Plein Droit n°47-48,
janvier 2001
« Loi Chevènement :
Beaucoup de bruit pour rien »
Voir aussi l'article
« Ouverture à la tête
du client »
Le nouvel article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre
1945 créé par la loi Chevènement prévoit,
parmi dix autres catégories d'étrangers en situation irrégulière,
la régularisation de « l'étranger [...]
dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le
refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au
respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée
au regard des motifs du refus ». C'est très alambiqué.
ça veut néanmoins dire que tout étranger marié,
concubin, célibataire inséré à
un titre ou à un autre dans la société française
peut obtenir une carte de séjour. Voilà le texte que les
parlementaires français ont voté. Il est conforme à
la Convention européenne des droits de l'homme.
Pour verrouiller ce dispositif voté par le Parlement et neutraliser
les trois généreuses lignes de la loi relatives aux « liens
personnels et familiaux », le ministre de l'intérieur
a publié six pages d'instructions aux préfectures dans
sa circulaire d'application du 12 mai 1998. Elles correspondent
à une interminable litanie de critères évidemment
restrictifs.
On y apprend notamment que, s'agissant de couples, « un
refus de séjour ou un APRF [arrêté préfectoral
de reconduite à la frontière] ne porte qu'exceptionnellement
atteinte à la vie privée et familiale » ;
qu'il n'y a pas, pour l'État d'accueil, d'« obligation
générale de respecter le choix, par des couples mariés,
de leur domicile commun » ; que la vie privée
et familiale « est limitée en principe à
la seule famille nucléaire, à savoir une relation maritale
et/ou une relation filiale », même si (on n'est
pas à une contradiction près) « il n'y a
pas de différence substantielle entre le mariage et le concubinage ».
Qu'importe, l'administration pénalise ces concubins. Il leur
faudra notamment prouver, « de manière cumulative »,
« une certaine ancienneté de communauté de
vie en France » (cinq ans à titre indicatif) ;
prouver encore « la présence d'enfants »,
« l'intensité des liens familiaux dont ils se prévalent »,
ainsi que leur stabilité. La circulaire d'application rappelle
aussi aux préfets que « la présence d'enfants
mineurs, même scolarisés, ne fait pas obstacle à
l'éloignement, dès lors que n'existe aucun obstacle à
ce que les parents les emmènent avec eux ». Quant
aux célibataires, la circulaire n'imagine même pas qu'ils
puissent avoir une vie privée.
Ainsi passe-t-on d'une loi qui définit un droit à une
pratique pifométrique de ce droit par la vertu d'une circulaire
que les parlementaires n'ont jamais vue et dont ils se désintéressent,
de même que les médias.
Dernière mise à jour :
20-01-2001 23:04.
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