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Politique d'immigration et principe d'égalité : réponse à Hans Mahningpar Jean-Pierre Alaux Texte publié dans Hommes et Migrations en janvier 98 « Toute réflexion sur une politique d'immigration de gauche devrait partir de l'exigence d'égalité », observe Hans Mahning dans le dernier numéro d'Hommes & Migrations. Pour lui, « il est très difficile d'affirmer que l'ouverture des frontières, dans un monde marqué par de profondes inégalités socio-économiques, amènerait automatiquement une situation plus égalitaire » car « la poursuite du principe de l'égalité dans le domaine de l'immigration se heurte (...) tout de suite aux intérêts de l'état-nation ». Dans l'hypothèse où l'on déciderait l'ouverture des frontières, Hans Mahning craint que « les flux migratoires qui auraient lieu accentueraient encore les inégalités » dans les pays d'accueil. C'est ce qui explique, selon lui, que « l'affrontement au sein de la gauche sur l'immigration est (...) fortement marqué par l'opposition entre partisans et adversaires de l'état-nation ». Autrement dit, dans un contexte de chômage où les marges de fluctuation de l'Etat-providence évoluent négativement, la liberté de circulation et l'ouverture des frontières entreraient en contradiction avec les intérêts et avec les droits des Occidentaux. Imaginons que les 20 millions de séropositifs d'Afrique, condamnés à mort puisqu'ils n'ont pas accès aux solutions thérapeutiques existantes, bénéficient d'un droit au séjour et aux soins dans les pays occidentaux. Les systèmes de protection sociale en place dans ces pays en souffriraient peu ou prou, et les bénéficiaires actuels pourraient en pâtir. C'est tout à fait probable. Cette conséquence possible doit-elle nous exonérer d'imaginer la contrepartie dynamique d'un affichage fort de l'objectif d'ouverture des frontières à échéance rapprochée ? Il y a consensus pour en lister toujours les inconvénients réels et imaginaires à court et à moyen termes parmi les Occidentaux. Au point qu'on en oublie les avantages. Pourtant l'ouverture des frontières pousserait nécessairement les pouvoirs publics et les décideurs économiques à une réflexion moins velléitaire sur la nécessité de réduire les inégalités à l'échelle internationale. Et peut-être même à des mesures concrètes. Pour reprendre l'exemple des 20 millions de séropositifs africains, il est clair que, si un mouvement fort d'exigence en leur faveur d'un droit d'installation en Occident faisait irruption sur la scène publique, les Etats chercheraient sans doute avec plus de détermination les moyens de permettre à l'Afrique de bénéficier des trithérapies. Il en est de même pour les Algériens : si la revendication du droit aux visas et à l'asile devenait massive à leur profit en France et ailleurs, il y a fort à parier que les gouvernements feraient preuve de davantage d'imagination et de détermination à l'égard d'Alger. De ces constatations de bon sens, on peut induire que l'exigence d'ouverture des frontières (et pas seulement de liberté de circulation) jouerait un rôle de ferment d'égalité dans les organisations multilatérales. En toute bonne foi, pouvons-nous considérer le souci légitime de préservation des mécanismes d'assurances de minima sociaux au profit des plus démunis là où ils existent encore ou la volonté de réserver aux nationaux la quantité insuffisante de travail disponible dans les pays industriels comme des attitudes attachées à la défense de l'égalité ? Autrement dit, surtout dans un environnement international de mondialisation, le protectionnisme à l'encontre des migrations a-t-il encore un sens ? En visant à pérenniser les privilèges locaux, la fermeture des frontières préserve surtout les conditions qui font des inégalités une donnée structurelle de l'état du monde, avec son cortège de catastrophes permanentes, par exemple le fait que la malnutrition tue encore et toujours 7 millions d'enfants chaque année, soit plus que n'importe quelle épidémie (le Monde, 18 décembre 1997), selon le dernier rapport de l'UNICEF. Et la fermeture ne joue pas en ce sens dans le seul tiers-monde. Que le prix de l'action Moulinex ait progressé de 21% le 19 juin 1996, jour où la direction a annoncé la prochaine suppression de 2 600 emplois en France sur 11 300 à l'occasion d'un plan de délocalisation au Mexique et en Irlande constitue un exemple entre mille des conséquences de la suppression des frontières en faveur des acteurs économiques et financiers jointe à leur clôture au nez des défavorisés. Car on a là la conjonction de tous les facteurs qui entretiennent l'inégalité et le non-droit, là-bas et ici. Ici, la fermeture des frontières, qui réussit très partiellement à atteindre ses objectifs, place les étrangers dans la position idéale de surexploitables. Comme s'ils voulaient en tirer parti, les gouvernements - de gauche ou de droite - enfourchent allègrement ce cheval de Troie du libéralisme en démultipliant les cas de figure de précarité : tolérance d'un volume incompressible d'irréguliers et fragilité sans cesse accrue du statut juridique d'un nombre croissant de réguliers (en France, titres de séjour d'un an à la place de titres de dix ans dans de nombreux cas). Ainsi peut-on faire pression à la baisse sur les droits sociaux de tous. Là-bas, la condamnation des victimes à l'acceptation sur place des injustice permet de les entretenir pour le plus grand profit des entreprises qui, elles, fuient les territoires où les droits existent encore. Dans un tel contexte libéral, la fermeture des frontières conforte donc l'inégalité dans le monde entier. En vantant pour les droits fondamentaux les vertus d'une logique prônée par les entrepreneurs dans le domaine économique, à savoir l'influence égalitaire de la liberté et de l'ouverture, s'inscrit-on dans une logique néolibérale ? On se situe en réalité aux antipodes. Il est, en effet, vrai que l'Occident « ne peut accueillir toute la misère du monde ». Et, même s'il est clair que toute cette misère-là ne s'y précipiterait pas en cas d'ouverture, il y a fort à parier qu'il enregistrerait bientôt une pression migratoire plus forte. Que croyez-vous qu'il arriverait alors ? La communauté internationale ferait enfin de la prévention. Au lieu de se murer dans une protection défensive qui laisse en l'état les inégalités, elle mettrait en place des mécanismes correcteurs. Au lieu de multiplier les remèdes contre les effets migratoires inhérents à l'injustice, elle se lancerait dans des politiques offensives d'équilibrage. Il y a fort à parier que, par exemple, l'Afrique ne serait pas longtemps privée des trithérapies. En ce sens, les Etats seraient contraints de récupérer des prérogatives qu'ils abandonnent aujourd'hui au marché, ce qui ne serait pas du tout néolibéral. Il n'y a ainsi aucune chance que l'ouverture des frontières se solde par un hold-up du marché du travail par les migrants ou par l'effondrement de la protection sociale. L'ouverture contraint les Etats à défendre l'un et l'autre en s'attaquant aux causes structurelles des flux migratoires. Au lieu de les contrer en aval par la répression à coups de nouvelles injustices, ils s'efforceraient d'en réduire les causes en amont grâce à une politique de répartition des richesses à l'échelle planétaire. Aujourd'hui moins que jamais, on ne peut défendre l'égalité ni dans un seul pays ni dans les seules zones de prospérité relative. Tout calcul national conduit à une guerre non déclarée contre ceux qui réagissent à l'injustice par la fuite sous des cieux moins pénalisants pour eux. Si l'on veut la paix, il faut que les séropositifs africains, que les Algériens menacés, que les enfants exposés aux famines et à la malnutrition n'aient plus à fuir leur misère respective. C'est à ce prix, et à ce prix seulement, que principe d'égalité et migrations feront bon ménage. Dans cette perspective, l'ouverture des frontières constitue un facteur universel de stimulation en faveur de la justice.
Dernière mise à jour :
23-11-2000 19:38. |