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La Libye pour « externaliser »
le droit d'asile de l'UE ?

par Nathalie Ferré
Présidente du Gisti

Article publié dans Le Monde du 20 juillet 2005.

L'Union européenne vient, au début du mois de juin 2005, de décider l'« instauration d'un dialogue et d'une coopération avec la Libye sur les questions d'immigration ». Il s'agit de l'exemple le plus emblématique du cynisme de l'Europe dans la pratique de « l'externalisation » de sa politique d'asile et d'immigration, qui consiste à faire prendre en charge par des pays tiers le contrôle des flux migratoires en amont de ses frontières.

Officiellement lancée fin 2004 au sommet de La Haye, la méthode n'est pas nouvelle. En 2003, Tony Blair proposait d'installer hors d'Europe des centres de transit pour y envoyer tous les demandeurs d'asile arrivant sur le territoire d'un Etat membre.

Rejetée à l'époque, l'idée devait être recyclée un an plus tard par les ministres de l'intérieur allemand et italien sous la forme de projets de camps destinés à filtrer, en Afrique du Nord et notamment en Libye, migrants et candidats à l'asile.

Longtemps mise au ban de la communauté internationale, la Libye a récemment été réintégrée au concert des nations après avoir accepté de dédommager les victimes occidentales d'attentats dont elle a reconnu la responsabilité. Si la levée du blocus commercial a permis aux compagnies pétrolières américaines et européennes d'y reprendre une activité prometteuse, il n'existe aucun partenariat politique entre l'Europe et la Libye.

Celle-ci n'est pas associée au processus de Barcelone, qui vise à créer un espace régional de dialogue politique entre l'UE et les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Elle n'est pas non plus concernée par la politique de voisinage récemment lancée par l'UE pour mettre en place un nouveau cadre de relations avec les voisins de l'Est et du Sud, fondé sur des « valeurs communes en matière d'état de droit, de bonne gouvernance et de respect des droits de l'homme ». L'UE ne dispose donc d'aucune base formelle pour engager avec la Libye une collaboration sur les questions migratoires.

Mais la position stratégique du pays implique visiblement que l'on passe outre à cet obstacle. Depuis longtemps l'Italie et Malte réclament l'ouverture de négociations, arguant de la nécessité d'éviter les drames humains que constitue la traversée de la Méditerranée par des boat people partis des côtes libyennes pour échouer sur leurs plages, comme si la principale cause de ces drames n'était pas les barrières toujours plus hautes édifiées par les pays nantis pour barrer la route à ceux qui fuient la misère ou les conflits.

En décembre 2004, une mission exploratoire de la Commission européenne s'est rendue en Libye. Son rapport, qu'elle n'a pas voulu rendre public, est accablant sur le sort qui y est réservé aux migrants. Dans ce pays qui n'a pas signé la convention de Genève sur les réfugiés, où le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) n'a aucun statut officiel, les rafles d'étrangers, l'enfermement dans des camps et les expulsions collectives, y compris de réfugiés, sont monnaie courante.

Malgré ce tableau consternant, les ministres de l'immigration des Vingt-Cinq n'en ont pas moins conclu à la nécessité de « continuer sur la voie d'une intensification de la coopération avec la Libye ». Il n'a pourtant pas manqué d'avertissements contre cette décision. Amnesty International a fait connaître ses inquiétudes quant aux « mécanismes de coopération qui pourraient se développer avec la Libye sur l'immigration illégale, sans les garde-fous nécessaires au niveau des droits humains ». Le HCR a rappelé que la Libye n'est pas un « pays sûr » pour les demandeurs d'asile. De son côté, le Parlement européen, dans une résolution adoptée en avril, a rappelé que ce pays « pratique l'arrestation arbitraire, la détention (...) et les rapatriements massifs d'étrangers dans des conditions qui n'assurent ni leur dignité ni leur survie ».

Sourd à ces mises en garde, le Conseil de l'UE a fait le choix de s'engager dans une « stratégie à long terme » avec Tripoli pour lutter contre l'immigration illégale. Mais, pour faire face aux situations d'urgence en Méditerranée, 2 millions d'euros sont immédiatement débloqués pour la formation des garde-frontières et des policiers libyens qui vont être associés à des patrouilles maritimes européennes. Car un plan d'action conjoint pour l'interception d'embarcations transportant des passagers clandestins doit être opérationnel très vite - dès cet été, nous dit-on - afin de prévenir « l'émigration illégale » (autrement dit, d'empêcher les exilés d'accoster en Europe).

Si, selon le commissaire européen chargé des questions d'asile et d'immigration, « la Libye a promis dans les mois à venir l'adoption d'une nouvelle législation en matière d'asile », on a de quoi être perplexe devant un tel empressement. Quelles mesures spécifiques sont prévues dans le cas où des demandeurs d'asile se trouveraient à bord des bateaux interpellés ? Si l'urgence concerne la surveillance de la Méditerranée, et si les considérations relatives au respect des droits de l'homme relèvent de la « stratégie à long terme », quelles procédures seront appliquées aux « illégaux » capturés en mer en attendant l'aboutissement du « long processus » qui s'engage ?

Seront-ils refoulés vers la Libye, pays de provenance ? Pour y être soumis à quelle législation ? Quelles garanties qu'ils seront traités correctement, qu'ils ne seront pas détenusabusivement, ou expulsés vers des destinations dangereuses pour eux ?

Il y a peu de chances que ces questions reçoivent jamais réponses, tant il est clair que la protection des migrants et des réfugiés n'est, en dépit des apitoiements officiels sur les « drames humains » de l'exil, qu'une donnée très accessoire dans les programmes de coopération que l'UE met en place avec ses voisins sur les questions migratoires.

A travers l'exemple de la Libye, l'Europe fournit une excellente illustration de ce qu'elle entend par « dimension externe de la politique d'asile et d'immigration ». L'urgence est que les migrants n'arrivent pas sur son sol.

Quant au reste - enfermement dans des camps, harcèlement, maltraitance, violation du principe de non-refoulement et du droit d'asile -, ce sont des dégâts collatéraux qu'il sera toujours temps de traiter dans le « long terme ». Ou peut-être jamais, puisque ces graves entraves aux droits humains s'exerceront loin des regards des citoyens d'Europe.

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Dernière mise à jour : 20-12-2006 18:45 .
Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2005/ferre/index.html


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