ÉVOLUTION
DE LA JURISPRUDENCE
EN MATIÈRE D'ÉLOIGNEMENT
Décision M. du Conseil d'État
du 17 novembre 2000
CONSEIL
D'ÉTAT
statuant au contentieux
N° 208664
M. M.
Mme Le Bihan-Graf
Rapporteur
M. Chauvaux
Commissaire du Gouvernement
Séance du 4 octobre 2000
Lecture du 17 novembre 2000
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'État statuant au contentieux (Section du contentieux,
5ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête enregistrée le 7 juin 1999 au secrétariat
du contentieux du Conseil d'État, présentée par
M. S. M., demeurant (...) à Avignon (84000) ;
M. M. demande au Conseil d'État :
-
d'annuler le jugement du 5 mai 1999 par lequel le conseiller
délégué par le président du tribunal
administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation
de l'arrêté du 19 avril 1999 du préfet
de Vaucluse décidant sa reconduite à la frontière ;
-
d'enjoindre au préfet de Vaucluse de lui délivrer
un titre de séjour dans un délai de 30 jours
à compter de la notification de la décision à
venir sous astreinte de 500 F par jour de retard, ou subsidiairement,
de procéder dans le même délai à un nouvel
examen de sa situation ;
- de condamner l'État à lui verser la somme de 6 000 F
au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée,
relative à l'entrée et au séjour des étrangers
en France ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret
n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127
du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : « Le
représentant de l'État dans le département et,
à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté
motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à
la frontière dans les cas suivants (...) 3° Si
l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement
d'un titre de séjour a été refusé ou dont
le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu
sur le territoire au-delà du délai d'un mois à
compter de la date de la notification du refus ou du retrait » ;
que, selon l'article 12 bis de la même ordonnance :
« Sauf si sa présence constitue une menace pour
l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention
« vie privée et familiale » est délivrée
de plein droit (...) 3° À l'étranger, ne
vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen
résider en France habituellement depuis plus de dix ans
ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il
a séjourné en qualité d'étudiant » ;
Considérant qu'indépendamment de l'énumération
faite par l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet
d'une mesure d'éloignement, qu'il s'agisse d'un arrêté
d'expulsion pris en dehors des cas d'urgence absolue ou de nécessité
impérieuse pour la sûreté de l'État ou la
sécurité publique ou d'un arrêté de reconduite
à la frontière, l'autorité administrative ne peut
légalement prendre une mesure de reconduite à la frontière
à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve
en situation irrégulière au regard des règles relatives
à l'entrée et au séjour ; que, lorsque la
loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de
plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle
à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une
mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant que M. M., de nationalité tunisienne,
qui invoque l'atteinte que son éloignement porterait à
sa vie privée et familiale compte tenu de la durée de
son séjour en France, entend ainsi se prévaloir des dispositions
précitées du 3° de l'article 12 bis
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; qu'il ressort des pièces
du dossier qu'à la date à laquelle a été
pris l'arrêté prononçant sa reconduite à
la frontière, M. M. justifiait résider habituellement
en France depuis octobre 1985 et pouvait donc prétendre
de plein droit à la délivrance d'une carte de séjour
en application des dispositions précitées du 3°
de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre
1945 ; que, par suite, le préfet de Vaucluse ne pouvait,
sans méconnaître ces dispositions, prendre à son
encontre l'arrêté attaqué ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède
que M. M. est fondé à soutenir que c'est à
tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué
par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté
sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du
19 avril 1999 du préfet de Vaucluse ordonnant sa reconduite
à la frontière ;
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 6-1
de la loi du 16 juillet 1980, issu de la loi du 8 janvier
1995 : « Lorsqu'il règle un litige au fond
par une décision qui implique nécessairement qu'une personne
morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé
de la gestion d'un service public doit à nouveau se prononcer
après une nouvelle instruction, le Conseil d'État, saisi
de conclusions en ce sens, prescrit que cette nouvelle décision
doit intervenir dans un délai déterminé, qu'il
peut assortir d'une astreinte prenant effet à une date qu'il
fixe » ; qu'aux termes des dispositions du III
de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre
1945 : « Si l'arrêté de reconduite à
la frontière est annulé, (...) l'étranger
est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à
ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas » ;
Considérant que M. M. demande, en premier lieu, qu'il soit
ordonné à l'administration de lui délivrer une
carte de séjour temporaire ; que si la présente décision
rend impossible l'exécution de la mesure de reconduite à
la frontière prise à son encontre, elle n'implique pas
par elle-même la délivrance d'un titre de séjour ;
que, par suite, les conclusions de M. M. tendant à ce qu'il
soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour
temporaire ne peuvent être accueillies ;
Considérant que M. M. demande, en second lieu, qu'il soit
ordonné à l'administration préfectorale de procéder
à un nouvel examen de sa situation dans le délai d'un
mois sous astreinte de 500 F par jour de retard ; que l'annulation
de l'arrêté susmentionné du 19 avril 1999 impliquant,
en application du III de l'article 22 bis de l'ordonnance
du 2 novembre 1945, un tel réexamen, il incombe au Conseil
d'État d'enjoindre au préfet de Vaucluse de prendre les
mesures nécessaires pour que la situation de M. M. soit
réexaminée dans les deux mois qui suivront la notification
de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, toutefois,
d'assortir celte injonction d'une astreinte ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce,
de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi
du 10 juillet 1991 et de condamner l'État à payer
à M. M. la somme de 6 000 F qu'il demande au titre
des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du conseiller délégué
parle président du tribunal administratif de Marseille en date
du 5 mai 1999 et l'arrêté du 19 avril 1999 par
lequel le préfet de Vaucluse a ordonné la reconduite à
la frontière de M. M. sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse
de prendre les mesures nécessaires au réexamen, dans un
délai de deux mois suivant la notification de la présente
décision, de la situation de M. M.
Article 3 : L'État versera à M. M.
une somme de 6 000 F au titre de l'article 75-I de la
loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête
de M. M. est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera
notifiée à M. S. M., au préfet de Vaucluse
et au ministre de l'intérieur.
Dernière mise à jour :
3-04-2001 14:18.
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