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Rapport « Immigration,
emploi et chômage » du CERC
Conclusion générale
Ce dossier visait à rassembler et à
mettre en perspective les informations disponibles sur les liens entre
immigration, emploi et chômage, à travers une triple
approche statistique, théorique et historique. Il semble maintenant
possible d'en rassembler les principales conclusions en huit points :
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Les théories économiques ne confirment
pas l'existence d'un lien direct entre volume de l'immigration
et niveau du chômage. Au niveau macro-économique,
les immigrants et leurs familles contribuent à la demande
finale, et accroissent autant la demande de travail que l'offre.
Au niveau sectoriel, l'immigration facilite les redéploiements
et l'ajustement de l'emploi. Pour la théorie économique
standard, l'immigration est un facteur de flexibilité du
marché du travail et donc favorable à la réduction
du chômage. Pour les théories hétérodoxes,
elle joue un rôle important dans la destructuration et la
restructuration des formes d'emploi.
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L'analyse économique, orthodoxe ou hétérodoxe,
attire surtout l'attention sur les phénomènes redistributifs
liés à l'immigration : celle-ci est favorable
aux revenus du capital ainsi que, éventuellement, aux salaires
des travailleurs les plus qualifiés.
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Les études empiriques disponibles, pour
l'essentiel nord-américaines, indiquent des effets faibles,
mais non totalement négligeables dans certains cas, de
l'immigration sur les salaires des travailleurs des pays d'accueil.
L'impact principal s'observe sur les salaires des immigrés
eux-mêmes. En Europe, les rares études disponibles
s'accordent à constater que les effets de l'immigration
sur les salaires, l'emploi et le chômage des nationaux sont
imperceptibles.
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Le rôle de l'immigration sur le marché
du travail en France a considérablement évolué ;
d'une fonction de complément à une main-d'oeuvre
française qui refusait les bas salaires et les conditions
de travail industriel pénibles dans les années soixante,
elle est passée à un rôle de « laboratoire
de la flexibilité du travail » dans les secteurs
de service au cours des années quatre-vingt. En même
temps les immigrés arrivés dans les années
60-70, ouvriers dans l'industrie, ont servi d'amortisseur dans
les ajustements de l'emploi des années quatre-vingt, contribuant
ainsi par leur exclusion à limiter celle des ouvriers autochtones.
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Les aspects historiques, politiques et culturels
sont d'une importance majeure dans la dynamique migratoire. Les
phénomènes de migration obéissent à
des lois beaucoup plus complexes que celles du « différentiel
de revenus » ou du « déversoir de la
misère du monde ». L'essentiel des migrations
de masse est Sud-Sud et résulte de crises ou d'effondrements
politiques majeurs. Concernant l'immigration économique,
elle ne tend pas nécessairement à s'accroître
avec l'approfondissement du fossé Nord-Sud ; au contraire
le développement au Sud se traduit dans un premier temps
par une accélération des migrations vers le Nord.
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La place de l'immigration dans le débat
politique ne s'explique pas par son impact économique objectif,
mais par les mécanismes de repli sur soi identitaire des
communautés nationales ou professionnelles menacées
par une crise économique. L'instrumentalisation de ces
affects par le personnel politique en renforce la dynamique excluante.
L'histoire sur cent ans de la fermeture de nombreux marchés
du travail aux étrangers en France montre les « effets
de cliquet » de ces coups de barre xénophobes
pris dans des périodes de troubles économiques et
sociaux : par empilement successif d'interdictions, on a
institutionnalisé l'exclusion des étrangers de segments
entiers du marché du travail.
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Aujourd'hui, près d'un tiers des emplois
disponibles en France est interdit aux étrangers non communautaires ;
la légitimité de ces interdictions est contestable,
qu'elles s'appuient sur des règlements xénophobes
inspirés dans le passé par certaines professions
(médecins, avocats...) ou sur une notion particulièrement
extensive de la souveraineté nationale dans le cas du secteur
public.
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La portée et les conséquences de
ces discriminations légales ne se mesurent pas seulement
au nombre ou à la proportion du total des emplois concernés,
mais aussi à leur impact sur la structure et la dynamique
de l'emploi des étrangers, y compris dans les emplois ouverts
aux étrangers. De plus elles tendent naturellement à
légitimer les pratiques illégales de discrimination
à l'égard des étrangers, et plus généralement
à l'égard des personnes « soupçonnées »
d'une origine étrangère de par leur nom, leur accent
ou leur apparence.
Aujourd'hui où la question principale posée
aux politiques liées à l'immigration est celle de l'intégration
des immigrés et de leurs enfants, un réexamen d'ensemble
de ces discriminations légales par le Parlement aurait une
portée symbolique décisive dans la perspective d'une
véritable égalité des chances pour l'accès
à l'emploi. Il contribuerait à donner une véritable
crédibilité à la volonté politique de
la société française de lutter contre toutes
les discriminations sur le marché du travail, qu'elles soient
liées à la nationalité, au sexe, aux origines
ethniques... Tant que subsisteront des discriminations légales
aussi massives et générales à l'égard
des étrangers, la lutte contre les discriminations illégales
risque de demeurer un voeu pieux.
Dernière mise à jour :
13-11-2000 16:54.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/presse/1999/cerc/conclusion.html
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