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Plein Droit
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Plein Droit n° 44, décembre
1999 Du provisoire par circulaires Claire Rodier Tout est fait, depuis une quinzaine d'années, pour éviter au maximum d'appliquer la Convention de Genève sur les réfugiés. Convention de Schengen, Convention de Dublin, jurisprudence restrictive de la Commission des recours des réfugiés et, avec la loi Chevènement du 11 mai 1998, création du très précaire « asile territorial », il s'agit de multiplier les obstacles qui permettront de ne pas accorder le statut de réfugié. L'exemple du Kosovo est, à cet égard, tout à fait significatif. Il a fallu une bonne quinzaine de notes, télégrammes, circulaires et instructions pour définir un statut « spécial Kosovars » alors qu'on pouvait penser que la loi française sur l'asile répondait parfaitement à la situation.
La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés fait un peu penser à cette argenterie de famille qu'on ne sort avec précaution de son écrin que dans les grandes occasions, de crainte qu'une utilisation trop fréquente ne la ternisse. Depuis une quinzaine d'années, tout est fait, en France, pour ne pas trop l'user. On commence par empêcher les candidats à l'asile d'accéder aux frontières : sans en être officiellement le but, c'est, depuis la Convention de Schengen et la loi du 26 février 1992, la conséquence des amendes imposées aux compagnies de transport responsables d'avoir convoyé des étrangers qui pourraient, une fois arrivés en Europe, se révéler demandeurs d'asile. S'ils parviennent à franchir cet obstacle, on cherche à éviter d'avoir à examiner leur requête. La Convention de Dublin, combinée avec des accords de réadmission vers certains pays considérés comme « sûrs », permet de les renvoyer en gardant la conscience tranquille. Quand ils réussissent, malgré tout, à déposer une demande d'asile devant l'OFPRA [1], les demandeurs d'asile sont le plus souvent placés en situation d'accusés ayant à prouver qu'ils ne sont pas fraudeurs, qu'ils ont bien subi les persécutions qu'ils allèguent. Faute de quoi, le statut de réfugié leur sera refusé. Même si, à l'issue de ce parcours du combattant, il se révèle difficile de nier la véracité de leurs dires, il reste encore, pour rejeter leur requête, l'astuce de l'« agent de persécution » : dans une interprétation très restrictive de la Convention de Genève, la Commission des recours des réfugiés estime, avec des hésitations conjoncturelles, que ne répond à la définition du réfugié que la personne menacée de persécutions par les autorités étatiques ou, à tout le moins, lorsque l'auteur des menaces est une entité distincte de l'État, si celui-ci ne s'y oppose pas. C'est d'ailleurs en s'appuyant sur cette interprétation que Jean-Pierre Chevènement a expliqué l'officialisation de l'asile territorial par la réforme, votée en mai 1998, de la législation sur les étrangers et de la loi sur l'asile : il s'agit de la « protection accordée par la France sous forme d'admission exceptionnelle au séjour, sur décision du ministre de l'intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères, à un étranger dont la vie et la liberté sont menacées dans son pays [...] lorsque ces menaces ou ces risques émanent de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques de ce pays ». Le ministre de l'intérieur ajoute, dans sa circulaire du 25 juin 1998 sur l'asile territorial dont cette définition constitue le préambule, que « cette notion est donc distincte de la notion de reconnaissance de la qualité de réfugié par l'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés ». Outre la référence contestable [2] à l'auteur des menaces, on retient de cette définition ministérielle, que l'asile territorial est accordé « sous forme d'admission exceptionnelle au séjour ». Que faut-il comprendre par « exceptionnelle » ? Si la formule signifie qu'il s'agit d'une procédure permettant de déroger à toutes les règles habituelles, les ingrédients sont effectivement réunis : l'asile territorial est accordé de façon discrétionnaire, sous la seule responsabilité du ministre chargé de la police des étrangers ; celui-ci n'a pas à motiver ses décisions, et elles ne sont pas susceptibles de recours suspensif. Si « admission exceptionnelle » veut dire statut précaire, c'est aussi le cas : l'étranger à qui est octroyé l'asile territorial reçoit une carte de séjour temporaire d'une validité d'un an, dont le renouvellement dépend du bon vouloir du ministre de l'intérieur. On est très loin du statut reconnu au réfugié « conventionnel » (par référence à la Convention de Genève), qui a droit à une carte de résident de dix ans, automatiquement renouvelable même s'il perd ou renonce à sa qualité. Si, enfin, le ministre de l'intérieur voulait faire savoir qu'il ne serait fait que très parcimonieusement usage de l'asile territorial, la suite a démontré que la procédure était bien « exceptionnelle » à cet égard aussi, vu le petit nombre de bénéficiaires. Décidément, il n'est pas question, en institutionnalisant ce sous-statut, d'offrir une bouée de sauvetage aux déboutés de l'asile « conventionnel ». L'un et l'autre statuts se révèlent aussi difficiles à obtenir, tant l'administration française est prompte à voir dans tout étranger un fraudeur. Et la loi toute neuve sur l'asile territorial n'est pas destinée à servir plus que la vieille Convention de Genève.
Un cas d'écoleTel était le constat que l'on pouvait faire, presque un an après la réforme de la loi sur l'asile, lorsque éclata la crise des Balkans ou plutôt lorsqu'elle devint, au printemps 1999, visible aux yeux des Occidentaux à la suite de l'intervention de l'OTAN. Soudain, l'épuration ethnique dont étaient victimes les Albanais du Kosovo - dont certains, arrivés jusqu'en France au cours des mois précédents, avaient été, sans que personne ne s'en émeuve, déboutés par l'OFPRA et la Commission des recours - fut révélée à l'opinion, qui ne douta pas que l'exode massif auquel ils étaient contraints faisait d'eux des réfugiés.Car c'est bien de réfugiés que lui parlait quotidiennement la presse, c'est bien le Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) qui se mobilisa pour eux, ce sont bien des camps de réfugiés qui furent édifiés à la hâte en Macédoine, en Albanie et au Monténégro. Presque un cas d'école, donc. La France avait enfin l'occasion de se servir de sa loi sur l'asile récemment réformée et de faire honneur à sa réputation de terre d'accueil. L'intense couverture médiatique du conflit, sa proximité géographique, l'assuraient en outre du soutien d'une population souvent plutôt indifférente au sort des victimes des guerres, surtout lorsque les guerres sont lointaines et les victimes non européennes [3]. C'était compter sans l'attitude naturellement ambiguë du gouvernement français - quelle que soit sa couleur politique - lorsqu'il est question d'immigration ou d'asile. Au prétexte de ne pas donner l'impression d'accepter « le fait accompli des déportations perpétrées par les Serbes », le premier ministre déclarait dans un premier temps qu'il n'était pas question pour la France d'accueillir en nombre les Albanais du Kosovo, et qu'il était bien préférable pour ceux-ci de rester dans les pays limitrophes, afin de pouvoir retourner dès que possible chez eux. Attitude de fermeté approuvée par l'opposition parlementaire [4]. Les Kosovars qui s'entassaient dans des camps insalubres et sous-équipés ont sans doute moins apprécié cette sollicitude, traduite en langage administratif par un télégramme diplomatique du 26 mars enjoignant aux consulats français « la plus grande prudence dans la délivrance de visas à des ressortissants yougoslaves ayant quitté la Yougoslavie depuis le début du déclenchement des opérations militaires alliées », et leur recommandant de se montrer particulièrement attentifs « aux considérations d'ordre public et au risque migratoire élevé » [...].
Une procédure
Devant la multiplication des manifestations de solidarité (un numéro
vert mis en place pour recevoir les appels de candidats à l'accueil
de Kosovars aurait enregistré près de 450 000 coups
de téléphone en neuf jours), le gouvernement a rapidement
dû changer de ton et annoncer à la mi-avril que la France
était finalement disposée à ouvrir ses portes aux
réfugiés. Mais pas trop : entre 5 000 et
10 000, prévoit Bernard Kouchner, alors secrétaire
d'État à la santé. Fin mai, la France en avait accueilli
3 500 (à la même époque, il y avait 12 000
réfugiés en Allemagne, 7 500 en Turquie et 745 000
en Albanie).
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