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Plein Droit
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Plein Droit n° 5, novembre 1988 La peine de vieStéphane Maugendre 9 octobre 1981 : « La peine de mort est abolie » (art. 1er de la loi du 9 octobre 1981). 9 septembre 1981 : la peine de vie est établie (loi « Pasqua »). Dans l'intervalle de cinq ans, cinq ans seulement, Robert Badinter efface la mort de notre Code pénal, et Charles Pasqua en rétablit son double contraire, avec l'interdiction du territoire qui peut être prononcée contre tout étranger en situation irrégulière, eût-il vécu en France la majeure partie de son existence. Il faut toujours que quelqu'un paie : pourquoi pas l'étranger ? L'étranger paie au présent, au futur, et au passé. L'étranger paie au présentJuin 1988. Deux cents ans après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cinquante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, un collectif, Le monde judiciaire pour les libertés, organise une conférence de presse à 3 heures du matin devant la Préfecture de la Seine-Saint-Denis. Que peut-on voir devant cette administration, dont les portes n'ouvriront qu'à 9 heures ? Ces « autres » qui, des heures durant, attendent non pas une pièce de tissu jaune, mais un morceau de papier, un coup de tampon, ou un rendez-vous pour avoir ce morceau de papier, ce coup de tampon. Désigné comme l'un des maux de notre société, l'étranger doit payer :
C'est le « délit-mode » par excellence, tout comme l'usage de stupéfiants, la conduite en état d'ivresse ou le terrorisme. Pourquoi un « délit-mode » ?
L'étranger paie au futurPar l'effet de pratiques administratives qui ne sont plus à décrire (renouvellement par courtes périodes des autorisations provisoires de séjour, opposition de la situation de l'emploi à la « sauce » stéréotypée, amputation des droits sociaux, regroupement familial sans objet, inscriptions scolaires en forme de « course d'obstacles » ...), la mort civile, qui avait disparu de notre législation, semble être aujourd'hui à nouveau de rigueur. [3] Tout est fait pour précariser l'avenir non seulement d'un homme, mais de familles entières. Les étrangers sont-ils des morts civils, pour ne pas pouvoir jouir des droits les plus élémentaires dans une société dite démocratique et policée comme la nôtre ? L'étranger paie au passéC'est ce que montrent les exemples (vécus) qui suivent. Un homme, qui a la nationalité française, parce que ses parents d'origine algérienne ont opté pour celle-ci, fait son service national sous les drapeaux français. Il prend part aux différentes élections depuis 1974, et fait renouveler régulièrement sa carte d'identité française. En 1988, quelque temps avant les scrutins, n'ayant pas reçu sa carte d'électeur, il s'enquiert auprès de la mairie. au guichet, on lui rétorque : « Mais, Monsieur, vous n'avez plus la nationalité française depuis un décret de 1974 ! ». Un jeune homme de 15 ans acquiert la nationalité française. À 20 ans, il fait son service national en France. Durant les quinze années qui vont suivre, il achètera une maison, se mariera, et aura beaucoup d'enfants. Non, il ne s'agit pas d'un conte de fées, mais bien d'une histoire, une histoire bien banale. Au moment de renouveler pour la troisième fois sa carte d'identité, il fait une demande de certificat de nationalité, qui lui est refusé au motif qu'on lui aurait attribué la nationalité française par erreur... De tels retraits de la nationalité française ne rappellent-ils pas ces périodes de l'Inquisition où l'excommunication était chose quotidienne ? Monsieur A.M., né à la fin de l'année 1962 en Algérie, arrive en France avec son père et sa mère à l'âge de sept mois. Durant 25 ans, il vivra en France, apprendra le français à l'école, et n'ira que deux ou trois fois en vacances dans son pays natal, dont il ne connaît pas la langue. Ses six frères et surs, nés en France après 1963, sont Français, souvent mariés avec des Français et/ou pères ou mères d'enfants français. Aujourd'hui, il est expulsé du territoire français, coupé de ses attaches familiales et culturelles. Sous le prétexte d'un soi-disant ordre public impérieux et sacro-saint, vingt-cinq années de sa vie ont été abolies. Ces mesures d'« éloignement » (c'est par pudeur qu'on les appelle ainsi), ne sont-elles pas des bannissements ? Le bannissement, cette « peine criminelle, infâmante, politique... consistant dans la simple expulsion du condamné du territoire de la République » [4], semblait avoir disparu depuis des années, sinon des lustres, de notre jurisprudence pénale. Il réapparaît donc aujourd'hui. Du jour au lendemain, quinze, vingt, vingt-cinq années d'une vie sont effacées. Comment peut-on, d'un coup de chiffon administratif, effacer ainsi tant d'années de vie humaine ? Pour ces étrangers ces hommes , nous avons rétabli le bannissement, l'excommunication et la mort civile : l'archaïsme est aujourd'hui de rigueur. Les trois temps de notre grammaire pénale sont conjugués pour éliminer l'étranger. La meilleure façon de tuer un homme, n'est-elle pas de lui faire vivre cette vie-là, cette peine de vie ?
Notes[1] Article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (dans sa rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986, dite « loi Pasqua » : « L'étranger qui aura pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles 5 et 6 sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an de prison et d'une amende de 2000 à 20000 F. La juridiction pourra en outre interdire au condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner sur le territoire français. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ». [2] Le délit pénal est généralement constitué de trois éléments :
[3] La mort civile est la sanction qui frappait, avant son abolition en 1954, les condamnés aux peines les plus graves, et qui consistait à les réputer morts au regard du droit, bien qu'ils fussent physiquement en vie. Il en résultait pour eux la perte de la personnalité juridique, et, à quelques atténuations près, une incapacité générale de jouissance (voir Gérard Cornu, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique , P.U.F., 1987, p. 511). [4] Ibid. p. 85. Voir aussi l'article 8 du Code pénal (loi du 28 avril 1832) : « Les peines infâmantes sont : 1) le bannissement ; 2) La dégradation civique. »
Dernière mise à jour :
24-04-2001 22:24. |