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Plein Droit
n° 20, février 1993
Europe : un espace de « soft-apartheid »
Pays-Bas : quels sacrifices
pour Schengen ?
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De manière générale, un traité
ou une convention internationale ne peuvent être ratifiés
par le gouvernement néerlandais qu'après l'accord préalable
des Etats Généraux (composés de la Seconde et de
la Première Chambres). Cet accord est obligatoire, à quelques
exceptions près, et peut être exprimé de manière
tacite ou explicite.
Dans ce dernier cas, il fait l'objet d'un projet de loi (éventuellement
accompagné d'un projet de loi d'application), présenté
au parlement. Les deux chambres s'expriment en deux temps : d'abord
au cours d'une phase écrite, puis oralement.
Dans le cas de Schengen, étant donné la complexité
du sujet et la présence d'une opposition susceptible de remettre
en cause la ratification de la Convention, la Seconde Chambre a insisté
pour qu'un débat soit ouvert bien avant que la procédure
d'approbation ne soit engagée. Ce qui est vraiment exceptionnel.
Il n'existe pas de calendrier pour la ratification. Le secrétaire
d'Etat chargé des Affaires étrangères a souligné
la nécessité politique d'une adoption assez rapide pour
éviter d'être en décalage avec les autres signataires
de Schengen. Mais les porte-parole des opposants néerlandais
à Schengen, loin d'être convaincus par cet argument, ont
préféré une procédure scrupuleuse, étant
donné le risque de déficit démocratique que véhiculent
à leurs yeux les accords. Ils reprochent notamment l'absence
d'un organe de contrôle international.
En principe, le gouvernement n'avait aucun moyen d'accélérer
la procédure parlementaire. En effet, c'est le parlement qui
décide lorsqu'un projet de loi est suffisamment préparé
pour être voté. Finalement, le gouvernement a réussi
à faire adopter le projet de loi d'approbation de la ratification
de Schengen le 23 juin 1992, juste avant la clôture de la
session.
De sérieuses réticences
La commission permanente d'experts en matière de droit international
pénal, d'étrangers et de réfugiés a indiqué,
dans son avis [1], que la Convention
de Schengen (1990) ne tient pas compte des obligations qui dérivent
de la Convention de Genève sur les réfugiés (1951)
et de la Convention européenne des droits de l'homme (1950). Ces
objections concernent notamment les garanties de procédure dues
aux demandeurs d'asile et aux autres étrangers.
La Convention de Schengen (1990) pose en outre des problèmes
constitutionnels. En premier lieu, le statut juridique du comité
exécutif n'est pas suffisamment précisé. Il paraît
douteux que l'on puisse reconnaître un pouvoir législatif,
administratif et judiciaire à ce comité dans la mesure
où il ne peut être considéré comme une organisation
de droit international public. Ensuite, la nature juridique de ses décisions
n'est pas claire : il s'agit de dispositions générales
(par exemple concernant l'émission de visas ou le fonctionnement
du système d'information Schengen SIS
par rapport à la protection de la vie privée), qui impliquent
une dérogation à la Constitution requérant l'approbation
du parlement à la majorité des deux-tiers.
De plus, il n'est pas établi que certaines des dispositions
générales prises par le comité exécutif
ne doivent pas être considérées comme des traités
(internationaux), nécessitant de ce fait l'approbation parlementaire,
comme le prévoit la Constitution.
L'application des accords de Schengen soulève, par ailleurs,
une autre question, relative au droit d'asile : dans la mesure
où les Pays-Bas ont, en matière d'accueil des demandeurs
d'asile, une pratique plus favorable que la plupart des autres pays
européens (aux Pays-Bas, les demandeurs d'asile qui n'auraient
pas obtenu le statut de réfugié, parce qu'ils ne répondent
pas aux critères de la Convention de Genève, peuvent néanmoins
obtenir un permis de séjour pour des raisons humanitaires), quelles
seront les conséquences, sur la politique néerlandaise,
de l'alignement aux normes de Schengen ?
En effet, Schengen impose :
- le rejet a priori d'un demandeur d'asile déjà débouté
dans un autre Etat ;
- le renvoi pour y faire sa demande d'asile de tout demandeur ayant
transité par un autre Etat signataire avant d'arriver aux Pays-Bas.
Dans les deux cas, l'application de la Convention pourrait impliquer le
rejet d'un demandeur d'asile qui aurait pu, s'il avait formulé
sa première demande d'asile aux Pays-Bas, se voir reconnaître
le droit d'y résider.
Indésirables de tous les pays...
En ce qui concerne l'ordre public, Schengen prévoit un système
de fichage (SIS) qui a pour but de signaler (entre autres) les étrangers
qui ne sont pas admis sur le territoire de Schengen pour des raisons d'ordre
public. Au sens du droit national, seules des infractions pénales
peuvent donner lieu à un tel fichage. Or, dans le contexte de Schengen,
la notion d'ordre public est plus floue et constitue un « pot
pourri » de tout ce qui peut faire considérer comme « indésirable »
un étranger, au regard des législations de tous les Etats.
Ceci risque d'aboutir, par exemple, à un refus des étrangers
de retour de leurs vacances ou de visites familiales (par exemple ceux
qui ont un permis de résidence pour les Pays-Bas) à la frontière
extérieure de Schengen pour la seule raison qu'ils ont commis un
délit non reconnu comme tel aux Pays-Bas. Une hypothèse
très réaliste, au regard des différences qui existent
entre les Etats membres de Schengen sur le plan des sanctions en matière
de possession de stupéfiants ou dans le domaine de la pornographie
ou même de l'avortement.
Une harmonisation de la notion d'ordre public s'impose donc et devrait
être l'uvre d'un tribunal supranational. A l'évidence,
l'application de la notion d'ordre public au sens national n'est plus
possible sous le régime de Schengen.
Ce qui est vrai pour l'ordre public est valable pour la sécurité
nationale, quoique dans une moindre mesure : il est certain que
la décision d'admission d'un étranger sur le territoire
de Schengen doit être prise en tenant compte des intérêts
de tous les Etats membres et des menaces potentielles sur la sécurité
nationale.
La protection juridique des demandeurs d'asile et des étrangers,
dont l'admission ou la prolongation de séjour est en question,
est fortement affaiblie par Schengen. Il est à craindre que le
pouvoir de contrôle des tribunaux nationaux sera restreint, s'agissant
des décisions administratives et législatives du comité
exécutif concernant les cas individuels.
Quant à la police et à la sécurité, Schengen
introduit le « droit de poursuite », ce qui est
nouveau dans le système juridique des Pays-Bas ainsi que de certains
autres Etats membres.
A côté des obstacles à caractère constitutionnel,
il en existe d'autres, ayant trait à la politique nationale.
Aux Pays-Bas, une discussion a été engagée depuis
plusieurs années sur l'obligation de détenir un document
qui prouve son identité. Les propositions d'introduction d'une
obligation générale (donc pour tout le monde, étranger
ou national, et en toutes circonstances) ont échoué jusqu'à maintenant.
Cependant, le gouvernement a récemment proposé d'introduire
une obligation partielle. Elle concernerait d'une part les étrangers,
d'autre part les nationaux qui se trouveraient dans des situations bien
définies (cas des voyageurs sans titre dans les transports publics,
actes de vandalisme autour des sportifs, fraude fiscale ou à
l'aide sociale).
Schengen aurait donc une conséquence indirecte sur les nationaux
néerlandais : la « liberté de circulation »
induite par la suppression des contrôles aux frontières
peut engendrer une intensification des contrôles sur le territoire
national ; ce qui supposerait, sauf à pratiquer des contrôles
discriminatoires, que les citoyens aient l'obligation de détenir
un titre d'identité.
Le gouvernement néerlandais a proposé aux autres parties
de Schengen deux textes de protocole ayant pour effet de donner compétence
à la Cour de justice des communautés européennes
dans deux domaines : d'une part pour l'interprétation des
conventions de Schengen et de Dublin, et de la convention relative aux
frontières extérieures ; d'autre part pour lui confier
un rôle d'arbitre en cas de différend entre deux parties
signataires de Schengen, et lui permettre d'être saisie par les
juges nationaux par la voie de la question préjudicielle. Notons
cependant que cette procédure n'est prévue, dans le projet
de protocole, que pour certains chapitres de la Convention et non la
totalité.
Contrôle du Parlement
Ces propositions néerlandaises sont à l'étude chez
les partenaires schengeniens des Pays-Bas. Ils ont à cet effet
décidé de constituer un groupe de travail chargé
d'approfondir les questions relatives au type de procédure envisageable
(a priori, la requête individuelle serait exclue) et au champ de
compétence de la Cour de justice des communautés européennes
(CJCE).
Il est à noter que la Belgique, l'Allemagne et le Luxembourg
sont également en faveur d'un contrôle, par la CJCE, des
domaines traités par Schengen.
En ce qui concerne l'absence de contrôle parlementaire sur les
décisions prises par le comité exécutif, lors du
débat parlementaire sur l'opportunité de la ratification
de la Convention (janvier-février 1992), le gouvernement s'était
engagé à donner une définition juridique du comité
exécutif et des décisions qu'il aurait à prendre.
Dans son rapport au Parlement du 16 avril 1992, il est indiqué
que le comité exécutif est un organe de droit public international
de structure « légère ». Ses décisions
peuvent être classées en deux catégories :
- les premières, de caractère général,
pouvant avoir des implications sur les droits et les obligations des
citoyens ;
- les secondes, d'ordre purement administratif, sans conséquence
pour les citoyens.
Selon les cas, une approbation du parlement néerlandais serait
nécessaire pour permettre au gouvernement de donner son aval par
un vote définitif à la décision du comité
exécutif (la chambre des députés luxembourgeoise
a adopté, en mai 1992, une résolution semblable demandant
au gouvernement luxembourgeois de soumettre toute décision du comité
exécutif de Schengen à la Chambre des députés
et au Conseil d'Etat pour avoir leur avis).
Dans la loi relative à la ratification de Schengen votée
en juin 1992, a été introduite une disposition selon
laquelle tout projet de décision du comité exécutif
susceptible d'engager les Pays-Bas devrait être présenté
au Parlement avant que la décision ne soit prise.
Le projet de loi relatif à l'approbation de la Convention de
Schengen a été accompagné d'un projet de loi concernant
les mesures législatives pour la ratification de la Convention.
Celles-ci touchent principalement à l'interprétation de
la notion d'ordre public, à la procédure d'asile, et aux
sanctions contre les transporteurs. Pour l'instant, l'introduction de
ces mesures est liée à l'approbation parlementaire de
la Convention. Mais ceci n'a pas empêché le gouvernement
d'anticiper d'ores et déjà l'entrée en vigueur
de Schengen. Ainsi, les quelques 200 fonctionnaires de police,
dont la présence aux frontières est rendue inutile par
leur suppression, ont été affectés à la
« division des étrangers », afin d'intensifier
le contrôle interne de la légalité de résidence
des étrangers. Ceci est considéré comme une mesure
compensatoire nécessaire. Dans le même temps, la lutte
contre les mariages blancs a été renforcée. Ces
dispositions traduisent l'instauration d'une politique moins tolérante,
qui s'explique seulement par le besoin de se préparer à
l'application du « régime Schengen », dans
lequel la répression des flux migratoires a la priorité.
Dans le même esprit, les Pays-Bas transfèrent des représentants
des forces de police néerlandaises aux aéroports de certains
pays d'Afrique (c'est-à-dire ceux qui « fournissent »
un grand nombre de demandeurs d'asile) pour « aider »
le personnel des transporteurs aériens à contrôler
les visas et les passeports.
Des aspects positifs
Le droit de circuler librement pendant trois mois pour les « étrangers »
(ceux qui ont la nationalité d'un pays tiers, c'est-à-dire
d'un pays non-membre de Schengen) est sans doute un aspect positif de
Schengen. L'harmonisation des visas et ce droit de libre circulation (qui
figure aussi dans la Convention sur les frontières extérieures
entre les Douze) facilite énormément les visites touristiques
et familiales pour les étrangers qui, jusqu'à présent,
étaient soumis à des procédures bureaucratiques et
de longue durée.
En même temps, l'harmonisation des visas (harmonisation des critères
de délivrance et introduction de visas uniformes) a contribué
à la communautarisation de ce thème, comme il en a été
décidé à Maastricht en décembre 1991 [2].
Enfin, Schengen a servi de laboratoire pour d'autres conventions, comme
celle de Dublin et celle qui concerne les frontières extérieures,
aussi bien que pour les initiatives d'harmonisation du droit d'asile
et du droit des étrangers. Il est réaliste de supposer
qu'une réglementation européenne, quelle que soit sa forme
définitive, sera inspirée par les principes de Schengen.
Cette fonction de « modèle » rend d'autant
plus nécessaire le combat contre les injustices et les défauts
dont la Convention est entachée, afin d'éviter d'avoir,
dans l'avenir, à gérer un héritage funeste.
Conseiller aux affaires juridiques
concernant la migration européenne
Centre néerlandais pour Immigrés
[1] Cf. article« Des garde-fous pour
Schengen ».
[2] Voir l'article 100 c
du traité de Maastricht, qui prévoit que le Conseil est
compétent pour la détermination des pays tiers dont les
ressortissants sont soumis à visa.
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Dernière mise à jour :
6-02-2001 11:44.
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