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« Des étrangers sans droits dans une France bananière »
Rapport de mission en Guyane et à Saint-Martin

SUR L'ÎLE DE SAINT-MARTIN

Chronologie des événements
dans la partie française de l'île

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A partir d'une revue de presse et surtout de divers témoignages, on peut reconstituer l'histoire des mesures prises par les autorités de Saint-Martin à la suite du cyclone Luis, leurs déclarations et les réactions qu'elles ont suscitées.

  • 5-6 septembre 1995 : le cyclone Luis s'abat sur l'île de Saint-Martin.

  • 8 septembre : visite du ministre des DOM-TOM, Jean-Jacques de Peretti, accompagné par Lucette Michaux-Chevry. A Saint-Barth, le ministre répond à RFO qu'il serait indécent de parler, en ces circonstances, de la politique qu'il entend mener à l'égard des étrangers en situation irrégulière.

  • 9 septembre : la mairie de Saint-Martin prend un « arrêté portant ordre d'interdiction de construction ou de reconstruction d'habitation précaire sur le territoire de Saint-Martin ».

  • 10 septembre : des hélicoptères annoncent par haut-parleur aux habitants des bidonvilles qu'il leur est interdit de reconstruire leurs maisons sinistrées par la tempête (alors que beaucoup ont déjà procédé aux réparations), que, dans les deux jours, ils seront hébergés dans des abris provisoires dans l'attente d'un relogement ultérieur.

  • 12 septembre : le sous-préfet déclare à Radio Caraïbes International (RCI) qu'il a pris contact avec les associations locales d'immigrés ; qu'il les a averties que Saint-Martin ne pouvait continuer à tolérer la présence d'étrangers sans papiers ; que les étrangers en situation irrégulière devaient accepter le rapatriement volontaire. Il confirme l'interdiction de reconstruire les cases, l'hébergement provisoire des étrangers sous la tente, un programme de relogement à terme.

    Toujours sur les ondes de RCI, vers 22 heures, à la suite de la déclaration du sous-préfet, un représentant des Haïtiens de Saint-Martin dit, en français, qu'il ne faut pas abuser de la gentillesse des Français et, en créole, que ce qui se prépare, c'est une véritable « déportation ».

    [Village de tentes]
  • 13 septembre : les travaux de terrassement précédant l'installation d'un village de tentes à Concordia commencent. Sur RCI, le maire, Albert Fleming, annonce que ces tentes accueilleront les personnes hébergées dans le lycée d'enseignement professionnel — en majorité des étrangers — dès la veille du cyclone. Il dément la rumeur selon laquelle il s'agit de regrouper ainsi ceux qu'on souhaite rapatrier.

  • 15 septembre : le sous-préfet annonce le lancement d'une opération d'aide aux « retours volontaires », comportant billet d'avion gratuit pour les candidats et l'envoi par mer de 2 mètres-cube de fret (0,5 par enfant) et d'un véhicule.

    Un « représentant » de la communauté haïtienne déclare sur RCI : « Merci au gouvernement français. Merci à Dieu. Confiance en Dieu parce qu'il nous protège. Confiance au peuple saint-martinois qui aidé nou, à gouvernement français, à gouvernement européen, à gouvernement des Etats-Unis. Bon dieu protégé nou. Il faut écouter ce que disent les militaires français. On ne peut être respectable que si on respecte les ordres ».

  • 15 et 16 septembre : montage de 37 tentes simples (dix personnes) et de 2 doubles à Concordia.

  • 18 septembre : premières opérations de contrôles d'identité, par des militaires armés, si l'on en croit certains témoignages, parmi les Haïtiens qui vivent dans des cases au quartier de Saint-James. Certains essaient de fuir dans les mornes (collines). Ils sont poursuivis et souvent rattrapés. On conduit tous les Haïtiens contrôlés au village de tentes de Concordia.

  • 21 septembre : un hélicoptère confirme, par haut parleur, qu'il est interdit de reconstruire. Il ordonne aux habitants des bidonvilles de quitter leur domicile qui vont être rasés. Il lâche des tracts porteurs du même message.

    [Concordia après les bulldozers]
  • 22 septembre : des bulldozers commencent à procéder à la destruction des cases d'étrangers, notamment à Concordia. La gendarmerie fait évacuer le site, puis maintien les habitants à la périphérie, tandis que des employés recrutés par la mairie détruisent les habitations avec tout ce qu'elles contiennent. Les bulldozers achèvent le travail.

  • 23 septembre : à l'aéroport régional de Grand-Case (partie française de l'île), une centaine d'hommes, de femmes et d'enfants haïtiens, encadrés par des gendarmes, attendent d'être embarqués dans des avions à destination d'Haïti. Les hommes, d'une part, les femmes et les enfants, de l'autre, sont séparés. Certains enfants suivis à l'hôpital, notamment un jeune homme atteint d'une drépanocytose, sont là malgré les certificats médicaux dont ils sont porteurs et qui déconseillent formellement leur rapatriement. Tous les passagers sont présumés être candidats au « retour volontaire » organisé par la sous-préfecture.

    A la télévision, sur RFO, le sociologue guadeloupéen Jacky Dahomey dénonce, au nom de l'association Guadeloupe-Haïti, les conditions de ces rapatriements.

  • 25 septembre : Le Dr Franck Bardinet dénonce, à son tour, cette opération sur les ondes de RFO radio.

  • 28 septembre : La Croix titre « Saint-Martin : les étrangers poussés au départ ».

  • 29 septembre : le Monde titre « Des milliers d'étrangers sont menacés d'expulsion à Saint-Martin ».

  • 1er octobre : à l'église de Marigot, le père Chérubin Céleste, qui fait fonction d'aumonier des étrangers en Guadeloupe, souligne, dans un sermon destiné à corriger le fatalisme de celui du père Charles, curé du lieu, que les Saint-Martinois ne paraissent pas mettre en pratique le devoir de charité à l'égard des étrangers. Le sous-préfet, présent à l'office, demande la parole et rappelle publiquement au père Céleste le devoir de discrétion prôné par Marc-Aurèle.

  • 2 octobre : le père Céleste tient conférence de presse en qualité de président du Comité de soutien des immigrés caribéens en Guadeloupe. Il y dénonce la politique des autorités saint-martinoises à l'encontre des étrangers. « Pour mieux les exploiter, on ne les a pas déclarés, souligne-t-il. Ainsi, on les a maintenus dans une situation irrégulière, sans protestation de la préfecture. Et, aujourd'hui, M. Dieffenbacher, préfet de la France, les expulse parce qu'ils sont "illégaux"... Il profite du passage du cyclone Luis, qui a détruit tout ce qu'ils avaient, pour les refouler. Et il ose parler d'aide au retour ».

  • 3 octobre : dans le quotidien France-Antilles, le président de l'Association des Haïtiens immigrés de Saint-Martin considère « le plan d'aide au retour comme une déportation ». « Pour le moment, précise-t-il, les autorités ont eu gain de cause, mais nous connaissons la pratique des choses et, comme l'a dit le président Aristide "si 75 % des Haïtiens sont analphabètes, ils ne sont pas bêtes" ». Il réclame l'ouverture de négociations permettant de mettre au point un programme qui ne porte pas atteinte « à notre fierté et en respectant notre dignité d'hommes ».

    Dans le même journal, Mgr Ernest Cabo, évêque de Guadeloupe, explique que le traitement des étrangers à Saint-Martin lui « semble injuste et nous inquiète » car les Haïtiens, en particulier, ont, selon lui, amplement participé au développement des infrastructures touristiques de l'île. Il souligne que les entrepreneurs locaux « ont abusé d'eux ». L'évêque plaide en faveur d'une « attitude plus humaine » et souhaite qu'on « leur laisse un temps convenable pour préparer leur retour ». Il invite enfin la France à respecter « les principes de toute civilisation, c'est-à-dire le respect de la personne humaine et le droit de vivre dignement, le droit au travail et de sa législation, le droit d'asile et le droit des enfants à l'éducation ».

  • 9 octobre : des employés municipaux brûlent la maison en dur d'Emmanuel Marcelin à Saint-James, un Français d'origine haïtienne. Il est le premier à porter plainte.

  • 13 octobre : dans la matinée, des civils — une dizaine, originaires, semble-t-il, de Grand-Case — informent les habitants (surtout des Haïtiens) du quartier Saint-James (voie 42) que leurs maisons vont être brûlées. Ils ne présentent aucun ordre de mission.

    Mais, en date du 13 octobre 1995 (13 heures), le bureau d'urbanisme de la mairie de Saint-Martin diffuse une note « Aux personnes demeurant dans les habitations précaires situées sur le morne de St James », qui leur annonce : « Vous êtes mis en demeure d'évacuer vos logements dans la journée le 12/10/95 (souligné par la mairie. Rappelons que le document est, lui, daté du lendemain) avant la destruction par les agents communaux. Vos propriétaires ont été avertis des expulsions locatives. Vous avez été vous-mêmes avertis par 2 fois (par hélicoptère et gendarmes à pied avec police). Ceci est donc le dernier avertissement ».

  • 16 octobre : les mêmes reviennent, font sortir les habitants présents, pillent, épandent de l'essence et mettent le feu.

  • 18-19 octobre : Libération titre « Saint-Martin : après le passage du cyclone, les immigrés trinquent ».

  • 20 octobre : Mme P., résidente étrangère de la seule maison non brûlée de Saint-James, reçoit la visite de l'un de ses voisins saint-martinois. Il est en état d'ébriété. Il la menace de mort. Sans suite.

  • 20 novembre 1995 : une Française, Cécile Robert reçoit la visite d'employés de la Société d'économie mixte de Saint-Martin (SEMSAMAR) accompagnés de deux gendarmes dans la maison qu'elle habite à Colombier. Ils lui annoncent qu'elle sera détruite trois jours plus tard. Elle protestera contre ce projet et portera plainte. Sa maison ne sera pas détruite, à la différence de celles de la plupart de ses voisins qui, eux, sont étrangers.

  • Janvier 1996 : au total, 506 étrangers ont accepté les « retours volontaires », et l'administration a exécuté 190 reconduites forcées à la frontière entre le 6 septembre et le 31 décembre 1995.

  • 5 mars 1996 : le TGI de Basse-Terre juge que les menaces de destruction de maisons constituent des « voies de fait».

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Dernière mise à jour : 25-01-2001 15:05.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/1996/bananier/saint-martin/chronologie.html


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