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Plein Droit n° 62,
octobre 2004
« Expulser » Éloigner,
une tâche comme une autre
Danièle Lochak
Professeur de droit public à lUniversité
de Paris X-Nanterre
Au cours des dix dernières années, une
dizaine de circulaires (connues) émanant du ministre de lintérieur
et parfois du ministre de la justice ont été consacrées
à lamélioration du taux dexécution
des mesures déloignement. Destinées à apporter
une réponse concrète aux principales difficultés
rencontrées par ladministration, ces circulaires traduisent
aussi la bureaucratisation et la routinisation progressive des tâches
déloignement. Totalement silencieuses sur le déroulement
de léloignement, sur lusage de la force, sur le recours
aux charters, elles donnent de la réalité une vision désincarnée.
On sait toute lénergie que les ministres de lintérieur
successifs ont dépensée pour mettre en place un dispositif
juridique efficace permettant déloigner les étrangers
en situation irrégulière : possibilités sans
cesse accrues de procéder à des contrôles didentité,
multiplication des hypothèses de reconduite à la frontière
par le préfet, sévérité croissante des peines
sanctionnant la tentative de se soustraire à une mesure déloignement,
allongement de la durée de la rétention, diminution des
pouvoirs du juge, etc.
Malgré larsenal législatif, administratif et judiciaire
déployé, le taux dexécution des mesures déloignement
reste désespérément bas. Daprès les
statistiques du ministère de lintérieur, en 2002,
sur 55 700 mesures déloignement, 21 100 seulement
ont été exécutées. Ces chiffres globaux
sont du reste trompeurs puisquils amalgament des taux dexécution
très variables selon la nature des mesures, allant de 97 %
pour les réadmissions à
0 % pour les arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF)
notifiés par voie postale. Entre les deux, le taux dexécution
des mesures dexpulsion sétablit à 68 %,
celui des interdictions du territoire français (ITF) à
60 %, celui des reconduites à la frontière sur interpellation
à 41 %. Les motifs déchec les plus fréquents
sont que létranger reste introuvable ou quil est
démuni de documents de voyage [1].
Pour remobiliser ses troupes et pour convaincre lopinion de lefficacité
de la politique menée contre limmigration irrégulière,
le ministre de lintérieur a décidé de dresser
désormais, à intervalles réguliers, le bilan chiffré
des mesures déloignement. On apprend ainsi quau cours
des neuf premiers mois de 2003, le nombre détrangers reconduits
a augmenté de 12,9 % par rapport à la même
période de 2002, la progression étant de 18 % sur
le seul mois de septembre, de 21,5 % pour le mois doctobre.
En 2004, la progression est de 39,47 % pour février, de
45 % pour les trois premiers mois de lannée.
Le discours du ministre, à la réunion des préfets
le 26 septembre 2003, largement reproduit dans la presse, entend
adresser un message clair un « signal fort »,
selon la formule désormais consacrée à la
fois aux fonctionnaires et à lopinion : « vous
devez, sans attendre la nouvelle loi, augmenter les reconduites. Des
objectifs chiffrés vous seront fixés, sachant que lobjectif
national est de multiplier par deux, à court terme, le nombre
de reconduites. À vous de prendre rapidement linitiative
dagir. [
] Dans tous les cas, nous devons exclure
que des procédures déloignements échouent
par carence de ladministration, y compris des préfectures
pendant le week-end. Je vous demande de mettre en place dans vos préfectures
une permanence du service des étrangers qui soit vraiment opérationnelle ».
Dans la foulée intervient la circulaire du 22 octobre 2003
sur lamélioration de lexécution des mesures
de reconduite à la frontière, alors que la loi Sarkozy
est encore en cours de discussion, et qui vise à mettre en uvre
lobjectif de multiplier par deux le nombre de mesures déloignement.
À vrai dire, la préoccupation nest
pas nouvelle. Si on se limite aux dix dernières années,
un inventaire très incomplet car ne prenant en compte
que les circulaires qui ne sont pas restées strictement confidentielles
on compte une dizaine de circulaires, soit en moyenne une par
an, émanant du ministre de lintérieur et parfois
du ministre de la justice, qui sont exclusivement ou essentiellement
tournées vers la préoccupation daméliorer
le taux dexécution des mesures déloignement
(voir liste).
La lecture de ces circulaires est instructive à plusieurs égards.
De façon générale, on y lit la bureaucratisation
et la routini-sation progressive des tâches déloignement :
ainsi, dix ans après la création dun Bureau de léloignement
chargé de centraliser la recherche et la réservation de
places davion ou de bateau (circulaire du 4 février
1994), le ministre annonce, en 2003, la création dun Centre
national danimation et de ressources qui doit offrir un appui
juridique et opérationnel et pourra être interrogé,
en cas de difficulté, par les services locaux. À travers
ces circulaires, on voit aussi quelles sont, aux yeux de ladministration,
les principales difficultés à surmonter, dont quatre apparaissent
de façon récurrente : la disponibilité des
moyens de transport, les escortes, lidentification des étrangers,
lobtention de laissez-passer consulaires.
Dès 1994, on la dit, a été mis en place
un Bureau de léloignement au sein du service central de
la PAF, de façon à décharger les préfectures
des problèmes de réservation de places. Il agit comme
une véritable agence de voyages, qui doit toutefois respecter
des priorités lorsque, en raison des quotas fixés par
les compagnies, les places disponibles sont en nombre insuffisant :
les expulsés ont la préséance sur les interdits
judiciaires du territoire, qui ont eux-mêmes préséance
sur les étrangers en séjour irrégulier (circulaire
du 4 février 1994). Il est fait allusion à lexistence
d« arrangements » avec les compagnies pour
déterminer les modalités pratiques déloignement :
nombre détrangers embarqués (quotas), escortes,
etc., et on apprend par exemple quAir France aurait accepté
un dépassement des quotas à la condition que les intéressés
en surnombre soient accompagnés par une escorte.
Un an plus tard (circulaire du 16 mai 1995), le ministre constate
que « les premiers mois de fonctionnement du Bureau de
léloignement ont mis en évidence la persistance
de nombreuses difficultés » qui entravent lefficacité
du dispositif mis en place. Il insiste donc à nouveau sur la
nécessité de saisir le plus tôt possible le Bureau
pour surmonter les difficultés qui proviennent de la fixation
de quotas sur les vols de certaines compagnies et de la sur-occupation
des vols pendant les périodes de vacances. Il est également
suggéré aux préfectures de choisir la voie maritime
pour les étrangers récalcitrants, dautant que son
coût est généralement moins élevé
(voir article « Retour par bateau : embarquement assuré »).
De longs développements sont consacrés à la question
des escortes, imposées ou non par les compagnies en fonction
de la « catégorie » à laquelle appartient
létranger : lannexe à la circulaire du
4 février 1994 définit les cinq catégories
détrangers susceptibles dêtre éloignés
par voie aérienne : les « incondex »
(pour : inculpés, condamnés ou extradés) ;
les expulsés ; les reconduits de 2e catégorie, qui
font lobjet dune interdiction du territoire pour un motif
autre que le séjour irrégulier ; les reconduits de
1re catégorie qui font lobjet dun APRF ou dune
ITF pour séjour irrégulier ; les non admis). La circulaire
rappelle quaucune escorte nest requise pour les reconduits
dits de 1re catégorie, et que les compagnies aériennes
admettent que les reconduits de 2e catégorie et les expulsés
peuvent ne pas être systématiquement escortés. Toutefois,
une escorte est requise si les personnes sont « réfractaires »
à leur éloignement ou susceptibles davoir un comportement
violent, ou encore en cas de dépassement des quotas [2].
La question des escortes est décidément un point sensible,
puisque la circulaire du 16 mai 1995, un an plus tard, y revient
longuement. Le ministre indique que si laccroissement du nombre
des escortes jusquau pays de destination a contribué à
la progression très sensible du nombre des départs effectifs,
cette possibilité doit néanmoins être utilisée
avec discernement en raison de son coût élevé et
des contraintes quelle fait peser sur les « services
fournisseurs de personnel descorte » ; elle
ne doit donc être décidée que dans des hypothèses
précises : pour prévenir un refus dembarquement
« dun étranger violent ou ayant déjà
fait lobjet dune tentative infructueuse déloignement »,
à la demande expresse du transporteur, notamment en cas de dépassement
de quota, pour répondre aux exigences dune autorité
étrangère, notamment en raison dun transit par un
pays tiers.
On sent bien que les escortes posent un problème de gestion
et que les services sont réticents à mobiliser leurs hommes
à cette fin. La circulaire relève par exemple que « les
préfectures annulent parfois des demandes de reconduite à
la frontière lorsque le Bureau éloignement propose la
voie maritime, considérant que cette dernière mobilise
les fonctionnaires descorte durant une trop longue durée ».
Le ministre rappelle toutefois quil a été porté
remède à cet inconvénient puisque, « conformément
à la circulaire interministérielle du 1er juillet
1986, les escortes ont la possibilité de remettre les étrangers
reconduits au centre de rétention dArenc ou de Sète,
et ce sont les personnels de ces centres qui procéderont à
lembarquement, permettant ainsi le retour de lescorte dans
les meilleurs délais ».
Le ministre déplore également que les non présentations
au port ou à laéroport pour défaut descorte
soient beaucoup trop fréquentes, débouchant sur une libération
préjudiciable à la sécurité publique et
de nature à démotiver les forces de police et de gendarmerie
qui ont ainsi le sentiment que tout le travail effectué en amont
na servi à rien. Il importe donc, dit-il, que les personnels
descorte assurent la garde de léloigné jusquau
départ du vol ou du navire.
Identifier les étrangers
Plusieurs circulaires se préoccupent, à propos des étrangers
détenus, de remédier à « une insuffisante
coordination entre les établissements pénitentiaires et
les préfectures pour la préparation de léloignement
des étrangers qui ont fait lobjet dune mesure dexpulsion,
dITF ou dun APRF ». Partant du constat que
le temps de détention nest quasiment jamais utilisé
pour procéder à lidentification de létranger
sans papiers, le ministre de lintérieur demande aux services
des préfectures de repérer systématiquement les
étrangers écroués dans les établissements
du département qui sont susceptibles de faire lobjet dune
expulsion ou qui sont en situation irrégulière, et dentrer
en contact avec le greffe de la prison pour identifier les étrangers,
en utilisant tous les indices tels que cartes de sécurité
sociale, permis de conduire, mais aussi audition des étrangers
par des spécialistes des dialectes afin de discerner leur origine
géographique (circulaire du 10 mars 1994).
Cette préoccupation trouve un écho du côté
du ministre de la justice qui, dans une circulaire du 26 septembre
1995 adressée aux Parquets, insiste lui aussi sur la nécessité
dune coordination entre préfectures et établissements
pénitentiaires. Mieux encore : constatant que le délai
de rétention est insuffisant pour reconstituer lidentité
et lorigine de létranger, et que cest là
la cause du faible taux de reconduites à la frontière
exécutées, le ministre invite les procureurs à
poursuivre sur le fondement de larticle 19 de lordonnance
de 1945 [3] et à requérir une peine demprisonnement
ferme plutôt que de recourir à la procédure de reconduite,
le temps demprisonnement étant mis à profit pour
mener à bien la procédure didentification des intéressés.
Dans cette perspective ont été créées (circulaire
interministérielle du 27 octobre 1995) des cellules régionales
de coordination et de suivi des étrangers incarcérés
pour permettre la signalisation systématique des personnes sans
titre didentité. Ont également été
signés, en application de la circulaire conjointe justice/intérieur
du 18 mai 1999, des protocoles entre le préfet, le procureur
de la République et le directeur régional des services
pénitentiaires, toujours dans le but de permettre que la durée
de détention soit mise à profit pour établir la
nationalité et lidentité du détenu.
Ces recommandations sont réitérées et complétées
à plusieurs reprises : côté Intérieur,
la circulaire du 22 octobre 2003 rappelle la nécessité
dappliquer les protocoles prévus par la circulaire précédente ;
côté Justice, la circulaire du 21 janvier 2004 demande
aux services de ladministration pénitentiaire de renforcer
la coopération avec les services responsables de la police des
étrangers, notamment en signant des protocoles dans les départements
où il nen existe pas encore, et leur rappelle leurs obligations :
information de la préfecture dès lincarcération
dun étranger, communication des pièces et documents
comprenant des éléments didentification et de nationalité,
y compris originaux des documents didentité ou de voyage
conservés par les services pénitentiaires, afin que les
préfectures en vérifient lauthenticité, signalement
de la date délargissement des détenus étrangers.
Lobtention de laissez-passer consulaires
Labsence de document transfrontière constitue une des
principales causes déchec de la mise en uvre des
décisions déloignement. Le ministre rappelle donc
la nécessité détablir « des
relations suivies avec les autorités consulaires »
en saisissant « toute occasion de les renforcer »,
et dengager le plus tôt possible les procédures de
reconnaissance (voir article « Le
poids des consulats »), notamment pour les étrangers
détenus (circulaire du 16 avril 2002). Dans le cadre du
renforcement de laide à apporter aux préfectures,
la circulaire du 22 octobre 2003 annonce la création dune
cellule centrale opérationnelle déloignement qui
jouera le rôle dintermédiaire entre les préfectures
et les consulats en vue daméliorer le taux de délivrance
des laissez-passer consulaires, notamment avec certains consulats réputés
peu coopératifs.
Au-delà de ces points qui reviennent de façon récurrente,
on trouve aussi dans les circulaires des détails presque cocasses
portant sur des questions dintendance, telles la recommandation
aux personnels descortes de se munir des titres de voyage et des
visas nécessaires et de se faire vacciner (circulaire du 4 février
1994) ou lincitation à résoudre la question
des bagages des étrangers reconduits qui doivent « être
impérativement mis à la disposition de léloigné
le jour de lembarquement », moins par souci du
bien-être ou des droits de lintéressé que
par souci defficacité, puisque labsence des bagages
est très fréquemment invoquée lors des refus dembarquement,
et que les parquets prescrivent alors le plus souvent la mise en liberté
(circulaire du 16 mai 1995).
Des actes de discours
Il ne faut pas oublier, toutefois, quau-delà de leur contenu
explicite et de leur fonction opérationnelle, les circulaires
sont aussi des actes de discours. Dabord en ce quelles sinscrivent
dans une stratégie discursive et quelles visent, comme
on la relevé, à remobiliser les fonctionnaires des
préfectures ou de la police et de la gendarmerie ou à
frapper lopinion publique, lorsquelles saccompagnent
dune médiatisation adéquate (voir la circulaire
Chevènement du 11 octobre 1999 ou la dernière circulaire
Sarkozy).
Discours aussi en ce quelles ne nous renseignent
pas sur la réalité des pratiques, sauf en creux, dans
la mise en lumière des dysfonctionnements constatés et
auxquels elles tentent de remédier. Elles restent en particulier
étrangement silencieuses sur deux aspects capitaux de la pratique
de léloignement : lusage de la force, dune
part, le recours aux charters, de lautre (bien que les statistiques
officielles mentionnent désormais le nombre de personnes éloignées
« au moyen de vols groupés, organisés dans
des conditions commerciales normales »). Ce « blanc »
pudique contraste avec la franchise des textes adoptés au niveau
européen : on pense notamment à lannexe très
détaillée « sur les mesures de sécurité
à prendre pour les opérations communes déloignement
par voie aérienne » [4] qui accompagne la décision
du Conseil relative à lorganisation de charters, adoptée
en juin 2004 ; ou encore aux normes du CPT (Comité
pour la prévention de la torture) qui a consacré une partie
de son rapport pour 2003 à la question de léloignement
par voie aérienne, notamment sous langle de lusage
de la force.
Comme tout discours, enfin, les circulaires donnent à voir la
réalité à travers un prisme un prisme qui,
en lespèce, gomme les aspects de cette réalité
qui pourraient choquer et anesthésie le sentiment de malaise
ou dindignation quelle pourrait susciter. Fondée
sur des lois et des décrets, détaillée par des
circulaires, mise en uvre par des structures créées
à cet effet, la politique déloignement apparaît
comme une tâche parmi dautres dune administration
bureaucratique, aussi évidente et légitime que les autres ;
la description précise et objective des procédures à
suivre, la sécheresse des chiffres, cette comptabilité
brute qui consiste à rappeler que « au cours des
deux premiers mois de 2004, par rapport à la même période
de 2003, le nombre des personnes étrangères, en situation
irrégulière en France et reconduites dans leurs pays,
a augmenté de 37,84 % » [5] finit par faire oublier que cest dhommes,
de femmes, denfants quil sagit.
1. Circulaire du ministre de lintérieur du 4 février
1994 : « Moyens de transport pour léloignement
des étrangers. Éloignement par voie aérienne,
maritime et terrestre pour toute destination ».
2. Circulaire du ministre de lintérieur du 10 mars
1994 relative à léloignement des étrangers
en situation irrégulière.
3. Circulaire du ministre de lintérieur du 16 mai
1995 : « Préparation de lexécution
des mesures déloignement ».
4. Circulaire du ministre de la justice du 26 septembre 1995
adressée aux parquets, « concernant lautorité
judiciaire et la lutte contre limmigration clandestine ».
5. Circulaire conjointe des ministres de la justice et de lintérieur
du 18 mai 1999 : « Amélioration de la coordination
entre les établissements pénitentiaires et les services
du ministère de lintérieur pour la mise en
uvre des mesures déloignement des étrangers
du territoire français ».
6. Circulaire du ministre de lintérieur du 11 octobre
1999 concernant léloignement des étrangers
en situation irrégulière.
7. Circulaire du ministre de lintérieur du 16 avril
2002 concernant la délivrance des laissez-passer consulaires
aux étrangers à lencontre desquels est engagée
un procédure déloignement du territoire français.
8. Circulaire du ministre de lintérieur du 22 octobre
2003 : « Amélioration de lexécution
des mesures de reconduite à la frontière ».
9. Circulaire du ministre de la justice du 21 janvier 2004 :
« Amélioration de la coordination entre les
établissements pénitentiaires et les services du
ministère de lintérieur pour la mise en uvre
des mesures déloignement des étrangers du
territoire français ».
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Le Comité de prévention de la
torture (CPT), organe du Conseil de lEurope, a développé
un certain nombre de normes relatives aux personnes privées
de liberté. Dans son 13° rapport général,
publié en 2003, une partie est consacrée à
« Léloignement détrangers
par la voie aérienne ». Nous en présentons
des extraits ci-dessous.
31. Le CPT reconnaît que faire quitter le territoire dun
État à un étranger qui fait lobjet
dun ordre déloignement et qui est déterminé
à rester se révélera souvent une tâche
difficile et stressante. Il apparaît en outre clairement,
que les opérations déloignement détrangers
par la voie aérienne présentent un risque manifeste
de traitement inhumain et dégradant. [...]
33. Lune des questions cardinales qui se pose lors dune
opération déloignement est, à lévidence,
celle de lutilisation de la force et des moyens de contrainte
par les personnels descorte. Le CPT reconnaît quà
loccasion, ces personnels sont contraints de recourir à
la force et aux moyens de contrainte pour procéder avec
succès à lopération déloignement ;
toutefois, la force employée et les moyens de contrainte
utilisés devraient être limités à ce
qui est strictement nécessaire. Le CPT se félicite
que, dans certains pays, lutilisation de la force et des
moyens de contrainte lors des procédures déloignement
fasse lobjet dun examen détaillé, sous
langle des principes de légalité, de proportionnalité
et dopportunité.
34. La question de lusage de la force et des moyens de
contrainte se pose dès lopération dextraction
de létranger retenu de la cellule où il a
été placé, en attente de son éloignement.
A cet égard, les techniques utilisées par les personnels
descorte pour immobiliser une personne à laquelle
des moyens de contrainte physiques comme des menottes en
acier ou des menottes plastiques (« plastic strips »)
sont appliqués, doivent faire lobjet dune
attention particulière. Létranger retenu sera,
dans la majorité des cas, en pleine possession de ses capacités
physiques, et pourra, le cas échéant, résister
avec violence au menottage. Dans les situations où une
résistance est rencontrée, le personnel descorte
aura habituellement recours à une immobilisation totale
de létranger au sol, face contre terre, afin de lui
passer les menottes aux poignets. Le maintien de létranger
dans une telle position, qui plus est avec du personnel descorte
apposant son poids sur diverses parties du corps (pression sur
la cage thoracique, genoux dans les reins, blocage de la nuque)
après quil se soit débattu, présente
un risque dasphyxie posturale.
Un risque similaire prévaut lorsque lintéressé,
placé dans le siège de lavion, se débat
et que le personnel descorte, en utilisant la force, loblige
à se plier vers lavant, tête entre les genoux,
comprimant ainsi fortement la cage thoracique. Dans certains pays,
la pression exercée pour obtenir un tel plié avant
complet (« double plié ») dans le
siège passager est, en principe, proscrite et cette méthode
dimmobilisation ne peut être utilisée que si
elle savère réellement indispensable pour
lexécution dune mesure précise, brève
et autorisée, comme le placement, le contrôle ou
lenlèvement de menottes, et ce pour la durée
strictement nécessaire à lexécution
de cette mesure.
Le CPT a quant à lui clairement indiqué que lutilisation
de la force et/ou de moyens de contrainte susceptibles de provoquer
une asphyxie posturale ne devrait constituer quun ultime
recours et quune telle utilisation, dans des circonstances
exceptionnelles, doit faire lobjet de lignes directrices,
afin de réduire au minimum les risques pour la santé
de la personne concernée.
36. [...] le CPT a systématiquement recommandé
linterdiction absolue de lutilisation de moyens susceptibles
dobstruer, partiellement ou totalement, les voies respiratoires
(nez et/ou bouche). Des incidents graves survenus ces dix dernières
années dans différents pays, lors dopérations
déloignement détrangers, ont mis en
évidence les risques considérables que présente
pour la vie des personnes concernées, lutilisation
de ces méthodes (bâillonnage de la bouche et/ou du
nez avec du sparadrap, utilisation dun coussin ou dun
gant rembourré placés sur le visage, compression
du visage dans le dossier du siège précédent,
etc.).
38. [...] De lavis du CPT, aucune considération
de sécurité ne peut être invoquée pour
justifier le port dun masque par les personnels descorte
lors des opérations déloignement. Une telle
pratique est hautement indésirable, car elle pourrait rendre
très difficile lexamen des responsabilités
en cas dallégations de mauvais traitements.
Le CPT a également les plus grandes réserves sagissant
du recours aux gaz incapacitants ou irritants pour maîtriser
un détenu récalcitrant afin de lextraire de
sa cellule, lors de son transfèrement vers lavion.
Lutilisation de tels gaz dans des lieux très confinés,
comme une cellule, présente des risques manifestes pour
la santé à la fois de létranger retenu
et du personnel impliqué. Les personnels en question devraient
être formés à dautres techniques de
contrôle (comme, par exemple, des techniques de contrôle
manuel ou lutilisation de boucliers) pour limmobilisation
dun détenu récalcitrant.
40. Lors de nombreuses visites, le CPT a recueilli des allégations
relatives à linjection de médicaments avec
effets tranquillisants ou sédatifs aux étrangers
retenus, destinée à favoriser le bon déroulement
de lopération déloignement. Cela dit,
il a également noté que certaines instructions en
la matière prohibaient ladministration, contre la
volonté de la personne concernée, de calmants ou
dautres médicaments en vue de la maîtriser.
Le CPT est davis que ladministration de médicaments
à une personne faisant lobjet dun ordre déloignement
doit toujours être effectuée sur la base dune
décision médicale, prise dans chaque cas particulier.
Hormis des circonstances exceptionnelles clairement et strictement
définies, une médication ne devrait être administrée
quavec le consentement éclairé de la personne
concernée.
Extrait
du 13e rapport général (CPT/Inf(2003) 35
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La décision du Conseil relative à
lorganisation de charters,
adoptée en juin 2004, est complétée par une
annexe qui organise concrètement les conditions de léloignement
des étrangers.
1. Phase précédant le retour
Chaque État membre participant veille à ce que
les personnes quil souhaite renvoyer soient dans un état
de santé approprié, qui autorise, légalement
et dans les faits, à procéder en toute sécurité
à un éloignement par voie aérienne. [
]
LÉtat membre organisateur se réserve le droit
de refuser laccès au vol à toute personne
présentant un problème médical tel que son
retour ne serait pas conforme aux principes de sécurité
et de dignité. [
]
Règles applicables aux escortes
Lorsque lÉtat membre organisateur assure lescorte
de lensemble des personnes à renvoyer, chaque État
membre participant place à bord de lavion au moins
deux de ses représentants, avec pour mission de remettre
les personnes renvoyées par cet État aux autorités
locales du pays de destination.
Lorsque lÉtat organisateur nassure laccompagnement
que des personnes quil renvoie lui-même, les autres
États membres participants fournissent une escorte pour
les personnes quils renvoient.
[...] Les escorteurs ne sont pas armés. Ils peuvent être
en tenue civile. Leur tenue doit comporter un signe distinctif
permettant leur identification. Les autres accompagnateurs dûment
accrédités sont également porteurs dun
signe distinctif.
[...] Le nombre descorteurs est déterminé
au cas par cas après analyse des risques potentiels et
consultation mutuelle. Il est recommandé, dans la plupart
des cas, quil soit au moins égal au nombre de personnes
renvoyées se trouvant à bord. [...]
2. Phase précédant le départ dans l'aéroport
de départ ou l'aéroport d'escale
Les personnes renvoyées devraient être informées
sur la mise en uvre de lopération déloignement
et averties quil est dans leur intérêt de coopérer
pleinement avec les escorteurs. Il doit leur être indiqué
clairement quaucun comportement perturbateur ne sera toléré,
et que ce type de comportement ne conduira pas à lannulation
de lopération déloignement.
LÉtat membre organisateur prévoit
une zone de sécurité au sein de laéroport
de départ, afin dassurer un rassemblement discret
et un embarquement en toute sécurité des personnes
renvoyées. Cette zone sert aussi à sécuriser
larrivée des avions dautres États membres
transportant des personnes renvoyées qui doivent rejoindre
le vol charter commun. [
]
LÉtat membre sur le territoire duquel lopération
déloignement est exécutée exerce tous
les pouvoirs souverains dont il est investi (mesures coercitives,
par exemple). Les pouvoirs des escorteurs des autres États
membres participants se limitent à lautodéfense.
3. Procédure en vol
Recours à des mesures de coercition
La coercition est mise en uvre dans le respect des
droits de la personne de ceux qui sont renvoyés.
Il peut être fait usage de la coercition sur des
personnes qui refusent léloignement ou y opposent
une résistance. Toute mesure de coercition doit être
proportionnée, lusage de la force ne devant pas dépasser
les limites du raisonnable. Il ne doit pas être porté
atteinte à la dignité ni à lintégrité
physique de la personne renvoyée. De ce fait, en cas de
doute, il y a lieu dinterrompre lopération
déloignement, y compris lutilisation de mesures
de coercition légales motivée par la résistance
et la dangerosité de la personne renvoyée, suivant
le principe « pas déloignement à
tout prix ».
Les mesures de coercition ne doivent pas compromettre
ou menacer la capacité de la personne renvoyée à
respirer normalement. En cas dutilisation de la force comme
moyen de coercition, il y a lieu de veiller à ce que le
tronc de la personne reste en position verticale et que sa cage
thoracique ne soit en aucun cas comprimée, afin que la
fonction respiratoire reste normale.
Limmobilisation des personnes récalcitrantes
peut se faire par des moyens qui ne portent pas atteinte à
la dignité ni à lintégrité physique.
Tous les États membres participants sentendent
sur une liste des entraves et autres moyens dimmobilisation
autorisés, préalablement à lopération
déloignement. Lutilisation de sédatifs
pour faciliter léloignement est interdite, sans préjudice
des mesures durgence visant à assurer la sécurité
du vol.
Tous les escorteurs doivent savoir quelles entraves et
quels autres moyens dimmobilisation sont autorisés
ou interdits et recevoir des informations à cet égard.
Les personnes entravées font lobjet dune
surveillance constante durant tout le vol.
La décision de retirer temporairement les moyens
dimmobilisation relève de lautorité
du responsable de lopération ou de son adjoint.
Personnel médical
Un médecin au moins devrait être présent
sur chaque vol charter commun.
Seul le médecin peut, après un diagnostic
médical précis, administrer des substances médicamenteuses
aux personnes renvoyées. Les médicaments nécessaires
aux personnes renvoyées durant le vol doivent se trouver
à bord.
Décision du Conseil
de juin 2004 « relative
à lorganisation de vols communs pour léloignement,
à partir du territoire de deux États membres ou
plus, de ressortissants de pays tiers faisant lobjet de
mesures déloignement ».
ANNEXE Orientations communes sur les mesures de sécurité
à prendre pour les opérations communes déloignement
par voie aérienne
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Notes
[1] Chiffres reproduits daprès le rapport
Mariani sur la loi Sarkozy (DOC AN n° 949, 18 juin 2003,
p. 17).
[2] Les indications contenues dans cette circulaire
ne correspondent pas ou plus nécessairement aux pratiques effectives :
voir sur ce point linterview du commissaire principal de la
PAF, dans ce numéro, p. 10.
[3] Larticle 19 définit le délit
dentrée et/ou de séjour irrégulier, punissable
dun an demprisonnement et de trois ans dinterdiction
du territoire.
[4] Décision du Conseil relative à
lorganisation de vols communs pour léloignement,
à partir du territoire de deux États membres ou plus,
de ressortissants de pays tiers faisant lobjet de mesures déloignement.
Voir aussi « Consensus autour de Charters »,
Plein droit n° 59-60, mars 2004, p. 54
[5] Communiqué officiel du ministère
de lintérieur, accessible sur le site.
Dernière mise à jour :
26-10-2004 16:43
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/62/eloigner.html
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