|
|||||||||
| |||||||||
Plein Droit
Numéros Index En ligne Cahiers Notes juridiques Guides Notes pratiques Hors-collection Commandes Archives Photocopillage
|
Plein Droit n° 62,
octobre 2004 Le poids des consulatsAlexis Spire Lorsquun étranger en instance déloignement ne présente aucun passeport, la préfecture doit solliciter un laissez-passer auprès du consulat du pays dont il est supposé être le ressortissant. Cest bien souvent faute de ce laissez-passer que la reconduite à la frontière ne peut avoir lieu. Mais depuis quelque temps, le ministère de lintérieur fait tout pour inciter les autorités consulaires à toujours plus de coopération. Léloignement dun étranger qui réside sur le territoire français est une mesure qui se situe à lintersection du droit des personnes et de celui des États [1]. Les autorités françaises sont en principe les seules à intervenir puisque léloignement dun étranger relève de la souveraineté de lÉtat. Mais, pour que la mesure soit effectivement réalisée, il faut aussi que lÉtat dorigine de létranger accepte de le reconnaître comme lun de ses ressortissants. Pendant longtemps, le problème ne sest guère posé car les mesures déloignement détrangers ne constituaient pas une priorité politique. Durant les « Trente Glorieuses », par exemple, les préfets se contentaient le plus souvent de remettre à létranger un bon de transport jusquà la frontière par laquelle il avait choisi de quitter le territoire. Il était même fréquent quà défaut de pouvoir financer la reconduite, le ministère de lintérieur décide de laisser létranger se maintenir sur le territoire en situation irrégulière. En pratique, la mesure déloignement nétait mise en uvre que dans les cas où lexpulsion sanctionnait une condamnation pénale. Quelques accords bilatéraux ont alors été signés avec des pays limitrophes afin dorganiser la réadmission de leurs nationaux [2]. Mais, dans la plupart des cas, les étrangers en instance déloignement nétaient pas ressortissants de ces pays. Le plus souvent, lescorte policière sarrêtait donc à la frontière et nallait jamais jusque dans le pays de départ. Depuis la fin des années 1970, leffectivité des mesures déloignement est devenue un objectif prioritaire de ladministration française. Cest la loi Bonnet de 1980 qui a dabord légalisé la privation de liberté pour un étranger en instance dexpulsion, puis la loi du 29 octobre 1981 qui a généralisé le principe de la rétention administrative [3]. Pour létranger placé en rétention, il est bientôt apparu que le seul moyen déchapper à la reconduite était de ne pas présenter son passeport aux autorités préfectorales. Dès lors, lissue de la procédure dépend du consulat du pays dont il se réclame. Si le consulat le reconnaît comme lun de ses ressortissants, plus rien ne soppose à lexécution de la reconduite à la frontière. En revanche, si le consulat ne répond pas ou sil refuse de délivrer un laissez-passer, létranger est remis en liberté au terme de la période de rétention. Létranger, la préfecture et le consulatToute mesure déloignement fait donc intervenir trois protagonistes qui nont ni les mêmes intérêts ni les mêmes ressources pour les défendre : létranger, la préfecture et le consulat du pays dorigine. Létranger tout dabord. Une fois quil a épuisé toutes les voies de recours et quil se trouve en rétention, la non présentation de son passeport aux autorités de police apparaît souvent comme lultime espoir déchapper à la reconduite, même si, en réalité, les chances sont très minces. A cet égard, tous les étrangers ne sont pas logés à la même enseigne car la probabilité dêtre identifié comme le ressortissant dun pays varie fortement selon les pratiques des consulats concernés. Dans les couloirs des centres de rétention, il se dit par exemple quil vaut mieux se prétendre soudanais ou camerounais pour les uns, irakien ou égyptien pour les autres car les consulats de ces pays ont la réputation de ne pas délivrer de laissez-passer. La probabilité de ne pas être reconnu dépend aussi de lhistoire de chaque pays et de la genèse des découpages territoriaux. Le rayonnement de lancien empire ottoman permet par exemple à certains de se déclarer de nationalité irakienne ou iranienne ; sils ne sont pas reconnus par le consulat de Turquie, ils ont alors toutes les chances déchapper à la reconduite à la frontière. Depuis peu, ce rôle des consulats a également été pris en compte par le mouvement des sans-papiers. A la suite des arrestations intervenues lors de lévacuation du square Séverine, à Paris, au début du mois de juillet 2004, seuls trois des vingt-six sans-papiers interpellés avaient sur eux des titres de voyage et pouvaient donc être éloignés immédiatement. Pour les autres, la Coordination nationale des sans-papiers a tenté dempêcher leur éloignement en appelant ses sympathisants à intervenir auprès des consulats (par téléphone ou par fax) pour exiger que les laissez-passer ne soient pas délivrés. De leur côté, les autorités préfectorales mettent en uvre tous les moyens pour que léloignement puisse avoir lieu. Cest dailleurs pour leur faciliter la tâche que la durée de rétention, fixée initialement à sept jours, est passée à dix, puis à douze, puis à trente-deux jours avec la dernière loi Sarkozy. En réalité, cet allongement continu de la durée de rétention est un moyen de faciliter léloignement par « vols groupés » mais ne résout pas la question de la délivrance des laissez-passer qui dépend davantage du degré de « coopération » des autorités consulaires. En effet, dès que létranger est placé en rétention, la préfecture envoie par fax le dossier de lintéressé au consulat du pays dont il est supposé être le ressortissant (elle se fonde en général sur la nationalité déclarée à lentrée en France ou sur la langue parlée lors de laudition). Deux cas de figure se présentent alors : soit le consulat accepte de « coopérer » et létranger y est conduit sous escorte policière pour un entretien visant à déterminer sil est bien ressortissant de ce pays ; soit le consulat refuse dapporter son concours aux autorités préfectorales et ne délivre aucun laissez-passer, ni au bout de sept, ni au bout de douze, ni au bout de trente-deux jours [4]. Depuis quelque temps, les pouvoirs publics français agissent sur tous les fronts pour mettre fin à ces résistances et augmenter les taux de reconduite à la frontière. A léchelle internationale tout dabord, limposition de clauses de réadmission dans les accords de coopération est désormais monnaie courante : au niveau français comme au niveau communautaire, les questions daide au développement et déchanges commerciaux sont de plus en plus systématiquement liées à la gestion des flux migratoires [5]. Depuis la récente visite de Nicolas Sarkozy au Mali par exemple, le consulat de ce pays se montre beaucoup plus « coopératif » : alors quil ne délivrait jusque là aucun laissez-passer, il accepte maintenant de se déplacer jusquau centre de rétention pour procéder à lidentification de ses ressortissants. De même, depuis la dernière visite des autorités françaises, le consulat de Tunisie de Marseille se rend jusquà la maison darrêt pour identifier les détenus, de telle sorte que la police de lair et des frontières puisse les conduire directement à laéroport, sans passer par le centre de rétention. A léchelle nationale, le ministère de lintérieur consacre également beaucoup de moyens pour favoriser un « rapprochement » avec davantage de consulats. Dans une circulaire du 16 avril 2002 relative à la délivrance des laissez-passer consulaires, il avertit les préfectures que des entretiens bilatéraux ont eu lieu avec les représentants des principaux pays destinataires des reconduites, afin de « contribuer à létablissement dun climat de compréhension mutuelle » plus propice à laboutissement des démarches préfectorales [6]. De façon moins officielle, les services de police chargés de léloignement proposent même parfois de monnayer les laissez-passer pour inciter les consulats à davantage de « coopération ». De leur côté, les consulats sont partagés entre plusieurs injonctions contradictoires. Ils sont en principe tenus par le droit international de réadmettre leurs ressortissants mais ils sont également censés protéger leurs nationaux et défendre leurs intérêts face à un État tiers. Cette contradiction donne lieu à des pratiques de délivrance de laissez-passer très variables dun consulat à lautre. Elles dépendent tout dabord de la position diplomatique du pays concerné vis-à-vis du gouvernement français, comme en témoigne le tableau des taux de reconnaissance des vingt-quatre principaux consulats. Dans son rapport, la Cimade souligne dailleurs que les deux pays les plus « coopératifs » sont la Roumanie et la Turquie, tous deux candidats à lentrée dans lUnion européenne. Un constat similaire pouvait être dressé en 2002 : parmi les sept pays présentant le plus fort taux de reconnaissance de leurs ressortissants, on trouvait cinq pays candidats : la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie, la Pologne et la Turquie [7]. Pour prouver leur volonté de « coopération », certains consulats vont jusquà délivrer des laissez-passer pour des étrangers qui ne sont pourtant pas leurs ressortissants. Il nest pas rare, par exemple, que la Roumanie reconnaisse des étrangers qui se sont déclarés moldaves, sans même avoir procédé à leur audition et il semble que lAlgérie fasse de même avec des Marocains. Certains étrangers peuvent ainsi être reconduits dans des pays quils ne connaissent pas.
Pour les consulats qui ne répondent pas systématiquement aux injonctions des autorités préfectorales, il est parfois difficile détablir avec certitude que létranger sous le coup dune mesure déloignement est bien lun de leurs ressortissants. Les représentations consulaires des pays de lex-Union soviétique (Georgie, Ukraine, Russie ) délivrent par exemple assez rarement de laissez-passer, non pas par volonté dobstruction mais parce quelles ne parviennent pas toujours à savoir avec certitude sil sagit de lun de leurs ressortissants. Au consulat de Turquie, en revanche, une enquête est systématiquement instruite avant que létranger narrive sous escorte policière pour lentretien de reconnaissance. Les responsables du consulat se plaisent à expliquer quil y a des techniques pour reconnaître un Turc dun Iranien ou dun Irakien, « des expressions, des manières de parler, un regard, un accent particulier » sont autant de signes qui les aident à prendre leur décision. En violation de la Convention de GenèveDepuis 1998, ces techniques empiriques didentification sont doublées dune procédure de reconnaissance à partir des fichiers de létat civil qui ont été informatisés mais qui comportent encore aujourdhui une part dincertitude. Plus généralement, le flou qui pèse sur les modalités didentification des étrangers par les consulats engendre des pratiques très fluctuantes dun pays à lautre (voir tableau). Pour quelques pays comme lInde, lÉgypte, lIran, lIrak ou la Palestine, le refus de délivrer le laissez-passer est la règle. Dans ces cas-là, le ministère de lintérieur demande aux services préfectoraux de saisir le ministère des affaires étrangères, sans doute dans lespoir de faire « basculer » ces derniers récalcitrants. Les efforts déployés par les gouvernements successifs pour rendre plus effectives les mesures déloignement ont donc fini par porter leurs fruits. Les récents voyages de Nicolas Sarkozy en Chine, en Roumanie et au Mali nont pas été vains. Les consulats faisant preuve de « coopération » sont de plus en plus nombreux et les taux de reconduite à la frontière augmentent au fil des années. Une telle obstination à vouloir augmenter les taux de reconduite à la frontière seffectue bien souvent au détriment des engagements pris par la France en matière de protection des réfugiés. On sait, par exemple, que certains demandeurs dasile dont la première demande a été rejetée sont présentés au consulat de leur pays dorigine avant même davoir épuiser tous les recours auxquels ils ont droit. On est alors tenté de se demander si les étrangers éloignés vers certains pays comme lAlbanie, lAlgérie ou le Nigeria ne lont pas été en violation de la Convention de Genève qui impose en principe aux États signataires de ne pas refouler ceux qui demandent lasile vers des frontières dangereuses [8].
Notes[1] Je tiens à remercier Lionel Claus, Ingeborg Verhagen et Jean-Claude Beba, intervenants pour la Cimade aux centres de rétention de Toulouse et de Nice, pour les précieux renseignements quils mont fournis. [2] Caroline Intrand, « La politique du «donnant-donnant» », Plein droit, n° 57, juin 2003. [3] Alexis Spire, « Une indignation oubliée », Plein droit, n° 50, juillet 2001. [4] Lorsquil nexiste pas de consulat en France comme pour le Surinam, létranger est retenu dix-sept jours en rétention puis est remis en liberté, faute de laissez-passer. [5] Caroline Intrand, « La politique du "donnant-donnant" », Plein droit, n° 57, juin 2003. [6] Cf. Circulaire de la DLPAJ du 16 avril 2002 relative à la délivrance des laissez-passer consulaires. [7] CIMADE, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2003, p. 18. [8] François Crépeau, Droit dasile. De lhospitalité aux contrôles migratoires, Bruxelles, Éditions de lUniversité de Bruxelles, 1995, p. 142.
Dernière mise à jour :
26-10-2004 17:19
. |