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Plein Droit n° 18-19, octobre
1992
« Droit d'asile :
suite et... fin ? »
PAYS
D'EXIL : ZAÏRE
Jean-François Ploquin
1ère partie |
2ème partie
Ce travail a été rendu possible par une
approche quotidienne des demandeurs d'asile zaïrois et de la réalité
zaïroise dans le cadre d'une action coordonnée au sein de
trois associations : la CIMADE (poste de Lyon), le CRARDDA (Comité
rhodanien d'accueil des réfugiés et de défense
du droit d'asile) et le Comité Zaïre information (COZI).
En février dernier, un séjour de deux semaines à
Kinshasa en compagnie de Jean Costil (Cimade) et de Michel Deprost (Le
Progrès) a été l'occasion de découvrir,
vérifier, modifier ou infirmer un certain nombre d'analyses.
Les pages qui suivent se réfèrent donc à une triple
source : la rencontre des demandeurs d'asile zaïrois, plusieurs
brèves expériences sur le terrain et un suivi régulier
de l'actualité zaïroise. Nicole Thivard, étudiante
à l'Institut des droits de l'homme de Lyon et stagiaire à
la Cimade à Lyon, a également contribué à
l'étude des dossiers examinés.
L'extraordinaire complexité de la situation zaïroise explique
mieux que d'autres la difficulté inhérente à l'examen
des demandes d'asile. Le règne de la débrouillardise,
qui s'y substitue souvent à l'état de droit, la sinuosité
des chemins de l'exil, l'interprétation de la répression
et de la pauvreté multiplient les risques de jugements simplistes.
En 1991, le Zaïre représente 26 % de la demande d'asile
africaine plus d'un demandeur africain sur 4
avec 4 260 demandes sur 16 172. Il arrive bon premier
de ce continent devant le Mali (3 218) et l'Angola (1 638),
l'Afrique arrivant elle-même avant les autres continents. Au total,
le Zaïre représente 9,1 % de la demande d'asile en
France, arrivant ainsi en deuxième position derrière la
Turquie (21 % des demandeurs) [1].
Si le Zaïre arrive également en tête du continent
africain en valeur absolue avec 33 % des 2 258 accords (c'est-à-dire
statuts de réfugiés accordés), il ne représente
plus que 4,6 % des 16 112 accords délivrés pour
tous les pays en 1991.
Certes, les chiffres des demandes et des accords pour une même
année ne peuvent être immédiatement rapprochés,
en raison du décalage de temps existant entre le dépôt
d'une demande et son traitement. On peut toutefois faire les trois observations
suivantes : la demande d'asile zaïroise est massive (355 dossiers
par mois en 1991, soit 82 dossiers par semaine). Il s'agit là
d'une tendance lourde : plus de 31 000 Zaïrois ont
demandé l'asile en France entre 1983 et 1991 [2] ;
en 1991, un réfugié statutaire africain sur trois est
zaïrois [3]. Rapporté à l'ensemble de la demande
d'asile, le taux d'acceptation apparaît pour les Zaïrois
deux fois moindre que la moyenne, ce qui est confirmé par les
statistiques des années 1987 à 1991 : 3,9 %
des demandes d'asile déposées pendant cette période
ont fait l'objet d'un accord [4].
Voir le tableau « La
demande d'asile zaïroise en France
par rapport aux autres pays »
La demande d'asile zaïroise a régulièrement crû
d'une année sur l'autre depuis 1984 jusqu'en 1989. Cette augmentation
(demande multipliée par six) est-elle liée à une
augmentation proportionnelle du nombre de personnes persécutées
au Zaïre ? Nous ne le pensons pas. Par contre, la situation
économique qui n'a cessé d'empirer durant la même
période, n'est pas sans influence sur cet exode.
Peut-on expliquer les variations du nombre de demandes d'asile par
une corrélation entre des persécutions frappant un nombre
important de personnes à la fois (répression de manifestations
par exemple) et l'arrivée de nombreux Zaïrois dans les semaines
qui suivent ? En fait, même des statistiques fines sur plusieurs
années ne rendraient pas compte du temps de latence entre la
persécution et le départ du pays, puis l'arrivée
en France.
Par ailleurs, si 90 % de la population zaïroise vit hors
de la capitale, de l'ordre de 90 % des demandeurs d'asile zaïrois
sont néanmoins des habitants de Kinshasa (Kinois). La capitale
possède, en effet, le seul aéroport international (N'Djili)
d'où il est autorisé de quitter le pays ; elle est
à une demi-heure de pirogue du Congo, juste de l'aute côté
du fleuve, avec son aéroport de Maya-Maya ; enfin à
peine 362 kilomètres de route asphaltée la séparent
du port de Matadi, seul débouché maritime du pays. En
tant que capitale, Kinshasa est le lieu où sont émis,
négociés et/ou contrefaits les passeports, visas, laissez-passer,
billets d'avion, sans compter les documents émanant des autorités
municipales, judiciaires, voire militaires. C'est aussi le royaume de
« l'article 15 » (la débrouille), où
l'habilité pas forcément licite
est considérée par beaucoup comme la plus haute valeur.
Avec ses quatre millions d'habitants, Kinshasa est aussi, en ces temps
de récession, la capitale de l'inactivité, des immenses
banlieues excentrées où l'on rêve d'Europe en regardant
à la télé les programmes occidentaux, où
l'on échafaude ses plans, où l'on mûrit son projet
de départ. Capitale, Kinshasa vit en outre plus densément
les événements politiques : campus et instituts supérieurs,
sièges des partis politiques avec leurs leaders, présidence,
camps militaires et cachots multiples. Les violations des droits de
l'homme, quotidiennes, frappent en valeur absolue plus qu'ailleurs.
Les persécutions subies dans les autres régions du pays
débouchent rarement et en faible quantité sur un exil
européen. Faut-il rappeler que, à la fin 1989, 340 réfugiés
recensés vivaient au Congo, 1 300 en Ouganda, 9 000
en Zambie, 12 000 en Angola et 16 000 en Tanzanie, les pays
limitrophes du Zaïre abritant environ 45 000 de ses ressortissants [5] ?
Pour le paysan du Nord-Kivu ou du Haut-Zaïre, victime des razzias
de l'armée, le pays voisin constitue un refuge suffisant. La
plupart des étudiants en fuite du campus de Lubumbashi en mai
1990 sont allés en Zambie ou au Burundi. L'exil vers l'Europe
sera donc motivé soit par le sentiment que ce refuge n'est pas
assez sûr, soit par d'autres facteurs venant s'ajouter à
la crainte. Pour un Zaïrois de l'intérieur, le voyage vers
l'Europe, avec son point de passage obligé à Kinshasa,
est une entreprise bien plus aléatoire et onéreuse que
pour le Kinois, pour lequel les trajectoires de fuite sont plus simples.
S'il est difficile d'établir une corrélation entre des
événements du type « persécutions à
victimes multiples » se déroulant au Zaïre et
le nombre de départs motivés par ces violences, il est
facile d'observer qu'elles sont suivies de demandes d'asile qui s'y
réfèrent. Le massacre de Lubumbashi en mai 1990,
les émeutes de septembre ou la répression de la marche
du 16 février 1991, pour ne citer que ces trois exemples
récents, ont ainsi été suivis de demandes d'asile
de Zaïrois disant avoir été impliqués dans
ces événements.
Si certains demandeurs l'ont effectivement été, d'autres
se réfèrent à ces événements tels
qu'ils sont relatés par la presse zaïroise pour formuler
leur demande, en y intégrant avec plus ou moins de bonheur leur
histoire personnelle.
La demande d'asile zaïroise est passée d'un rythme mensuel
de 618 en 1989 à 484 en 1990, 355 en 1991, et moins encore pour
les deux premiers mois de 1992. Cette diminution s'inscrit dans un mouvement
d'ensemble toutes origines confondues du nombre
total des demandes d'asile : -8,7 % en 1990 par rapport à
1989, -17 % en 1991 et -40 % si l'on considère le rythme
mensuel au premier trimestre 1992 rapporté à celui de
1991. Des paramètres globaux, indépendants de la situation
zaïroise interviennent donc. Le raccourcissement des délais
d'instruction des dossiers par l'Ofpra et la Commission des recours
et, par voie de conséquence, de la période pendant laquelle
les requérants vivaient en France avec un titre de séjour,
précarise le scénario d'établissement. Depuis le
1er octobre dernier, la suppression de l'autorisation de travail
aux demandeurs d'asile accroît encore cette précarité.
Le but est d'offir un terrain moins favorable aux migrations fondées
sur la recherche d'un mieux-être matériel. Reste à
savoir comment un Kinois cherchant en Europe une issue à sa situation
matérielle serait sensible à ce changement des conditions
d'existence des demandeurs d'asile, alors qu'il est, en général,
peu au fait de la « galère » vécue
par bon nombre de compatriotes qui ont tenté l'aventure avant
lui. Pour lui, autorisation de travail ou pas, le mirage occidental
paraît toujours plus confortable que la misère où
il s'étiole.
À la baisse générale du nombre de demandes d'asile
s'ajoute cependant une baisse de la demande d'asile zaïroise, passée
de 12,7 % de la demande totale en 1987 à 9,1 % en 1991
et 1992. Parmi les causes propres à la situation zaïroise,
il faut mentionner la décision du maréchal Mobutu, en avril
1990, de mettre fin au régime totalitaire du parti-État
et d'instaurer le pluri- (puis multi-) partisme, pour ne prendre que
les deux mesures les plus spectaculaires. Depuis, la presse use d'une
liberté de ton impensable quelques mois auparavant ; les
partis, syndicats et associations en tous genres fleurissent ;
les meetings politiques se succèdent ; des opposants notoires
ou anonymes rentrent certains pour aller à la soupe,
d'autres pour rejoindre le combat politique. Les temps ont changé.
Le Zaïre est-il pour autant une démocratie qui assure à
ses citoyens la protection de leurs droits et libertés ?
La presse kinoise et les rapports des associations de défense
des droits de l'homme témoignent que nombre de militaires se
livrent au banditisme armé en toute impunité, que les
forces de sécurité tournent à plein régime,
que des gens disparaissent ou sont abattus froidement, que les acteurs
du changement démocratique sont inquiétés et la
presse indépendante menacée, que tel gouverneur de région
aux ordres fait tout pour déclencher
des émeutes inter-ethniques, le tout s'ajoutant aux événements
connus (Lubumbashi en mai 90, Mbuji-Mayi en avril 91, Kinshasa
en février 92) au cours desquels on vit les forces de répression
verser volontairement le sang en toute impunité.
Le Zaïre d'aujourd'hui donne beaucoup plus de liberté à
l'expression et à l'action de l'opposition. Un grand nombre de
demandeurs d'asile, réfugiés statutaires et a fortiori
déboutés, pourraient, dans une optique de combat politique
pour ne pas parler des autres rentrer au pays.
Mais ce retour n'est jamais dépourvu de risques les
militants qui rentrent se gardent souvent d'entraîner leur famille
dans l'aventure tandis que les victimes d'exactions sont
aujourd'hui fondées à venir chercher refuge ici.
À cette évolution hésitante du cours de l'histoire,
qui explique en partie le fléchissement du flux des demandeurs
d'asile, s'ajoutent quelques causes conjoncturelles. Ainsi, l'instauration,
en juillet dernier, de l'obligation d'obtention d'un visa de transit
pour les ressortissants de dix pays, dont le Zaïre [6], et l'administration de sanctions contre les transporteurs
acheminant des passagers dépourvus des documents requis contribuent
à réduire le nombre d'arrivées dans les aéroports
notamment. Mais la grande majorité des demandeurs d'asile zaïrois
pénètrent sur le territoire français par les frontières
terrestres. En témoigne la faiblesse du nombre de Zaïrois
entendus par l'Ofpra aux frontières (aériennes) du 6 octobre
1991 au 6 janvier 1992 (seize dont deux seulement furent admis
à pénétrer sur le territoire pour déposer
leur demande d'asile).
Quant à la politique française de délivrance des
visas à Kinshasa, si elle était moins restrictive, elle
se traduirait naturellement par un nombre supérieur de départs.
Reste que, en 1985, 87 % des demandeurs d'asile sont entrés
en France irrégulièrement et 93 % en 1986 [7]. Par ailleurs, d'autres ambassades à Kinshasa délivrent
plus facilement les visas (Italie et Grèce notamment) sans compter
que le commerce des faux passeports et visas est florissant à
Kinshasa.
Dernier facteur de fléchissement, la baisse de capacité
des moyens de transport aérien et maritime au départ du
Zaïre depuis septembre 1991. Elle joue massivement sur le
nombre d'arrivées en France et en Europe. Depuis le 23 septembre
dernier, l'aéroport de Kinshasa-N'Djili n'est plus desservi que
par l'unique vol hebdomadaire d'Air Zaïre, auquel est venu s'ajouter
un vol Sabena en juin. Quant à la Compagnie maritime zaïroise
(CMZ), qui possédait encore dix navires en 1983, elle se vit
saisir à Anvers, en juillet 1991, et à Zeebrugge,
en janvier dernier, ses deux derniers bateaux : le voyage clandestin
au départ de Matadi s'en trouve fortement compromis.
Plusieurs facteurs se conjuguent, voire jouent en sens contraire, d'autant
que cette migration Zaïre-France prend place dans un contexte géographique,
migratoire et juridique entre les pays du Sud et la CEE.
La Belgique a ainsi connu une progression de 87 % entre 1990 et
1991 des demandeurs d'asile zaïrois [8],
un mouvement inverse de celui qui a été observé
en France pendant la même période (-27 %). Neuf cents
Zaïrois de plus ont demandé l'asile en Belgique quand 1546
de moins le faisaient en France. Phénomène de compensation
au sein d'un flux Zaïre-Europe qui serait resté globalement
identique ? Evolution dans le choix libre ou contraint
du pays de destination ?
Entre 1987 et 1991, 3,9 % des demandeurs d'asile se sont vu accorder
le statut de réfugiés, soit un sur vingt-six.
Pour savoir qui sont ces demandeurs d'asile, nous avons tenté
une approche méthodique à partir de 70 dossiers,
constitués par les Zaïrois qui ont fait une demande d'hébergement
dans le Rhône auprès de la commission d'admission du Comité
rhodanien d'accueil des réfugiés et de défense
du droit d'asile (CRARDDA) au cours des trois dernières années.
Ces demandeurs disent arriver directement du Zaïre dans le Rhône,
via tel ou tel pays ou région frontalière. Cet
échantillon de 70 dossiers est insuffisant pour servir de
base à une étude scientifique. Il semble toutefois suffisant
pour donner une image pas trop déformée de cette demande
pour la période considérée [9].
Une carte d'identité zaïroise, « carte d'identité
pour citoyen », comporte les mentions de la collectivité,
la zone, la sous-région/ville et la région d'origine ;
l'attestation de naissance fournit même la localité d'origine.
Par contre, l'origine ethnique n'est pas mentionnée malgré
l'importance qu'elle revêt souvent, sans qu'il faille la majorer.
Cette origine ethnique ne correspond pas nécessairement au lieu
de naissance mais au lieu d'origine de la famille (du père
le plus souvent).
Voir le tableau « Origines
ethniques »
Si 57 % des requérants sont nés à Kinshasa
et si 86 % y vivaient, un seul est originaire de la région
Kinshasa. Ceci confirme le rôle de « melting-pot »
joué par la capitale sur deux ou trois générations.
Kinshasa est, si l'on peut dire, la première ville du Bas-Zaïre,
qui lui sert, avec le Bandundu, d'arrière-pays. Que 36 %
des requérants soient originaires du Bas-Zaïre, et plus
précisément, pour les cas identifiés, des deux
sous-régions les plus proches (Lukaya et Cataractes), n'a donc
rien d'étonnant. Viennent ensuite les deux Kasaï (24 %,
dont 17 % pour le seul Kasaï-Oriental, pourtant plus éloigné
et plus enclavé), le Shaba (10 %), le Bandundu (7 %,
tous du Kwilu), et l'Équateur (6 %, tous de la Mongala).
Les autres régions, les plus éloignées de la capitale
(avec le Shaba) interviennent de façon marginale. Quant au Nord-Kivu,
il n'est pas représenté.
Quelle que soit leur origine ethnique, la quasi-totalité des
demandeurs d'asile viennent de Kinshasa. Pour savoir dans quelle mesure
l'ethnie est un facteur déterminant, il faudrait donc ce
que nous n'avons pu faire comparer la répartition
ethnique des requérants avec celle de Kinshasa.
Les sous-régions les plus représentées :
Cataractes et Lukaya se trouvent à proximité de Kinshasa,
reliées par une route et une ligne de chemin de fer. Le Kwilu
est une sous-région à la fois dynamique et particulièrement
délaissée par la Deuxième République après
la rébellion des mulélistes à la fin des années 60.
Quant au Kabinda, sous-région qui recèle du diamant, elle
connaît un déficit agricole face à une forte croissance
démographique.
Les régions peu représentées : à
l'Est, les habitants ont pour terres de refuge les pays frontaliers
swahiliphones le swahili est la grande langue vernaculaire
de l'Est du pays d'autant que bien des ethnies ont leur
zone d'extension à cheval sur les frontières administratives,
les Lunda en Angola et en Zambie, les Banande en Ouganda, par exemple.
Les guerres du Shaba en 1977 et 1978, les exactions de l'armée
au Nord-Kivu ou dans le Haut-Zaïre illustrent bien cette stratégie
élémentaire de l'exil. Les 10 % de cas venant du
Shaba dans l'échantillon n'infirment pas cette analyse car il
s'agit d'individus résidant hors du Shaba ou ayant des facilités
particulières de voyage.
Voir le tableau « Lieux
de naissance »
Plus de la moitié 57 % des requérants
sont nés à Kinshasa (à une exception près,
tous y vivaient avant leur départ). Si l'on ajoute les deux régions
de l'arrière-pays kinois, le Bas-Zaïre et le Bandundu, on
arrive à 67 %. Second pôle, le centre, le centre-est
et le sud-est (au sud de la diagonale Ilebo-Bukavu), soit 30 %
de l'échantillon (Shaba 13 %, les deux Kasaï 11 %,
Sud-Kivu et Maniema 6 %). Le reste est maginal (Équateur,
un seul cas). Le Nord-Kivu et le Haut-Zaïre ne sont pas représentés.
Presque les trois-quarts 74 % des requérants
sont nés dans les grandes villes de Kinshasa, Mbuji-Mayi (1 million
d'habitants), Lubumbashi, Kananga. Si l'on ajoute Likasi, Matadi et
Bukavu, on arrive à un taux de 79 % : quatre demandeurs
d'asile zaïrois sur cinq ont grandi en ville.
Voir le tableau « Résidence
habituelle »
Kinshasa est le lieu de résidence habituelle de 86 % des
requérants d'asile zaïrois. Si l'on ajoute que les personnes
en formation à l'étranger au moment des faits qui sont
à l'origine de leur départ étaient auparavant domiciliés
à Kinshasa, on obtient, sur notre échantillon, une demande
d'asile à 95 % kinoise. Rappelons que les 9/10ème
de la population zaïroize n'habitent pas à Kinshasa.
De toute évidence, le facteur déterminant est le lieu
de résidence habituel. Si des violations des droits de l'homme
ont été et sont commises à Moba, Kisangani, Mbuji-Mayi,
Butembo ou Bunia, les requérants viennent presque tous de la
capitale : la demande d'asile zaïroise est régionale.
Bien avant les services d'émigration, les contrôles aux
frontières et le tamis de l'Ofpra, un tri est déjà
fait, qui repose non pas sur l'intensité de l'engagement ou de
la répression, mais sur un ensemble de déterminations
géographiques et administratives que la capitale est seule à
réunir.
Kinshasa cumule les facilités : délivrance des passeports
et visas, proximité de la frontière fluviale, de l'aéroport
et du seul débouché maritime du pays.
Voir le tableau « Activités
professionnelles »
On remarquera d'abord la relative diversité des situations professionnelles.
À y regarder de plus près toutefois, on constate la quasi-absence
d'enseignants (un instituteur), de cadres supérieurs (un ingénieur),
de membres des professions libérales (aucun médecin ni
avocat), d'ouvriers (un seul), et l'absence d'entrepreneurs ou de gros
commerçants. On trouve également peu d'artisans ou d'employés.
Un demandeur d'asile sur quatre est un étudiant dans notre échantillon.
Chez les hommes, pratiquement un sur trois. Plusieurs facteurs peuvent
l'expliquer. Kinshasa dispose d'un grand campus et de nombreux instituts
supérieurs, qui sont depuis toujours les principaux lieux d'agitation
contre le régime.
La grande précarité matérielle des étudiants
(la bourse, quand elle est versée, ne permet pas de louer un
studio, les uvres universitaires sont inexistantes, les transports
rares et inabordables, etc.), la totale incertitude liée à
leur avenir professionnel (absence de débouchés, salaires
de misère, rêves de diplômes évanouis après
deux années blanches consécutives pour cause de fermeture
des campus), leur degré de conscientisation souvent supérieur
au reste de la population, leur aspiration à poursuivre leurs
études dans des conditions décentes à l'étranger,
leur grande mobilité enfin (célibat le plus souvent),
tout cela prédispose au départ vers l'Europe. Le déclic
sera le plus souvent une arrestation, suivie de sévices, ou la
crainte d'une telle arrestation.
Le nombre important de militaires et d'agents de la sécurité
(civile ou militaire : 1 requérant sur 7) traduit pour
une bonne part le désarroi qui règne dans l'armée
et dans ces services, depuis les changements politiques intervenus en avril
1990. Leur exil intervient le plus souvent lors d'un changement d'affectation
(passer d'un rôle administratif à un rôle « actif »)
qui déclenche un « non possumus »,
le système se retournant alors contre les agents devenus indociles
ou trop scrupuleux.
Sur les 22 femmes qui composent notre échantillon, 9, soit
41 %, sont dans le commerce. Il s'agit soit d'employées,
soit de petites commerçantes comme on en voit des milliers
dans les rues de Kinshasa. Pas de « moziki 100 kg »
(riches commerçantes « roulant Mercédès »
et proches du régime). Depuis les pillages de septembre
1991, 6 des 15 femmes de notre échantillon sont des
commerçantes. Cinq fois sur six cependant, c'est la mort ou la
disparition du mari qui est mentionnée comme la cause liée
à la destruction de l'outil de travail du départ.
Pour nombre de femmes en effet, c'est la profession ou les activités
du mari qui sont déterminantes et, dans trois cas sur 15,
celui-ci était un militaire, soit membre de l'opposition, soit...
pillard aux heures perdues.
Autre constatation notable : deux requérants sans profession,
dans une ville de quatre millions d'habitants où le secteur
informel est majoritaire et où les chômeurs sont légion,
c'est très peu. Si l'on ajoute que les deux requérants
en question sont des femmes dont le mari disposait d'un revenu régulier,
cela signifie que 100 % des requérants non-étudiants
bénéficiaient d'un revenu, même faible (ménagère,
cantinière, etc.). Les exilés zaïrois ne sont ni
gens fortunés, ni prolétaires : les uns ont ce qu'il
faut pour rester, les autres n'ont pas ce qu'il faut pour partir.
Comment venir en Europe en effet sans un niveau de ressources minimum ?
Comment payer le billet d'avion [10] ?
Comment payer les intermédiaires qui procurent passeport et visa ?
Le sous-prolétariat kinois, même persécuté,
ne vient guère en Europe : comment le ferait-il ? Il
y a ceux qui peuvent corrompre un gardien, et ceux qui meurent en prison,
affaiblis par les mauvais traitements, affamés, malades, abandonnés.
Lire la
suite
Notes
[1] L'Office français
de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 1992,
annexe 1. Ces chiffres publiés en février dernier,
représentent un « bilan statistique provisoire »
de 1991.
[2] La prise en compte des
statistiques des années précédentes indique que
le Zaïre est au deuxième rang derrière la Turquie
depuis 1986. Cf. Jacques François, « De l'exil à
l'asile en Europe », in Approches polémologiques
Conflits et violence politique dans le monde au tournant
des années quatre-vingt-dix, Fondation pour les études
de défense nationale, Paris, 1991, p. 417.
[3] Le nombre de réfugiés
statutaires d'Afrique noire tel qu'il apparaît dans la réponse
du ministre de l'Intérieur à une question écrite
du 27 août 1990, publiée le 29 avril 1991, est
de 11 245. Les réfugiés zaïrois sont au nombre de
4758, soit 42 % du total des réfugiés du continent
(Documentation réfugiés, n° 147, 18/27 mai
1991).
[4] L'Office français,
op. cit., annexe 2, page 5.
[5] Selon le HCR. Le Zaïre
accueillait, quant à lui, à la même époque,
environ 341 000 réfugiés, dont 310 000 Angolais.
[6] Cette mesure a pour
objet d'empêcher un ressortissant d'un de ces pays de demander
l'asile à la faveur d'un transit ou d'une escale en France, après
obtention dans son pays d'un visa délivré par le pays
de destination. Cette formule permettait en effet de contourner la non-délivrance
de visas par les autorités consulaires françaises.
[7] OFPRA in Actualités
Migrations, n° 30, 13 au 19 novembre 1989.
[8] En 1990, 12 964 personnes
ont déposé une demande d'asile en Belgique, dont 8 %
de Zaïrois (environ 1040), contre 12 % de Ghanéens,
13 % de Turcs et 13 % de Roumains. Le Zaïre n'arrivait
donc qu'en quatrième position, ex-aequo avec l'Inde et
la Pologne. En 1991, sur 15 291 demandes, 1940 (12,7 %) émanaient
de Zaïrois, le Zaïre arrivant ainsi au deuxième rang
après la Roumanie (15,5 %) et avant le Ghana (9,5 %).
[9] L'issue de la demande
d'asile de certains d'entre eux ne nous est pas connue, mais il
s'agit ici d'une étude sur le profil des demandeurs d'asile et
non des réfugiés statutaires. Les deux membres d'un couple
déposant une demande d'asile ne constituent dans cette étude
qu'un dossier, sauf si les deux conjoints ont une histoire (activités,
persécutions) propre. Notre étude porte sur les faits
tels que relatés dans des déclarations qui vont de la
confession la plus sincère à l'improvisation la plus fantaisiste,
et non sur des faits bruts, parfois inconnaissables.
[10] La sortie du pays comme
passager clandestin sur un bateau au départ de Matadi coûte
évidemment moins cher. Dans bien des cas, c'est le moyen de fuite
du pauvre. C'est aussi un moyen dangereux : on peut mourir de
froid, de faim, de soif dans son conteneur.
Dernière mise à jour :
11-03-2001 15:40.
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