fonctionnaires ou magistrats,
entrèrent à cette occasion dans les cabinets ministériels ou les cercles
proches de l'Élysée pour développer une expertise technique de gauche,
en particulier sur les questions sociales [67] , se démarquant du reste de
l'association qui choisit de conserver une position critique à l'égard
du nouveau gouvernement [68].
Les formes pratiques du contentieux du GISTI étaient ainsi différenciées
à un triple niveau : du point de vue de leur légitimité juridique,
entre des petites « affaires » relatives à des espaces de
non-droit comme les bidonvilles, et des recours devant le Conseil
d'État réaffirmant les grands principes du droit ; du point de
vue des acteurs de l'association spécialisés sur ces types d'affaires,
respectivement d'une part avocats et travailleurs sociaux, de l'autre
universitaires, avocats aux conseils, hauts fonctionnaires; enfin
en ce qui concerne les enjeux politiques en partie contradictoires
de ces luttes, entre des formes de guérillas judiciaires appuyées
sur la multiplication de conflits locaux, et la montée en généralité
produite par des recours devant Conseil d'État qui offraient des possibilités
d'action sur le contenu et la forme de la politique de l'immigration.
Conclusion :
Cette socio-histoire des premières années du GISTI permet de mettre
en évidence le positionnement paradoxal d'une association caractérisée
par un ancrage politique radical mais dotée d'outils réformateurs
; fondée sur un noyau de militants limité mais dont l'extrême compétence
et les réseaux sociaux, des travailleurs sociaux aux plus hautes sphères
de l'État, étaient remarquables, au point parfois d'induire des situations
où les membres du GISTI se trouvaient juges et parties (particulièrement
au sein du Conseil d'État ou de la magistrature
[69] , puisque des magistrats membres du Syndicat de la Magistrature
- et notamment de l'un de ses fondateurs participèrent aux débuts
de l'association). Cette proximité et parfois même confusion avec
ses propres adversaires judiciaires n'est d'ailleurs pas propre au
seul GISTI, et a également été observée à propos d'autres organisations
de défense juridique des causes. Yoav Dotan a ainsi mis en évidence
le même phénomène relativement aux avocats de défense des droits de
l'homme et aux représentants du gouvernement israélien dans les procès
où l'État était mis en cause, en particulier par des palestiniens
[70] . Yoav Dotan expliquait cette apparente contradiction en
soulignant que des deux côtés on retrouvait une même croyance dans
le droit et en particulier le respect de droit fondamentaux, et que
pratiquement leur activité professionnelle était assez peu différente,
ce qui correspond bien au cas particulier des avocats, hauts fonctionnaires
ou professeurs de droit membres du GISTI.
Cette alliance de compétences, de réseaux sociaux et logistiques
et de réflexion poussée sur un domaine circonscrit mais politiquement
central dans les mouvements politiques de l'après 1968, produisit
des résultats tangibles, jurisprudentiels et pratiques, depuis les
évolutions produites devant le Conseil d'État jusqu'à la création
d'instruments pratiques de luttes, permanences juridiques, publications,
circulation de jurisprudence entre les avocats.
Cette spécificité acquise très tôt dans une triple distinction à
l'égard de la tradition de "secours juridique" incarnée
par la LDH, de la dimension humanitaire assurée par les ASTI ou la
CIMADE, de la démarche plus radicale et presque sans issue pour certains
juristes incarnée par le MAJ, est d'autant plus remarquable que, définie
dès les premières réunions, elle reste aujourd'hui la marque de fabrique
spécifique d'une association dont la continuité à l'égard des premières
mises en forme de son projet apparaît étonnante. Cet équilibre si
particulier entre une grande technicité qui construisait une forme
de droit comme objet en même temps qu'elle le combattait, à travers
le cas particulier du droit relatif aux différentes dimensions de
la condition immigrée, n'était pourtant pas sans contradictions. Cette
association, fondée sur la compétence de ses membres dans un domaine
considéré comme discriminatoire, effectuait en quelque sorte un travail
juridique contribuant à le rationaliser et à le renforcer. Cette évolution
d'une confrontation à une forme de « collaboration objective »
(pour reprendre les termes de l'époque) avec les pouvoirs publics
fut d'ailleurs remarquée, que ce soit pour le critiquer comme Jean-Jacques
de Felice qui souligne le "risque de devenir de plus en plus
technicien d'un droit qu'il [le GISTI] avait dénoncé en lui-même" [71] , ou pour le constater comme
cette membre fondatrice aujourd'hui Conseillère d'État qui souligne
que peu à peu le GISTI est devenu « un espèce de requérant d'habitude
du Conseil d'État, qui a quasiment un espèce de rôle de service public,
c'est celui qui aide le Conseil d'État à vérifier la légalité des
textes, en gros. Mais enfin un partenaire un petit peu particulier... » [72].
Cette réflexion sur les paradoxes et les limites de ces usages du
droit, souvent perçus par les membres de l'association [73] , permet de tirer quelques
conclusions plus générales sur les effets mitigés de la lutte par
le droit. En effet, malgré ses succès, l'association s'est régulièrement
retrouvée confrontée au problème posé dès Le Petit Livre de
1974, de la difficile conciliation entre la défense individuelle par
le droit et la lutte collective pour les droits. Pourtant, la conclusion
selon laquelle les vraies victoires ne se remportent pas dans les
prétoires mais dans les mobilisations et/ou les négociations politiques
n'est pas totalement satisfaisante, dans la mesure où elle occulte
les victoires individuelles, l'importance logistique d'une association
dans la mise en relation, la formation et le soutien d'avocats isolés,
spécialistes de causes peu légitimes, ou encore les victoires devant
le Conseil d'État, ayant produit des évolutions jurisprudentielles
telles que les fameux deux "grands arrêts" GISTI, celui
du 8 décembre 1978 dans lequel le Conseil d'État élève au rang de
"principe général du droit" le droit pour les étrangers
comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale, et celui
du 29 juin 1990 par lequel le Conseil d'État se reconnaît le droit
d'interpréter les traités. Au-delà de ces preuves de l'efficace propre
à l'association, demeure pourtant une inconnue, celle qui résulte
des coûts et avantages d'un usage contestataire du droit, et qui renvoie
à l'inévitable légitimation apportée à un système juridique et judiciaire
par ceux qui acceptent de le combattre de l'intérieur, usant de ses
propres instruments [74]
, ce qui leur confère une force particulière tout en les associant
indirectement à l'exercice du pouvoir qu'ils combattent.
Notes
[2] BOURDIEU (P.), « La Force du droit », Actes
de la recherche en sciences sociales, 64, 1986.
[3] Journée Histoire et Mémoire du GISTI, samedi 8 décembre
2000. J'ai retranscrit l'ensemble de ces débats, qui constituent
donc l'une des sources de cette recherche Cette source est particulièrement
intéressante puisque durant cette journée se sont opposés les points
de vue des membres fondateurs du GISTI, qui aujourd'hui n'en sont
plus membres, et les militants d'aujourd'hui. J'ai également assisté
à deux autres journées, l'une réunissant Gérard Moreau, Bruno Ehrmann
et André Le Gouy ayant donné lieu à une synthèse publiée dans Plein
Droit, l'autre plus importante autour des questions d'asiles dans
les années 80-90, regroupant des membres de l'association ainsi
que des membres d'organisations en lutte alors soutenues par le
GISTI. Par ailleurs, j'ai effectué deux entretiens supplémentaires
avec des avocats proches du GISTI, Jean-Jacques de Felice et Christian
Bourguet. Enfin, avec l'aide d'André Legouy et de Pauline Boutron,
j'ai pu consulter les archives des premières années de l'association
(compte-rendus de réunions, cahiers de permanence, publications).
[4] Même si bien entendu le contenu de cet article
n'engage que son auteure et ne représente nullement le point de
vue de l'association.
[5] « Immigration :
trente ans de combat par le droit », Plein droit,
La revue du GISTI, n° 53-54, juin 2002. À noter tout particulièrement,
l'article « La création du GISTI » par Anna Marek (p.
9 à 11) qui reprend et analyse les témoignages issus de la journée
« Histoire et Mémoire » évoquée ci-dessus, ainsi que l'interview
croisée de trois militants précoces du GISTI parue dans le même
numéro (p. 12 à 17). Nous renvoyons également à deux sources documentaires
très précieuses publiées dans ce numéro spécial, d'une part un « cahier
de jurisprudence » rassemblant les principaux « arrêts
GISTI » (voir infra), d'autre part une excellente
chronologie comparée de l'histoire du GISTI et le la politique migratoire
française entre 1972 et 2002. Enfin nous nous permettons de renvoyer
à notre présentation de deux parcours d'avocats proches du GISTI,
Christian Bourguet et Jean-Jacques de Felice, dans ce même numéro.
Un mémoire de DEA de sociologie politique, intitulé « Le
Gisti ou l'expertise militante. Une analyse du répertoire d'action
de l'association » a été consacré au GISTI par Anna
Marek en 2001 (IEP Paris).
[6] Voir COMMAILLE (J.), DUMOULIN (L.), ROBERT
(C.), (sous la dir.), La juridicisation du politique. Leçons
scientifiques. Paris, LGDJ, 2000.
[7] Dans TARROW (S.), Power in movement : social
movements, collective action, and politics. Cambridge University
Press, Cambridge, 1994, Sydney Tarrow présente et met en application
le concept aujourd'hui répandu de structure d'opportunité politique.
[8] Les quatre membres fondateurs sont désignés
dans l'article comme F1, F2, F3 et F4. L'une de ces personnes est
aujourd'hui décédée. Les trois autre ont participé à la journée
Histoire et Mémoire du GISTI, et l'une d'entre elles a demandé à
ce que son anonymat soit respecté : par contiguïté nous avons
ainsi choisi de ne pas nommer les trois autres, puis d'anonymiser
l'ensemble des témoignages issus de la journée Histoire et Mémoire.
C'est aussi la raison pour laquelle nous avons présenté peu d'éléments
tenant à la carrière ultérieure des quatre énarques, même si d'un
point de vue sociologique c'est en partie regrettable. Au contraire,
les citations de sources signées, ou concernant les personnes engagées
publiquement (par exemple comme avocats) auprès du GISTI ou les
entretiens que nous avons réalisés n'ont pas subi d'anonymisation.
[9] Témoignage de F1 lors de la journée Histoire et Mémoire
du GISTI
[10] Témoignage de F2, Journée Histoire et Mémoire
du GISTI.
[11] Témoignage de F1 Journée Mémoire du GISTI.
[12] Sur l'évolution de la perception, en particulier administrative,
de l'immigration, voir l'article d'Alexis Spire, SPIRE (A.), « De
l'étranger à l'immigré. La magie sociale d'une catégorie
statistique », Actes de la recherche en sciences sociales,
129, septembre 1999.
[13] Sur le Syndicat de la Magistrature, voir la thèse d'Anne
Deville, DEVILLE (A.), « Le Syndicat de la Magistrature en
France 1968-1988. Interprétation de la construction d'une action
collective », Thèse de sociologie, Université catholique de
Louvain - Département de sciences politiques et sociales, 1992.
[14] Compte-rendu de la réunion du 19 février 72.
[15] Sur l'émergence de ces groupes, voir ARTIÈRES (P.),
« 1972 : naissance de l'intellectuel spécifique »,
in « Immigration :
trente ans de combats par le droit », op. cit., pp. 37-38,
et sur le GIP : ARTIÈRES (P.), QUERO (L.) ET ZANCARINI-FOURNEL
(M.) (Documents réunis et présentés par), Le Groupe d'Informations
sur les Prisons, Archives d'une lutte (1970-1972), Éditions
de l'IMEC, Paris, 2003.
[16] ARTIÈRES (P.), « 1972, naissance de l'intellectuel
spécifique », op. cit., p. 38.
[17] Souligné par l'auteur.
[18] Voir la thèse de Johanna Siméant, publiée
sous le titre La cause des sans-papiers, Presses de Sciences
Po, Paris, 1998, mais aussi pour une relecture fine des théories
de l'action collective au regard de la problématique des mobilisations
des étrangers en situation irrégulière en France du début des années
70 au début des années 90, SIMÉANT (J.), « Immigration et action
collective. L'exemple des mobilisations d'étrangers en situation
irrégulière », Sociétés contemporaines, 20, décembre
1994.
[19] « La Cimade a été fondée en 1939
au sein des mouvements de jeunesse protestants. De sa mission initiale
auprès des "évacués" de l'Alsace-Lorraine fuyant
l'avancée nazie, elle a conservé son nom (dont la signification
était "Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués"),
mais aussi un lien avec le monde protestant -bien qu'étant aujourd'hui
ocuménique- et surtout une fidélité aux valeurs et aux engagements
de ses fondateurs.»
Présentation de la CIMADE sur son site www.cimade.org
[20] Association pour la Démocratie et l'Éducation
Locale et Sociale.
[21] Compte-rendu de la réunion du 18 mars 1972.
[22] Compte-rendu de la réunion du 30 mars 1972
[24] Intervention de F1, Journée Histoire du GISTI
[25] Pour reprendre le terme de « Cause Lawyering
Organization » utilisé par Noga Morag-Levine dans son analyse
d'une association de défense du droit de l'environnement. MORAG-LEVINE
(N.), « The Politics of Imported Rights : Transplantation
and Transformation in an Israeli Environmental Cause-Lawyering Organization »,
in SARAT (S.) et SCHEINGOLD (S.), Cause Lawyering and the State
in a Global Era, Oxford, New York, Oxford University Press,
coll. « Oxford Socio-Legal Studies », 2001, p. 334.
[27] Voir notamment SNOW (D.) and BENFORD (D.),
« Ideology, Frame Resonance and Participant Mobilization »,
International Social Movement Research, 1, 1988, pp. 197-217.
Pour une présentation et une discussion des théories du cadre et
du cadrage, voir CÉFAÏ (D.) et TROM (D.) (dir.), « Les formes
de l'action collective. Mobilisations dans des arènes publiques.
Raisons Pratiques n°12, Éditions de l'École des Hautes Études en
Sciences Sociales, décembre 2001.
[28] Mouvement d'Action Judiciaire (voir infra.).
[29] Compte-rendu de la réunion du 6 septembre 1972.
[30] Le premier cahier de permanence juridique
est présenté et retranscrit par ARTIÈRES (P.), « Fragments
du singulier, archives du collectif », in « Immigration :
trente ans de combat par le droit », op. cit.
[31] Compte-rendu de la réunion 4 janvier 1973.
[32] Jean-Jacques de Felice a insisté sur l'importance
de ces réflexions dans sa pratique de l'époque (entretien, 14 janvier
2002). Le mouvement dit des « boutiques de droit » a eu
beaucoup d'importance dans les années 70-80, notamment en Belgique
comme en témoignent les nombreuses « boutiques » existant
aujourd'hui. À Lyon, sous l'impulsion d'avocats progressistes comme
Ugo Ianucci, la première boutique de droit fut inaugurée en 1980.
Une seconde boutique a ouvert depuis à Vénissieux.
[33] Voir BUCHANAN (R.) et TRUBECK (L.), « Resistance
and Possibilities : A Critical and Practical Look at Public
Interest Lawyering, New York University Review of Law and Social
Change, 19, 1992 ; cité dans l'article de TRUBECK (L.) et KRANSBERGER
(E.), « Critical Lawyers : Social Justice and the Structures
of Private Practice », in Cause Lawyering, Political Commitment
and Professional Responsabilities, Oxford, New York, Oxford
University Press, coll. « Oxford Socio-Legal Studies »,
1998.
[34] Intervention de B., journée histoire et Mémoire du GISTI.
[35] ZANCARINI-FOURNEL (M.), « La question
immigrée après 68 », in « Immigration : Trente ans
de combat pour le droit », Plein Droit, op. cit.
[36] Associations de solidarité avec les travailleurs
immigrés. Sur les ASTI(s), voir LECHIEN (M.-H.), « Des militants
de la "cause immigrée". Pratiques de solidarité
et sens privé de l'engagement », Genèses n° 50,
mars 2003.
[37] Qui à l'époque accueille également dans ses
locaux les réunions du GISTI.
[38] COLLECTIF D'ALPHABÉTISATION, GROUPE D'INFORMATION
ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS (GISTI), Le petit livre
juridique des travailleurs immigrés, Paris, FM/Petite Collection
Maspero, 1974.
[39] Reproduction de l'Introduction dans « Immigration :
trente ans de combat par le droit », op. cit., p. 8.
[40] François Maspero, Les abeilles et la guêpe,
collection Fiction & Cie, Paris, Seuil, 2002, p. 220.
[41] Pour situer dans l'ensemble de ces
publications Le petit livre juridique des travailleurs immigrés,
on peut citer par exemple, dans la même collection, Les polices
de la Nouvelles Société, de Claude Angeli et René Backmann,
publié en 1971. Cet ouvrage visait à démontrer « ce que vaut
la police et ce qu'elle est », à partir d'une analyse tant
organisationnelle que politique de l'institution policière. En conclusion,
ce livre contenait lui aussi des conseils pratiques adressés aux
militants, puisque son chapitre six intitulé « Ce qu'il faut
savoir » rappelait en quelques pages quelles étaient les conditions
légales de la garde à vue ou de la perquisition, mais aussi comment
déposer un recours « si vous estimez être victime d'un abus
d'autorité ».
[42] Présentée dans son ouvrage WILLARD (M.),
La Défense accuse, Éditions Sociales 1938 [pour la première
édition]. Sur cette question, voir ISRAËL (L.) et ELBAZ (S.), « L'invention
du droit comme arme politique dans le communisme français :
l'Association Juridique Internationale (1929-1939) », article
à paraître dans la revue XXème siècle.
[43] BOURDIEU (P.), « La force du droit »,
op.cit., p. 17.
[45] AGRIKOLIANSKY (E.), La Ligue française des droits
de l'homme et du citoyen depuis 1945. Sociologie d'un engagement
civique, L'Harmattan, 2002, p. 291.
[46] CHEVALLIER (J.), « Les interprètes du droit »,
in La doctrine juridique, CURAPP-CHDRIP, Éditions PUF, Paris,
1993. p 259.
[47] Sur la trajectoire de Jean-Jacques de Felice, voir mon
article : ISRAËL (L.), « Deux Parcours d'avocats »
Plein Droit, op. cit..
[48] « Qu'est ce que le MAJ ? », Présentation
du Premier Congrès du MAJ dans m.a.j. informations, inséré
dans le numéro de mars-avril 1975 de la revue Actes.
[49] « D'où vient le MAJ ? », idem, p. 21-22.
On retrouve ici la proximité avec le mouvement des « boutiques
de droit » évoqué plus haut.
[50] « Quel MAJ », idem, p. 22.
[52] Journée Histoire et Mémoire du GISTI, témoignage
Me M.
[53] Entretien avec C. Bourguet, 17 janvier 2002.
[54] Sur les luttes des foyers, voir l'article
de GALANO (M.), « Une lutte exemplaire », in « Immigration,
Trente ans de combat par le droit », op. cit.
[55] Comme le souligne C. Bourguet : « J'ai
toujours participé aux négociations en tant qu'avocat. Le GISTI
n'a jamais, à ma connaissance, participé aux négociations en tant
que négociateur. Le GISTI assistait les membres du Comité de Coordination,
comme moi ». Entretien du 17 janvier 2002.
[56] Cette remarque a été confirmée par les témoignages collectés
lors de la journée organisée par le GISTI sur les mouvements de
grève de la faim des demandeurs d'asile, en particulier turcs, dans
les années 80-90.
[57] Ancien aumônier des prisons qui avait rencontré dans
ce cadre les leaders du FLN à Fresnes, permanent de la CIMADE travaillant
au service migrant, participe aux réunions du GISTI dès les touts
débuts puis rejoint institutionnellement le GISTI au terme d'une
crise avec la CIMADE (relative à l'activité du secteur migrant dans
les bidonvilles).
[58] Le terme est cité dans LATOUR (B.), La
fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d'État, La Découverte,
2002.
[59] Fiche d'information n°1. Janvier 1974. GISTI.
Commission Droit du Travail. « La rupture du Contrat de
Travail ». 5 pages dactylographiées.
[60] Datées respectivement du 24 janvier et 23 juillet 72.
[61] Alors avocat aux Conseils.
[62] Sans doute parce que l'association n'avait
pas encore officiellement déposé ses statuts.
[64] Témoignage de F3, journée Histoire et Mémoire
du GISTI.
[65] Témoignage de F2, journée Histoire et Mémoire du GISTI.
[66] Témoignage d'un professeur de droit, Journée Histoire
et Mémoire du GISTI.
[67] L'une des fondatrices participait au groupe des
« experts en politique sociale » sur lesquels vont s'appuyer
les socialistes lors de leur arrivée au pouvoir, comprenant de « jeunes
énarques qui avaient créé une section CFDT à l'ENA » et plus
largement des membres qui avaient déjà une bonne expérience de la
haute administration, particulièrement dans le domaine des politiques
sociales. Leur influence fut néanmoins remise en cause avec l'échec
de la politique de relance et le succès des idées néo-libérales.
Voir Bruno Jobert et Bruno Théret, « France : la consécration
républicaine du néo-libéralisme », in Bruno Jobert (sous la
dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, collection Logiques
Politiques, Éditions l'Harmattan, Paris, 1994.
[68]
Cette rupture apparut nettement lors de la journée Histoire et Mémoire,
à travers l'évocation de ceux qui étaient « partis » en
1981 et l'allusion au fait que, malgré leurs sollicitations, le
GISTI se refusa à adopter une posture de proposition, l'association
critiquant dès 1981 une circulaire Deferre rappelant la fermeture
des frontières en la qualifiant de « circulaire Bonnet-bis ».
Il faudrait développer davantage que ne le permettent les bornes
chronologiques et la problématique choisies pour cet article la
question du tournant de 1981 du point de vue du GISTI et d'autres
associations critiques issues de la mouvance post-68 et fondées
sur une expertise engagée de gauche ou d'extrême gauche.
[69] C. Bourguet souligna durant la journée « Histoire
et Mémoire du GISTI » que le premier dépôt de plainte pour
prix illicites effectué par des résidents de foyers a été rendu
possible grâce à l'aide d'un magistrat membre du syndicat de la
Magistrature qui les aida à déposer plainte... puis s'en saisit !
[70] DOTAN (Y.), « The Global Language of Human Rights.
Patterns of Cooperation between State Lawyers and Civil Rights Lawyers
in Israel », Cause Lawyering and the State..., op. cit.
[71] Entretien avec J.-J. de Felice, 14 janvier 2002.
[72] Témoignage de F2, Journée Histoire et Mémoire du GISTI.
[73] Et souvent invoqués pour justifier la prise de position
de 1997 en faveur de l'abolition des frontières.
[74] Sur ces questions, voir le symposium « Lawyering
under Repressive State », Law and Social Inquiry volume
20, number 2, spring 1995, et tout particulièrement son introduction,
ELLMAN (S.), « Struggle and Legitimation »
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est téléchargeable ici.
La revue Politix, dans laquelle a été
publié cet article (volume 16, n° 62/2003)
est en vente sur le site web des éditions
Lavoisier
Dernière mise à jour :
5-11-2003 14:52
.
Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2003/politix/index.html
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