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À propos du livre vert
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Préalable Un défoulement citoyen contournant le débat parlementaire Le débat relatif au projet de traité constitutionnel de l'Union européenne a déjà donné lieu à l'ouverture d'un site Internet dans lequel les citoyens étaient invités à exprimer leurs avis et/ou leurs humeurs sans que personne ne sache ce qu'il adviendrait de cette consultation. Et voici que la recette est à nouveau utilisée par le Livre vert sur les migrations économiques ! En quoi ces débats médiatisés auraient-ils la moindre validité au regard de débats au sein des institutions démocratiques européennes, notamment du parlement européen ? Les Etats membres et le Conseil européen contournant le débat parlementaire Le Livre vert prévoit une harmonisation européenne des politiques d'immigration économique tout en laissant finalement le champ libre aux décisions des Etats membres. Les Etats membres ont amplement prouvé leur aptitude à contourner le Parlement européen notamment lors de l'élaboration de la directive sur le regroupement familial sur laquelle le Parlement européen a déposé un recours contre le Conseil européen [1]. Le même mécanisme a de bonnes chances de se reproduire pour l'élaboration de la politique sur les migrations économiques. A quoi bon parler du livre vert ? La Commission européenne unit sa voix aux chantres de l'utilitarisme migratoire. Le Livre vert pose des questions aussi inquiétantes que contradictoires. Le mécanisme même d'un Livre vert est préoccupant pour la vie des institutions démocratiques européennes. Refusant de nous enfermer dans le questionnement de ce Livre vert, nous saisissons cependant cette occasion pour montrer les menaces que cette approche des migrations économiques fait peser sur la démocratie, la politique internationale et les droits universels des migrants. |
Le « livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques » [2] de la Commission Européenne reconnaît « l'impact que le déclin démographique et le vieillissement de la population ont sur l'économie » et souligne « la nécessité de revoir les politiques d'immigration pour le long terme » (...). « Des flux migratoires plus soutenus pourraient être de plus en plus nécessaires pour couvrir les besoins du marché européen du travail et pour assurer la prospérité européenne. (....) Ceci met en lumière l'importance d'assurer qu'une politique européenne en matière de migration économique apporte un statut légal et une panoplie de droits garantis qui puisse soutenir l'intégration de ceux qui ont été admis ».
Depuis trente ans, l'admission au compte-gouttes dans les pays les plus industrialisés des travailleurs migrants ne mène qu'à favoriser une immigration économique de travailleurs sans papiers exploités par leurs employeurs. Ces pays le reconnaissent implicitement soit en régularisant par vagues des sans papiers, soit en finissant par leur accorder un statut légal après de nombreuses années. Cela n'est pas favorable à l'économie européenne constate la Commission. Cela est surtout, à nos yeux, contraire aux droits de l'homme garantis par plusieurs Conventions internationales.
Puisque le constat d'échec semble largement partagé, c'est le moment d'une remise en cause profonde de la politique européenne en matière d'immigration. En se concentrant sur une immigration de travailleurs utiles à l'économie européenne, le livre vert manque, à nos yeux, cette occasion.
La logique sous-tendue par le livre vert nous inquiète par les questions essentielles qu'elle soulève tant sur les droits de l'homme que sur la politique extérieure de l'Europe :
Comment concevoir d'organiser l'accès au travail de migrants économiques sans s'interroger sur la négation du droit fondamental à travailler protégés contre les discriminations des étrangers déjà présents sur le territoire : demandeurs d'asile, membres de la famille d'un travailleur migrant, étudiants, sans-papiers contraints à des travaux précaires ?
Au nom de quoi l'Union européenne pourrait-elle s'arroger le droit de choisir certaines catégories de travailleurs bénéfiques à son économie (ou considérés comme tels à un instant donné) et donc forcément de les inciter à quitter leur pays d'origine ?
Que fait-on du libre choix des individus, de tous ceux qui choisissent de vivre en Europe sans disposer des critères supposés correspondre aux besoins de l'économie européenne ?
- Qu'adviendra-t-il des travailleurs « utiles » lorsque leur travail deviendra « inutile » ?
Comment assurer « un statut légal et une panoplie de droits garantis qui puisse soutenir l'intégration de ceux qui ont été admis » en conditionnant leur droit au séjour à la poursuite d'un contrat de travail ou encore en les maintenant dans une précarité leur interdisant un travail digne ou le regroupement familial ?
Des fichiers informatiques européens de candidats à la migration comme le portail/réseau EURES dans lesquels les grosses entreprises pourront puiser en fonction de leurs besoins provisoires peuvent-ils se substituer à une politique européenne d'immigration élaborée démocratiquement ?
La politique extérieure et la coopération de l'Union européenne à l'égard d'un pays peuvent-elles se fonder sur des départs ou des retours de ce pays réglés selon le bon vouloir des Européens ?
La « Convention [des Nations unies] pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles » confirme, pour tous les travailleurs migrants avec ou sans papiers, l'universalité des droits de l'homme. Guidés par ces droits de tous les travailleurs migrants, nous affirmons que la politique européenne d'immigration doit être fondée sur les droits universels de l'homme et pas sur des besoins économiques.
Pour être constructif, un débat démocratique devrait porter sur l'ensemble de la politique d'immigration et d'asile de l'UE. Il est pour le moins inquiétant de voir se dessiner un projet dit de politique « positive » en faveur des seuls migrants à vocation économique tandis que les droits « communs » des migrants sont constamment revus à la baisse et les entraves à la liberté de circulation régulièrement accrues. Tandis que la coopération européenne avec les pays voisins est systématiquement conditionnée par la répression des migrants (accords de réadmission, agents de liaison, contrôle policier des frontières), pratique officialisée par le programme de La Haye [3] décidant de « soutenir, en recourant aux fonds communautaires existants, les efforts déployés par les pays tiers pour améliorer leur capacité à gérer les migrations et à protéger les réfugiés ». A un moment où rarement n'a régné une telle cacophonie entre les initiatives des Etats membres, entre la régularisation massive en Espagne contestée par l'Allemagne et les Pays Bas, la nouvelle loi britannique filtrant l'accès des migrants qualifiés au détriment des autres, les craintes des nouveaux membres de porter une tâche trop lourde de contrôle aux frontières orientales de l'Europe... Sans une toute autre orientation, on en viendrait à douter de l'opportunité de continuer à harmoniser la politique européenne d'immigration et d'asile... et de dialoguer sur le livre vert.
Dès 1994, le Conseil européen avait adopté des résolutions sur l'immigration économique instaurant notamment le critère de préférence aux communautaires. Pour filtrer sur cette base l'introduction de travailleurs venus de pays tiers, il avait mis en place le réseau de services européens de l'emploi EURES [4].
Depuis le traité d'Amsterdam, la Commission européenne pilote l'harmonisation des politiques d'immigration et d'asile. En novembre 2000, une communication [5] - citée ci-dessous comme COM2000 - jetait les bases d'une nouvelle politique d'immigration économique. En juillet 2001, la Commission présentait au Conseil une proposition de directive relative à l'immigration économique [6] - citée ci-dessous comme COM2001 - guidée par les idées de COM2000.
Depuis, l'harmonisation des politiques d'immigration et d'asile de l'UE a progressé notamment par l'adoption de directives relatives aux migrants toutes plus restrictives que ne l'étaient les propositions initiales. La directive sur l'immigration économique n'est, elle, toujours pas adoptée.
Selon le programme de La Haye, le livre vert vise à jeter d'ici la fin de 2005 les bases d'un « programme d'action relatif à l'immigration légale, comprenant des mesures d'admission qui permettent au marché du travail de réagir rapidement à une main d'uvre étrangère en constante mutation ». Il devrait ainsi relancer la future directive sur l'immigration économique.
Nous commentons les thèmes abordés dans le livre vert que nous jugeons les plus importants en les replaçant dans le cadre de la politique européenne sur l'immigration, sortant délibérément de la problématique du livre vert. Pour plus de clarté, ces commentaires sont regroupés en trois rubriques pas tout à fait indépendantes entre elles : introduction des travailleurs, droits des travailleurs, politique extérieure.
- Dès 2000, la commission constatait l'échec de l'immigration zéro :
« L'immigration économique a été déclarée fermé dans les années 1970 ; étant donné les ressources économiques actuelles de l'UE, cela ne semble plus adapté. Beaucoup de migrants économiques ont été conduits soit à chercher une admission au titre de l'asile soit à entrer illégalement. Cela ne répond pas correctement au marché du travail et laisse le champ libre à des trafiquants bien organisés et à des employeurs sans scrupules » (COM2000).
- En 2003, s'ajoutait le vieillissement de la population :
« Dans l'hypothèse d'une immigration modérée, le vieillissement démographique aura pour conséquence que la population en âge de travailler dans l'UE-25 reculera de 303 à 280 millions d'ici à 2030 [tandis que] le nombre de personnes de plus de 65 ans passera de 71 millions en 2000 à 110 millions en 2030. » (Communication de la commission [7] citée ci-dessous comme COM2003).
Selon ce besoin économique nouveau, l'objectif proclamé est de faciliter l'introduction de travailleurs dans l'UE, notamment en améliorant le fonctionnement de EURES. « Les politiques d'introduction de migrants économiques doivent permettre à l'UE de répondre rapidement et efficacement aux exigences du marché économique » (COM 2000).
Le projet de directive sur l'immigration économique (COM2001) a l'avantage de la clarté : un seul statut, un « permis combiné de séjour-travail » ; des conditions de présentation de la demande uniformes ; une liste précise des demandeurs d'emploi privilégiés ...
Et pourtant, l'introduction des travailleurs salariés selon les critères de besoin économique ne fonctionne actuellement que de manière marginale dans l'UE. A titre d'exemple, en France, sur 128 791 ressortissants des pays tiers ayant obtenu en 2003 une nouvelle carte de séjour donnant droit au travail seulement 6 500 avaient suivi cette procédure. Par ailleurs, les contrats précaires se développent de manière inquiétante, concernant pour l'essentiel des travailleurs saisonniers privés des droits sociaux attachés au séjour ; contrats dont le renouvellement est soumis à un départ de quelques mois et aux besoins des employeurs.
Accès à un premier titre de séjour de un an au moins, donnant droit au travail, accordés en France à des ressortissants de pays tiers en 2003 [8] selon les motifsSalariés : 6 500 Statuts privilégiés : scientifiques 1 162, profession artistique et culturelle 375. En outre, 45 793 étudiants ont été admis au séjour : ils peuvent obtenir assez aisément une autorisation pour travailler à mi-temps. |
Il en va de même dans la plupart des pays européens sous des formes diverses : introduction réduite de travailleurs compensée par des régularisations.
Ne serait-il pas temps d'ouvrir le filtre étroit des préférences par lequel passe l'introduction en Europe de travailleurs nouveaux ? Ne serait-il pas temps de reconnaître que l'immigration ne saurait être limitée aux quelques emplois jugés bénéfiques par le marché européen ?
Malgré le faible score des introductions de travailleurs migrants, on parle sous divers vocables de quotas d'immigrés.
En 2000, l'idée est évoquée, le terme de « cibles indicatives » étant préféré :
« Le besoin d'une approche flexible de besoins économiques fluctuants suggère que des quotas seraient impraticables et qu'un système de cibles indicatives serait préférable. Cela serait étroitement lié au marché du travail mais prendrait aussi en compte des accords établis avec le pays d'origine et une gamme de facteurs divers (par exemple l'acceptation par l'opinion publique de plus de migrants... »
Le projet de directive COM2001 (article 26) va plus loin et prévoit des quotas d'immigrés avec de possibles exceptions qualitatives :
« Les Etats membres peuvent décider d'adopter des dispositions nationales limitant la délivrance de permis au titre [de séjour-travail objet principal du texte] à un plafond déterminé (...) afin de tenir compte de la capacité globale d'accueil et d'intégration des ressortissants de pays tiers sur leurs territoires ou dans des régions déterminées de leurs territoires. Ces dispositions indiquent en détail quels groupes de personnes sont visés ou en sont exemptés. »
Comment seraient fixés ces quotas ? Sans doute, selon les caractéristiques démographiques et économiques du pays d'accueil. Sans doute, selon des accords avec les pays d'origine monnayés contre un contrôle policier accru des migrants hors quotas, nationaux ou en transit. Vraisemblablement, selon les besoins en main d'uvre déclarés comme tels par le monde économique, sans le moindre contrôle démocratique.
Qu'il s'agisse de critères fondés sur le métier ou la nationalité, que ces critères soient appréciés par des administrations ou des employeurs, qu'ils prennent ou non le nom de « quotas », ces mécanismes de sélection gèrent les hommes comme des marchandises. La protection contre les discriminations serait-elle réservée à certaines personnes selon des critères variables dans le temps et l'espace, aux seuls Européens par exemple ?
Début 2005, l'Espagne régularise en masse ... les employeurs illégaux. En effet, sauf pour les employés de maison, ce sont les employeurs qui font les démarches auprès de l'administration et présentent le contrat de travail. Ce sont eux qui décident ou refusent de légaliser une relation de travail dont l'illégalité leur permet d'exploiter une main d'uvre bon marché et peu revendicative ; l'intérêt à régulariser est par exemple douteux pour des exploitants agricoles andalous maintenant leurs salariés sans papiers en quasi-esclavage. Même si un employeur procède à la régularisation, il restera omnipotent puisqu'il est maître à la fin du contrat de décider si l'emploi est encore utile donc si le permis de séjour-travail accordé doit être renouvelé ; le travailleur bénéficiaire reste ainsi dépendant de son bon vouloir et assujetti à un moyen de pression supplémentaire.
Le livre vert ouvre largement la porte à ce type de transfert du droit des migrants vers le droit des employeurs. Il va jusqu'à envisager un permis de travail dont l'employeur serait titulaire ou co-titulaire.
Dans tout ce système d'immigration économique, depuis l'évaluation des besoins économiques ou des quotas jusqu'au contrôle des droits des migrants exercé par leur employeur, on assiste à un transfert inquiétant des responsabilités de l'immigration de l'Etat vers les employeurs et les organisations patronales. Qui sera garant des droits des travailleurs si l'Etat manque à son devoir de protection des « plus faibles » ? Quel contrôle démocratique peut-il s'exercer sur ces mécanismes ? Laisserons nous les intérêts économiques déposséder la démocratie ?
Plutôt que des quotas, une porte largement ouverte aux élites ?
« Il serait illusoire de croire que l'on pourra pronostiquer avec précision les futurs besoins du marché de l'emploi (...). Les migrants les plus susceptibles de faire coïncider l'offre et la demande sont ceux capables de s'adapter suffisamment pour affronter les nouvelles situations du fait de leur qualification, de leur expérience et de leurs capacités personnelles. Les procédures de sélection doivent favoriser ces candidats à l'immigration et leur offrir des conditions suffisamment attrayantes » (COM2003).
Telle est la ligne directrice de la nouvelle loi sur l'immigration britannique qui offre un accueil plus large aux migrants hautement qualifiés tout en le restreignant pour les autres. Tel est aussi le choix de la loi française qui prévoit :
depuis 1984, des dérogations à la règle de l'opposabilité de l'emploi pour les personnes recrutées à un salaire 1300 fois supérieur au SMIC horaire [9] ;
un statut « privilégié » pour les chercheurs ;
pour les jeunes diplômés, des dérogations aux restrictions provisoires de l'accès au travail des ressortissants des nouveaux Etats membres de l'UE.
Le livre vert envisage une « carte verte » sur le modèle adopté aux Etats-Unis, dispensant des procédures d'examen du besoin économique selon divers critères : salaire et/ou qualification élevés ; secteurs ou régions privilégiés par un Etat membre ; quotas de travailleurs liés à des engagements internationaux des Etats membres à l'égard des pays tiers.
L'adoption d'un système de mesures particulières favorables aux migrants économiques « choisis » ne peut qu'accentuer les dérives d'une politique générale toute focalisée sur un objectif de fermeture des frontières et de rejet des « autres migrants ».
[1] Recours introduit le 22 décembre 2003 contre le Conseil de l'Union européenne par le Parlement (Affaire C-540/03) publié au journal officiel de l'Union européenne le 21/2/2004, référence C 47/21.
[2] COM(2004) 811 final, Bruxelles, 11/1/2005.
[3] Programme de La Haye, Conclusions de la Présidence - Bruxelles, 4/5 novembre 2004, annexe 1.
[4] European Employment Services
[5] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen sur une politique commune en matière d'immigration - COM(2000) 757 final, 22/11/2000.
[6] Proposition de directive du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi salarié ou de l'exercice d'une activité économique indépendante - COM(2001) 386 final, 11/7/2001.
[7] Communication de la Commission au Conseil, au parlement européen, au comité économique et social et au comité des régions sur l'immigration, l'intégration et l'emploi - COM(2003) 336 final, Bruxelles, 3/6/2OO3.
[8] Haut conseil à l'intégration - Rapport 2002-2003 de l'observatoire des statistiques de l'immigration et de l'intégration.
[9] Circulaire du
21/12/1984 (J0 du 12/1/1995).
L'analyse au format
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Dernière mise à jour :
23-03-2005 13:36
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