|
|
Plein Droit
n° 20, février 1993
Europe : un espace de « soft-apartheid »
Schengen : la circulation
sous surveillance
Retour
au sommaire
La convention d'application de l'accord
de Schengen a été signée le 19 juin 1990. Parmi
les signataires, on compte à ce jour l'Espagne, le Luxembourg,
les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, la Grèce, le
Portugal et la France.
Parce que les difficultés tant d'ordre juridique que politique
ne manquent pas, seuls le Luxembourg et la France ont su franchir, non
sans une réelle précipitation, le cap de la ratification.
La France s'est montrée dans cette « affaire »
particulièrement avant-gardiste puisque la loi du 26 juillet
1992 portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 a
déjà intégré le dispositif schengenien en
ce qui concerne les conditions d'entrée et les motifs d'éloignement.
La mise en application des mécanismes conventionnels voit se
dresser sur son chemin des obstacles dont les négociateurs initiaux
ne mesuraient sans doute pas l'ampleur.
A Madrid, à l'occasion de la rencontre réunissant les
ministres et les secrétaires d'Etat des Etats membres habilités
à avancer sur la question de la suppression des frontières
intérieures, on a cru pouvoir prendre acte que les accords de
Schengen n'entreraient pas en vigueur avant le milieu de 1993. Les volontés
d'aller de l'avant, en dehors des instances communautaires considérées
comme trop lourdes et inadaptées au traitement des questions
de sécurité intérieure (l'exception d'incompétence
nous est toujours apparue discutable...), se sont heurtées au
réalisme politique, aux résistances internes et... à
l'incompatibilité potentielle avec des dispositions de droit
interne.
Aucune convention ne saurait mieux que celle de Schengen résumer
l'esprit et les craintes qui animent les partenaires européens
face à la suppression des frontières internes. Le texte
à lui seul focalise les angoisses d'invasion ou de perte de maîtrise
des flux migratoires, alors que, parallèlement, il a été
l'objet des critiques les plus virulentes de la part des associations
de soutien aux populations étrangères et de certains parlementaires
(nationaux et européens).
Même si cette convention a bénéficié de
nombreuses présentations et analyses, il n'est pas inutile de
rappeler ses principales dispositions et les modifications législatives
et réglementaires qu'elle a entraînées. Ce rappel
s'accompagnera de quelques commentaires et précisions recueillis
au cours d'une rencontre avec le « coordonateur de la libre
circulation » en France.
La Convention, dont la paternité appartient à l'Allemagne,
à la Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas et à la France,
a pour objet d'assurer la sécurité intérieure menacée
par la suppression graduelle des contrôles aux frontières
communes et d'en prévenir les risques. La mise en uvre
du dispositif est subordonnée à un accord sans réserve
des partenaires sur les points considérés comme essentiels,
à savoir : la définition de la circulation dans les
aéroports, le visa uniforme, le contrôle des frontières
extérieures, le caractère opérationnel du Système
information Schengen (SIS), la détermination de l'Etat responsable
dans le traitement des demandes d'asile et enfin la répression
en matière de stupéfiants.
De telles exigences, qui ne font que traduire le manque de confiance
des Etats membres entre eux au sujet de leur politique migratoire respective,
expliquent le retard, voire le blocage constaté.
L'entrée dans
l'« espace Schengen »
Pour les signataires de l'accord, l'étranger est celui qui ne peut
revendiquer la nationalité d'un des Etats membres de la Communauté
européenne ; alors que le terme de « frontière »,
lui, doit s'entendre au sens de frontières extérieures à
l'espace territorial commun incluant aéroports et ports maritimes
pour autant qu'ils ne sont pas frontières intérieures.
Pour entrer sur le territoire commun, les étrangers doivent
posséder un document permettant le franchissement de la frontière
(à charge pour le Comité exécutif de la définir),
justifier d'un visa d'entrée, présenter des documents
relatifs à l'objet et aux conditions de séjour et disposer
de moyens de subsistance, ne pas être signalés aux fins
de non admission et, enfin, ne pas être considérés
comme pouvant compromettre l'ordre public, la sécurité
nationale ou les relations internationales de l'une des parties contractantes.
Le droit interne français intègre ces nouvelles exigences
(cf. article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée
par la loi du 26 février 1992).
Vers un visa uniforme
Les partenaires poursuivent un objectif commun et majeur : la mise
en circulation d'un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble
des parties contractantes. En attendant sa création, la Convention
prévoit la reconnaissance des visas nationaux. C'est l'Etat de
destination principale qui est désigné comme autorité
compétente pour délivrer le visa uniforme au ressortissant
étranger qui satisfait par ailleurs aux conditions d'entrée.
Il appartient au Comité exécutif de prendre les décisions
sur plusieurs points : les instances chargées de la délivrance
des visas, la forme, le contenu et la durée de validité
de ces derniers et enfin les principes d'élaboration d'une liste
commune d'étrangers signalés aux fins de non admission.
Quelles sont les avancées réelles sur la question du
visa uniforme ?
Il existe, selon notre interlocuteur, un projet d'instructions communes
à destination des autorités consulaires de chaque partie
signataire, instructions devant servir de guide dans la délivrance
des visas uniformes. Même si les Etats restent maîtres de
leurs décisions au sens où ils peuvent toujours au nom
de leurs pouvoirs régaliens accorder l'entrée, le but
est évidemment de parvenir à une certaine harmonisation
des pratiques consulaires.
La première des missions, et non la moins délicate, est
d'établir une liste commune des pays soumis à visa. A
ce jour, elle ne serait pas encore arrêtée. On peut cependant,
sans forcer la polémique, penser qu'elle sera longue...
La Convention instaure la responsabilité des transporteurs :
« Le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures
nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté
par voie aérienne ou maritime est en possession des documents
de voyage requis pour l'entrée sur le territoire... ».
Chaque Etat s'engage donc à modifier sa propre législation
afin d'établir des pénalités à l'encontre
des transporteurs « négligeants ».
La France n'a pas hésité à suivre les directives
conventionnelles : l'article 20 de l'ordonnance prévoit,
en effet, des peines d'amende pouvant frapper toute entreprise de transport
(des modalités particulières sont fixées pour les
entreprises de transport routier) véhiculant ou débarquant
des ressortissants étrangers non munis des documents exigés
pour franchir le territoire commun.
Quelle liberté de circulation ?
Profitent d'une « certaine » liberté de circulation
à l'intérieur du territoire schengenien, les étrangers
qui, soit peuvent arguer de la qualité de résidents réguliers
dans l'un des Etats contractants, soit sont entrés en toute régularité
dans l'espace commun.
Cette liberté de circulation est cependant relative dans la
mesure d'une part où elle est réduite à une durée
de trois mois maximum, d'autre part où des formalités
sont exigées pour en bénéficier, en particulier
l'obligation, pour les étrangers qui franchissent les frontières
intérieures, de se déclarer auprès des autorités
compétentes de la partie contractante sur le territoire de laquelle
ils pénètrent.
Un décret d'application visant à définir les modalités
de l'obligation de déclaration est actuellement en cours de rédaction.
Il devrait désigner une soixantaine de « points frontière »
fixes et connus. Aucun pouvoir d'appréciation n'est accordé
à l'autorité chargée d'enregistrer l'obligation
de déclaration.
Les demandes d'asile
sous haute surveillance
L'objectif est, là encore, clairement défini : il consiste
à déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande
d'asile (cf. l'article sur la Convention de Dublin,« Dublin : demande
d'asile et Etat responsable »).
Les parties contractantes délimitent l'étendue de sa
responsabilité qui comprend le traitement proprement dit de la
demande, l'obligation de reprendre le solliciteur d'asile qui circulerait
irrégulièrement sur le territoire d'un autre Etat membre
(le fait d'être titulaire d'un récépissé
ne donne pas la liberté de circulation dans l'espace schengenien),
la mission de l'éloigner, le cas échéant, en cas
de rejet de la demande d'asile, et enfin l'admission de la famille de
l'étranger reconnu comme réfugié statutaire.
Les Etats prévoient des échanges d'informations « précieuses »
et spécifiques.
Le Système information
Schengen
Créer un système automatisé de données permet
de disposer de signalements de personnes et d'objets à l'occasion
de « contrôles de frontière et vérifications
et autres contrôles de police et de douane... » et, ainsi,
de préserver l'ordre et la sécurité publics.
Quelles sont les personnes ayant vocation à figurer dans les
fichiers ? On peut notamment mentionner les étrangers signalés
aux fins de non-admission, ce qui concerne tant les personnes menaçant
l'ordre public soit parce qu'elles ont effectivement été
condamnées à une peine privative de liberté, soit
parce qu'il « existe des raisons sérieuses de croire
qu'(elles) ont commis des faits punissables graves »
que celles qui ont simplement fait l'objet d'une mesure d'éloignement
non rapportée, y compris prononcée pour infraction à
la législation sur les étrangers.
L'organisation du SIS implique la mise en place d'un fichier automatisé,
dans chaque Etat partie ou adhérent, amené à « nourrir »
le fichier central qui doit collecter toutes les données.
Le système a pris du retard pour deux raisons principales :
la fourniture des moyens et la protection des données informatisées.
En effet, l'importance du traitement transfrontière d'informations,
tel qu'il est mis en place par la Convention de Schengen, oblige chaque
Etat à se doter d'un fichier national répondant aux exigences
conventionnelles, et à adopter, le cas échéant,
une législation interne sur la protection des données.
Par ailleurs, le fichier central qui doit s'installer à Strasbourg,
doit être soumis au contrôle d'une commission composée
d'un représentant de chaque Etat.
Police : la reconnaissance
d'une longue coopération
Les services de police entendent officialiser le travail en commun. Celui-ci
existe de fait depuis plusieurs années et repose sur un système
d'informations et d'assistance aux fins de prévention et de recherche
de faits punissables il est possible de suivre une personne
présumée avoir participé à un fait punissable...
au delà des compétences territoriales des polices.
C'est ainsi que des agents observateurs dûment habilités
vont être dotés de moyens d'investigation extra-territoriaux,
étant entendu que tant les missions que les pouvoirs qui leur
sont conférés doivent répondre à des définitions
strictes.
Les « stupéfiants » bénéficient
de dispositions spécifiques : les Etats expriment là,
une fois de plus, leur volonté de renforcer la coopération
afin de prévenir et de réprimer le trafic de drogue que
la suppression des frontières ne peut que favoriser. C'est à
tout le moins un des risques majeurs pour les négociateurs de
Schengen.
La Convention fixe, non sans une certaine complexité, les conditions
de l'extradition.
Le Comité exécutif :
un rôle contesté
Le Comité, qui doit réserver un siège pour chaque
Etat contractant (l'Etat est représenté par un ministre
responsable de la mise en uvre de la Convention de Schengen) est
chargé des problèmes d'interprétation de la Convention
et de son application. Par ailleurs, il est investi d'un pouvoir « réglementaire »
dans quelques domaines, notamment dans celui relatif à l'instauration
d'un visa uniforme.
Le rôle du Comité a suscité de nombreuses discussions
de la part des députés néerlandais. Les oppositions
ou blocages seraient en train d'être levés dans la mesure
où les ministres se sont entendus pour affirmer que l'organe
intergouvernemental n'a pas vocation à prendre des décisions
immédiatement exécutoires, mais à amener chaque
Etat à prendre les mesures d'application de son choix pour parvenir
aux objectifs fixés.
Retour
au sommaire
Dernière mise à jour :
6-02-2001 11:42.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/20/schengen.html
|