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ACTIONS COLLECTIVES

À propos du livre vert
sur les migrations économiques
About the Green paper on economic migration

[Format A4, 155ko]

1ère partie / 2nde partie

II. Droits des travailleurs migrants

II. 1. Le principe de l'égalité des droits malmené par le « principe » européen des droits modulés en raison de la durée de séjour

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » proclame l'article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

La Convention internationale des droits des migrants est, sur ce point, en retrait puisqu'elle accepte une marge d'inégalité entre les droits qu'elle garantit à tous les travailleurs migrants et ceux qui ne concernent que les travailleurs migrants légaux.

Et pourtant, toutes les législations européennes modulent les droits des travailleurs migrants selon la durée de leur séjour. La Commission européenne en fait même un « principe ».

« Le principe sous-jacent de la politique d'immigration de l'UE doit être, pour diverses raisons, que les personnes admises devraient jouir des mêmes droits et responsabilités que les citoyens de l'UE mais que cela peut être progressif et lié à la durée du séjour ». Ce principe « a une longue tradition dans les Etats Membres et il y est fait référence dans les conclusions de Tampere » (COM2000).

Le livre vert s'appuie à son tour sur ce « principe ». « Les travailleurs migrants doivent avoir un statut juridique sûr » et « devraient bénéficier du même traitement que les citoyens de l'UE en particulier quant à certains droits sociaux et économiques fondamentaux avant d'obtenir le statut de longue durée, qui implique un ensemble plus étendu de droits, conformément au principe de différentiation des droits en fonction de la durée du séjour ».

Selon ce « principe » il est partout question de « flexibilité » et de « statut légal pour des travailleurs temporaires conduisant éventuellement à un statut permanent pour ceux qui répondent à certains critères » (COM2000).

La proposition de directive sur l'immigration économique (COM2001) suit ce « principe » puisqu'elle ne prévoit qu'après un purgatoire de trois ans l'accès prioritaire à l'emploi et le libre choix de son travail et de son employeur.

Ainsi la tendance européenne confirmée par le livre vert est à lier, pendant plusieurs années, le droit au séjour du travailleur migrant au fait de détenir un emploi – et donc d'avoir pu le conserver - ou, pire, au seul bon vouloir de l'employeur.

Cela crée une catégorie de travailleurs rendus vulnérables en raison de la précarité de leurs droits, davantage subordonnés dans la relation de travail, et donc davantage exploitables que les autres travailleurs.

Lorsque le droit au séjour cesse avec l'emploi, cela n'aboutit qu'à créer des travailleurs migrants en sans-papiers exploités. La commission le reconnaît elle-même :

« Les expériences antérieures (...) ont démontré l'extrême difficulté de maintenir des programmes d'immigration temporaire car les personnes décidées à rester dans un pays trouvent généralement le moyen de le faire » (COM2003).

Tout cela favorise ainsi la précarisation des droits sociaux des migrants et permet une pression à la baisse des normes sociales de tous les travailleurs sur le marché du travail.

 

II. 2. Le « principe des droits modulés » transposé dans les directives

Deux directives déjà adoptées appliquent ce « principe » aux droits fondamentaux des immigrés.

  • Selon la directive relative au droit au regroupement familial [10], le regroupant doit avoir une carte de séjour d'au moins un an et « une perspective fondée d'obtenir un droit au séjour permanent » pour bénéficier effectivement du droit de se faire rejoindre par son conjoint et ses enfants mineurs. Les obstacles à ce droit sont multiples : pour les enfants de plus de 12 ans, un « critère d'intégration » peut être demandé ; un séjour régulier préalable du regroupant pendant 2 ans peut être exigé, l'accès au travail des membres de la famille peut être refusé... Cela constitue une négation pure et simple du droit réel de mener une vie familiale, garanti à tous par la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

  • Selon la directive relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée [11], il faudra attendre cinq années en situation régulière et des ressources stables et suffisantes pour obtenir presque les mêmes droits que ceux d'un citoyen de l'UE.

Dans l'optique d'une « immigration sélective », le livre vert imagine « des mesures incitatives – par exemple, de meilleures conditions pour le regroupement familial ou pour l'obtention du statut de longue durée – pour attirer certaines catégories de travailleurs ressortissants de pays tiers ».

Après un droit des travailleurs migrants modulé dans le temps, allons nous moduler ce droit selon la qualification et le statut ?

On s'étonne que, sous ces diverses modulations, se fonde un principe de discrimination, pourtant antinomique des progrès vers l'égalité des droits attachés à la personne humaine proclamée par l'UE depuis une vingtaine d'années et par de nombreux textes internationaux (Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Convention Européenne des Droits de l'Homme, Charte sociale européenne...).

 

II. 3. L'intégration malmenée par la précarité

L'intégration des migrants fait partie des objectifs sans cesse réaffirmés.

« Des politiques d'intégration réussies doivent commencer dès que possible après l'admission et s'appuyer fortement sur un partenariat entre les migrants et la société d'accueil » (COM2000).

« Les mesures prises doivent être accompagnées par des politiques fortes pour intégrer les migrants admis » ... « L'UE doit poursuivre ses efforts pour promouvoir une meilleure intégration des immigrants actuels et à venir, tant sur le marché du travail que dans la société d'accueil... » (Livre vert).

Une fois encore, l'écart entre l'objectif annoncé (intégration) et la réalité de sa mise en œuvre est grand. Exemples :

  • Il semble « que l'emploi est un des principaux moyens d'intégration des immigrants dans la société » (COM2003) : évidence que l'on aimerait voir appliquer aux demandeurs d'asile et à tous ceux qui sont admis au séjour sans droit au travail.

  • « Le droit au regroupement familial est, en soi, un moyen d'intégration incontournable » ... mais pour obtenir le regroupement familial « les Etats membres auront le droit d'exiger que les ressortissants de pays tiers respectent certaines mesures d'intégration » (COM2003).

Comment l'intégration des migrants serait elle possible avec un statut précaire imposé pendant plusieurs années et sans perspective d'une famille réunie ? C'est un véritable cercle vicieux.

 

III. La politique extérieure de l'UE malmenée par sa politique d'immigration

III. 1. « Chasse aux cerveaux » et « fuite des cerveaux »

Quelques lignes après avoir prôné la « chasse aux cerveaux » (voir I.5), COM2003 n'hésite pas à se contredire : « Le recours aux immigrants ne doit pas se faire au détriment des pays en développement, notamment en provoquant la fuite des cerveaux ».

Même formule hypocrite dans le livre vert. Après avoir longuement cherché des mesures incitatives pour l'immigration de travailleurs hautement qualifiés, on envisage de « dédommager les pays en développement pour leur investissement dans un capital humain qui émigre vers l'UE » ou d' « encourager la circulation des cerveaux et répondre aux effets négatifs potentiels de la fuite des cerveaux » par exemple en facilitant la réadmission des « cerveaux » par l'UE après un éventuel retour au pays.

Mais les personnes hautement qualifiées et adaptables que l'Union Européenne aura su découvrir et attirer vers des terres où leur niveau de vie est très supérieur à celui de leur pays d'origine reviennent rarement au lieu de départ, parce que les conditions politiques ou économiques ne s'y prêtent pas, parce que ces migrants en décident autrement ou encore parce que leur droit à un nouveau séjour en Europe n'est plus garanti en cas de retour. Plus fondamentalement, qui peut les obliger à partir et de quel droit peut-on le faire ? Quel dédommagement financier peut-il compenser l'incitation au départ des élites ?

 

III. 2. Trocs suggérés par le livre vert

- Un quota de migrants économiques non qualifiés vers l'UE contre l'exode des compétences ou contre le retour de travailleurs devenus inutiles en Europe.

Comme nous l'avons rappelé dans le préambule, la coopération européenne avec les pays d'origine ou de transit des migrations vers l'UE est actuellement systématiquement conditionnée par la répression de ces pays contre les migrants pour mettre en échec leur volonté de départ vers l'Europe.

Dans le livre vert, il est même question d' « obliger les pays d'origine et d'accueil à veiller au retour des migrants temporaires » et en même temps d' « accorder à certains pays tiers une préférence pour l'admission de leurs ressortissants ». Un nouveau troc ?

- Outils de recrutement avantageux « pour tous » ?

En quoi serait-il avantageux « pour tous » de « créer des centres de formation et de recrutement dans les pays d'origine pour les qualifications utiles au niveau européen ainsi que pour la formation culturelle et linguistique » ou de « créer des bases de données par qualifications/emploi/secteur (portefeuille de compétences) des migrants potentiels » ? Avantageux pour les agents recruteurs et autres intermédiaires ainsi que pour les futurs employeurs certainement. Avantageux « pour tous » ?

- Quelle « aide » au pays d'origine ?

La question du transfert d'une partie de la rémunération des travailleurs – qui constitue de facto une aide au pays d'origine - est soulevée de façon ambiguë. Il devrait s'agir d'un droit inconditionnel, librement exercé par les travailleurs migrants, et la priorité devrait être à la facilitation de tels transferts en s'attaquant aux intermédiaires financiers exploitant honteusement le filon. On peut pourtant craindre la suggestion de « faciliter » ce transfert, si cette facilitation prend la forme de contraintes imposées au travailleur temporaire. Toute forme de rémunération du travail conditionnée au retour préalable dans le pays – ou ce qui revient au même l'obligation d'un dépôt d'argent important remboursable seulement en cas de retour – n'est pas acceptable, ni selon le droit fondamental à la libre propriété de ses biens, ni selon les normes fondamentales en matière de droit du travail et de sa rémunération.

Si « aide » au pays d'origine il devait effectivement y avoir de la part de l'Union européenne – dont les modalités devraient faire l'objet d'un véritable débat politique – il ne devrait en aucun cas s'agir d'une impensable déduction de salaire mais d'un apport, quelle qu'en soit la forme, financé par le budget de l'Union.

 

CONCLUSION

  • Des « préférences » bloquant arbitrairement l'accès au travail malgré l'objectif affiché.

  • Des droits à l'admission des migrants modulables selon leur qualification ou selon des quotas fixés arbitrairement par les Européens.

  • Des droits du travailleur migrant fluctuant avec le temps, la qualification et le marché du travail européen.

  • Les principaux arbitrages confiés au monde économique sans contrôle démocratique.

  • Une politique d'immigration bâtie sur les besoins ou les choix européens au détriment du reste du monde, polluant ainsi la politique extérieure par des relations de domination.

Cette politique d'immigration économique est bien loin des vertus démocratiques, de la non-discrimination et de l'universalité des droits de l'Homme dont l'Union Européenne se veut porteuse et de l'image qu'elle souhaite projeter dans le monde.


Notes

[10] Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003.

[11] Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003.

 

Premiers signataires : Europe / AEDH (FIDH-AE) - Association Européenne pour la défense des Droits de l'Homme ; Coordination Européenne pour le Droit des Etrangers à Vivre en Famille / Belgique / Association Romani Phuu (Bruxelles) / France / AEFTI - Association pour l'Enseignement et la Formation des Travailleurs Immigrés et de leurs familles ; Agir ici ; ASIAD (Association de Solidarité d'Information pour l'Accès aux Droits) ; ATF (Association des Tunisiens de France) ; ATMF (Association des Travailleurs Maghrébins de France) ; CATRED (Collectif des Accidentés du Travail, Handicapés et Retraités pour l'Egalité des Droits) ; CNAFAL (Conseil National des Associations Familiales Laïques) ; Coordination Française pour le Droit des Immigrés à vivre en Famille ; CRID (Centre de Recherche et d'Information pour le Développement) ; ENAR France (European Network Against Racism) ; FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés) ; Femmes de la terre ; FTCR (Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des Deux Rives) ; GISTI (Groupe d'Information et de Soutien des Immigrés) ; GRDR (Groupe de Recherche et Réalisations pour le Développement Rural) ; IDD (Immigration Démocratie Développement) ; LDH (Ligue des Droits de l'Homme) ; MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples) ; RACORT (Rassemblement des Associations Citoyennes des Originaires de Turquie) ; SNPM (Service National de la Pastorale des Migrants) ; Fédération des syndicats SUD Education ; Union syndicale SOLIDAIRES / Portugal / CPPC (collectif portugais pour une pleine citoyenneté).

L'analyse au format A4
(pdf, 155ko)

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Dernière mise à jour : 5-04-2005 13:25 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/2005/livre-vert/fr_2.html


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