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Plein Droit
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Plein Droit n° 63,
décembre 2004 Contre les exilés, dissuasion toute !Jean-Pierre Alaux Les « exilés » sont ces étrangers aux nationalités variables selon les crises, que la France a tenté de cacher dans le camp de Sangatte en 1999 avant de le supprimer en 2002 parce qu'il était devenu trop visible. Objets de toutes sortes d'illégalités, ils errent dans l'Europe entière. Paris est devenu l'une de leurs étapes. « Pourquoi avoir choisi la France pour me protéger ? Parce que, chez moi, je connaissais depuis tout petit une chanson française qui dit « Douce France ». J'avais dans l'idée que ce devait être mieux qu'ailleurs », explique un réfugié kurde d'Irak qui a vécu à la rue pendant deux ans, faute d'une domiciliation, après que le statut lui a été reconnu par l'Ofpra. De quoi incriminer Charles Trénet, fût-ce à titre posthume, pour aide à l'entrée irrégulière sur le territoire national. Peut-être parce qu'ils viennent de loin, d'une région du monde où elle a peu d'influence, où elle est mal connue, les exilés d'Afgha-nistan, du Kurdistan irakien, d'Iran ont surtout reçu de l'Europe des images d'Epinal. Ils y arrivent sans trop savoir quels sont les pays qui la composent, ni quelle sera leur destination finale [1], et avec tant d'illusions qu'aussitôt la première frontière franchie, ils déchoient de haut. Dans leurs rêves, cette Europe est aux antipodes du pays qu'ils ont quitté : hospitalière et respectueuse du droit des gens, ils estiment pouvoir y trouver protection, paix et avenir stable ; riche, ils en attendent un mieux-être ; moderne, urbaine, informatisée, saturée de voitures, ils espèrent y devenir consommateurs et s'y abriter souvent de certaines des traditions qui leur pèsent. Tout cela à la fois, dans des proportions variables selon les individus et leur histoire. Deux ans après la fermeture du camp de Sangatte, ces exilés sont de deux à trois cents en permanence de passage dans le Calaisis et autant en transit à Paris, à proximité des gares du Nord et de l'Est. En flux annuel, on peut donc en estimer le nombre à plusieurs milliers, n'en déplaise au ministre français de l'intérieur, Dominique de Villepin qui, pour les besoins de sa cause, affirme que « le nombre de clandestins dans le Calaisis a été divisé par vingt en deux ans » [2]. Méconnaisance et illusions rendent ces jeunes migrants 25 ans sans doute de moyenne d'âge, avec une forte proportion de mineurs particulièrement vulnérables aux mauvaises surprises. Et, sur ce plan, ils sont gâtés par les administrations et les polices des États membres de l'Union européenne, à commencer par celles de la France. Du temps de Sangatte et avant, il était de bon ton d'affirmer que les exilés ne voulaient à aucun prix demeurer en France. Pour en être tout à fait sûr, on avait tout de même pris la précaution de bâtir autour d'eux un no man's land administratif : sous-préfecture de Calais incompétente en matière d'enregistrement des demandes d'asile, ce qui imposait aux postulants d'aller à Arras située à 120 kilomètres ; raréfaction maximale de l'information, au point qu'une plaquette associative d'explication de l'asile fut interdite de distribution dans le camp en 2001. Aujourd'hui, Calais vit une situation voisine : la sous-préfecture ne peut toujours pas enregistrer les demandes d'asile de la plupart des nationalités dont les ressortissants errent dans les rues, et, en violation de la loi [3], la police impose aux exilés qui veulent s'adresser à l'Ofpra d'aller engager leur démarche hors du Pas-de-Calais, dans des départements parfois fort éloignés, en les munissant de laissez-passer impératifs de quelques jours à destination d'une préfecture nommément désignée [4]. On imagine quelles conséquences ces mesures peuvent avoir sur les exilés : à la grande satisfaction de la France, ils s'enfuient pour la plupart en Belgique, en Hollande, en Norvège, en Angleterre ou ailleurs. Mesures d'éloignement
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Piégé par l'EuropeAN est aghan. Arrivé en France en avril 2003. Décontenancé par la découverte de sa condamnation à vivre un certain temps au moins à la rue, il décide de tenter ses chances en Angleterre où, selon des passeurs, la situation est moins mauvaise. Il gagne donc aussitôt Calais par le train, où il fait l'objet d'un contrôle d'identité. La préfecture du Pas-de-Calais lui notifie un arrêté de reconduite à la frontière (APRF). Au terme de dix jours d'enfermement au centre de rétention de Coquelle, il est remis en liberté. La police lui commande alors de se rendre à Paris pour y solliciter l'asile. Dès son arrivée dans la capitale, AN tente à plusieurs reprises d'accéder au centre de réception des étrangers (CRE) de la préfecture de police de Paris. Après quelques nuits de vaine attente, il réussit à y entrer pour apprendre que, en raison de son APRF, on ne lui délivrera pas d'autorisation de séjour et que, tout au long de la procédure d'examen de sa demande d'asile, il ne pourra ni être hébergé dans un centre d'accueil spécialisé ni percevoir d'allocation d'insertion (300 mensuels). A nouveau dépité, il décide de partir cette fois en Norvège. Il y arrive dans les premiers jours de mai 2003. Il bénéficie d'une autorisation renouvelable de séjour de six mois. Après quinze mois de tranquillité, il est « remis » aux autorités françaises. Dès son débarquement à Roissy, le 11 août 2004, la préfecture de Seine-Saint-Denis lui notifie un deuxième APRF. Connaissant le sort qui l'attend s'il demeure sur place, il repart une semaine plus tard en Norvège d'où il est renvoyé le 22 octobre 2004. A peine touche-t-il le tarmac de Roissy que la même préfecture de Seine-Saint-Denis prend contre lui un troisième APRF. AN s'interroge aujourd'hui sur l'intérêt d'une demande d'asile en France. A quoi bon, se dit-il, prendre pour rien le risque d'un rejet qui scellera définitivement son destin le jour, inévitablement proche, où l'Afghanistan sera considéré par l'Occident comme un « pays sûr » ? Ne vaut-il pas mieux, même tardivement, essayer de se faire oublier, se fondre quelque part en Europe dans la masse des sans-papiers, travailler au noir pour échapper à la clochardisation inéluctable qui l'attend s'il s'obstine à tenter l'asile ? |
« Zone de non-droit »« Force est de constater que la situation du Centre de réception des étrangers (CRE) situé 218, rue d'Aubervilliers dans le 19e arrondissement [de Paris] continue de se dégrader ». « Le CRE d'Aubervilliers est bel et bien une zone de non-droit pour les ressortissants qui s'y présentent ». C'est la CGT de la préfecture de police de Paris qui l'écrivait en mars 2004 à diverses autorités [a]. Dans la foulée, elle s'est jointe, pour la première fois, à un rassemblement de protestation devant le bâtiment organisé, le 24 mars, par quatorze associations, cinq syndicats et trois formations politiques [b]. Ce centre qui reçoit les demandeurs d'asile parisiens est, depuis des années, un haut lieu de d'irrégularité [c]. Des centaines de demandeurs font la queue des nuits entières devant ses portes avant de parvenir à y pénétrer. Au petit matin, ils sont souvent bousculés et humiliés par la police dont quelques représentants s'éclaircissent éventuellement la voix en criant « schnell ! » sur les files d'attente congelées. Certains demandeurs finissent par renoncer à leur projet ; d'autres, victimes de contrôles d'identité avant d'avoir réussi à s'engager dans la procédure, écopent d'une décision d'éloignement qui les condamne à un traitement expéditif de leur requête ou à la fuite (lire l'article « Contre les exilés, dissuasion toute ! »). À l'intérieur, un manque calculé de personnel (renforcé par un taux considérable d'arrêts-maladie), l'affectation d'agents non qualifiés et une véritable culture de l'illégalité concourent à quantité de dérives à l'égard desquelles le tribunal administratif de Paris fait preuve d'une étonnante mansuétude.
Notes[a] Lettre ouverte au président de la République, au ministre de l'intérieur, au maire de Paris et au préfet de police de Paris. [b] Act Up-Paris, Cimade, Collectif des sans-papiers kabyles de France, Collectif de soutien des exilés, Coordination nationale des sans-papiers, Droits devant !, FASTI, France Libertés, GISTI, Ligue des droits de l'homme (Fédération de Paris), Malakurd, MRAP, Union des familles laïques (UFAL), Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT) + CGT-Préfecture de police, CNT-RP (communication, culture, spectacle), SUD-Education, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM) + les Alternatifs, le PCF et les Verts [c] Dès 2000, le Gisti
dénonçait, dans un rapport
public, à propos de ce centre « Une procédure cavalière, maladroite
et illégale », Plein droit n° 46, septembre 2000. |
[1] Sur cette absence d'objectif précis qui met à mal les idées reçues, lire Smaïn Laacher, Après Sangatte... Nouvelles immigrations, nouveaux enjeux, La Dispute, 2002.
[2] « Calais, ses migrants, ses ministres », Libération, 15 novembre 2004.
[3] La loi du 25 juillet 1952 sur le droit d'asile dit (article 8) que « lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève du préfet compétent et, à Paris, du préfet de police ». Le préfet compétent, c'est celui du département dans lequel le candidat à l'asile se trouve au moment où il veut déposer sa requête.
[4] Lire la lettre du 20 novembre 2002 de la présidente du Gisti à M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur.
[5] Règlement du 18 février 2002 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. En application de ce texte, le seul pays de l'Union européenne responsable d'une demande est soit celui qui a délivré un visa, soit celui par lequel l'étranger a pénétré dans l'Union, soit le premier Etat dans lequel il a été contrôlé, lequel est tenu de déclarer ce contrôle en enregistrant les empreintes dans Eurodac. Les autres Etats lui renvoient cet étranger s'ils le découvrent sur leur territoire.
[6] Rappelons qu'il s'agit d'une impossibilité pratique et non d'une interdiction formelle. La circulaire du 26 septembre 1991, signée par Edith Cresson, institue à l'encontre des demandeurs d'asile l'« opposabilité de la situation de l'emploi », expression euphémique qui s'efforce de cacher une préférence nationale et européenne. Mais si, à l'occasion d'une offre d'emploi, aucun candidat de l'UE ne se présente, un demandeur d'asile peut y prétendre avec succès.
[7] Allocation dite « d'insertion » de 300 par mois. A noter que, pour se mettre en conformité avec la directive 2003/9 CE du conseil du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile, un projet de décret prévoit l'extension de l'allocation d'insertion à toute la durée de la procédure.
[8] Taina Tervonen, « Eurooppa sotajalla pakolaisia vastaan» (« L'Europe en guerre contre les réfugiés »), Pakolainen (mensuel finnois), février 2004. Lisible en finnois ici.
[9] Voir « Le nombre des demandeurs d'asile continue de baisser dans les pays industrialisés, selon le HCR », ONU 4 juin 2004.
[10] D'autant que le taux des réponses positives fut de 25,4 % pour les Afghans et de 6,6 % pour les Irakiens. Voir le Rapport d'activité 2003 de l'Ofpra.
[11] Lire « Du provisoire par circulaires », Plein droit 44, décembre 1999 ; « Ces circulaires qui ne tournent pas rond », Plein droit 28, septembre 1995.
[12] Règlement n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin (Journal officiel de l'UE L 316 du 15 décembre 2000).
[13] Lire « UNHCR Position on Important Aspects of Refugee Protection in Greece », octobre 2003.
Dernière mise à jour :
11-01-2005 16:17
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